Bonjour à tous,
Bon, je me suis replongé (rapidement) dans mes jurisprudences (une centaine de résultats par mot-clé, j'ai abandonné à 30) :
1. Cas d'une démission entre la décision du CPH ayant fait droit à la demande de résiliation judiciaire et l'arrêt d'appel
"Hors les cas de licenciement, la prise d'effet de la résiliation judiciaire est celle de la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date, le salarié
est toujours au service de son employeur. En cas de confirmation en appel, la prise d'effet de la résiliation judiciaire est également la date du jugement, sauf
lorsque l'exécution du contrat de travail s'est poursuivie après ce jugement, auquel cas la date d'effet est reportée à celle de la fin des relations contractuelles.
En l'espèce, Monsieur [B] fait tout d'abord valoir que la demande de résiliation judiciaire, qui avait été formée le 11 juillet 2019 est sans objet,
au motif que Monsieur [T] aurait démissionné le 14 mai 2020.
Cependant, Monsieur [B] confond fait générateur de la résiliation et date d'effet, la poursuite des relations contractuelles postérieurement au jugement ne pouvant
priver celui-ci d'effet mais seulement reporter la date d'effet de la résiliation."
Cour d'appel, Paris, Pôle 6, chambre 9, 18 Octobre 2023 – n° 20/04938
(le CPH avait statué en février 2020)
2. Un exemple de date d'effet de la résiliation judiciaire au moment de l'arrêt d'appel
S'agissant de la date de la résiliation du contrat de travail, il convient de rappeler que celle-ci ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce dès lors
que le contrat n'a pas été rompu avant cette date, et qu'en cas de confirmation en appel du jugement prononçant la résiliation, la date de la rupture est celle fixée
par le jugement à moins que l'exécution du contrat de travail ne se soit en fait poursuivie après cette décision.
Or, en l'occurrence, M. D. soutient dans ses écritures être resté au service de l'employeur postérieurement à la décision du conseil de prud'hommes du 7 février
2017. Il explique que depuis novembre 2015, il ne bénéficie d'aucun autre contrat de travail, qu'il se trouve sans revenus, sans pouvoir s'inscrire comme
demandeur d'emploi en l'absence de lettre de licenciement, et qu'il a seulement été admis à percevoir le RSA à partir du mois de mai 2016, ce dont il justifie. Le
liquidateur ne conteste pas ces éléments, et limite ses observations à l'argumentation selon laquelle le salarié ne pouvait par définition être au service de la
société au-delà de la date de fin d'activité de celle-ci, ce qui est toutefois un moyen inopérant, la liquidation judiciaire de la société même avec cessation
immédiate d'activité étant sans incidence sur la date de prise d'effet de la résiliation.
En conséquence, il convient de fixer à la date du présent arrêt, soit le 4 décembre 2018, la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Cela montre en passant aussi que le salarié peut continuer à travailler.
On notera néanmoins que cet arrêt va directement à l'encontre de la solution donnée par l'arrêt de la cour d'appel de Bastia refusant de se prononcer sur une résiliation judiciaire au motif que le salarié avait pris acte de la rupture du contrat de travail après le jugement du CPH ayant fait droit à celle-ci.
3. Un arrêt très didactique
"- Sur la résiliation judiciaire -
L'action en résiliation judiciaire du contrat de travail, qui ne constitue pas une prise d'acte de la rupture, ne met pas fin au contrat de travail et implique la
poursuite des relations contractuelles dans l'attente de la décision du juge du fond.
Si les manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge prononce la
résiliation judiciaire du contrat de travail, et donc la rupture de celui-ci aux torts de l'employeur, au jour de sa décision, sauf si le contrat de travail a déjà été
interrompu et que le salarié n'est plus au service de son employeur.
La résiliation judiciaire du contrat de travail produit effet au jour où le juge la prononce, à la double condition que le contrat de travail n'ait pas été rompu entre
temps et que le salarié soit toujours au service de son employeur à cette date. Peu importe que la rupture du contrat de travail n'ait pas été formalisée, si les
parties ont cessé leur collaboration au moment où la résiliation judiciaire est prononcée, il y a lieu de faire remonter les effets de la résiliation judiciaire à la date
où la collaboration a cessé, notamment lorsque le salarié a cessé de se mettre à la disposition de l'employeur.
Si le salarié a été licencié avant la date de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, c'est à la date d'envoi de la notification du licenciement qu'est
fixée la prise d'effet de la résiliation judiciaire.
Si le salarié est licencié avant qu'intervienne la décision judiciaire sur une demande de résiliation présentée avant le licenciement, les juges doivent, en premier
lieu, rechercher si la demande de résiliation était justifiée, peu important que l'employeur ait engagé la procédure de licenciement avant l'introduction de cette
demande ou que le salarié ait adhéré à un dispositif de départs volontaires dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou à un contrat de sécurisation
professionnelle, et c'est seulement dans le cas où ils estiment que la demande de résiliation judiciaire n'est pas justifiée que les juges se prononcent sur le
licenciement notifié par l'employeur postérieurement à la saisine du juge prud'homal afin de résiliation.
Si l'employeur fait appel d'un jugement prononçant le résiliation judiciaire du contrat de travail, cet appel a un effet suspensif et il en résulte que, sauf licenciement
prononcé entre-temps ou cessation de la collaboration, le contrat de travail se poursuit et l'employeur doit continuer à fournir du travail et à rémunérer le salarié.
En cas de confirmation en appel d'un jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, la date de la rupture du contrat de travail reste celle du
jugement, sauf si l'exécution du contrat de travail s'est poursuivie au-delà de la date du jugement. En effet, si l'exécution du contrat de travail se poursuit après le
jugement prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail, ce qui s'explique logiquement par l'effet suspensif de la déclaration d'appel, la date d'effet de la
résiliation doit être fixée au jour de l'arrêt confirmatif ou à la date où la collaboration a cessé.
Par contre, si l'employeur a exécuté le jugement de résiliation judiciaire en adressant au salarié les documents de fin de contrat et/ou en lui versant les indemnités
de rupture, la date de la rupture du contrat de travail sera celle du prononcé du jugement de résiliation judiciaire confirmé."
Cour d'appel, Riom, 4e chambre civile, 27 Avril 2021 – n° 18/01096
Je tique sur le dernier paragraphe, puisque l'exécution provisoire concerne la délivrance des documents de fin de contrat et non la rupture du contrat de travail.
Et si la cour d'appel infirme, du coup que se passe-t-il, si l'on entre dans la logique que le contrat est bel et bien rompu ? Ce n'est pas une démission puisque le salarié n'a pas manifesté sa volonté de démissionner. Ce n'est donc pas une RJ. Dans ce cas-là, il faudrait alors indiquer que la remise des documents de fin de contrat vaut volonté de l'employeur de rompre le contrat de travail (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 juillet 2016, 14-20.323, Inédit) et plaider sur le LSCRS ? Mais l'employeur aurait beau jeu d'indiquer qu'il ne fait qu'exécuter la partie concernée par l'exécution provisoire de la décision de justice.
On en arrive donc àmha à l'exception posée par l'arrêt de 2016 (et d'autres) : la remise des documents de fin de contrat à la suite d'une décision CPH faisant droit à la demande de RJ et exécutoire dans les limites du R 1454-28 CT et frappée d'appel n'équivaut pas à la rupture du contrat de travail.
Mais je reconnais que ma solution n'est pas optimale ; en effet, si le salarié continue à travailler pour l'employeur, alors quelle date l'employeur doit-il mettre sur l'attestation France travail ? Il est tenu d'exécuter la partie de la décision concernée par l'exécution provisoire faute de quoi son appel risquerait de faire l'objet d'une demande de radiation. Il ne peut donc pas attendre de savoir quand son salarié partira. Ou alors il remet une attestation avec une date correspondant au jugement et il délivre une autre attestation si le salarié reste 1 mois de plus ?
En passant, on voit que la RJ équivaudrait ipso facto à une rupture immédiate des relations contractuelles ne tient pas. En effet, entre le moment où le CPH décide de rompre le contrat de travail et le moment où la décision est notifiée et où le salarié en prend connaissance, cela peut prendre du temps. Dans cet intervalle, sauf à risquer un abandon de poste, le salarié doit bien travailler.
Après, le problème des cours d'appel est que parfois elles font un peu ce qu'elles veulent, et statuent à certaines occasions sans tenir compte des arrêts de cassation...
Du coup, du côté de la cassation, on a quand même Cour de cassation, Chambre sociale, 28 Septembre 2022 – n° 19-19.346 cet arrêt récent où la Cour de cassation valide le principe d'une prise d'effet d'une RJ à la date d'arrêt d'appel (au lieu du jugement du CPH) alors que l'employeur estimait que le salarié n'avait pas continué à être à disposition de l'employeur. Je concède que ce n'est pas identique à "le salarié a le droit de continuer à travailler".
Bon, pas mal de questions ouvertes sur le sujet...
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