ET CE TEXTE CA VIENT ???????

Elle s’ennuyait, à crier.  
Aussi, à force de volonté, pris-je la résolution de tuer Michel Drucker, que je jugeais responsable de l’apathie de ma vieille mamie ainsi que de la faim dans le monde, parce que bon, j’étais un peu énervé, sur le coup. Et puis comme l’apathie vient en mangeant…  
   
J’avais mis, bon an, mal an, un bon mille ans à élaborer le crime parfait. Pas de ceux à la Columbo où l’assassin omet toujours de se renseigner sur les horaires des marées les années bissextiles, ou laisse des traces de paprika sur les mâchicoulis (ne pouffez pas, j’ai vu cet épisode !). Pas non plus de machination ubuesque à la Scoobi-Doo, où l’ostréiculteur, qui avait pourtant tout du bon paroissien, se révèle être un virtuose en apparition de fantômes d’huîtres géantes et en robotisation de rhododendrons qui avancent quand renoncule (j’ai aussi vu cet épisode, cessez vos sarcasmes !).  
Si j’avais mis plus de temps qu’il n’en faudrait à un Corse fonctionnaire pour construire une cathédrale avec une cuillère à miel, c’est que je donnais salement dans la procrastination. « Carpette iem », comme disait Bernard Tapie.  
   
Mais ce coup-ci, je le tenais, mon meurtre parfait. J’étais chaud-bouillant comme une friteuse de la buvette CGT à la fête de l’Huma.  
J’avais tout bien minuté, tout vérifié, même les horaires des marées. J’avais anticipé le moindre trublion qui irait se casser la pipe sous le métro, provoquant les retards que l’on connaît.  
Ce sens aigu de la manipulation et du ni-vu-ni-connu-j-t’embrouille, je l’avais développé lors de mon passage au Canada, où j’étais devenu expert en malfaçon dans la cuniculture. Je plongeais des lapins angoras dans des grandes cuves hermétiques que je chauffais grâce à  d’immenses chaudières tubulaires. Sous l’effet de la chaleur, la peau se décollait et je la récupérais pour tirer le sirop des râbles. Quant aux corps des lapins, qui étaient devenus aussi raides qu’un verre de rouge anglais, je les revendais comme chihuahuas empaillés à des vieilles qui ne pouvaient plus repasser leurs animaux elles-mêmes.  
C’est sûrement à cette époque que je suis devenu gérontophobe. Et l’autre espèce de gendre idéal n’a rien arrangé à mes affaires tant il a causé des « Ben j’peux pas, ce tantôt c’est Drucker ! Dame oui ! » comme unique et récurrente réponse à mes « Mamie, ça te dirait de venir faire le cochonnet au boulodrome ? Grand bien te fasse, ça va t’aérer un peu les métastases. Puis tu vas rencontrer des gens. Et des boules. Moi j’dis ça, j’dis rien, mais c’est pas tous les jours que t’as l’occasion de mettre ta petite jupe noire autrement que pour aller enterrer un de tes amis du sanatorium qui a passé l’arme à gauche en confondant le tuyau à oxygène avec celui de sa sonde gastrique ! »  
   
Depuis la mort de Papi, Mamie sortait très peu, sauf pour les enterrements du mardi ou pour acheter Paris-Match et y apprendre que son Michel Drucker avait attrapé une 12e maladie incurable en autant de semaines depuis que sa femme le trompait avec son chien. Papi, de son vivant, ça le faisait toujours bander comme un pendu de lire les malheurs de Drucker. C’est que lui, le dimanche, il préférait regarder la formule 1. En réglant son Sonotone au maximum, il avait l’impression de revivre ses soirées de 1943 dans le Loiret, où après une harassante journée à emmagasiner des Juifs dans des wagons, il allait rejoindre Rita, la fille du commandant de la Gestapo de Pithiviers. Il allait lui conter fleurette, dans le tohu-bohu des bombardements.    
« Rita, amie donne-moi ton cœur », qu’il lui avait dit un jour. Il lui avait même promis de l’épouser chez elle, en Alsace. Mais un soir, un Juif les avait surpris à califourchon sur un panzer et les avait dénoncés. Papi s’était fait chasser à coups de pompes dans le cul et était mort des suites de ses blessures environ soixante ans après…  
Alors, les bruits des moteurs de formule 1, autant que faire se peut, ça lui rappelait la mélodie qui accompagnait ses péripéties d’autrefois. Même qu’il aurait donné son royaume pour qu’un des cancers hebdomadaires de Drucker se généralise.    
Il était rigolo, Papi, pour un antisémite.  
   
Mamie, elle végétait un peu, depuis. Elle vivait dans Paris-Match avec une sarabande de cancéreux, de cocufiés, d’anciennes gloires avinées du vinyle, de princesses logées sous les ponts, voire contre les ponts… Et le dimanche, elle mettait son plus beau foulard et se parfumait à la lavande bon marché pour aller se mourir d’ennui devant sa télé.  
Ça me rendait malade de la voir s’emmerder ainsi, et aussi un peu de devoir louer un vieux à la maison de retraite pour faire le cochonnet alors qu’en j’en avais un sous la main. Flûte, ça ne mange pas de pain, quand même ! Merde, tiens !  
   
Du coup, mon crime, c’était de la sublimation, comme si le Dieu des vieux m’avait refilé un bon au porteur pour aller éliminer l’autre museau de tanche qui leur liquéfiait le cerveau.  
   
Un dimanche après-midi, alors que mamie regardait son émission préférée, je fis irruption dans la pièce, un bas en résille enfilé sur le visage et un revolver à la main. Au moment précis où un gros plan m’offrit le visage niais de Drucker à l’écran, je lui déchargeai toutes mes bastos dans la tronche. Un épais nuage de fumée que seul le silence parvenait à percer envahit la pièce.  
   
Au bout de longues minutes, Mamie me regarda en hochant la tête dans un soupir catarrhal.  
« Connard », qu’elle me dit.