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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
15.4 %
 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
 144 votes
10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°1598213
panzemeyer
The torture never stops
Posté le 03-12-2003 à 17:52:34  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

pascal75 a écrit :


Ok, si tu t'en souviens, est-ce que tu peux dire en gros l'intérêt que t'avais trouvé à ce bouquin, qu'est-ce qu'il t'avait apporté, perso ? (c'est pas un résumé que je te demande, c'est juste dire en quoi c'est un bouquin qui peut donner envie de continurer à lire de la philo) :)

oops, j'étais passé au dessus de ton post  :o  
 
Ce que j'ai apprécié dans le Discours de la Méthode ? Pour commencer la clarté et la simplicité du style. Après tout c'est bien agréable de pouvoir lire un essai philosophique sans devoir s'arrêter sur chaque mot :D Sur le fond, ce livre m'a fait découvrir l'esprit philosophique, qui est à mon avis de ne rien tenir pour acquis, même ce qui semble relever de l'évidence, de l'indémonstrable ou de l'"autorité de chose pensée" (cf. le syndrôme du "un grand penseur a dit ça donc point à la ligne" ). Descartes revient sur tous les a priori que tout un chacun a parfois même inconsciemment. Le livre est bien nommé : c'est la méthode utilisée par Descartes qui est éclairante ; il ne propose pas de réponse à telle ou telle question (dans ce livre en tout cas :D).  
 
Encore aujourd'hui c'est la principale chose que je retiens de la philosophie, et ça a plus d'implications qu'il ne semble à première vue :)

mood
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Posté le 03-12-2003 à 17:52:34  profilanswer
 

n°1598221
rahsaan
Posté le 03-12-2003 à 17:53:35  profilanswer
 

Merci.  :)  
On parle beaucoup de Descartes cette année, pour le concours de l'agrégation, car l'un des thèmes au programme est : "Le corps et l'esprit".
Alors j'entends souvent parler de la glande pinéale etc.  ;)  
Je crois que Revel, dans son essai attaque l'idée que les français sont cartésiens, c'est ça ?
De toute façon, cette polémique perd de son sens, quand on étudie Descartes, et  qu'on s'aperçoit qu'il n'est pas "cartésien" tant qu'on croit. La pensée d'un philosophe est toujours bien plus fine et nuancée que ce qu'on en retient.  
 
Kant n'est pas kantien, Marx n'était pas marxiste etc.
D'ailleurs, je trouve très intelligente et profonde l'idée de Clément Rosset, héritée de Montaigne, selon laquelle au fond, les philosophes n'ont jamais cru à leur doctrine.
Epicure ne croyait pas aux Atomes, ni Pythagore aux Nombres, ni Platon aux Idées... C'est peut-être la spécificité du discours philosophique, que de ne pas se laisser piéger à la tentation, séduisante mais malhonnête, de croire qu'on détient la vérité.  
La philosophie serait alors seulement un principe de moindre erreur : parler du réel, en le déformant le moins possible, sans jamais s'attacher plus qu'il n'est raisonnable à la vérité du son discours.  :)  


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°1598247
pascal75
Posté le 03-12-2003 à 17:58:44  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :

> P75 : tu penses que des propos philosophiques sont périmées au bout d'un moment, qu'une vérité devient fausse au bout d'un certain temps ?  :heink:  


En quelques sortes. De plus je ne pense pas que la vérité soit l'activité de la philosophie, je crois bien plus aux puissances du faux dont parle Nietzsche (mais là je développe pas...).
Ce qui compte chez un philosophe ce n'est pas de savoir si ce qu'il dit est vrai - il y a plein de vérités inutiles - mais de savoir s'il peut nous être utile à comprendre ce qui se passe. Certains philosophes sont utiles six mois, d'autres six ans, d'autres beaucoup plus et c'est vrai que mes préférés sont toujours utiles de nos jours (pratiques dit Deleuze).

n°1598305
panzemeyer
The torture never stops
Posté le 03-12-2003 à 18:09:05  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :

Merci.  :)  
On parle beaucoup de Descartes cette année, pour le concours de l'agrégation, car l'un des thèmes au programme est : "Le corps et l'esprit".

Ah, j'ignorais que tu préparais l'agreg de philo :) (en tout cas ça se ressent dans tes posts  ;))
 

Citation :

Je crois que Revel, dans son essai attaque l'idée que les français sont cartésiens, c'est ça ? De toute façon, cette polémique perd de son sens, quand on étudie Descartes, et  qu'on s'aperçoit qu'il n'est pas "cartésien" tant qu'on croit.

Je pense que c'est plutôt ta 2e phrase qui résume le mieux l'idée de Revel. Il conteste l'usage de "cartésien" comme synonyme de "rationnel", car pour lui justement les deux choses sont très différentes. Sa démonstration vise à montrer que Descartes n'est pas le père du rationalisme scientifique qu'on voit souvent en lui, bref, comme tu l'as dit précédemment, que Descartes n'est pas cartésien. :) Son ton est toutefois très polémique (c'est une habitude chez lui :D), et tout ce qu'il dit n'est sans doute pas à prendre pour argent comptant (pour preuve son titre provocateur : "Descartes inutile et incertain"... en préface du Discours de la Méthode, fallait oser :sol:).  
 

Citation :

La pensée d'un philosophe est toujours bien plus fine et nuancée que ce qu'on en retient.

C'est sûr. Je pense toutefois qu'on ne peux pas comparer par exemple les notions de cartésianisme et de marxisme. Car le marxisme (dans le sens courant) est le mouvement de pensée qui est né de son oeuvre, et effectivement les héritiers d'un penseur déforment très souvent sa pensée initiale. Mais dans le cas de Descartes, je ne pense pas qu'on puisse parler d'un "mouvement de pensée". Quand on parle de cartésianisme, c'est donc (en principe) directement à l'oeuvre de Descartes qu'on se réfère.  
 

Citation :

La philosophie serait alors seulement un principe de moindre erreur : parler du réel, en le déformant le moins possible, sans jamais s'attacher plus qu'il n'est raisonnable à la vérité du son discours.  :)

Idée très intéressante effectivement :). Tous les livres que j'ai lus m'ont fait douter de plus en plus sur la notion de "vérité", ou en tout cas sur la prétention de l'atteindre. ;)


Message édité par panzemeyer le 03-12-2003 à 18:11:29
n°1598315
pascal75
Posté le 03-12-2003 à 18:12:15  profilanswer
 

"Descartes inutile et incertain" c'est de Pascal :)

n°1598321
rahsaan
Posté le 03-12-2003 à 18:13:20  profilanswer
 

Pour ma part, je maintiendrai que le cartésianisme a "irrigué" toute la pensée moderne. Au fond, quel penseur depuis Descartes ne s'est pas confronté à lui ?  :heink: J'aurais peine à trouver quelqu'un qui l'ignorerait.  
C'est p-ê un peu rapide de dire qu'il est le père du rationalisme moderne : c'est pourtant loin d'être un contresens.  
 
"Descartes inutile et incertain", c'est une boutade de Pascal.  ;)
 
EDIT
[:grilled] by [:pascal75]


Message édité par rahsaan le 03-12-2003 à 18:14:52

---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°1598330
panzemeyer
The torture never stops
Posté le 03-12-2003 à 18:14:23  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

"Descartes inutile et incertain" c'est de Pascal :)

Arf, exact !  :) C'est un clin d'oeil à Pascal. Revel le dit dans sa préface bien-sûr, mais avec les années j'avais quelque peu oublié l'origine de ce titre :D (faudrait que je la relise tiens)

n°1598332
pascal75
Posté le 03-12-2003 à 18:14:35  profilanswer
 

wé, bien :D

n°1598339
panzemeyer
The torture never stops
Posté le 03-12-2003 à 18:15:38  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :

Pour ma part, je maintiendrai que le cartésianisme a "irrigué" toute la pensée moderne. Au fond, quel penseur depuis Descartes ne s'est pas confronté à lui ?  :heink: J'aurais peine à trouver quelqu'un qui l'ignorerait.  
C'est p-ê un peu rapide de dire qu'il est le père du rationalisme moderne : c'est pourtant loin d'être un contresens.  
 
"Descartes inutile et incertain", c'est une boutade de Pascal.  ;)
 
EDIT
[:grilled] by [:pascal75]

Ouep, bien-sûr on peut discuter là dessus.  ;)

n°1599950
mober
Mécréant Notoire
Posté le 03-12-2003 à 22:23:36  profilanswer
 

pascal75 a écrit :


Non c'est pas ça non plus, c'est la glande épiphyse. La glande hypophyse c'est l'autre nom de la glande pituitaire, d'où les confuses :/


 
mouais, je parlais sans vérifier rien mais vu où nous en arrivons avec cette histoire de glande je me suis dit que le mieux serait de  vérifier.
 
Un coup de google te la réponse est ...
 
nous avons tous raison :lol: :lol: :lol: (notamment toi pascal75)
 
Par exemple à l'adresse http://fr.encyclopedia.yahoo.com/a [...] 92_p0.html on peut lire :
 
"l'âme n'est pas logée dans le corps «comme un pilote dans son navire», mais corps et âme sont joints et communiquent par la glande pinéale ou pituitaire (hypophyse)."

mood
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Posté le 03-12-2003 à 22:23:36  profilanswer
 

n°1600586
rahsaan
Posté le 03-12-2003 à 23:41:33  profilanswer
 

ah ouais, c'est marrant ! En philo, on a retenu l'expression glande pinéale : les critiques et commentateurs parlent tous de "pinéale".  
Quelle réconciliation hégélienne entre Pascal75 et moi !  :p  :D

n°1600628
mober
Mécréant Notoire
Posté le 03-12-2003 à 23:48:20  profilanswer
 

ouais en fait pas sûr pcq y'a bcq d'autres références qui disent pas ça finalement :(
 
Si tu fais une recherche avec descartes + épiphyse ça montre clairement ke c bien la bonne réponse. (pour la première recherche j'avais fait descartes hypophyse)
 
Même sur Yahoo y'a un article qui contredit le précédent
 
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/a [...] 58_p0.html


Message édité par mober le 03-12-2003 à 23:48:48
n°1609205
l'Antichri​st
Posté le 05-12-2003 à 12:22:22  profilanswer
 

Comme je sais qu'il y a des amateurs de l'oeuvre de Schopenhauer sur ce forum, voici une (toute) petite étude sur l'une des ses oeuvres : le monde comme volonté et représentation.
 
Schopenhauer place effectivement la volonté au coeur de son système. Elle est l?un des deux principes qui permettent de connaître le monde. Le monde comme représentation et comme volonté. Comment comprendre que la volonté entendue traditionnellement comme une faculté proprement humaine puisse servir de grille interprétative pour comprendre le monde dans sa totalité ? N?est-ce pas que Schopenhauer fait exploser le concept de volonté pour étendre ses éclats aux quatre coins du monde ?  Pour comprendre la pensée de Schopenhauer, présentons d?abord le squelette de son ouvrage. Premier point : la représentation du monde extérieur est déterminée par les formes a priori de la connaissance que sont l?espace, le temps et la causalité. Dans un cadre kantien de la distinction des choses en soi et des phénomènes, Schopenhauer considère que la représentation empêche de saisir le monde tel qu?il est. Il existe un voile qui nous empêche de connaître au-delà des apparences. Voilà le monde comme représentation. Deuxième point : le monde comme volonté. Pour dépasser le voile qui nous empêche de considérer l?extérieur, il faut se tourner vers le sens interne. Analyser le phénomène de la conscience fait découvrir la volonté, comme second pilier de saisie du réel mais au niveau interne. Ce que nous découvrons en nous, pourquoi le limiter à nous ? Il faut alors voir la volonté comme un principe présent partout dans le monde. C?est cela qui constituera la substantifique moelle de l'analyse de cette oeuvre : la volonté devient le principe du monde et la clé d?interprétation du réel. Elle est donc libre et en dehors de toute détermination causale possible. Elle est « grundlos ».
 
A partir de là, une vision du réel peut se développer : les choses en soi ne sont pas connaissables et seuls sont accessibles les phénomènes. Cependant, quand l?esprit tourne son regard vers l?intérieur de notre être, il découvre la volonté. Entre l?unité de la volonté et la multiplicité des phénomènes, les Idées (reprise d?un élément du système platonicien) ont une fonction. Elles sont les modèles des phénomènes. Elles sont comme les espèces des phénomènes. Les hommes obéissent à des règles communes à tous les hommes, ce qui permet de penser un paradigme " Homme " qui ouvre la possibilité d?appréhender le principe unique qu?est la Volonté . Cela permet de comprendre que le principe existe à tous les niveaux et que toutes les réalités ontiques manifestent la volonté. Nous ne développerons pas le problème fondamental lié aux Idées et surtout à l?idée d?homme puisque nous nous concentrons sur le problème de la volonté mais nous renvoyons à l?ouvrage de Gabriel Peron, Schopenhauer : la philosophie de la volonté, collection " ouverture philosophique " chez L?Harmattan. Nous reprenons par la suite certaines analyses de cet ouvrage dont les orientations semblent parfois trop rapides (et partant, imprécises) et parfois trop longues (et donc trop éloignées du thème restreint qui nous occupe à savoir, seulement, la volonté).
 
Ce qu?il faut retenir : la volonté est le principe non de causalité mais de compréhension du monde dans sa totalité. Nous allons analyser le processus qui permet de saisir cela.  
L?appréhension de notre corps se fait sous deux modes : comme phénomène (il est alors soumis à des lois et est comparable aux autres objets) et comme volonté. Tout acte réel de notre volonté est nécessairement un mouvement de notre corps. Il s?agit de rompre avec un schéma classique : la volonté décide ou prend une décision et c?est cela qui fait orienter le corps. C?est une seule et même chose :  
 
" Le corps entier n?est que la Volonté objectivée, c?est-à-dire devenue perceptible. " (cf. Le monde comme volonté et comme représentation, I, § 18,édition de Richard Roos aux Presses Universitaires de France).    
 
Tout acte effectif de la Volonté est un acte phénoménal du corps. Toute action du corps est une action de la Volonté. Donc réciproquement à cette proposition, nous pouvons penser que toute action exercée sur le corps est une action exercée sur la volonté. C?est de cela que naissent le plaisir et la peine. Il n?y a donc pas de volonté sans corps car celui-ci est la condition de possibilité de connaissance de celle-là. La Volonté n?apparaît donc jamais dans sa totalité mais toujours dans des actes fragmentaires, dans des moments isolés.  
Schopenhauer s?inscrit dans la distinction kantienne entre les phénomènes et les choses en soi mais en poussant plus loin cet acquis. Il s?agit de faire advenir la vérité du kantisme, vérité inaperçue par Kant lui-même. Le soupçon est le suivant : nous ne sommes pas seulement sujets de la connaissance mais nous appartenons au monde des choses à connaître. Peut-être sommes-nous la chose en soi ! Il faut donc en passer par une voie intime : la voie du sens interne permet d?atteindre la chose en soi. C?est pourquoi Schopenhauer rabat le concept de volonté sur celui-ci de chose en soi. A ce moment là, la volonté n?est plus subordonnée à l?intellect. Cela permet de retrouver un grand thème de Schopenhauer : il n?y a pas de différence de nature entre les bêtes et les hommes. Pas de différence essentielle pourrions-nous dire. L?intellect devient alors un accident de la substance volonté. Par cette position révolutionnaire, Schopenhauer s?inscrit contre toute une tradition philosophique dont Descartes est le parangon.  
 
Cet accident qu?est l?intellect constitue notre malheur : il fait que nous nous révoltons contre l?idée de mort et que nous inventons l?idée d?âme pour nous persuader qu?il y a une identité plus " une " que celle du corps. Cette révolte contre la mort va à l?encontre de ce que nous voyons : en observant un animal, aussi petit soit-il, nous voyons qu?il veut l?être et le bien-être, la vie et la persistance dans l?espèce. C?est cela que recèle le concept d?appétition : cette persévérance dans l?être est au coeur de chaque être. Si nous descendons dans l?échelle des êtres, nous voyons des défauts dans l?intellect mais jamais dans le vouloir. L?insecte veut avec la même détermination et la même perfection que l?homme. Chaque acte de la volonté est donc parfait. Il est un. Cela n?empêche pas qu?il y ait influence de l?intellect sur la volonté puisque le premier peut présenter des images à la seconde : je me représente ma femme me trompant et je veux alors la tuer. L?intellect présente des images. Mais la volonté peut empêcher cela. La constance et le refus sont liés à la volonté qui peut ne pas se laisser déterminer par des images intellectuelles. On pourrait risquer une analogie musicologique : l?intellect fait la musique et la volonté danse en mesure. La volonté ne connaît pas et l?intellect ne peut pas vouloir. Cependant la volonté peut refouler une bonne partie du répertoire. Telle serait une première façon de caractériser en quoi consiste la supériorité de la volonté sur l?intellect.  
 
A cela s?ajoutent plusieurs idées : d?abord, là où l?intellect se fatigue, la volonté ne connaît pas cette défaillance. Dans les fonctions du corps qu?Aristote appellerait " végétatives ", la volonté est encore en éveil. La volonté veut encore alors que l?entendement dort. C?est pourquoi toute intervention de l?intellect est brouillée par une possible intervention de la volonté. Quand l?intellect présente quelque chose, la volonté peut toujours le refuser comme dans le cas du soldat qui résiste au danger et à sa propre peur. De plus, l?intellect se doit d?obéir : je veux me souvenir. Réciproquement, Je me souviens de ce qui intéresse la volonté ce qui demande un effort à l?entendement et à la mémoire. Enfin, l?exemple suprême est celui de l?observation de l?attachement des êtres à la vie. Prenons l?exemple du nouveau-né : il doit apprendre à vivre c?est-à-dire forger petit à petit son intellect alors que sa volonté est déjà présente : il veut manger, boire, être aimé c?est-à-dire persévérer joyeusement (comme dirait Spinoza) dans son être.  
 
Cet attachement à la vie est appelé le vouloir-vivre. L?importance du geste de Schopenhauer apparaît ici : la volonté est à l?oeuvre dans toutes les choses. Il ne s?agit plus de dire que toute volonté est une classe du genre " force" (de la nature) mais de dire que toute force de la nature est une espèce de volonté. C?est pourquoi le concept de volonté devient plus ample que traditionnellement. La volonté est plus ample que la simple volonté humaine qui n?en est qu?un exemple. Or, bien souvent, nous prenons notre volonté particulière pour la volonté en général, pour le tout de la volonté. Chacun se sent libre mais ne l?est pas dans la mesure où il ignore la place de sa propre volonté dans le monde entendu comme volonté.  
 
Pour comprendre cette universalité de la volonté, il suffit de regarder le monde dans lequel nous vivons et que nous croyons connaître. Le point de vue de l?observateur est requis : regardons les animaux ou bien les hommes dans leurs options de vie que nous pouvons classifier dans le domaine végétatif. Cette observation permet de déconnecter la connaissance de la volonté. Quand nous voulons, nous ne savons pas vers quoi est orientée notre volonté : l?araignée n?a pas la connaissance représentative de la proie pour laquelle elle tisse sa toile. La volonté est donc une activité aveugle. La représentation en tant que motif n?est pas nécessaire. C?est pourquoi il est nécessaire d?étendre l?activité de la volonté au domaine végétal, et même au domaine inorganique. La volonté s?étend partout. Autrement dit, tout est volonté : l?aimant attire le fer, c?est donc qu?il le veut. La volonté est en ce sens le fond de tous les phénomènes :
 
" La volonté, comme chose en soi, est absolument différente de son phénomène et indépendante de toutes les formes phénoménales dans lesquelles elle pénètre pour se manifester, et qui, par conséquent ne concernent que son objectité et lui sont étrangères à elle-même. "(cf. Le monde comme volonté et comme représentation, I, § 23).    
 
Voilà le noeud du problème de Schopenhauer. Rappelons notre point de départ : la volonté ne permet pas d?expliquer le monde, de lui donner un sens. Elle permet simplement de comprendre de façon plus profonde qu?à l?accoutumée le monde et la profondeur de notre être. Mais les philosophes n?ont pas compris la moitié de cela. Ils sont tombés dans la perversité de penser qu?il y a une explication du monde. La volonté que Schopenhauer donne comme principe d?approche très générale de la totalité et non de causalité. La volonté est irrationnelle. Voilà ce qu?il faut saisir : sans cela, nous tombons dans l?illusion de croire que le monde peut connaître une explication rationnelle. Perversité de la pensée.  
 
De cela naît notre souffrance. Mais avant d?analyser notre souffrance, il faut voir que le monde entier est en lutte : l?aimant lutte contre la pesanteur, les animaux se combattent. Le monde est une lutte généralisée parce que toutes les réalités ontiques veulent s?objectiver puisqu?elles sont mues par la volonté de se développer  :  
 
" Une créature vivante ne peut entretenir sa vie qu?aux dépend d?une autre " (cf. Le monde comme volonté et comme représentation, I, § 27).  
 
La volonté habite chaque être et chaque être a la volonté de se développer, ce qui ne peut se faire qu?au détriment des autres. D?où une hiérarchie des êtres, où certains parviennent à engloutir les êtres. L?homme est en haut de la pyramide. C?est là son malheur puisqu?il a la conscience de cette situation de lutte perpétuelle. Comment vit-elle cela ?  
 
Quand je désire, je ne possède pas. Je vis donc un manque : je ressens donc de la souffrance. Par contre, quand le désir est satisfait, je possède. Donc il n?y a plus de désir et je m?ennuie. D?où la phrase si fameuse de Schopenhauer que nous pouvons comprendre non comme un aphorisme pessimiste et flamboyant mais comme la conclusion nécessaire d?une pensée rigoureuse :  
 
" La vie donc oscille, comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance à l?ennui. " (cf. Le monde comme volonté et comme représentation, IV, § 57. Pensons à Marcel Proust et à sa souffrance dans l?absence et dans la présence d?Albertine. Quand elle est absente, il souffre et veut qu?elle revienne. Quand elle est là, il s?ennuie. Tantôt nous aimons celui qui nous manque, tantôt nous ne supportons pas celui qui est là parce qu?il nous ennuie).  
 
La souffrance est corrélative de la pensée de la volonté, de la conscience. Les réalités ontiques comme les plantes n?ont pas le degré de souffrance des hommes parce qu?ils n?ont pas un niveau de conscience aussi clair que le nôtre. Les plantes ne peuvent actualiser pleinement leurs tendances (ce qui les fait souffrir) mais elles ne le savent pas ! Les hommes le savent. Voilà le malheur. Nous savons que nous voulons et que nous ne pouvons pas faire autrement que vouloir et voilà notre malheur. Nous désirons et nous souffrons par là même. A la fois quand nous ne possédons pas et quand nous possédons. On ne peut donc jamais atteindre le bonheur. La volonté empêche d?atteindre le bonheur. Pour sentir les biens que nous avons, il faut les perdre. Alors, nous souffrons doublement : de ne pas avoir profité d?eux et de les avoir perdus. Nous vivons donc tous les jours la perte des paradis. Comme l?écrit Gabriel Peron : " Le désir est l?essence de notre vouloir, ce qui nous condamne à une perpétuelle insatisfaction " (Pour appréhender ce que l?on appelle le " pessimisme " de Schopenhauer, nous renvoyons à l?ouvrage lumineux de Clément Rosset : Schopenhauer, philosophie de l?absurde, PUF, Paris, 1967).
 
Si nous ajoutons à cela le fait que dans toutes nos volitions, nous voulons la perpétuation de notre existence, mais que nous savons que nous glissons inéluctablement vers la mort, le tableau est complètement noir. La vie est un perpétuel trépas. Nous combattons et nous voulons vivre avec la certitude que nous allons mourir. L?attachement à la vie est indéniable ; le fait que nous allons mourir est une certitude.  
 
Les commentateurs parlent souvent d?une absurdité que met au jour Schopenhauer. Oui, elle vient de la vie conçue comme cercle vicieux. Quand je désire, je manque. Donc je souffre et je souffre dans la séduction ou dans les sacrifices que j?effectue pour posséder. Dès que je possède, je m?ennuie : l?objet perd de sa valeur et ne procure plus de jouissance. Et pourtant, l?amour de la vie existe. Il suffit pour s?en convaincre de regarder la violence de l?acte sexuel, par le sacrifice maternel, par le courage dont nous pouvons faire preuve pour nous sortir d?une situation délicate. Cet attachement est irrationnel. Il vient de la Volonté qui nous gouverne et qui fait que nous ne nous gouvernons pas nous-mêmes. L?absurdité naît de la découverte du monde sans nécessité.  
 
A cela s?ajoute la constatation de l?absurdité de l?existence de la souffrance. Si celle-ci avait un sens, nous pourrions l?accepter. Or, tel n?est pas le cas. C?est cela que nous n?arrivons pas à penser : nous voulons croire qu?il y a un sens et une finalité. Or, la volonté est irrationnelle. Elle ne veut rien. Elle est aveugle. Ou plutôt ce qu?elle veut, c?est elle-même. Rien d?autre qu?elle-même. L?absurde est à son comble : le monde peut être étudié par la science qui nous livre les liens nécessaires des choses et élimine la contingence. Tout cela n?est qu?illusion puisque la volonté n?a (finalement) pas de fin. Elle est donc l?absurde. C?est comme le dit magnifiquement Rosset " une nécessité sans cause ". Nous ne pouvons que constater dramatiquement une oppression de la Volonté. Face aux possibles, mon " Je veux "  n?est pas libre (n?en déplaise à Monsieur Descartes et à son illusoire libre-arbitre) puisqu?il est en fait choisi par la volonté :  
 
" Il sera toujours trop tard pour la liberté. " (cf. Rosset, Schopenhauer, philosophie de l?absurde, édition Quadrige, p. 95).    
 
Le sens de l?angoisse est alors original : il provient moins de l?impossibilité d?assouvir que de l?absurdité de vouloir. Sommes-nous prisonniers de cela ? La réponse à cette question formera notre conclusion.  
 
Pour répondre, nous voudrions en passer par l?analyse de l?amour pour Schopenhauer. L?amour est inséparable de l?instinct sexuel : nous naissons d?un acte de copulation et nous voulons toujours (plus ou moins) copuler. Pourquoi ? C?est la façon pour la volonté de perpétuer l?espèce. Comme on le voit, la volonté qui cherche à se vouloir elle-même n?a que faire des individus singuliers. Elle cherche plus haut : au niveau de la perpétuation de l?espèce. Plus on croit être dans l?amour et plus on est dans le sexe : je tue l?autre par amour ? Non, je le tue parce qu?il a copulé ou a eu envie de copuler avec un autre, ou parce que je le soupçonne d?avoir eu envie de copuler avec un autre. Le but de la relation amoureuse est la procréation, la perpétuation de l?espèce. Les amants sont aveugles : ils croient qu?ils vont jouir alors qu?ils vont servie l?espèce. D?où le ridicule des atours et de la coquetterie. Tout cela n?est que duperie de la Volonté :  
 
" Après deux ou trois couches, la femme perd sa beauté. "(cf. Essai sur les femmes, p. 21).    
     
Comment faire pour s?en sortir ? Se suicider ? Non. Puisque le désir fait souffrir, il faut l?abolir. Il ne faut plus vouloir. Cette abolition ne peut être que momentanée mais elle en vaut la peine. Elle passe par la contemplation esthétique. Quand nous voulons, nous sommes souffrants pour toutes les raisons indiquées. Cependant, dans la contemplation esthétique, nous sommes en repos. Dans la contemplation, je me libère par l?intuition pure. L?artiste nous prête ses yeux pour voir le monde ce qui ouvre un espace à la contemplation des Idées. La volonté est ici mise entre parenthèses parce que je contemple les Idées au sens quasi platonicien. Passons sur la hiérarchie dans les arts : notons simplement que la musique est en haut de la hiérarchie en ce sens qu?elle ne présente pas telle ou telle douleur, tel ou tel désir mais l?essence de la douleur et l?essence du désir. Le problème de la contemplation esthétique réside en ceci qu?elle est un calmant mais pas un médicament. Nous ne pouvons pas toujours être dans l?état de contemplation et que ce moment passage laisse bientôt sa place à la souffrance.  
 
Peut-on s?en sortir une fois pour toutes ? Quand on connaît tout le parcours de Schopenhauer dont nous présentons le chemin principal, nous pouvons affirmer ou nier la volonté. Décrivons l?individu qui affirme la volonté : il entre en lutte avec les autres hommes et se prend pour le centre du monde. D?où les injustices : les meurtriers, les violeurs... Là, nous ne pouvons pas penser que nous tuons la volonté : nous sommes au contraire esclaves de celle-ci. Les êtres cruels (les méchants gratuits) réalisent les desseins de la volonté : ils violent et donc sont mus par le désir de procréer, il tue c?est-à-dire qu?ils font passer leur volonté égoïste avant celle des autres et sont donc dans la perpétuation de leur être. Telle est la monstruosité de la volonté hypertrophiée.  
 
Ne faut-il pas alors nier la volonté  ? Il s?agit d?un appel à la résignation puisque l?homme :  
 
" (...) arrive à l?état d?abnégation volontaire, de résignation, de calme véritable, et d?arrêt absolu du vouloir. " (cf. Le monde comme volonté et comme représentation, IV, § 68).  
 
Telle est la voie de l?ascète qui cherche à faire tout ce qui lui déplaît. Il ne veut plus rien et donc est en repos. Il atteint ainsi la béatitude. Ce perpétuel effort pour rester en repos est la marque d?une liberté minimale de l?homme : nous pouvons nier la volonté. Mais cela n?est pas un choix conscient mais arrive comme un choc, comme une prise de conscience qui frappe comme l?éclair, comme des scélérats peuvent être convertis au coeur des tortures.  
 
Nous voyons donc que le suicide n?est pas la solution puisque quand je veux mourir, je veux quand même quelque chose. C?est quand même l?expression d?une volonté de vivre, certes autrement, mais de vivre tout de même. L?ascète meurt parce qu?il a cessé de vouloir. Dans cette cessation de vouloir, la chasteté est au c?ur de sa vie. Le suicide est celui de l?espèce. Si les hommes arrêtent de procréer, alors la totalité du monde comme représentation disparaît. Plus d?hommes, donc plus de phénomènes.  
 
Reste un problème : comment la volonté " grundlos " peut-elle se nier ? Comment répond Schopenhauer ?  
 
" Comment cela se fait, je n?en sais rien. Car je n?ai pas pris sur moi de résoudre toutes les énigmes de l?univers. " (Schopenhauer formule cette réponse bien insuffisante dans Gespräche, édition Hübscher, p. 21)  
 
Ce suicide de l?espèce est le néant, maître-mot de l?oeuvre de Schopenhauer. L?ascète qui ne désire plus n?a plus peur du néant : il y est comme chez lui.  
 
Cette position forte et qui va plus loin qu?un pessimisme plat, qui est une construction systématique et complexe, laisse un goût amer. Peut-on se résoudre à un suicide de l?espèce ? Tel est précisément le refus de Nietzsche. En replaçant Schopenhauer dans le cadre de la philosophie, on peut le concevoir comme le penseur qui mène à son terme le parcours du concept de " volonté ". Mais que la volonté doive se nier elle-même pour que, au final, nous puissions être en repos, c?est sans doute confondre le repos et le bonheur. Et si ce dernier réside au contraire dans l?affirmation ?  
 
La volonté qui se résigne, n?est-ce pas le symptôme de sa maladie ? Si la volonté cesse de vouloir, est-elle encore nommable " volonté " ? Plutôt qu?une résignation, il faut une affirmation qui ne sombrera pas dans la destruction mais dans la création.


Message édité par l'Antichrist le 05-12-2003 à 12:24:20
n°1609560
pascal75
Posté le 05-12-2003 à 13:12:15  profilanswer
 

Très intéressant, comme d'habitude :)
Penses-tu, et à quels conditions, que ce livre puisse être un texte incitateur et donner envie d'en lire d'autres ?
Si tu as la même chose sur Leibniz, je suis preneur :jap:

n°1610056
rahsaan
Posté le 05-12-2003 à 14:20:00  profilanswer
 

Hé ben revoila l'Antichrist ! [:powa]
Le Penseur Fou m'avait laissé entendre que tu nous donnerais un nouveau et copieux texte !  [:aztechxx]  
Merci pour cette étude.  :jap:


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°1610243
rahsaan
Posté le 05-12-2003 à 14:47:24  profilanswer
 

Tiens, ça me fait penser : il y a 2-3 ans, les PUF ont sorti un volume de Clément Rosset appelés Ecrits sur Schopenhauer.
On y trouve trois textes auparavant parus dans la célèbre collection à couvertures rouges, Quadrige : une présentation du philosophe, un essai sur son esthétique et un autre sur le thème de l'absurde.  
Trois très bons textes de jeunesse, écrits dans une langue claire, avec simplicité et sincérité, ce qui permet d'aborder avec plaisir l'univers complexe et tortueux du pessimiste de Francfort.  :)  
 
A noter la sortie du Monde dans la collection Quadrige (préface de Rosset), donc à un prix plus abordable qu'avant, quand on ne la trouvait que dans un volume de papier bible, semblable à un "Pléïade."  ;)


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n°1610255
le penseur​ fou
Posté le 05-12-2003 à 14:49:50  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :

Tiens, ça me fait penser : il y a 2-3 ans, les PUF ont sorti un volume de Clément Rosset appelés Ecrits sur Schopenhauer.
On y trouve trois textes auparavant parus dans la célèbre collection à couvertures rouges, Quadrige : une présentation du philosophe, un essai sur son esthétique et un autre sur le thème de l'absurde.  
Trois très bons textes de jeunesse, écrits dans une langue claire, avec simplicité et sincérité, ce qui permet d'aborder avec plaisir l'univers complexe et tortueux du pessimiste de Francfort.  :)  
 
A noter la sortie du Monde

dans la collection Quadrige

(préface de Rosset), donc à un prix plus abordable qu'avant, quand on ne la trouvait que dans un volume de papier bible, semblable à un "Pléïade."  ;)  

:jap:  c'est celle que j'ai (- 20 E)

n°1610260
rahsaan
Posté le 05-12-2003 à 14:51:26  profilanswer
 

<20?.
 
[:aloy]


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n°1610267
le penseur​ fou
Posté le 05-12-2003 à 14:53:08  profilanswer
 

Tout le monde ne connait pas ce symbole.
J'ai vocation a l'universalité moi :sol:

n°1610354
rahsaan
Posté le 05-12-2003 à 15:07:16  profilanswer
 

Genre l'excuse en papier-mâché !  :o  
 :D


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n°1611463
le penseur​ fou
Posté le 05-12-2003 à 17:37:19  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :

Genre l'excuse en papier-mâché !  :o  
 :D  


"-" <> "<" ssi on oublie le "de" aprés le "-"  :sol:

n°1611699
rahsaan
Posté le 05-12-2003 à 18:04:17  profilanswer
 

Le Penseur Fou a écrit :


"-" <> "<" ssi on oublie le "de" aprés le "-"  :sol:  


 
 :??: Je comprends rien. Tu peux décoder ce hiéropglyphe ?


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n°1611770
pascal75
Posté le 05-12-2003 à 18:12:03  profilanswer
 

Je relis le texte de l'antichrist sur Schopenhauer dans lequel il parle du désir considéré comme manque, chez Schopenhauer. C'est sans doute ça qui le différencie de Nietzsche pour lequel -mais faudrait que je revoie précisemment les textes - le désir n'est pas manque, n'a pas sa source dans le négatif.

n°1611777
le penseur​ fou
Posté le 05-12-2003 à 18:12:27  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :


 
 :??: Je comprends rien. Tu peux décoder ce hiéropglyphe ?  

:non:  
 
Facile pour qui maitrise les symboles mathématiques! :D

n°1611830
le penseur​ fou
Posté le 05-12-2003 à 18:17:06  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Je relis le texte de l'antichrist sur Schopenhauer dans lequel il parle du désir considéré comme manque, chez Schopenhauer. C'est sans doute ça qui le différencie de Nietzsche pour lequel -mais faudrait que je revoie précisemment les textes - le désir n'est pas manque, n'a pas sa source dans le négatif.

Je crois que meme pour Nietzsche , le désir est manque, seulement lui il recommande/preche  d'affirmer ses désirs, de les assouvir, l'esprit de Dionysos.
Rapport a l'eternel retour sans doute: puisque l'on doit revivre eternellement les memes choses, ils faut vivre en ne regrettant rien, idée de progression.

n°1611863
pascal75
Posté le 05-12-2003 à 18:20:04  profilanswer
 

Le désir comme manque chez Nietzsche, je doute un peu. Si t'as des textes...

n°1612003
rahsaan
Posté le 05-12-2003 à 18:38:32  profilanswer
 

Le 3e traité de la Généalogie de la Morale montre comment le développement du nihilisme a porté à son comble un secret désir de mort appelé vérité, qui a régné comme valeur dominante, à laquelle on pourrait tout sacrifier. Cette volonté de vérité est pour Nietzsche une volonté de néant : plutôt vouloir le néant que ne rien vouloir.  
L'ensemble de la culture judéo-chrétienne s'est donc posé pour but un néant, dont elle commence à peine à prendre conscience. L'effondrement de toute l'architecture existentielle liée à la vérité provoque l'entrée de l'Europe dans l'âge du nihilisme, de la remise en question de toutes les infrastructures vitales selon lesquelles l'homme vivait.  
 
Comment dépasser ce nihilisme ? Pas en l'éliminant, ou en revenant à un idéalisme passé ; non plus en le réfutant, car on ne réfute pas une maladie comme un simple argument.  
Le dépérissement de la culture -donc de la vie- sous l'influence de l'ascétisme chrétien ne pourra être arrêté qu'en changeant radicalement l'orientation des perspectives sous lesquelles l'humanité a vécu jusqu'ici.  
Le Zarathoustra comporte peut-être les meilleurs textes sur cet espoir pour l'avenir que formule Nietzsche. Il parle d'abîmes de lumière, de danses divines, d'allégresse grâcieuse et de jeu avec les étoiles pour nous rendre désirables cette vie supérieure, affranchie de l'abominable ressentiment qui fait triompher dans l'humanité le type de l'homme le plus faible, le plus pauvre, le plus enragé à détruire toute beauté et tout type achevé et triomphant, à savoir le prêtre et ses diverses figures concomitantes (en particulier les philosophes idéalistes).
 
Quelle sera la tâche propre de la philosophie ? Forger des instruments de culture propres à l'épanouissement d'une grande force dionysiaque maîtrisée par l'immense lumière radieuse de l'apollinisme. L'éternel retour est l'instrument privilégié pour imposer ce revirement complet dans le destin de l'humanité.
Si jusqu'ici nous avons porté en nous, comme un fardeau, l'idée d'un Dieu d'amour et de vérité, d'un au-delà de paradis qui nous sauverait des souffrances de ce bas-monde, il est peut-être possible d'imposer aux hommes une doctrine qui fasse périr tout espoir de supra-sensible, qui interdise radicalement de penser autre chose que cette vie, ce monde, cette terre.
Vouloir à l'infini revivre la même vie, sans rien en retrancher, voilà l'épreuve qui libèrerait le désir des fantômes des arrières-mondes, et transformerait Dieu en ce dieu-enfant, ce dieu d'Héraclite, ce dieu-joueur qui approuve le hasard sans condition.  :)


Message édité par rahsaan le 08-12-2003 à 12:28:59

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n°1612752
le penseur​ fou
Posté le 05-12-2003 à 20:44:47  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Le désir comme manque chez Nietzsche, je doute un peu. Si t'as des textes...

C'est l'impression que j'en ai retenu .
"l'homme est quelque chose qui doit etre surmonté"
Il y a une idée de progression dans tout ça non ?
Or on veut progresser quand on a pas de sentiment de plénitude, quand il nous manque quelque chose.
 
Comment supporter cette malédiction de l'éternel retour, autrement qu'en allant de l'avant a chaque instanct      ?


Message édité par le penseur fou le 05-12-2003 à 20:45:28
n°1614541
panzemeyer
The torture never stops
Posté le 06-12-2003 à 01:25:52  profilanswer
 

Tiens, c'est ce bouqin (Généalogie de la morale) que j'ai lu de Nietzsche :)

n°1636212
pascal75
Posté le 10-12-2003 à 10:34:56  profilanswer
 

Rahsaan a écrit :

Le 3e traité de la Généalogie de la Morale montre comment le développement du nihilisme a porté à son comble un secret désir de mort appelé vérité, qui a régné comme valeur dominante, à laquelle on pourrait tout sacrifier. [...]


C'est vrai que la recherche de la vérité a été la base de nombreuses philosophies, encore qu'il ne s'agisse pas toujours de la même vérité. Mais Nietzsche s'en détourne résolument jusqu'à mettre en avant les puissances du faux (est-ce que c'est dans la généalogie de la morale, je ne sais plus ?)
Les philosophes matérialistes s'intéressent plutôt à la question "qu'est-ce qui est important" plutôt qu'à "qu'est-ce qui est vrai", en constatant simplement qu'il y a de nombreuses vérités dont on n'a rien à faire. -Ok, ce que tu dis est vrai, mais ça me fait une belle jambe. Pour le dire autrement.

n°1636375
le penseur​ fou
Posté le 10-12-2003 à 11:06:53  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Très intéressant, comme d'habitude :)
Penses-tu, et à quels conditions, que ce livre puisse être un texte incitateur et donner envie d'en lire d'autres ?
Si tu as la même chose sur Leibniz, je suis preneur :jap:

Résumer Leibniz ? Mission impossible!
Mais tout au moins si une bonne ame pouvait clarifier sa notion de monade ...

n°1636410
pascal75
Posté le 10-12-2003 à 11:12:19  profilanswer
 

J'espère que l'antichrist va nous écrire ça. Leibniz c'est un philosophe essentiel par plusieurs aspects. Il a sans doute inventé un monde d'idées tout à fait particulier, une sorte d'église dont tu reconnais immédiatement le style quand tu y entres : profusion de concepts, profusion d'explications, monde étrange et baroque.


Message édité par pascal75 le 10-12-2003 à 11:12:42
n°1636467
le penseur​ fou
Posté le 10-12-2003 à 11:19:25  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

J'espère que l'antichrist va nous écrire ça. Leibniz c'est un philosophe essentiel par plusieurs aspects. Il a sans doute inventé un monde d'idées tout à fait particulier, une sorte d'église dont tu reconnais immédiatement le style quand tu y entres : profusion de concepts, profusion d'explications, monde étrange et baroque.

Pour moi , en philosophie:
"Leibniz , inutile et incertain" :p

n°1636498
pascal75
Posté le 10-12-2003 à 11:23:07  profilanswer
 

Le Penseur Fou a écrit :

Pour moi , en philosophie:
"Leibniz , inutile et incertain" :p  


Sans doute pour toi. C'est pour ça que ce topic insiste sur l'idée que les livres à lire pour donner le goût de la philo, ne sont pas les mêmes pour chacun. On a tous des préférés, des philosophes qui nous correspondent et qu'on comprend. Perso, une phrase simple de Descartes, je ne la comprends pas. Une proposition complexe de Spinoza, je comprends, ça me correspond, même si des détails m'échappent:)

n°1636509
le penseur​ fou
Posté le 10-12-2003 à 11:24:55  profilanswer
 

pascal75 a écrit :


Sans doute pour toi. C'est pour ça que ce topic insiste sur l'idée que les livres à lire pour donner le goût de la philo, ne sont pas les mêmes pour chacun. On a tous des préférés, des philosophes qui nous correspondent et qu'on comprend. Perso, une phrase simple de Descartes, je ne la comprends pas. Une proposition complexe de Spinoza, je comprends, ça me correspond, même si des détails m'échappent:)

:jap:   tout est relatif.
Mais Leibniz c'est un cas quand meme!
Qui le comprend ?

n°1636534
pascal75
Posté le 10-12-2003 à 11:28:42  profilanswer
 

Le Penseur Fou a écrit :

:jap:   tout est relatif.
Mais Leibniz c'est un cas quand meme!
Qui le comprend ?


Ce qui est relatif, assurément, c'est notre rapport à la philo et les portes qui nous permettent d'y accéder :jap:
Quand à comprendre Leibniz, c'est clair que c'est pas un des plus simples, il y a pas mal d'effort à faire, son paysage est assez tourmenté et riche. Mais la monadologie c'est la porte d'entrée habituelle, le bouquin que Leibniz a écrit comme une introduction à son monde d'idées.


Message édité par pascal75 le 10-12-2003 à 11:30:01
n°1636612
le penseur​ fou
Posté le 10-12-2003 à 11:37:10  profilanswer
 

Une étude d'une psychologue attribue a Leibniz un QI de 210, c'est peut etre pour ça qu'on le comprend pas :whistle:  
Quoique, d'aprés mon expérience personnelle , la conversation des gros QI ,ou du moins qui se disent tels ,  est d'une platitude !!

n°1650463
l'Antichri​st
Posté le 12-12-2003 à 09:50:57  profilanswer
 

A la demande de Pascal75, voici donc un commentaire du Discours de Métaphysique (éd. Vrin, 1984) de Leibniz. L'étude est (trop ?) longue mais je voulais conserver au texte de Leibniz sa cohérence en montrant l'articulation des idées (malgré tout, j'ai volontairement fait l'impasse - sic !!! - sur plusieurs paragraphes). Bonne lecture !  
 
Dans le Discours de Métaphysique, Leibniz commence par remarquer que tout le monde s?accorde à dire que Dieu est parfait : il s?agit de préciser le sens de cette perfection. Dieu a la puissance et la sagesse : il est omnipotent (point de vue métaphysique, qui assure la constance ontologique de l?univers) et omniscient (point de vue moral, qui assure la perfection morale de l?univers). Infiniment sage et puissant, Dieu agit nécessairement de la meilleure façon (métaphysiquement comme moralement). Il y a passage de l?un à l?autre alors que chez Spinoza, cela n?a aucun sens et que chez Descartes, ce rapport n?est pas connaissable. Leibniz ne distingue pas encore dans l?omniscience la sagesse, qui a son lieu dans l?entendement, et vise le vrai, de la bonté, qui a son lieu dans la volonté, et vise le bien : ainsi l?omniscience divine implique-t-elle immédiatement une dimension morale.
 
Il faut donc refuser les doctrines qui nient la bonté des ouvrages de Dieu ou qui la réduisent à un effet de son choix (alors qu?elle en est la cause). La règle de bonté doit préexister au décret divin. Ce n?est qu?en posant une sphère du bon en soi, indépendamment de la volonté divine, que l?on pourra reconnaître justement la sphère de la volonté divine. Leibniz rétablit ainsi la possibilité des causes finales, que Descartes acceptait en niant qu?elles nous soient connaissables : cela revient, selon Leibniz, à les nier tout à fait. Il faut donc qu?elles existent et qu?elles soient visibles (concevables) pour que l?on échappe à l?issue sceptique du cartésianisme. Dieu mérite la gloire parce qu?il est sage (il choisit le meilleur), il mérite l?amour à cause de cette sagesse : si Dieu était conforme à ce qu?en dit Descartes, la bonté ne serait qu?une conséquence de la création, et nous ne pourrions donc ni louer Dieu (tous les mondes possibles se valent puisqu?ils ne passent à l?existence que par un décret arbitraire de la volonté divine) ni, de ce fait, l?aimer. Nier la bonté intrinsèque du monde est contraire à l?idée de la gloire de Dieu (qui exclut que Dieu puisse agir sans raison) comme à l?idée de volonté (qui exige d?être déterminée par des raisons). Liaison bonté/rationalité du monde.
 
On ne peut pas non plus penser que Dieu aurait pu faire un meilleur monde, sauf à penser qu?on peut toujours trouver un bien qui en surpasse un autre (on omet alors de considérer que Dieu a choisi le meilleur monde) ; ou à considérer chaque partie du monde en omettant alors d?envisager le tout comme système harmonique. Et prétendre assurer la liberté divine en montrant que Dieu n?a pas été contraint de choisir le meilleur est une erreur, car la vraie liberté consiste à choisir volontairement le parfait. Dieu est contraint de choisir le meilleur (toute autre opinion est contraire à l?Ecriture et empêche qu?on glorifie Dieu : car si son choix n?est pas celui du meilleur il ne mérite pas de gloire). D?autre part le meilleur n?est pas le bien absolu : cela ne signifie pas qu?à tout bien on puisse en trouver un supérieur (conception arithmétique) mais que le meilleur peut renfermer du mal parce qu?un mal partiel peut se trouver conforme à l?harmonie universelle (il faut considérer l?ensemble et non chacun de ses éléments pris séparément, argument déjà présent chez St Thomas). Enfin admettre que Dieu prouve sa liberté en ne choisissant pas le meilleur est aberrant puisque la plus grande liberté (celle qui mérite le plus de gloire) est celle qui choisit la perfection en raison. Contre Malebranche : Malebranche reconnaît que le monde est le plus parfait possible mais il distingue cette perfection d?une hypothétique perfection absolue que le monde n?atteindrait pas.
 
De même l?amour de Dieu commande une parfaite satisfaction : l?amour de Dieu consiste à identifier notre volonté à la sienne. C?est pourquoi le stoïcisme est insuffisant : il se contente de supporter le monde là où il faudrait vouloir qu?il fût tel qu?il est, eût-on le pouvoir de le changer. C?est aussi pourquoi l?amour n?est pas passif : le bien ne consiste pas seulement à attendre patiemment qu?advienne ce que Dieu a voulu, mais à  contribuer selon son plan au bien général (cf. Monadologie, § 90). Dieu demande la droite intention, et c?est lui qui fera réussir en temps voulu les projets de chacun conformément au plan prévu (nous ne serons pas jugé aux résultats mais aux intentions, puisque nous ne pouvons lire distinctement le plan divin mais seulement tenter d?y contribuer dans la mesure de notre compréhension).
 
Il suffit d?avoir confiance en l?ordre rationnel de la création même si notre entendement fini est incapable de saisir les raisons particulières de chaque partie de la création. La création est une plénitude ordonnée obéissant au principe d?économie (rien d?inutile). Or le plus parfait des êtres selon ces critères, c?est l?esprit : la fin de l?harmonie universelle est donc la félicité des esprits. Simplicité des moyens/variété des fins = équation de la sagesse divine. Confiance n?est pas et ne nécessite pas connaissance détaillée mais une conception de l?ordre.
 
Malgré la division des actes divins en ordinaires/extraordinaires, Dieu ne peut rien faire hors d?ordre : toute série hasardeuse est ramenable à la raison (exemple de la série de points, des lignes du visage). Dieu n?aurait pu construire qu?un monde rationnel, mais il a de plus choisi celui qui allie la plus grande économie de principes à la plus grande variété de phénomènes. Tout ce que fait Dieu est dans l?ordre (transgresser l?ordre naturel serait une imperfection). L?idée de l?extraordinaire répond ainsi à l?apparence d?une imperfection dans l?ordre communément reçu, lequel, comme " ordre naturel ", n?est qu?un aspect de l?ordre universel : ainsi le miracle n?est extraordinaire que parce que nous ne savons pas comment le rattacher à l?ordre universel et que nous ne tentons que de la rattacher à l?apparence naturelle (ce que nous percevons de l?ordre et qui n?en est qu?une spécification). Rien ne se fait donc au hasard : on peut toujours reconstituer l?ordre à partir des faits qui l?expriment.
 
En étudiant l?ordre divin puis la façon dont il nous est compréhensible, Leibniz accède à une problématique de la substance, comme lieu de réalisation de la perfection divine, posant alors la question de l?action des substances individuelles (ou monades). Il faut donc élaborer une théorie de la substance.
 
Qu?est-ce qu'une substance (ou monade) : ce qui peut recevoir des prédicats (qualités) sans en être un soi-même, sachant que les prédicats sont virtuellement ou expressément compris dans le sujet. La substance est un être créé dont la notion est assez complète pour que tous ses prédicats en soient déductibles par un entendement infini (alors qu?aucun entendement ne déduira jamais une substance de la notion d?un prédicat). En effet tout ce qui lui arrivera jamais est compris dans la notion d?une substance, ainsi que les traces de tout ce qui se passe dans l?univers. L?innovation de Leibniz par rapport à Aristote est d?intégrer les prédicats dans la substance (alors que pour Aristote certains prédicats ne sont pas essentiels : être assis n?appartient pas proprement à l?eidos de Socrate).
 
Ainsi, une considération suffisante permettrait de déduire tous ses accidents de la simple notion. Cela semble contredire la liberté humaine puisqu?alors tout est nécessaire (déjà écrit) : il faut au contraire distinguer certitude et nécessité. Que les futurs contingents soient prévus par Dieu ne signifie pas qu?ils soient nécessaires. Sont nécessaires les vérités éternelles (en géométrie par exemple), les autres ne sont nécessaires qu?ex hypothesi, et leur contraire n?implique point contradiction : ainsi, bien que la notion de César fasse qu?il franchira certainement le Rubicon, il pourrait agir autrement sans que cela implique contradiction (quoique cette possibilité existe comme impossible, puisqu?un entendement infini pourrait démontrer comment sa notion implique qu?il le franchira ; et pourtant, qu?il soit raisonnable et assuré que cela arrivera, n?implique pas que cela soit nécessaire, et si la considération externe des raisons de ses actes rend ceux-ci certains, ils ne sont pas moins librement effectués par la spontanéité interne de César, car la démonstration en raison de cette certitude ne renferme pas la nécessité des démonstrations mathématiques). Dieu choisit librement les séries, en fonction du principe du meilleur, et ce principe autorise la liberté puisque rien de contraire à lui n?est impossible : ce qui ne satisfait pas à ce principe n?est pas rejeté en fonction de son impossibilité mais de son imperfection. Les démonstrations, en raison de ces propositions contingentes, ne sont pas des démonstrations de nécessité (la certitude concerne les existences, tandis que la nécessité concerne les essences : une impossibilité existentielle est essentiellement possible, là où une impossibilité éternelle est impossible dès la formule de son essence, sans égard à la liberté ni de Dieu ni des créatures). Théorie de la liberté, que Leibniz expose pour se défendre de l?accusation de fatalisme. Il faut distinguer les vérités nécessaires, connexions nécessaires, dont le contraire est impossible ; des vérités contingentes (que l?on ne dit généralement pas assurées, alors que Leibniz démontre ici qu?elles sont certaines tout en demeurant contingentes) : leur connexion n?est nécessaire qu?ex hypothesi, leur contraire aurait donc été possible.
 
Il faut maintenant expliquer en quoi consiste l?interaction des substances : elles dépendent de Dieu qui les crée et les conserve par émanation, car il regarde l?essence de l?univers qu?il va créer sous tous les points de vue possibles, chaque point de vue correspondant effectivement à une substance créée. Ainsi nos perceptions, qui correspondent à cet ordre de l?univers qu?a voulu Dieu, sont justes (en effet ils sont conformes au " monde en nous " qui est l?ensemble de nos perceptions en tant qu?elles découlent directement de notre être ; mais de plus on s?aperçoit que les perceptions de toutes les substances ne sont pas seulement individuellement entr?accordées mais s?entre-répondent de substance à substance (ce qui permet la communication). Cela ne signifie pas que les perceptions de différentes substances soient semblables mais simplement qu?elles sont " proportionnelles ", chacune représentant le même objet à mesure de sa vue. Dieu est la seule cause de cet entr?accord : ainsi aucune substance particulière n?agit jamais sur une autre ni ne pâtit d?aucune autre puisque tout ce qui lui arrive est une suite de sa notion, laquelle est une expression de l?univers. Ainsi, si j?avais un entendement suffisant, la simple considération de mes perceptions actuelles me permettrait de déduire tout ce qui m?arrivera jamais, puisque chaque perception présente résulte des précédentes et est grosse des suivantes. Il faut donc chercher pourquoi nous attribuons naturellement nos perceptions à l?action sur nous d?éléments externes. La difficulté est de penser ensemble l?isolement et l?interaction des substances. Chaque substance est posée dès le titre comme dépendante de Dieu et indépendante des autres substances. Le but de la création étant la manifestation de la gloire divine, la méthode est la prise en compte de tous les possibles, chacun étant un monde entier, vu sous un certain angle (chaque substance n?est donc pas une limitation mais une expression qui sous un point de vue est illimitée : système de parties intégrantes et non exclusives). Les substances n?ont donc à proprement parler pas d?extension. Dieu choisit entre les différentes substances en fonction du principe du meilleur. A partir de ce principe de création, examen de la consistance de chaque substance : comme illimitée, elle ne peut avoir de rapport avec les autres, sauf avec Dieu même (rien ne peut lui manquer qu?elle doive aller chercher à l?extérieur : les phénomènes, les évènements qui nous affectent ne proviennent pas d?une extériorité des choses, mais de la notion même de la substance qui exprime tout l?univers ; de l?existence de César je peux déduire son assassinat sans passer par la notion de Brutus ou par le mécanisme même de l?assassinat). C?est pourquoi chaque substance peut lire (comme tout un chacun) le futur à partir du passé ; et c?est pourquoi en considérant la notion/nature/essence de César, je peux déduire tout son passé, tout son avenir (à condition que je possède un entendement infini). Cependant la liaison entre les substances existe, mais on doit la restreindre (on est réduit à remonter à la causalité divine, puisque la publicité comme somme des particularités s?inscrit dans le calcul divin et non dans une interaction réelle). C?est pourquoi Leibniz utilise une expression reprise à Hobbes (la fiction de la disparition du monde, laquelle ne laisserait subsister que ma substance et Dieu : cela ne changerait rien). Il faut alors se demander de quel point de vue on peut parler d?une interaction des substances ?
 
Nous nous attribuons généralement les phénomènes que nous exprimons le mieux, et inversement. Ainsi la substance, illimitée dans l?extension de son expression (l?expression est illimitée quant à l?objet, puisqu?elle concerne tout l?univers), est limitée dans la manière (elle l?exprime plus ou moins parfaitement) : les substances agissent donc l?une sur l?autre à mesure de la perfection de leur perception (dans chaque changement, celle qui améliore sa perception célèbre mieux la gloire de Dieu, et est dite agissante sur celle, pâtissante, qui au contraire passe à un moindre degré). C?est pourquoi toute action implique volupté et toute passion douleur.
 
Il faut expliquer comment Dieu peut influencer les hommes (ou les autres substances) : comment rendre compte du miracle, c?est-à-dire du surnaturel, alors même que tout ce qui arrive à une substance découle de sa notion, c?est-à-dire de sa nature ? Le miracle ne transgresse que les lois subalternes et demeure conforme à l?ordre universel et général de l?univers : la substance exprimant par sa notion cet ordre, l?action de Dieu sur la substance est miraculeuse mais exprimée dans l?ordre de l?univers tel que le reflète la substance elle-même. On appellera donc naturel ce qui relève d?un ordre subalterne que les substances peuvent comprendre distinctement, mais les miracles au contraire relèvent du surnaturel parce que leur compréhension exige une compréhension distincte de l?ordre général de l?univers, compréhension qui dépasse les facultés des entendements limités des substances et de leurs raisonnements. Notre essence ou idée exprime tout l?univers (elle est donc illimitée, et elle exprime même notre liaison à Dieu), mais notre nature ou puissance désigne ce qui en nous est limité, par où ce qui dépasse notre puissance de compréhension sera appelé surnaturel.
 
Exemple des lois de la nature : la question de la conservation de la quantité de mouvement (thèse cartésienne : Dieu fait en sorte que la même quantité de mouvement se conserve toujours dans le monde). Leibniz reconnaît lui-même l?avoir cru, mais il dénonce la faute : Descartes assimile la force à la quantité de mouvement (masse x vitesse). Or, selon Leibniz, ce sont deux notions différentes, et seule la force se conserve dans l?univers (c?est pourquoi le mouvement perpétuel n?a pas de réalité, parce que, pour compenser la friction, il faudrait que le mobile acquière ex nihilo de la force ; c?est aussi pourquoi la force se transmet sans pertes d?un corps à l?autre).
 
La considération de la force est importante en physique (permet de rendre compte des phénomènes) mais aussi en métaphysique (parce que le mouvement lui-même comme changement de place n?a pas suffisamment de réalité et ne permet pas de juger des principes de ce mouvement) : seule la force permet de dépasser les notions de grandeur, figure et mouvement et de penser que les réalités matérielles peuvent avoir d?autres principes que les modifications de l?étendue. Tout ne s?explique pas dans le monde des corps par la seule considération de l?étendue : le mouvement en particulier n?est réel que comme expression d?une force (ce qui revient à travers Descartes à réfuter Hobbes et Spinoza). Il ne s?agit pas de rétablir une physique finaliste, mais de reconnaître que l?on a besoin de finalité pour les principes d?ensemble, même si on ne les applique pas dans le détail ; on se donne ainsi la possibilité de reconstituer le choix divin (possibilité d?un usage heuristique des causes finales, grâce auquel on refoule le mécanisme cartésien).
 
Refuser les causes finales en physique n?est pas un mal en soi, mais entraîne des conséquences graves, en particulier l?impossibilité de reconnaître que Dieu fait sciemment le bien. On s?abuse parfois en voulant déterminer les volontés de Dieu, mais c?est le plus souvent en tentant de les limiter, alors qu?il a égard au tout. Si l?on admet Dieu, c?est-à-dire une intelligence organisatrice des choses, il est déraisonnable de s?en remettre à la nécessité de la matière ou au hasard pour expliquer les phénomènes (exemple de l?historien qui expliquerait une conquête militaire à partir des considérations physiques sur la poudre à canon). Quatre théories s?affrontent sur les causes finales : celle des scolastiques, selon laquelle il existe des causes finales que nous pouvons connaître, et qui expliquent tout ; celle des épicuriens, qui coïncident sur ce point avec Hobbes et Spinoza, qui refusent les causes finales, et qui affirment que c?est l?organe qui crée l?usage (c?est parce qu?ils sont faits pour voir que les yeux existent) ; celle de Descartes, qui pose des causes finales qui existent dans la pensée de Dieu mais nous demeurent inconnaissables, nous obligeant à bâtir une physique des causes efficientes (Leibniz critique cette position en montrant qu?elle se rabat sur la seconde) ; et enfin celle de Leibniz qui admet des causes finales mais ne les déclare connaissables qu?en partie (quant à la considération d?ensemble, mais pas dans le détail). Nous pouvons donc connaître les causes finales régissant le monde comme ensemble, mais nous ne pouvons descendre suffisamment dans le détail pour en expliquer les phénomènes, lesquels sont objets des explications efficientistes de la physique. Une exception est introduite : on peut lire la finalité dans certains détails, en particulier dans la structure des organismes.
 
Leibniz tente en effet de concilier les explications finalistes et mécanistes avec l?exemple de l?étude des organismes vivants. Les deux voies permettent des découvertes et magnifient à leur façon la sagesse divine. Par comparaison, Leibniz explique que l?on peut louer l?ouvrier tant pour les desseins qu?il a servi en créant sa machine que par la considération des instruments et des procédés qu?il a utilisés pour ce faire. On peut retrouver la sagesse divine à l?intérieur même de la causalité efficiente, par la considération de la simplicité des voies (principe d?économie). Dans le mode même de fabrication matériel des instruments, dans leur économie, on retrouve Dieu (la finalité est réinvestie dans l?efficience même). C?est donc maintenant dans le détail du phénomène que l?on voit la finalité à l??uvre : la voie finaliste gagne une valeur heuristique sans perdre de rigueur ; mais ce n?est plus un finalisme du tout : c?est un finalisme de la simplicité, de l?économie naturelle, qui préfigure les théologies naturelles dont l?élaboration au XVIIIe visera à se débarrasser de la révélation.
 
En ce sens, la seule cause de nos idées est Dieu, seul objet qui nous touche effectivement de l?extérieur : toutes les autres idées sont en nous comme imitations de la pensée divine, et c?est par là que nous voyons et pensons tout, parce que Dieu nous a déterminé à penser et sentir d?une certaine façon, et a réglé nos sens dans leur arrangement externe en conséquence. Dieu est donc au sens propre la lumière de l?âme, comme les Ecritures le disent (et Platon, toujours plus apprécié des théologiens qu?Aristote, aussi), et comme plus récemment les mystiques l?ont exprimé. Dieu est l?objet de nos perceptions et cause principale, il est le seul qui au sens propre agisse sur nous. Tout ce qui est dans l?entendement divin est aussi dans le nôtre quoique de manière confuse : notre finitude, c?est cette confusion, ou faiblesse de notre expression de la lumière divine.
 
Il ne faut cependant pas dire que nos idées sont celles de Dieu : c?est mal comprendre l?indépendance de l?âme qui fait qu?elle exprime les idées divines au moyen des siennes propres, comme un effet exprime sa cause sans être pour autant la même chose que sa cause. Chaque âme est effectivement affectée lorsqu?elle pense, et contient une double nature (active/passive). Le rôle agent et le rôle patient de l?âme dans la production spontanée de chaque idée sont tous deux liés à la notion même de l?idée en question dans l?âme. C?est Malebranche qui est visé ici, parce qu?il fait l?économie de la spontanéité de la pensée individuelle : chacun est vu et voyant dans une perspective différente, et cet angle singulier marque la spontanéité de chaque substance individuelle.
 
Action de Dieu sur la volonté humaine : Dieu obéit à ses propres lois, c?est-à-dire qu?il conserve notre être, ce qui revient à assurer que les idées nous adviennent telles que notre notion les portait. Conformément au principe du meilleur, Dieu nous détermine à vouloir le bien sans toutefois nous y contraindre (quoique nous demeurions libres, puisque ce que nous ferons n?est pas nécessaire mais seulement certain). Et cela ne saurait constituer un motif de plainte, puisqu?une âme ne sait qu?elle va pécher que lorsqu?elle pèche déjà effectivement. Il ne faut pas se réfugier derrière la certitude que je devrai pécher de toute éternité, mais se répéter qu?il peut en être autrement, sans songer à ce qui demeure hors de portée de notre connaissance. On pourrait aussi demander pourquoi tel homme pèche : mais c?est parce que Dieu a formé la notion de cet homme de telle sorte que ce péché librement conçu lui appartienne - quant à la question de savoir pourquoi cet homme possible existe réellement, la seule réponse qui soit à notre portée est que Dieu, qui recherche toujours le plus grand bien, a dû actualiser ce possible là parce qu?un plus grand bien devait en résulter dans l?économie générale du monde (la série mondaine dans laquelle Judas est compris est la plus parfaite possible, malgré le mal fait par Judas). Le seul principe divin est celui du meilleur réel (meilleur représenté pour nous, qui n?est qu?une image du meilleur véritable). C?est à ce propos qu?il faut distinguer détermination et nécessité : nous sommes libres, mais notre péché appartient à notre nature déterminée (notre action est contingente, mais elle est assurée en tant qu?elle appartient au monde choisi par Dieu).
 
La grâce de Dieu est non conditionnée, et nous n?avons rien à demander en la matière. Cependant cette grâce doit être fondée en raison : on pourra alors objecter que Dieu a élu ceux dont ils prévoyait, à considérer leur notion, qu?ils agiraient selon la foi et la charité, mais qu?ainsi Dieu fait certains hommes bons par décret arbitraire. Ce à quoi l?on peut répondre que Dieu, considérant ce que ces hommes auraient fait sans cette grâce - c?est-à-dire avec leurs seules dispositions naturelles - il a accordée la grâce à ceux qu?il voyait le mieux disposés au bien : mais là encore on objectera que ces dispositions que nous disons naturelles ne sont somme toute qu?un autre effet de la grâce divine, bien qu?ordinaire cette fois, et qu?ainsi Dieu savait en attribuant la grâce ordinaire qu?elle fonderait l?attribution de la grâce extraordinaire, ce pour quoi toute grâce et toute élection se ramène à un décret divin. Il convient pour régler cette difficulté de dire que le monde doit, pour être le meilleur, ainsi que Dieu ne peut manquer de le vouloir, comprendre la substance de tel pécheur, entraînant pour lui telle grâce ou telle peine, et que sur ces matières nous ne pouvons nous avancer plus en détail, et nous devons nous borner à réaffirmer le principe général selon lequel Dieu agit sagement quoique d?une sagesse qui nous demeure inaccessible. On rejoint en cela St Paul qui affirme que les raisons divines touchant la perfection de l?univers nous dépassent et ne sont pour nous qu?objets d?émerveillement et de célébration de la gloire divine. La démarche méthodique est inverse de la démarche de St Thomas, qui posait une question puis y répondait au moyen d?une thèse à partir de laquelle il répondait aux objections. Leibniz au contraire confronte d?emblée sa position au champ polémique public à l?intérieur duquel s?affrontent les différentes positions théologiques et philosophiques : ce n?est qu?à partir de cette illustration polémique qu?il réaffirme la validité de ses propres thèses. Il intervient donc ici dans la controverse sur la grâce, controverse fondamentale puisqu?elle a cristallisé la Réforme au XVIIe siècle avec le retour de l?augustinisme et la naissance du jansénisme. La grâce et pure et fondée en raison, mais elle n?est pas dispensée en fonction de la prescience divine des mérites (c?est le terrain de la controverse entre Luther, Erasme et Calvin sur l?opposition entre grâce et libre arbitre). Thèse du libre arbitre : on vainc le péché par son mérite, ses propres forces. Thèse de la grâce : tout provient de la grâce (thèse luthérienne de la justice passive, que rejoint Leibniz), les créatures n?ont rien à prétendre. Cette seconde thèse connaît deux tendances : la luthérienne, qui affirme la gratuité de la grâce et l?incapacité de l?homme à se l?attirer par son mérite; et la calviniste qui insiste sur les arcanes de la volonté divine et sur la liberté absolue du choix divin. Cf. le livre de Concorde (Confession d?Augsbourg) : parler de la grâce c?est parler du salut, en ce sens que la foi en Christ doit passer avant le mystère de l?élection (Leibniz aboutit d?ailleurs au § 37 sur une christologie). Leibniz considère d?abord la position pélagienne, selon laquelle Dieu sauve en fonction de la foi et des oeuvres ; il l?écarte au motif que c?est Dieu qui a donné les moyens d?accomplir les ?uvres. Il considère ensuite la position moliniste, ou théorie de la science moyenne, élaborée par Molina (jésuite de la fin du XVIe) en réaffirmant l?importance du libre arbitre pour se démarquer des protestants : Dieu prévoit les dispositions des hommes et non leurs actes en détail, parce que certains hommes ont une nature qui leur enjoint d?accepter la grâce. Mais Leibniz utilise le même argument : c?est Dieu qui accorde ces dispositions sur lesquelles se fonde la science moyenne. Ces deux thèses sont donc fausses dans leurs conclusions parce qu?elles sont incomplètes. La position de Leibniz suppose deux strates : il y a dans l?entendement divin une infinité d?individus possibles déterminés par leur notion; et Dieu décide de faire passer l?un de ces possibles à l?existence. Leibniz affirme que la décision de Dieu nous échappe tout en donnant un indice de son caractère raisonnable : c?est le monde lui-même, et non l?individu particulier, qui est concerné par la Grâce. Ainsi on passe à une grâce extra-individuelle, dans laquelle la gloire de Dieu n?est en rien amoindrie puisqu?on a un indice de la raison de son choix, qui nous permet d?éviter de retomber dans l?arbitraire du décret divin que Leibniz fuyait au début du DM.
 
Les explications métaphysiques ainsi avancées expliquent le mystère de l?union de l?âme et du corps : car il est impossible de penser ni une influence réelle, ni une intervention extraordinaire de la cause universelle (occasionalisme). C?est donc, comme chaque perception est comprise dans la notion de la substance percevante, que spontanément ces perceptions répondent à ce qui arrive dans l?univers, et plus particulièrement et plus parfaitement au corps, qui est le point de vue propre depuis lequel l?âme exprime le point de vue de l?univers. Ainsi on comprend comment l?âme est plus étroitement liée au corps sans qu?il s?y trouve aucune interdépendance d?essence. Cela explique aussi comment nos petites perceptions, ou perceptions confuses, sont des échos ou rumeurs affaiblies de tout ce qui se passe dans l?univers et qui par sympathie continue nous affecte en quelque mesure (image du bruit des vagues). Le problème de l?union de l?âme et du corps traverse tout le XVIIe : chez Descartes, séparation radicale (l?union fait problème) ; chez Spinoza, deux sphères parallèles ; chez Malebranche, occasionalisme (intervention divine qui règle l?accord). Pour Leibniz, il y a bien un accord, mais il est décidé par Dieu et réglé une fois pour toutes (harmonie préétablie) bien qu?il ne soit que temporaire : il ne dure que le temps de la vie pendant lequel l?âme exprime l?univers à travers le corps.
 
Toutes les formes substantielles des substances (pour les corps, les bêtes et les hommes) sont impérissables quoiqu?altérables, et expriment tout l?univers, quoiqu?elles le fassent moins distinctement que des esprits (substances spirituelles ou âmes des hommes). La principale différence est qu?elles n?ont pas conscience, c?est-à-dire savoir de soi, ce qui les empêche d?atteindre les considérations des vérités éternelles. C?est pour la même raison qu?elles n?ont pas de qualités morales : incapables de dire moi, on pourrait dire qu?elles périssent moralement dans leurs changements, comme on dit que les corps périssent (c?est-à-dire dans les deux cas par métaphore). C?est en effet le souvenir ou connaissance du moi qui rend susceptible de châtiment et de récompense : de ce fait, l?immortalité que l?on demande en morale ou en religion implique la mémoire (sans quoi la morale ne signifie rien). Leibniz établit ainsi du point de vue moral la différence entre les esprits et les autres substances. Il y a trois sortes de substances : formes substantielles ; substances qui animent un corps ; âmes connaissantes (l?âme, de façon totalement anti-cartésienne, est commune aux bêtes et aux hommes). Accéder au domaine moral signifie accéder au mérite et au démérite, ce qui implique la mémoire, garante de l?immortalité morale, qui est plus que l?immortalité métaphysique assurée à toutes les substances (immortalité méta-physique : continuité de la forme ; immortalité morale : continuité du moi).
 
La raison pour quoi Dieu conserve notre être métaphysiquement et moralement (outre les suspensions dues au sommeil ou à une défaillance), c?est qu?en plus d?être créateur, Dieu est le monarque d?une cité des esprits qui possèdent sur les substances brutes l?immense avantage d?exprimer mieux la perfection divine (à mesure de leur perfection propre) : il y a là un saut qualitatif brusque (différence miroir/vision). Ainsi les esprits qui sont plus proches de Dieu sont nécessairement les objets les plus présents de sa préoccupation, et nous devons le louer pour cela quoique notre louange ne contribue point à sa félicité mais en soit une suite. Dans la République des esprits se retrouvent les substances douées de l?immortalité de la personne (on retrouve l?écho des thèses stoïcienne de la communauté des hommes et de la Civitate Dei de St Augustin). Cependant cette cité de Dieu ne s?oppose pas chez Leibniz à la cité des hommes : elle n?a qu?une existence morale (ce qui répond à la question du culte : la société des esprits est une nouvelle expression de la gloire divine en ceci que Dieu n?a pas besoin des esprits (ni du culte) pour être, mais choisit d?exprimer sa gloire par l?existence des esprits et leur réunion dans la république spirituelle.


Message édité par l'Antichrist le 12-12-2003 à 17:34:26
n°1650580
pascal75
Posté le 12-12-2003 à 10:27:55  profilanswer
 

Merci. Ca va prendre tu temps pour lire et assimiler ce texte, mais j'espère qu'alors tu voudras bien répondre aux questions qu'on se pose :) :jap:

n°1651162
rahsaan
Posté le 12-12-2003 à 12:07:45  profilanswer
 

[:must] Wé, c'est bien !  [:sayen]  
Je vais imprimer et lire ce texte cet aprem ! [:must]  
 
Pardon pour ce débordement smileysque...  [:kytoonoosh ]


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°1651672
rogr
Posté le 12-12-2003 à 13:11:26  profilanswer
 

L'Antichrist a écrit :

Si l’on admet Dieu, c’est-à-dire une intelligence organisatrice des choses


Le "c'est-à-dire" me paraît pour le moins inconsidéré !
J'imagine que c'était l'idée de Leibnitz.
on pourrait tout aussi bien poser :
"Dieu, c'est-à-dire l'ensemble des forces ou flux telluriques naturels positifs, transitant entre autres par nous, on ne sait trop comment (en l'état actuel de la science)"
et si on veut s'amuser à mettre des étiquettes ou des mots sur des "choses" ou "phénomènes" à peine appréhendables, on peut prendre la même phrase et remplacer "Dieu" par "Satan", et "positifs" par "négatifs". :jap:
 

Citation :

En ce sens, la seule cause de nos idées est Dieu, seul objet qui nous touche effectivement de l’extérieur : toutes les autres idées sont en nous comme imitations de la pensée divine, et c’est par là que nous voyons et pensons tout, parce que Dieu nous a déterminé à penser et sentir d’une certaine façon, et a réglé nos sens dans leur arrangement externe en conséquence. Dieu est donc au sens propre la lumière de l’âme, comme les Ecritures le disent

 
la cause d'une "idée" négative ce n'est pas Dieu mais Satan [:aloy] :jap:
Il y a la lumière, mais il y a aussi les ténèbres.
il est important de bien comprendre (mais est-ce possible avant d'avoir eu le nez dedans) qu'il y a dans la nature 2 grands principes (ou forces), et ces deux grands principes peuvent se revêtir de mots qui leur conviennent bien : positif et négatif. Ces deux mots restent d'ailleurs valables et applicables quelque soient les circonstances, même les plus hallucinantes (peut-être parce que la matière elle-même est construite sur ces deux principes - en tous cas au niveau atomique), contrairement à des notions comme "bien" ou "mal" qui sont très vite (voire dès le début) dépassées.
 

Citation :

On rejoint en cela St Paul qui affirme que les raisons divines touchant la perfection de l’univers nous dépassent et ne sont pour nous qu’objets d’émerveillement et de célébration de la gloire divine.


St. Paul était un brave gars quoi que certains en aient dit, mais rien n'empêche d'essayer d'approcher, par un assemblage d'idées et de mots les plus adéquats possibles, ce qui à priori ne sera effectivement jamais véritablement "atteignable". A l'exemple d'une théorie scientifique qui peut rester valable jusqu'à un certain point (une autre plus perfectionnée pourra ensuite la remplacer, et ainsi de suite) : cette théorie ne peut rendre compte du tout, elle a néanmoins son utilité, de meilleure compréhension de "ce qui est" ou "ce qui se passe", ou même de telle application pratique. :jap:

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