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Notions de base Le Bilan: On sait que le bilan comptable d'une entreprise ( car une banque est aussi une entreprise ) est classiquement présenté en deux colonnes d'un égal montant : à gauche l'actif, à droite le passif . Il constitue l'exposé du montant et de la structure de ses avoirs à la fin d'un exercice , c'est à dire en général après une année d'activité . En cours d'exercice l'augmentation des avoirs ( les produits ) ou leur diminution ( les charges ) viennent modifier la structure du futur bilan . La comptabilité qui préside au suivi de ces états est une discipline sophistiquée régie tant par des pratiques professionnelles évolutives issues d'une histoire plusieurs fois séculaire que par l'exigence de la législation applicable. Prendre un recul suffisant est sain pour en saisir l'essentiel. Pour le non-initié la première caractéristique d'un bilan est que les deux masses qui le constituent, les deux colonnes de nombres en regard , à savoir, l'actif et le passif, sont toujours d'un montant strictement égal. Voilà qui ne manque pas de surprendre compte tenu des péripéties inévitables au cours de tout exercice . Cette stricte égalité n'étonnera plus quand on aura compris ce qui suit . Cherchons le total des avoirs non pas d'une entreprise mais d'une personne physique quelconque : Total des Avoirs = Ce qu'elle possède + Ce qu'on lui doit - Ce qu'elle doit (patrimoine) = (propriétés ) + (créances) - (dettes) Ceci s'écrit aussi bien : patrimoine + dettes = propriétés + créances Appelons Actif le total propriétés + créances et Passif le total patrimoine + dettes . On a bien de manière indiscutable et constante l'égalité permanente et universelle Actif = Passif La transposition au cas d' une entreprise, personne morale, ne change rien à l'affaire si ce n'est au niveau de la définition du patrimoine. En effet, par le jeu d'une cascade de titres de propriétés, les avoirs d'une entreprise tombent toujours in fine dans le patrimoine de personnes physiques. Ce qui tient lieu ici de patrimoine, ce sont les capitaux propres et l'accumulation des bénéfices non distribués. Quand en fin d'exercice les propriétaires ont éventuellement prélevé une partie des bénéfices, il reste au passif : les capitaux propres, les bénéfices non distribués et les dettes ( emprunts et charges ). Les gestionnaires et comptables font remarquer qu'il s'agit là des « ressources » de l'entreprise tandis que l'actif correspond à l' « emploi » qui en est fait. L'égalité entre l'actif et le passif constitue donc une définition et en aucun cas une vérification de la rigueur des comptes comme on serait spontanément porté à le croire. Qui majorerait ses créances ou minorerait ses dettes ne détruirait aucunement la stricte égalité de son bilan ; il verrait seulement croître ses avoirs ( cf. figure 3 ) .
Faute d'avoir compris ce qui précède, on pourrait s'étonner de l 'appellation traditionnelle de Passif pour l’ ensemble des dettes et du patrimoine . En réalité, la notion de bilan a vu le jour dans le cadre de sociétés commerciales , lesquelles, comme il a été dit, ne sont jamais propriétaires de leur patrimoine ; celui-ci appartient aux propriétaires des sociétés en question et de ce fait leur est dû. On trouve donc légitimement du côté du passif aussi bien les capitaux propres et les bénéfices que les dettes réelles . Une conséquence immédiate est que, dans le bilan d'une entreprise comme dans celui d'un particulier, une diminution des dettes augmente ipso facto le « patrimoine » c'est à dire en ce cas le bénéfice de l'entreprise ( cf. figure 4 ). La monnaie réelle courante étant aujourd'hui faite d'écritures comptables au sein des banques, il convient donc de se pencher attentivement sur la nature réelle et les conséquences de ces écritures. Le crédit vu par le bilan: Une écriture quotidienne dans les banques de dépôts a trait à l'attribution de crédits. Considérons un prêt de 1000 € accordé par la banque A à l ' agent économique ( individu ou entreprise ) X . Le banquier inscrit à l'actif de son bilan une "créance de 1000 € sur X " et , dans le même temps au passif, crédite le compte de X de 1000 €. X dispose ainsi de la somme de 1000 € qu'il va pouvoir utiliser en tout ou partie . En quelque sorte, le banquier lui doit 1000 € , ce qui justifie que le compte de X soit inscrit au passif ( cf. figures 5 et 6 ). Nous verrons plus loin ce qu'il advient de l'équilibre du bilan quand cette somme sort du compte de X . Pour l'instant concentrons-nous sur cette seule opération d'attribution de prêt . Premier constat : le banquier ne prend cette somme nulle part ; il écrit et l'argent est créé ex nihilo . Ceci surprend toujours le citoyen ordinaire . C'est cependant totalement légal. C'est d'ailleurs de cela que le banquier vit. Les 1000 € vont lui rapporter des intérêts ; plus il prête , plus il est satisfait . Bien sûr , ce serait trop simple de prêter sans aucune mesure à quiconque ; encore faut-il que l'emprunteur soit capable de rembourser intérêts et capital ! En outre, il y a la Banque Centrale Européenne en charge de l'Euro ( comme il y a peu, la Banque de France l'était du Franc ) . Nous verrons en quoi elle peut contrôler le banquier. [b]Deuxième constat : créance et compte de dépôt sont liés et se répondent. C'est ce point qu'il nous faut éclairer en remontant à l'origine du métier de banquier [/b].
Eclairage historique : On pourrait situer cette origine au début du deuxième millénaire . Il n'y avait alors que la monnaie métallique , circulant par coffres et bourses , et cible recherchée des voleurs et des brigands. L'utilité des ancêtres de nos banques de dépôts était alors évidente . Un homme fortuné avant de partir en voyage pouvait trouver prudent d’aller chez un banquier y déposer tout ou partie de ses avoirs. Le banquier , moyennant rétribution, recueillait les fonds et les plaçait dans un coffre au nom du déposant , à qui il pouvait remettre une reconnaissance de dette en bonne et due forme. Notre banquier se trouvait ainsi dépositaire de nombreux coffres qu'il pouvait d'ailleurs sans inconvénients réunir en un seul - le sien - puisqu'il tenait soigneusement des livres de comptes répertoriant ses clients et leurs avoirs. Il s'agit là des dépôts. Les retraits ne posent aucun problème, le banquier conservant sa rémunération légitime et généreuse. Nos banquiers se sont donc enrichis et ont acquis la capacité de faire des prêts sur leurs fonds personnels. Cette fois , c'est l'emprunteur qui remet une reconnaissance de dette au banquier et s'en va avec de la monnaie métallique prélevée bien entendu sur les avoirs personnels de ce banquier et non sur les dépôts de ses clients - quoique la tentation fût sûrement forte dès les origines. En résumé, le banquier de ces époques primitives détient de la monnaie métallique au nom de ses clients-déposants , sa propre monnaie métallique et des créances sur ses clients-emprunteurs. , le tout répertorié dans ses livres de compte. Remarquons que les créances détenues correspondent à de la monnaie qu'il a remise et qui, un jour, lui sera rendue avec les intérêts le rémunérant pour ces prêts . En dehors de sa caisse personnelle, la monnaie détenue dans ses coffres appartient aux déposants ; les livres de compte ne font qu'enregistrer ces avoirs mais ne constituent pas en soi des avoirs .
La question des liquidités : Le duo actuel créance-dépôt peut être réexaminé à la lumière de ce qui précède. L'emprunteur X joue successivement mais dans un même acte le rôle de client-emprunteur et de client-déposant. Il est emprunteur de 1000 € ce qui autorise la banque A à porter la créance de 1000 € à son actif. Il est aussi déposant de 1000 € et à ce titre le banquier lui enregistre un avoir de 1000 € dans ses livres, plus précisément dans le compte de dépôt à vue ouvert à son nom. Normalement, il doit donc y avoir dans les caisses de la banque les 1000 € correspondants à savoir ,aujourd'hui, 1000 € en " billets de banque légaux " plutôt qu'en monnaie métallique ( cf figure 7 ). La vérité est qu'il n'y sont pas, ou du moins pas en totalité; le taux de couverture, comme on dit, n'est pas de 100 % . Ceci aussi est parfaitement légal. Il est en effet admis depuis longtemps - et vraisemblablement pratiqué depuis bien plus longtemps encore - que l'obligation du banquier recevant un dépôt n'est pas de le laisser reposer dans ses coffres ; il peut s'en servir . Sa seule obligation est de pouvoir rendre ce dépôt - en totalité ou en partie - dès que le déposant le lui demande ( il s'agit d'un dépôt " à vue " , ce qui pourrait vouloir dire que le déposant a le droit de voir son dépôt ! ) . En clair aujourd'hui , il doit pouvoir fournir des billets jusqu'à concurrence de 1000 € dans l ' exemple pris. C'est cela la question pratique des liquidités. Comment le banquier fait-il face aux demandes de liquidités ? Il doit acheter des billets et des pièces à la Banque Centrale européenne ( cf. figure 8 ). " Acheter " car la BCE répond à la demande ( elle fait fonctionner la fameuse planche à billets ) mais en se faisant payer pour ce service . C'est ainsi que X pourra s'il le souhaite retirer de sa banque 1000 € en liquide ( billets ) . Cependant actuellement, en moyenne et en France, le détenteur d'un compte ne retire que 15 % en billets soit 150 € . Vers 1950 , il en retirait 50 % soit 500 € . Les banques font tout pour limiter la charge que représentent pour elles les besoins en liquidités de leurs clients : promotion des chèques puis de la carte bancaire et maintenant de la carte Moneo pour la petite monnaie. Comment éviter les excès ? La création monétaire par les banques est source de revenus pour elles mais aussi génératrice d'inflation dans le pays si elle est excessive. Pour freiner l ' activité de création monétaire des banques, le coût de l'acquisition des liquidités ne suffisant plus , le législateur a mis en place des dispositifs supplémentaires. Le plus simple est l'attribution d'un quota de crédits annuels à chaque banque, dispositif dit de l' « encadrement du crédit ». Ce moyen jugé trop contraignant - libéralisme oblige - a été complètement abandonné. Un autre moyen consiste à obliger les banques à détenir de manière permanente des liquidités ( ou plus exactement un compte de liquidités) à la Banque Centrale, liquidités correspondant à un pourcentage déterminé du total des crédits distribués ; ce sont les "réserves obligatoires" . Autrement dit le pouvoir de création monétaire d'une banque doit rester proportionnel à ses avoirs déposés en Banque Centrale c'est à dire à des avoirs dont elle se prive de la jouissance directe. Hélas , ce pourcentage non seulement s'est réduit comme peau de chagrin ( il n'est plus que de 2 % de M2 - équivalent à environ 4 % de M1 - alors qu'il atteignait encore les 20 % de M1 pendant les Trente Glorieuses ). De plus , nouveauté récente, la BCE rémunère les banques de dépôt pour ces réserves obligatoires , ce que ne faisait pas la Banque de France . En définitive, - mis à part la crainte de perte par non remboursement ( cf. Figure 9 B ) - la seule contrainte technique à la création monétaire par les banques de dépôt au moyen des crédits semble bien se limiter de fait au coût pour ces banques de l'acquisition des liquidités Nous . expliciterons ce coût d'acquisition des liquidités, mais notons déjà qu'il s'agit davantage d'un manque à gagner ( prélèvement sur les intérêts issus du crédit générant la demande de liquidités ) que d'une charge réelle . Certes, les banques ne peuvent malgré tout mettre en place sans limites les crédits et leurs flux d'intérêts car il leur faut trouver des emprunteurs. Il ne reste donc que le consentement ou la réticence de ceux-ci à s'endetter pour réguler la création monétaire. C'est dire si celle-ci fluctue avec les humeurs de la conjoncture économique et, qui plus est, en accentuant aussi bien l'euphorie que la déprime . Encore heureux que l'ensemble des prêteurs , plus vaste que l'ensemble des banquiers, n'ait pas encore pris conscience que la masse des dettes engendrées par les crédits en cours excède très largement ( environ 5 fois ) la masse monétaire existante susceptible de les rembourser !
Les intérêts vus par le bilan : Un prêteur qui ne verrait pas ses intérêts encaissés ni son capital remboursé enregistrerait immédiatement des pertes par diminution de l'actif de son bilan ( perte de créance). Il en est ainsi quand le prêteur est une banque ( figure 9B). Qu'en est-il dans le cas plus habituel d'un crédit remboursé normalement à son terme ? Au passif de la banque le compte de l'emprunteur - suffisamment approvisionné - est diminué du montant du capital . Cette somme n ' est reversée nulle part ; elle retourne au néant d'où elle avait surgi. A l'actif , la créance correspondante est annulée . La banque , sur cette opération n'encaisse donc rien . Actif et passif diminuent d'une quantité égale ; le bénéfice est nul . En pratique ce crédit qui expire sera vite remplacé par un autre crédit à un autre emprunteur car la banque retire un gain par la perception des intérêts. A chaque échéance , le montant dû est retiré du compte de l'emprunteur . Curieusement , cette somme n'est, elle aussi, reversée nulle part . Quel est alors le bénéfice de la banque ? Pour le saisir il faut revenir au principe de base du bilan . Le retrait au compte du débiteur diminue la partie "dû" au passif de la banque ; aucune autre opération ne vient modifier l'actif . De ce fait les avoirs réels de la banque , ses réserves diront les comptables - soit l'actif moins le "dû " inscrit au passif - s'en trouvent augmentés d'autant. Les schémas de la figure 9A illustrent le propos qui précède . Les comptes de dépôts à vue étant dans la partie "dû" côté passif , tout prélèvement sur un compte par simple effacement est un enrichissement de la banque . C'est le cas de la perception des intérêts . Au contraire tout virement par simple écriture comme par exemple le paiement des salaires des employés est un appauvrissement. L'attribution d'un prêt dans lequel la création monétaire au passif est équilibrée par la créance inscrite à l'actif a un effet nul sur les avoirs réels . Il en est ainsi , par des mouvements contraires , pour son remboursement. De même l'acquisition d'un bien qui sera inscrit à l'actif et donnera lieu à création monétaire sur un compte au passif , ( c’est le cas du rachat de devises étrangères traité plus loin), est formellement sans effet sur le résultat quoique les "propriétés" de la banque puissent ainsi s’accroître considérablement. On constate donc que pour une banque comme pour toute entreprise, les salaires sont des charges, les produits financiers des produits. Ils se traduisent donc respectivement par un apauvrissement et un enrichissement. Ce qui est vraiment étonnant dans le cas d'une banque c'est qu'elle peut payer les salaires par soimple jeu d'écriture et pourrait ainsi échapper à tout risque de cessation de paiement ( si ce n'est quelle a, comme on le sait, des contraintes de liquidités). L'achat d'actifs est plus lourd de conséquences: si l'achat d'un actif est neutre comptablement ce n'est pas le cas financièrement et comptablement : le cas du Crédit Lyonnais est là pour le rappeler ; à l'inverse des banques se sont ainsi considérablement enrichies. Les autres créations monétaires Nous l'avons dit : le crédit est la première source de création monétaire. Pour autant ce n'est pas la seule. Il a existé une création directe par les autorités monétaires; il existe depuis toujours une création à partir de devises étrangères; enfin on constate une augmentation croissante de la création monétaire par achat de titres. Historiquement, la monnaie est un phénomène social qui n'est pas né du crédit. La monnaie du souverain a d'abord payé un bien acheté ou un service rendu. Cette monnaie circulait ensuite indéfiniment dans la société sans supporter de charges d'intérêt : nous l'appellerons monnaie « permanente et gratuite ». Au contraire, le crédit ne génère qu'une monnaie « temporaire et payante ». Peu à peu, sous la pression du système bancaire – dont l'utilité reste par ailleurs indiscutable – celle-ci a supplanté celle-là. Voici à ce sujet quelques éléments d'histoire récente en France. De la fin de la deuxième guerre mondiale au début des années 70 , nos gouvernements successifs ont bénéficié du « Circuit du Trésor ». Sans entrer dans le détail de ce mécanisme, - obligation imposée aux banques d'acheter 25 % de leurs dépôts en Bons du Trésor - ni dans celui des « Avances de la Banque de France au Trésor », on constate que l'Etat disposait ainsi d'abondantes ressources pratiquement gratuites et quasi-permanentes, complétant largement celles provenant de l'impôt. ( Voir une explication détaillée dans Pierre Aunac op. Cit. p.146 et sv.). Est-ce pur hasard que cette période soit celle des Trente Glorieuses et que la situation de l'emploi ait commencé à se dégrader au milieu des années 70, au moment où le système bancaire s'est dégagé de ces mécanismes ? Le premier choc pétrolier de 1973 a souvent bon dos pour expliquer l'envolée du chômage. Mais alors, comme le demande P. Aunac, ( op. Cit. p. 148), pourquoi le second choc pétrolier de 1979 n'a-t-il en rien touché la courbe de son évolution ? Et l'auteur de conclure son analyse très documentée par : « L'explosion du chômage à partir de 1974 n'a rien à voir avec les chocs pétroliers ». Ainsi la création directe de monnaie , ou du moins son équivalent , n' a disparu en France qu'il y a une trentaine d'années. Elle s'adapte sans difficultés à une économie moderne; ce n'est qu'une question de volonté politique. Elle se coule même tellement bien dans les méandres de la finance que certains experts estiment que la FED, qui joue le rôle de banque centrale aux USA, n'est pas sans utiliser aujourd'hui même de tels mécanismes ( Open Market extensif ) et que ceci n'est pas étranger à la tonicité de l'économie outre Atlantique. On concluera que, bien que ce type de création monétaire soit actuellement prohibé en Euroland, il reste techniquement possible. Notre thèse est qu'il est aussi économiquement souhaitable.
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