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Industrie : Bercy veut limiter la hausse des prix de l'électricité
LE MONDE | 23.02.05 Le gouvernement va prochainement organiser une table ronde entre les producteurs et leurs gros clients. En échange de tarifs fixés à long terme, les industriels pourraient participer au financement du futur réacteur nucléaire EPR. L'expérience est déjà tentée en Finlande.
Dunkerque de notre envoyée spéciale
Depuis plusieurs mois, les industriels qui consomment beaucoup d'électricité se plaignent : l'augmentation du prix de l'énergie, passé en quelques mois de 19 euros à 35 euros le kilowatt, menace leur rentabilité.
Sensibles au sujet, les ministres de l'économie, Hervé Gaymard, et de l'industrie, Patrick Devedjian, ont annoncé, mardi 22 février, leur intention de réunir tous les acteurs de la filière, des producteurs aux consommateurs, pour trouver une ébauche de solution. En déplacement à la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), puis dans l'usine Aluminium Dunkerque du groupe Alcan, ils ont annoncé qu'ils allaient "provoquer dans les semaines qui viennent la tenue d'une table-ronde". Objectif : trouver les moyens de donner plus de visibilité aux entreprises sur le prix de l'électricité en développant des contrats de plus long terme (dix ou quinze ans), ou en associant les industriels au financement des nouvelles capacités de production d'électricité, comme l'EPR, le réacteur nucléaire de nouvelle génération, avec des contreparties en matière de prix. Les ministres ont cité à plusieurs reprises l'exemple de la Finlande, qui a décidé de se doter d'un réacteur EPR, et a associé les groupes papetiers, grands consommateurs d'énergie, à son financement. Date prévue pour faire aboutir ce chantier : "Fin du premier semestre ou début du deuxième", indique le ministre de l'économie.
Présent à Dunkerque, le président d'EDF, Pierre Gadonneix, a rappelé que son entreprise avait déjà "pris l'initiative de faire des contrats à cinq ans l'an dernier, qui ont démarré en août". Il a néanmoins fait remarquer que "cela ne suscite pas que de l'enthousiasme auprès de certaines autorités de régulation". Mais pour lui, "certains clients nous ont dit qu'il fallait aller plus loin. EDF y est prêt".
Des PME aux grands groupes, les dirigeants ne comprennent pas. Pourquoi, alors que le marché a été ouvert à la concurrence, les prix ont-ils monté ? En bonne logique, la concurrence aurait dû jouer à la baisse. S'ils s'expliquent la hausse du prix du gaz ou celle du prix du pétrole, tirés par la demande de la Chine, ils ne voient pas pourquoi le prix de l'électricité s'envole en France, alors que le coût de l'énergie nucléaire ou hydraulique ne dépend pas de l'évolution du cours du baril. Ils trouvent encore moins d'explication à la hausse lorsque leurs usines ont été conçues, dès l'origine, pour être proches des sources de production d'électricité.
MM. Gaymard et Devedjian sont sensibles à leurs récriminations. Surtout le premier. Il connaît très bien ces industriels "électro-intensifs", très implantés dans sa circonscription de Savoie qui abrite le barrage de Tignes et comprend au moins trois implantations de Pechiney. Le second, en fonction depuis près d'un an, a reçu en septembre 2004 une étude du conseil général des mines et de l'inspection des finances indiquant que la hausse du prix de l'électricité pouvait conduire à la délocalisation de 80 000 emplois.
NOUVEAU CONTRAT
M. Devedjian entend aussi les plaintes des professionnels, ainsi que celles des élus. Michel Delebarre, député PS du Nord, maire de Dunkerque et conseiller régional est venu alerter le ministre de l'industrie. Filiale d'Eramet, la société Comilog, productrice de manganèse, installée à Calais, s'est trouvée en difficulté avant de réussir à signer un nouveau contrat avec EDF. L'électricité entre pour 30 % dans le coût de ses produits. En 2003, elle a fermé son usine de Boulogne-sur-mer, provoquant un véritable traumatisme dans cette ville.
Le groupe belge Umicore, producteur de zinc, a, lui, annoncé, lundi 21 février, la fermeture d'une de ses deux lignes de production en France, ce qui risque d'entraîner des suppressions d'emplois dans la région. Le prix de l'électricité n'est toutefois pas le seul incriminé : le groupe cite aussi l'évolution du cours du minerai et l'effondrement de la valeur du dollar.
A Dunkerque, les ministres ont eu une mise en garde des dirigeants d'Alcan, qui a racheté Pechiney en 2003, sur le même sujet. Le groupe canadien a souligné la date d'échéance des contrats d'électricité de ses trois usines de production d'aluminium en France : 2017 pour celle de Dunkerque, 2012 pour Saint-Jean-de-Maurienne, et mars 2006, à Lannemezan (Hautes-Pyrénées). Les dirigeants d'Alcan - qui ont déjà investi dans les Emirats arabes unis pour être près des producteurs de gaz - estiment qu'à l'échéance de leurs contrats actuels, le coût de l'électricité pourrait doubler.
Etant producteur d'électricité au Canada, son pays d'origine, Alcan se dit intéressé par la possibilité de participer au financement de l'EPR. Ce n'est, en revanche, pas le cas d'Arcelor, plus prudent sur le sujet. En revanche, le groupe a, dans ses cartons, un projet de centrale à cycle combiné (DK6), qui lui permettra de recycler du gaz sidérurgique, et qui est mis au point avec Gaz de France.
"UN BIEN RARE"
Face à ces critiques, les responsables d'EDF soulignent que le prix de l'électricité est 25 % plus cher en Allemagne qu'en France et 50 % plus cher en Italie. Ils rappellent que, souvent, l'énergie n'est pas la seule cause des difficultés ou d'arbitrages des industriels. Surtout, M. Gadonneix ne manque pas de rappeler qu'"en 2003-2004, le monde a pris conscience que l'énergie était un bien rare et qu'il fallait reconstituer les capacités de production d'électricité." "Aujourd'hui tout le monde est convaincu qu'il faut investir" et que les prix de l'électricité doivent intégrer le financement des investissements nécessaires pour renouveler et élargir le parc.
EDF vient de décider de reprendre ces investissements, en lançant l'EPR avec la bénédiction de l'Etat. Les industriels lui rétorquent que le parc d'EDF pourrait produire davantage. Le débat est loin d'être clos.
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