fdaniel a écrit :
Le F-35 est tout un poème à lui seul : à la base le programme vient en partie du foirage relatif du F-22, trop cher, et du besoin de remplacer tout le parc d'appareils "légers" des USA et de ses alliés (notamment les F-16). Donc au début l'idée était de produire un appareil meilleur marché mais tout de même avancé technologiquement (furtivité, avionique évoluée, etc.). Sauf que ça a commencé à déraper quand ils se sont dit que ce serait dommage de se contenter de remplacer seulement les appareils terrestres, et qu'on pourrait en profiter pour faire une version navalisée : de même qu'à l'époque du F-111 la Navy apprécie moyennement (euphémisme) de se faire un peu forcer la main, du coup ils font semblant de jouer le jeu tout en persiflant de temps en temps et en trainant des pieds pour les commandes. Là-dessus s'est ajouté le besoin des Marines d'avoir une version à décollage/atterrissage vertical afin de remplacer le parc de Harrier, appareil vieillissant et aux performances limitées.
L'appel d'offre qui fut lancé concernait donc un appareil dont un maximum de composants pourrait être mutualisé entre les 3 versions :
- A, basée à terre
- B, capable de décoller/atterrir à la verticale (enfin dans la pratique le décollage se fait plutôt sur courte distance pour augmenter la charge utile, d'où la présence d'un tremplin sur les futurs porte-avions britanniques)
- C, navalisée (aile plus grande, train avant renforcé et crochet d'appontage)
Ça a donné lieu chez Lockheed-Martin au X-35, qui remporta le marché, et chez Boeing au X-32, aux performances en sustentation insuffisantes et affublé d'une tronche qui aurait définitivement ridiculisé les USA aux yeux du reste du monde
Malheureusement les spécificités de la version B se répercutent sur les 2 autres : pour intégrer la soufflante de sustentation derrière le cockpit il a fallu concevoir un fuselage assez large, ce qui contribue à l'allure pataude du F-35. Sur les versions A et C l'emplacement de la soufflante est récupéré pour un réservoir supplémentaire, mais la ligne n'a pas été modifié pour autant, ce qui nuit non seulement aux performances mais aussi à la visibilité du pilote.
Pour régler ce dernier point on a vu apparaitre ce qui est aussi devenu une des constantes du F-35, à savoir le recours à des solutions inédites, donc innovantes mais aussi compliquées à mettre au point. En l’occurrence ils prévoient de munir le pilote d'un nouveau type de casque à affichage intégré et couplé à des caméras dispersées sur tout le fuselage, ce qui lui permettrait d'avoir une vue à 360°. Déjà certains pilotes sont un peu dubitatifs, arguant de la résolution du système inférieure à l'acuité de l’œil humain, mais la mise au point du casque a accumulé les retards et problèmes, notamment concernant les temps de réponse (c'est embêtant un casque qui lag lors d'un combat aérien). Il a même été envisagé de faire appel à un second fournisseur anglais pour avoir une version de secours, solution flinguée en plein vol par le premier fournisseur, peu ravi à l'idée de se faire souffler le marché.
Au delà des caractéristiques furtives de l'appareil une grosse partie de ce qui est censé faire sa force, et sur lequel insiste très volontiers Lockheed-Martin, est le logiciel embarqué, complexe et et transformant l'avion en une sorte de mini-centre de traitement de données, avec utilisation à foison de liaisons avec les autres aéronefs. Quand on dit complexe il faut comprendre qu'en fait il gère tout, ce qui a donné lieu récemment à des gags liés à la livraison des différents blocs (versions du logiciel), par exemple le fait que le canon, système d'arme assez basique, ne serait pas opérationnel avant une mise à jour devant intervenir au mieux dans 2 ans (d'autres articles ont d'abord parlé de 2019). Encore cela n'est-il qu'une question de livraison des fonctionnalités, car à côté de ça il y a aussi de nombreux bugs qui apparaissent au fur et à mesure de l'intégration du logiciel, au point que les militaires sont en train de se résigner à ce que l'avion commence sa carrière opérationnelle en se passant de certaines fonctions.
Pour l'instant on a donc un profil aérodynamique pas terrible couplé à un logiciel truffé de bugs, mais ça n'est pas tout, car il y a plein d'autres problèmes liés à sa conception. Prenons le moteur : en partie à cause du système VSTOL il a été décidé que l'avion serait mono-moteur. Ce dernier a été développé exprès pour le F-35, il est sur le papier très puissant, mais dans la pratique il génère aussi des problèmes de surchauffe, obligeant à surveiller la température du carburant au ravitaillement (et même à repeindre en blanc les camions pour qu'il ne soit pas trop chaud). Il a aussi occasionné un incendie l'an dernier, clouant au passage le parc au sol, puis empêchant les avions de participer au meeting de Farnborough, en Angleterre, parce qu'il a été décidé de limiter par prudence les sorties à 3 heures de vol (donc pas de traversée possible de l'Atlantique avec une marge de sécurité suffisante).
Et la furtivité de l'appareil n'affecte pas seulement son profil mais aussi d'autres caractéristiques : l'armement est censé être emporté en soute, mais cette dernière est fort étroite, ce qui limite drastiquement la capacité en mode furtif. D'ailleurs sans la contrainte de la soufflante évoquée plus haut la soute aurait pu être un peu plus grande, même si ça n'aurait au final pas tellement changé la donne. Le système de ciblage a été intégré dans le fuselage, au lieu d'être dans un pod dédié, mais comme il a été conçu il y a un bout de temps ses caractéristiques sont à la traine : pas d'échange prévu avec les troupes au sol, ni de pointeur infrarouge pour leur signaler des cibles ou au contraire les confirmer. Ils vont bien essayer d'intégrer ces fonctionnalités, mais comme la place à bord est comptée ça va être compliqué, en plus d'être plus coûteux que de simplement remplacer un pod.
Bref l'appareil se profile de plus en plus comme un engin multi-rôles qui ne serait bon dans aucun, voire médiocre dans tous. En plus le programme est devenu tellement énorme qu'il génère sa propre bureaucratie (près de 2000 employés gouvernementaux pour le superviser), et les alliés qui y participent (Italie, GB, Pays-Bas, etc.) s'y retrouvent en quelque sorte liés vu qu'on leur a aussi fait contribuer financièrement au développement. Les coûts de ce dernier dérapent depuis un moment à cause des pépins détaillés au-dessus, mais pas seulement, l'ampleur du programme les gonflant aussi mécaniquement . Le tableau final n'est donc guère brillant, comme dit précédemment la Navy attend assez clairement une occasion de se barrer, et certains comme Pierre Sprey (ayant participé à des programmes réussis, comme celui du F-16) pensent déjà qu'il ne s'en construira au final que quelques centaines avant que les USA arrêtent les frais.
Hum, le temps que je finisse de taper tout ça il s'est dit pas mal de choses qui s'y trouvent aussi, bon, c'était pour essayer de brosser un tableau général et faire comprendre pourquoi le F-35 n'est pas vraiment une panacée.
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