On signalait une dépression au-dessus de l'Atlantique. Aqualia participait pour la première fois à la création d’une calamité aussi importante. L’ange de l’eau occupait ce poste depuis peu de temps : deux siècles à l’échelle terrestre. Le stress formait des plaques cristallines, éparpillées sur sa peau immaculée ruisselante de perles brillantes. Allongée sur un ottoman couvert de soie blanche, elle plongea ses mains dans le canal d’éther, pour ajouter la pluie au cyclone créé par Auramen.
    – Un homme à la mer ! Criaient les marins désemparés sous la tempête.
    Aqualia n’aimait pas entendre les hommes se débattre suite à ses actes. Elle changea alors de cible pour observer sa zone préférée : l’Uruguay. Elle veillait sur ce pays avec grande attention : assez de pluie pour obtenir une récolte abondante et empêcher les fleuves de déborder. Elle s’assura que le climat était parfait, avant de partir accomplir une autre de ses tâches : accueillir les nouvelles âmes qui, à la mort de leur enveloppe physique, patientaient dans la salle spectrale.
 
    Igniris bâilla d’ennui. Entouré de cinq puits d’éther, l’ange de feu maîtrisait sa mission. Il appréciait particulièrement tourmenter les anges débutants et c’était là le moment adéquat. Le vétéran pointa un conduit vers l’Amérique du Sud. Il savait qu’Aqualia aimait contempler cette région. Un mouvement de la main autour de son pivot lança la malédiction : une augmentation soudaine des températures plongea le pays sous une sécheresse inédite.
 
    Des cristaux de glace dansaient sur le corps d’Aqualia, lorsqu’elle constata, horrifiée, les champs de maïs jaunis sur la terre craquelée, les rivières à sec et les troupeaux amaigris. Sans perdre de temps, elle créa une dépression. Peu après, un déluge recouvrit la région. Dans sa précipitation, elle oublia que la terre durcie ne pouvait absorber autant d’eau en si peu de temps. Quand elle remarqua son erreur, des inondations envahissaient déjà la majorité du pays. Les cultures subsistantes après la sécheresse pourrissaient sur place, tout comme les réserves de nourriture. La famine et les maladies décimaient la population, sous le regard impuissant de l’ange.
 
    Depuis des millénaires, Igniris passait son temps libre à contrarier les terriens. Ses supérieurs le laissaient agir, tant que son influence ne bouleversait pas l’évolution souhaitée de la planète. Aussi, ne se gêna-t-il pas pour lancer une nouvelle vague de chaleur sur l’Uruguay. Cette fois, il l’accompagna de violents incendies qui ravagèrent la plupart des forêts du territoire.
 
    Une tâche rouge, jaune et noire souillait l’Amérique du Sud. La majorité de la faune et de la flore étaient détruites. La population humaine avait fuit dans les régions voisines. Pensant à toutes ces années perdues à entretenir son jardin chéri, Aqualia paniqua devant le paysage défiguré. Elle forma un tsunami dans le sud de l’océan Atlantique, avant de l’envoyer vers la terre incandescente. L’ombre du mur d’eau recouvrait l’intérieur des terres, lorsque le raz de marée percuta la côte. Les flammes disparaissaient sous les flots voraces. Le monstre aqueux était affamé. Il réclama plus qu’un petit pays et poursuivit son repas jusque sur les Andes, submergeant l’Argentine sur son passage. Rassasié, il s’allongea le long de la chaîne de montagne pour se reposer.
 
    Les muscles d’Igniris découpaient sa silhouette telle une brioche trop gonflée. Les perles d’Aqualia abondaient sur tout son corps, se cristallisant avant de se liquéfier de nouveau. Les deux anges attendaient, angoissés, devant l’archange rédempteur. Sous la forme d’une voix chargée de mélancolie, l’inquiétude se matérialisa dans tout leur être. Ils s’écroulèrent à genoux sous le poids de la tristesse des millions d’âmes immolées. Après l’énumération des nombreuses règles enfreintes, la sanction tomba : le bannissement du Royaume Céleste.
    La peau d’Aqualia rosa pendant que ses perles de cristal s’évaporaient. Sa poitrine gonfla et une fente apparu entre ses jambes. Igniris constata, terrifié, la métamorphose de leur corps d’ange en ceux, plus modestes, d’êtres humains. Sa moustache de duvet jurait avec son corps musclé, comme des bretelles à un lapin.
    Huit chérubins entravèrent de liens de lumière les chevilles et les poignets du couple. L’homme et la femme semblaient jouer avec des cerfs-volants, alors que les angelots les emportaient vers le passage éthéré où ils furent éclusés sur une planète vierge.
 
    Les deux mortels atterrirent sur un plateau de bauxite parsemé d'arbres fruitiers. La plante de leurs pieds nus révéla la nature des corps froids. Affamés, ils se précipitèrent pour savourer ce repas providentiel. Adam cueillit une noisette, puis la porta à sa bouche. Le fruit ne céda point et l’homme découvrit une autre sensation jusqu’alors inconnue : il avait mal aux dents.
    Tandis qu’ils appréciaient leur nouvelle condition existentielle, un ultime souvenir de l’au-delà se manifesta. Le ciel revêtit un manteau de coton gris, avant d’être déchiré de multiples entailles électriques. Le tonnerre résonna de toute part comme un choeur de mille voix :
    – Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre.
 
 

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