Citation :
Cour dappel de Grenoble, 1ère Chambre des appels correctionnels, Arrêt du 18 janvier 2001
Pascal D. c/ Ministère public, Agence pour la Protection des Programmes (APP), Société civile des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF), Société Civile pour lexercice des droits des Productions Phonographiques (SCPP), Société Nationale de lEdition Phonographique (SNEP), Société pour ladministration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs compositeurs et éditeurs (SDRM), Sony Computer Entertainment France, Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL)
Droit dauteur - musique - contrefaçon
Déroulement des débats :
A laudience publique du 9 novembre 2000, Mme Robin en son rapport, le ministère public entendu, la défense ayant eu la parole en dernier,
Le président a ensuite déclaré que larrêt serait prononcé le 18 janvier 2001.
Par jugement du 2 juillet 1999, le tribunal correctionnel de Valence a notamment :
rejeté les exceptions de nullité présentées par la défense, déclaré Pascal D. coupable de contrefaçon par édition et reproduction duvres et de programmes et condamné celui-ci à un an demprisonnement avec sursis, 500 000 F damende, à la fermeture de létablissement, à la confiscation du matériel utilisé, à la publication par extrait du jugement, à la diffusion par extrait de celui-ci sur la chaîne de télévision M6 et à des réparations civiles. Appel a été successivement relevé par Pascal D. le 2 juillet 1999, par le procureur de la République le 2 juillet 1999 et par lAPP le 13 juillet 1999.
Sur la procédure
Si la mention de ce que la procédure a été diligentée en flagrant délit est effectivement discutable pour la partie de celle-ci antérieure à lintervention des policiers dans les locaux de la Sarl Laser Storage, les policiers nétant intervenus quaprès avoir constaté que deux délits de contrefaçon venaient de se commettre dans les minutes précédentes en interrogeant des clients qui en sortaient. Dès lors, ils étaient fondés à se placer dans le cadre du délit flagrant pour la suite de leur intervention, étant rappelé que les termes qualifiant une enquête nont rien de sacramentels mais quau contraire il convient danalyser concrètement les actes accomplis pour dire sils relèvent de lenquête préliminaire ou de lenquête de flagrance.
En outre, il na été accompli durant la première partie de lenquête et jusquà lintervention, aucun acte qui naurait pu lêtre dans le cadre dune enquête préliminaire ou qui laurait été dans des formes incompatibles avec celles prévues en matière denquête préliminaire.
Dailleurs, au soutien de sa demande dannulation de la procédure prétendument diligentée en flagrant délit au lieu de lavoir été en enquête préliminaire, Pascal D. nindique pas quel grief il en aurait subi.
Dès lors, et par application de larticle 802 du code de procédure pénale, en tout état de cause, aucune nullité ne saurait être prononcée.
Sur laction publique
Il résulte, de lenquête et des débats devant le premier juge et la cour ; que Pascal D., gérant de la Sarl Laser Storage, a exploité à Valence un magasin à lenseigne " Laser Storage ". Dans cet établissement, il pratiquait la reproduction à la demande de sa clientèle de disques numériques dits " CD Rom ", contenant soit des uvres musicales, soit des logiciels. A la suite dune émission de télévision sur M6 de la série " Capital ", intitulée "Les nouveaux pirates", et au cours de laquelle Pascal D. sétait vanté de ses activités en les présentant comme légales, une enquête de police a été diligentée qui a permis de constater, le 16 février 1999, que deux clients avaient fait effectuer la copie de CD musicaux et de programmes de jeux " Playstation " à partir doriginaux prêtés par des amis. Dautres copies, dont les commanditaires nont pas été identifiés, se trouvaient en attente de livraison ou en cours dexécution.
En droit, le délit de contrefaçon par reproduction de luvre sur un support est constitué dès lors que le possesseur du matériel permettant le copiage lutilise pour effectuer une copie duvres musicales ou de programmes logiciels exécutables ou de bases de données numériques dont il nest pas personnellement titulaire du droit dusage ou, sil est titulaire de ce droit, lorsquil ne peut justifier de ce que la copie pratiquée par lui ou par ses préposés correspond à la notion de copie de sauvegarde ou de copie à son usage privé personnel.
Au sens de la loi, lédition est constituée par toute reproduction à but lucratif, fût-ce en un seul exemplaire, pour le compte dun tiers (Cass. Crim. 2 juillet 1807, 28 février 1955), le motif " édition " étant à prendre au sens matériel de fabrication et non au sens commercial de reproduction en nombre en vue de la diffusion dans le public.
En lespèce, il est constant, au vu de la procédure, que les appareils à copier nétaient pas utilisés par les clients apportant les CD à copier, mais par Pascal D. et par ses employés, les copies étant effectuées dans ses locaux par lui ou ses préposés et contre rémunération. Dès lors, cest Pascal D. qui est matériellement et légalement le copiste, et il ne peut être sérieusement soutenu quil se serait limité à mettre à la disposition de ses clients les moyens techniques et humains destinés à leur permettre deffectuer la copie de sauvegarde ou à usage privé permises par la loi.
Les faits reprochés à Pascal D. ont ainsi été exactement retenus et qualifiés par le premier juge.
Il sagit dune entreprise organisée de copiage de supports numériques duvres musicales et intellectuelles et de logiciels et de bases de données protégées, promue à la télévision, faisant lobjet dun concept franchisé à des tiers, et présentant un caractère professionnel avéré.
Même si la Sarl Laser Storage avait, par ailleurs, une activité de conception et dédition de CD pour la communication dentreprise occupant 50 % de son temps et lui apportant 50 % de son chiffre daffaires, et si elle na jamais été condamnée, eu égard au trouble majeur à lordre public économique apporté par les faits, il convient de prononcer des sanctions suffisamment significatives, pour ne pas dire dissuasives, tant envers Pascal D. lui-même quenvers les tiers qui pourraient être tentés dimiter ou de reprendre son " concept ".
En outre, il convient de rappeler que linstauration dune taxe sur les appareils reproducteurs de CD, annoncée mais non encore effective à la date de cet arrêt, comme cest déjà le cas pour les taxes analogues déjà en vigueur sur dautres supports ou appareils reproducteurs, ne constituerait que la rémunération forfaitaire des titulaires de droit pour les copies privées strictement destinées à lusage privé du copiste lui-même et réalisées licitement dans les conditions actuellement prévues par les articles L. 122-5 2° et L. 211-3 2° du code de la propriété intellectuelle. Elle naurait ni pour objet ni pour effet dabroger les dispositions légales réprimant la contrefaçon, qui demeurent en vigueur et permettent de condamner aujourdhui Pascal D. en tant que copiste et reproducteur pour le compte dautrui, et comme éditeur dès lors que cette reproduction a lieu à titre professionnel et contre rémunération à la suite dune offre de service faite au public.
Pour parler en bon français, le maintien de linterdiction de lactivité économique ou bénévole, consistant à copier " à lacte " pour le compte dautrui, fait partie de la stratégie des pouvoirs publics de dissuasion du phénomène de la copie, en raison du risque de trouble économique, social et culturel qui créerait la diminution, voire la disparition de la rémunération des créateurs professionnels et des entreprises qui diffusent leurs uvres par suite de labus des nouvelles technologies de linformation et de la communication. Et cette activité restera interdite par la loi pénale tant que le législateur nen aura pas décidé en modifiant les articles L. 122-5 2° et L. 211-3 2° du code de la propriété intellectuelle, textes qui exigent actuellement que le titulaire du droit dusage attaché à loriginal copié, le copiste réalisant matériellement la copie avec du matériel dont il a la possession juridique et matérielle chez lui et lutilisateur futur soient une seule et même personne physique.
Toutefois, et ainsi que la relevé le ministère public, la peine complémentaire de diffusion de la décision, qui ne figure pas parmi les peines complémentaires applicables à tout délit énumérées à larticle 131-6 du code pénal, ne peut être prononcée, conformément à larticle 131-10 du même code, que si la loi la explicitement prévue pour linfraction en cause. Elle nest pas prévue par la loi en matière de contrefaçon, seule étant prévue la publication.
Le jugement sur laction publique sera donc entièrement confirmé sous cette réserve, et sauf à préciser que la publicité ordonnée par le premier juge sera effectuée en ajoutant, à la suite de la référence du jugement, la mention "Confirmé par arrêt de la cour dappel de Grenoble le 18 janvier 2001".
Sur les actions civiles
La cour na pas trouvé, dans les conclusions des parties civiles, de mention indiquant quelles seraient dirigées contre Pascal D. en sa seule qualité de gérant de la Sarl Laser Storage comme représentant légal de celle-ci, mais seulement la mention quil était gérant de la Sarl Laser Storage, ce qui constitue lénoncé dun fait matériel dailleurs exact.
Sil est exact que les sociétés de perception ne peuvent agir que pour la défense des droits de leurs sociétaires ou des sociétaires des organismes étrangers quelles représentent en France, cette condition est réalisée en fait sagissant des diverses uvres énoncées dans la poursuite, chacune des parties civiles en ayant au moins une figurant à son répertoire.
Le préjudice subi par les sociétés de perception de droits ne résulte pas seulement de la non-perception des droits financiers, mais de la violation directe des droits de tous ordres des auteurs et autres ayants droit, par la réalisation des copies non autorisées, du trouble à leur fonctionnement normal résultant de la nécessité de rechercher la fraude à leur droit et dengager les actions judiciaires nécessaires, et des coûts et autres frais généraux correspondants, qui ne sont pas tous indemnisables au titre de larticle 475-1 du code de procédure pénale. Au surplus, toute infraction pénale génère nécessairement un préjudice indemnisable pour la victime, ne fût-ce que celui davoir dû subir un acte portant une atteinte légitime à ses droits.
La cour na pas trouvé dans les conclusions dappel des parties civiles, tendant toutes à la confirmation du jugement, les prétentions contre lesquelles Pascal D. croit devoir se défendre quant à lévaluation du préjudice et ne peut que mettre en garde Pascal D. contre lusage abusif de la technique du copier-coller entre les deux degrés de juridiction.
La cour ne voit pas à quoi tendent les explications de Pascal D. à lencontre du Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) sur les copies de sauvegarde dès lors quil est condamné comme copiste illicite pour ne pas avoir été personnellement autorisé à utiliser les logiciels de jeux figurant sur les CD copiés par lui et dont les copies nétaient pas strictement destinées à son utilisation personnelle privée.
Les droits de Sony Computer Entertainment France (Sony France) sur le logiciel de jeu "Porsche Challenge" sont justifiés dès lors que, ainsi que cela est écrit sur la pochette du CD contrefait, elle est léditrice de la version française de ce jeu.
Le premier juge a exactement apprécié en tous ces éléments le préjudice directement causé à chacune des parties civiles par les infractions pénales définitivement retenues à la charge de Pascal D..
Il est équitable dallouer, à chacune des parties civiles comparantes et le demandant, la somme figurant au dispositif du présent arrêt par application de larticle 475-1 du code de procédure pénale pour la partie des frais non répétibles exposés en appel.
La décision
La cour, statuant publiquement, par défaut à légard de la partie civile, la Société Nationale de lEdition Phonographique (SNEP), et contradictoirement à légard des autres parties :
. reçoit les appels de Pascal D., du ministère public et de lAgence pour la Protection des Programmes (APP) contre le jugement rendu le 2 juillet 1999 par le tribunal correctionnel de Valence ;
Réformant partiellement le jugement attaqué :
. dit ny avoir lieu de prononcer la peine illégale de diffusion de la décision par moyen audiovisuel ;
. le confirme pour le surplus en toutes ses autres dispositions ;
. dit que la publicité ordonnée par le premier juge sera effectué en ajoutant à la suite de la référence du jugement la mention " Confirmé par arrêt de la cour dappel de Grenoble du 18 janvier 2001 " ;
. constate que le présent arrêt est assujetti au droit fixe résultant de larticle 1018 A du code général des Impôts, à la charge du condamné
. et dit que la contrainte par corps sexercera pour le recouvrement de lamende, conformément aux dispositions des article 749 à 751 du code de procédure pénale ;
. condamne Pascal D. aux dépens de laction civile, sil en est, et à payer à chacune de lAgence pour la Protection des Programmes (APP), la Société pour ladministration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs compositeurs et éditeurs (SDRM), Sony Computer Entertainment France (Sony France), la Société Civile pour lExercice des Droits des Producteurs Phonographiques (SCPP) et le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), la somme de 5 000 F, par application de larticle 475-1 du code de procédure pénale pour la partie des frais non payée par lEtat et exposés en appel,
Le tout par application des articles L. 335-2 à L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle, et 131-10 du code pénal.
Le Tribunal : Mme Robin (conseiller désigné à la fonction de président par ordonnance du premier président en date du 4 septembre 2000), MM. Balmain et Garrabos (conseillers), M. Rancoule (substitut général).
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