Tous ceux qui ont déjà eu des cours de physique quantique (et bien d'autres encore) le savent : la physique quantique, c'est le hasard, le vrai. Le seul, paraitrait-il, même.
Einstein avait tort : Dieu (pour les athées, remplacez Dieu par Univers) joue aux dés, tout le temps, partout, pourvu que l'on fasse une mesure. Enfin ça, c'est Niels Bohr et son collègue Heisenberg qui le disent. Niels Bohr et puis aussi, il faut bien le dire, les faits : C'est le problème de la mesure.
Selon les lois de la physique quantique, un système est décrit par sa fonction d'onde. Cette fonction d'onde évolue selon l'équation de Schrödinger, pourvu que le système soit isolé. Dans ces conditions, les valeurs que prennent certaines caractéristiques de la fonction d'onde appelées observables, peuvent être multiple. L'exemple le plus couramment cité est le spin. Une particule qui évolue peut voir sa fonction d'onde être la superposition de la fonction d'onde correspondant au spin -1 et celle correspondant au spin +1. Mais lorsqu'elle intéragit avec un autre système, tout se passe comme si elle n'avait qu'une seule de ces deux valeurs. Une fois sur deux, le résultat correspond à ce qui se serait produit si elle était de spin +1, et une fois sur deux tout se passe comme si elle avait un spin de -1. Aucune théorie ne permet aujourd'hui de prévoir à l'avance ce qui se passe dans cette situation. En outre, on sait que l'on a raison lorsqu'on affirme que la particule est dans les deux états à la fois avant l'interaction, car on observe des interférences entre ces deux états (c'est l'expérience des fentes d'Young).
Les défenseurs de l'interprétation de Copenhague affirment que ce n'est pas un problème : la physique est là pour décrire le monde, pas pour l'expliquer ou pour lui donner un sens. Les choses paraissent aléatoire, quoi qu'on fasse ? Eh bien, admettons qu'elles le sont.
Mais en 1957, Everett a émis une hypothèse que beaucoup estiment trés farfelue (allez savoir pourquoi...) :
Et si l'Univers tout entier, depuis sa création (ou pas), était une grande fonction d'onde régie par la seule équation de Schrödinger ?
La conséquence de cela, c'est qu'on se retrouverait dans une situation où, dans le cas de nos fentes d'Young par exemple, le photon passe par les deux fentes, comme il se doit, et impacte sur l'écran tous les points où il se situe à ce moment. Un peu au milieu, un peu moins au dessus, un peu plus encore au dessus, etc. Et le monde continue d'évoluer à partir de là. M. Young, qui observe scrupuleusement l'écran, voit une tache au milieu, un peu moins une tache au dessus, un peu plus une tache encore au dessus. Est-ce que cela veut dire qu'il voit un dégradé de taches ? Sûrement pas, il n'y a qu'un seul photon ! Il n'en voit qu'une mais lui-même est devenu la superposition de plusieurs états quantiques, en des proportions égales aux proportions correspondant à chacun des évènements.
Cela signifie-t-il qu'il y a maintenant plusieurs M. Young ? Non. Cela signifie que, en supposant qu'avant, il y avait un M. Young, il y a maintenant un demi M. Young qui voit une tache en haut, et un demi M. Young qui voit une tache au milieu.
Ça fait mal ? Non, pourquoi est-ce que cela ferait mal ?
Est-ce que l'une des moitiés de M. Young peut rencontrer l'autre ? En théorie, oui, ils devraient pouvoir interférer ensemble. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles peu de gens ont cru à cette interprétation jusqu'à il y a une vingtaine d'années. Dans la pratique, ils ne peuvent pas interférer, à cause du phénomène de décohérence. L'environnement, qui intéragit lui aussi avec le photon initial et avec M. Young, agit comme un agent de police scrutant le monde et vérifiant que chacun reste à sa place, il avertit l'Univers tout entier que le photon est en haut ou en bas, et à aucun moment M. Young ne peut interagir significativement avec son homologue, qui fait désormais partie d'un monde trop différent du sien.
Pourquoi, finalement, considérer que l'interprétation des mondes multiples est plus valable que l'interprétation de Copenhague ? Tout simplement parceque l'interprétation des mondes multiples permet de décrire tout ce que l'on vit (ce que doit faire toute théorie physique), en postulant uniquement un état initial et l'équation de Schrödinger. Alors que l'interprétation de Copenhague signifie ajouter un certain nombre de choses à chaque mesure, rendant compte de l'existence d'un monde et d'un seul. C'est donc bien le rasoir d'Ockham qui permet de choisir l'interprétation multi-monde plutot que l'interprétation de Copenhague, il faut souligner à ce propos que le rasoir d'Ockham est un critère de simplicité et non, comme le font les défenseurs de l'interprétation de Copenhague, un critère de taille. On a accepté, depuis que l'on a abandonné le sollipsisme, que l'Univers était plus grand que ce qu'on pouvait en voir au cours d'une vie. Ce n'est rien d'autre que dit l'interprétation d'Everett, au bénéfice d'un modèle d'une simplicité inégalée à ce jour.
(remarque : concernant le sondage, il est là pour la forme, en réalité je ne connais pas sérieusement d'autres interprétations que les deux que j'ai essayé de présenter ici.)
Pour ceux qui souhaitent approfondir, j'ai le regret de dire que le premier stade devra être un cours intensif d'anglais (contactez votre université locale, la rentrée c'est bientôt, compter 500 EUR pour une inscription en auditeur libre dans une formation d'anglais).
Une fois ces problèmes administratifs réglés, comme d'habitude, Wikipédia de fond en comble :
Quantum Mechanics.
Interpretation of Quantum Mechanics.
Copenhagen interpretation (un peu court).
Many-Worlds Interpretation.
Pour une vision plus complète et critique des deux interprétations, l'encyclopédie philosophique de l'université de Stanford est trés bon :
Copenhagen Interpretation.
Sur le même site, présentation de la MLWI.
Sinon, trois articles en rapport avec le sujet :
Un article expliquant les tenants et aboutissants de l'interprétation MWI (many worlds interpretation) de la mécanique quantique, clarifiant quelques idées préconçues et répondant à quelques problèmes réels ou virtuels que soulevaient ses opposants. Court, simple, lisible, et même rigolo. A lire absolument :
The interpretation of quantum mechanics : many worlds or many words?
Pour ceux qui veulent encore approfondir le sujet, il y a une revue plus récente qui traite de la décohérence et du problème de la mesure (qui sont les fondements des problèmes d'interprétation de la mécanique quantique), c'est long, c'est en anglais et c'est payant, mais c'est le prix de la connaissance :
Decoherence, the measurement problem, and interpretations of quantum mechanics.
Finalement, une revue trés complète traitant des dernières avancées à propos de la décohérence, datant de 2003 :
Decoherence, einselection, and the quantum origins of classical.