Absolument Fabuleux Et en plus, je suis immortel. |
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L’actualité de la crise : en Europe aussi, les faits sont têtus, par François Leclerc
L’Irlande vient de rejoindre la Grèce dans le camp des pays européens dont il est très probablement devenu inévitable qu’ils fassent défaut sur leur dette obligataire. Le Portugal entre dans la zone des tempêtes après avoir réussi un temps à l’éviter en se faisant tout petit. Le risque monte que d’autres pays comme l’Espagne et l’Italie les rejoignent, ce qui serait pour l’Union européenne – et pas seulement la zone euro – une toute autre affaire.
Cette perspective n’a rien d’alarmiste, si l’on entre dans le détail.
Willem Buiter, chef économiste de Citigroup et observateur pointu de la scène européenne (il est d’origine britannique), considère en effet que l’Irlande n’est pas en mesure de faire face à l’addition de sa dette publique et du renflouement de son système bancaire, en premier lieu l’Anglo Irish Bank (AIB). C’est d’ailleurs ce qui explique que des tractations sont en cours, menées par le gouvernement irlandais, afin de reporter sur les créanciers de la banque une partie de ses pertes grâce à un mécanisme financier en cours d’élaboration dont il n’est pas dit qu’il soit accepté.
Les marchés vont être testés demain mardi, à l’occasion de deux émissions obligataires à quatre et huit ans. Mais, quel que soit le résultat, le véritable test va être ailleurs : l’Etat irlandais n’a en effet pas les moyens d’absorber les pertes d’AIB. Il est en train de se débattre dans l’improvisation et les autorités européennes comme le FMI ne vont pas pouvoir rester longtemps derrière le rideau, comme ils s’efforcent de le faire en faisant comme si de rien n’était.
S’agissant de la Grèce, les commentaires pleuvent et concourent : le pays n’échappera pas à une restructuration de sa dette. C’est Peter Steinbrück, ancien ministre social-démocrate allemand précédemment aux avant-postes de la crise européenne, qui l’affirme dorénavant. Ainsi que, parmi tant d’autres, Marco Annunziata, chef économiste de Unicredit (la mégabanque italienne), qui déclare « de nombreux investisseurs ne sont pas convaincus que la Grèce pourra éviter de faire défaut. Athènes doit réduire ses charges, et beaucoup considèrent que la seule manière d’y parvenir est de restructurer ses emprunts ».
Qu’importe alors que George Papaconstantinou, le ministre grec des finances, puisse déclarer afin de rassurer les investisseurs qu’il est allé solliciter dans le cadre d’une tournée éclair à Londres, Paris et Francfort, que « une restructuration [de la dette publique] n’interviendra pas. Cela aurait de trop lourdes implications pour l’eurozone, si elle devait le faire ». Ou que le FMI, par la bouche de l’un de ses hauts responsables, confirme que « personne ne bénéficierait d’un défaut de la Grèce ». Ce qui est incontestable, mais s’en inquiéter ne permettra pas d’y échapper.
La troika chargé de la surveillance de la Grèce – composée de l’Union européenne, la BCE et le FMI – n’est pas restée inactive, à l’inverse de son attitude vis à vis de l’Irlande : elle a tout simplement décidé de repousser des stress tests des banques grecques, qui devaient intervenir en raison des sourdes inquiétudes qu’elles suscitent, au prétexte d’attendre l’échéance des neuf mois d’application du plan de redressement gouvernemental. En réalité, elle n’a pas voulu qu’ils soient simultanés au road show du ministre des finances, sa tournée de propagande en faveur de la souscription aux prochaines émissions obligataires grecques…
Les stress tests des banques, c’est dorénavant bien connu, ne sont effectués que si leurs résultats sont favorables !
Vient le cas du Portugal, qui s’annonce très difficile. Diario de Noticias, quotidien de référence du pays, publiait en fin de semaine les déclarations de trois anciens ministres des finances, qui unanimement reconnaissaient que le pays allait difficilement pouvoir éviter de faire appel au FMI. A remarquer qu’il n’est même plus question de l’Union européenne ! Antonio de Sousa, lobbyiste en chef des banques, admettait que celles-ci étaient en grande difficulté et ne parvenaient plus à lever des fonds à l’étranger. Une nécessité vu l’étroitesse du marché financier portugais. Enfin, Cavaco Silva, le président portugais, tenait dans la foulée une réunion avec le gouverneur de la banque centrale, tandis que le gouvernement annonçait de nouvelles mesures d’austérité, sous la forme d’un nouveau budget 2011 d’urgence.
Une telle situation n’est pas durable longtemps, quand bien même la BCE continuerait de tenir à bout de bras le système bancaire portugais, alors que le taux des obligations souveraines à dix ans est remonté à 6,3%, un pourcentage qui renoue avec celui des pires moments de la crise européenne.
Les autorités européennes vont-elles continuer longtemps à faire l’autruche et garder la tête dans le sable ? La crise irlandaise devrait sonner comme un signal d’alarme, mais il n’en est rien, la loi du silence et l’attentisme continuent de s’imposer. Elles restent donc étrangement silencieuses, ou accaparées par d’autres polémiques, comme si elles n’avaient pas d’autre issue que d’activer dans l’urgence, quand cela ne pourra plus être évité, un Fonds européen de stabilité financière (EFSF) potentiellement pourvu de 440 milliards d’euros et avant tout destiné dans sa conception à rester dissuasif.
Un plan qui suppose d’emprunter sur les marchés, les sollicitant avec des conséquences imprévues, pour prêter aux Etats en difficulté à des taux élevés pour les inciter à l’effort budgétaire. Alors que ce fonds vient de bénéficier de la note AAA, attribuée par Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, augurant de taux dans la fourchette basse s’il devait emprunter. Une note maximale qui pourrait cependant être revue à la baisse, a-t-il été précisé, si celle de l’un des principaux pays garants était baissée.
Simon Johnson, ancien chef économiste du FMI dorénavant plus connu pour sa critique acérée des mégabanques et de l’oligarchie, vient une fois de plus de mettre les pieds dans le plat. Il propose aux européens d’émettre des Brady bonds (des obligations du nom de leur initiateur), en référence au mécanisme qui avait été mis en place en 1989 afin de sortir l’Amérique latine de la crise financière dans laquelle elle était alors plongée depuis le début des années 80. Pour faire bonne mesure, il a proposé de les appeler « Trichet bonds », celui-ci appréciera….
Sans entrer dans les détails, des pays en situation de défaut ont pu, selon ce mécanisme, émettre des obligations bénéficiant de garanties extérieures. A ce propos, un montage financier complexe associait des T-bonds US et des fonds provenant du FMI et de la Banque Mondiale, afin d’appuyer les nouvelles obligations sur des collatéraux présentant bien. Les intérêts des obligations émises étaient eux-mêmes garantis par le Fed de New York ! Les Brady bonds ont à l’époque permis aux banques d’échanger leurs créances sur les pays en difficulté avec ces obligations négociables sur le marché, afin d’évacuer de leurs bilans les dettes souveraines soumises à dévalorisation. Le parallèle avec la situation actuelle est évident.
Si les Européens devaient s’inspirer de ce précédent, toute la question serait celle des garanties qui devraient être offertes à l’appui du dispositif. On a vu, à l’occasion de la laborieuse mise au point de l’EFSF, que le principe même d’une mutualisation de celles-ci était inacceptable notamment par l’Allemagne. Et l’on voit mal la BCE, en raison de son statut, participer à un tel montage pour elle acrobatique. Les Brady bonds étaient nettement mieux dotés.
Un plan de ce type n’est donc pas d’actualité, laissant pendante la crise européenne avant qu’elle ne rebondisse, d’autant qu’il ne serait rien d’autre qu’une pirouette de plus, ne réglant rien comme d’habitude. On en resterait à émettre de la dette afin d’en financer d’autres…
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Jeudi 26 août 2010 4 26 /08 /2010 15:40
Automne 2010: La course à la ruine généralisée
Ce que nous appelions fordisme boiteux dans l’article du 19 juillet dernier correspondait à la construction – depuis la fin des trente glorieuses- d’un désajustement macroéconomique entre offre globale et demande globale. La mondialisation (étape 2) permet d’échapper au partage classique des gains de productivité. Mais la demande globale se maintient par « artificialisation de la plus value relative » (étape 3), mais aussi par la magie financière au profit des ménages (étape 4) et la magie financière au profit des vieux Etats- providence ( étape 5) . La crise elle-même apparaissant comme le dépassement des limites autorisées par la fuite en avant par la dette et donc la dislocation de la magie financière.
Nous disions aussi qu’il n’y aurait pas de rétablissement du paradigme perdu.
Certains souhaitent apparemment aggraver les choses, et soutiennent que la crise n’est pas mondiale et se borne pour l’essentiel aux vieux pays victimes d’un défaut de productivité devenu abyssal. Point de vue jusqu’ici majoritaire, d’où les purges qu’il faudrait infliger, et que l’on inflige, par exemple aux pays du « club med ». Comme le rappelle fort justement Paul Fabra, la mondialisation est plus que le libre échange, et les « moins bons » ne disposent pas « d’avantages comparatifs » qui faisaient que dans le célèbre exemple du vieux Ricardo, l’Angleterre ne disparaissait pas malgré la surproductivité absolue du Portugal. Aujourd’hui, la mondialisation, est en théorie, un déménagement autrement radical, puisque tout ou presque, peut être produit à meilleur compte en Asie. Le défaut de productivité n’est pas seulement abyssal : il est irrattrapable. D’où notre proposition -dans notre article du 16 juillet- d’un accord international sur l’obligation réglementaire d’un équilibre des comptes extérieurs de chaque pays. Les entrepreneurs politiques au pouvoir dans la plupart des pays, parce que nourris à la théorie néoclassique dominante, pensent qu’il y a va de leur intérêt de continuer à agir comme avant le séisme de la crise.
D’autres, apparemment moins écoutés par les entrepreneurs politiques présents, pensent que le conflit de répartition de la valeur ajoutée doit connaitre une modification des rapports de forces. S’il y a eu développement de la magie financière, ce que nous appelions la « gigantesque finance » dans notre article du 6 mars dernier, c’est précisément en raison de la chute - en longue période- de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute. Point de vue repris dans nombre de travaux économétriques et parfois- mais très rarement- contestés s’agissant de la France (Denis Clerc). Approximativement, cette thèse repose sur le mythe du paradigme des 30 glorieuses qui par la redistribution des gains de productivité permettait un partage satisfaisant des PIB. Il s’agit donc d’une pensée issue de la famille keynésienne, pensée qui depuis quelques mois, se structure chez des auteurs anglo-saxons comme Krugman ou français comme Artus.
Il est tout d’abord exact de constater que le conflit traditionnel de répartition de la valeur ajoutée brute continue de fonctionner au désavantage des salariés. Le tableau suivant mérite attention :
Variation prévue de la productivité Variation prévue de la part des salaires
Entre 2008 et 2010 (en%) entre 2008 et 2010 (en%)
Irlande 8,8 -1,6
Espagne 5,5 -0,7
USA 4,6 -2,2
France 1 -0,4
Zone euro -0,2 0,9
Japon -0,6 -0,3
Italie -0,9 0,7
Grèce -1,9 1,2
RU -2 0,6
Allemagne -3,4 1,4
Sources : Commission européenne et calculs Alternatives économiques Il révèle, en premier lieu, une corrélation entre l’importance des gains de productivité et la chute de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute. C’est particulièrement vrai pour le cas des USA. Cela signifie que la première économie mondiale (14204 milliard de dollars pour 2008 contre 13565 pour la zone euro et 4909 pour le Japon) souffre d’un déficit de demande interne qui ne justifie pas un investissement élevé malgré l’accroissement des profits. Les ménages titulaires de salaires, voient leurs revenus décroître, et se mettent à épargner 6% de ces mêmes revenus en 2010 contre 1% en 2007. Autant dire qu’il ne peut être mis fin à l’abyssal déficit fédéral (plus de mille milliards de dollars) sans effondrement de l’économie américaine.
En second lieu si la zone euro est en meilleure position sur le plan de la demande globale, elle souffre d’une extrême hétérogénéité. L’Irlande et l’Espagne sont dans une situation désespérée, et là aussi , une baisse en valeur absolue des déficits publics risque de se matérialiser par une hausse des valeurs relatives, le dénominateur (PIB) baissant plus rapidement que le numérateur (déficit absolu).La position de Standard § Poor’s qui vient de dégrader la note de l’Irlande est probablement justifiée. Les chiffres concernant la Grèce, ne révèlent pas encore l’importance des mesures prises au printemps dernier, mais rejoindront bientôt ceux des deux pays sus visés : la chute brutale du niveau de l’emploi se traduira par une augmentation rapide de la productivité et une baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée brute.
De fait, si la zone euro est en meilleure position en termes de demande globale, c’est- fort peu- en raison de la position de la France et presqu’uniquement en raison de la position de l’Allemagne. Si dans ce dernier pays la productivité a beaucoup baissé, c’est en raison des mesures prises concernant le chômage partiel. De fait la croissance allemande nouvelle (jusqu’à plus de 3% de croissance prévue pour 2010) va se traduire par l’augmentation de la productivité sans qu’il soit possible de dire quoi que ce soit sur l’évolution future de la part des salaires.
Nous n’avions pas à notre disposition les chiffres concernant la Chine. Toutefois l’effet de l’énorme plan de relance a logiquement abouti - en maintenant artificiellement une très forte croissance - à une chute de la part de la consommation dans le PIB, laquelle n’a -avec seulement 32% du PIB- jamais été aussi faible. La Chine est donc aussi dans une position de faiblesse de la demande globale, avec une consommation trop faible mal compensée par des investissements pharaoniques dans le secteur public ou immobilier ( 62 millions de logements neufs seraient aujourd’hui inoccupés).
Au niveau mondial maintenant, selon Natixis, la productivité par tête progresserait de 3% en 2010, tandis que le salaire réel ne progresserait que de 1,5%.
Au total, les partisans d’une répartition de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés semblent voir, dans l’inversion d’une tendance lourde d’augmentation de la part des profits, la solution à la crise, et la possibilité de voir le secteur privé, prendre le relai des relances publiques aujourd’hui à bout de souffle.
Les lecteurs de ce blog savent que les deux points de vue exposés mènent également à l’impasse.
Les partisans de la « logique sacrificielle » ( Stiglitz) ne font qu’accélérer la catastrophe annoncée : la Grèce risque de mourir sur l’autel du « dieu productivité » lequel exige des sacrifices toujours plus élevés et jamais libérateurs.
Les partisans de la nouvelle répartition devraient comprendre que la mondialisation, telle que conçue jusqu’à maintenant, est une barrière à toute élévation de la demande globale. Dans les années 30, la barrière à l’élévation de la demande autorisant les débouchés à l’énorme production de masse d’un fordisme naissant, était l’absence d’entrepreneurs politiques, qui ne voyaient pas encore la gigantesque rente qu’ils pouvaient percevoir en faisant naître l’Etat- providence. Ce que Ford avait conçu par tâtonnements successifs : production de masse associée à des salaires élevés- le fameux « five dollars/day » de 1913- n’était pas généralisable à l’ensemble de l’espace social. La barrière était la concurrence sauvage, empêchant une augmentation des salaires payée par la productivité, et assurant les débouchés de la production de masse. Ce sont les entrepreneurs politiques, qui ont vendu sur les marchés politiques, la régulation globale, c'est-à-dire la généralisation du fordisme : législation du travail, protection sociale etc. Pour le plus grand succès du paradigme fordien, et ce pendant plusieurs dizaines d’années dans beaucoup de pays. Aujourd’hui,c’est d’une nouvelle généralisation dont le monde a besoin. La forme nouvelle de la concurrence sauvage, est ce qu’on appelle la mondialisation dont on pense à tort, qu’elle est l’aboutissement naturel du libre échange. Elle est au contraire ruineuse en ce qu’elle disloque les sociétés et contrarie des droits fondamentaux (cf. notre article du 5 juillet dernier). Les entrepreneurs politiques des pays dits émergents l’ont parfaitement compris. Les BRIC ne sont pas des entités solubles dans le marché mondial. Ce sont simplement des Etats en développement. Etats reprenant, de façon au moins temporaire, tout ou partie des recettes qui firent le succès de l’occident.
La nouvelle généralisation, est pour le moment utopique en ce qu’elle bouleverse l’ordre des marchés politiques à l’échelle de la planète. C’est la raison pour laquelle, le paradigme qui sera plus probablement mis en place, passera par la négociation planétaire de la sortie de la mondialisation. Comme on le sait, même pour ce qui n’est qu’un « second best », les esprits, comme les intérêts, sont encore très loin d’y voir autre chose qu’une utopie rétrograde. C’est la raison pour laquelle les idées en vogue aujourd’hui – idées que nous venons de rappeler dans le présent texte- additionnent leurs forces pour accélérer la course à la ruine généralisée.
Bonne rentrée à toutes et à tous.
Par Jean Claude Werrebrouck
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Message édité par Absolument Fabuleux le 20-09-2010 à 18:30:16
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