A l'intention de sylvva. Voilà donc comment il est possible de penser la relation organique entre la nature et la culture : je reprends ici, légèrement modifié, l'essentiel d'un message déjà posté dans un autre topic.
La question pourrait être : la nature n'est-elle pour l'homme qu'une idée ?
La nature c'est-à-dire cette " masse brute et confuse, ce chaos... " (cf. Ovide, Métamorphoses, I, V), cette réalité sans signification apparente, cette " profusion d'êtres sans origine " (cf. Sartre, la Nausée), l'homme l'éprouve d'abord comme une affliction intolérable, une sorte de crime perpétré contre la dignité morale de sa raison. Soucieux donc de dévoiler de l'intention partout, au-delà comme en deçà de la conscience, le voici qui mobilise toute sa force conceptuelle pour parvenir à l'intelligence des choses (l'ordre des raisons c'est-à-dire la méthode ne serait que la re-présentation, en nous, de l'ordre immanent qui gouverne toute chose, en dehors de nous).
Or, dans cette interrogation de l'homme sur la totalité du réel, notre mode d'appréhension des choses, c'est-à-dire la conscience, est mise en cause. En effet, elle s'offre à la fois comme signe tangible de notre appartenance au monde et aptitude symbolique à distancier ce dernier pour s'en abstraire. Le fait de la conscience est de s'affirmer par-delà toute présence sensible (trop) immédiate, bref d'imposer sa culture. On peut alors penser que la puissance ordonnatrice du réel, cet entendement divin partout à l’œuvre, ne serait que la manière qu'a la conscience de s'imposer un " dire " qui fait écran sur le chaos, sur l'absolu désordre, impensé et impensable, qui fait tant scandale à la raison.
Notre problème est donc de savoir si la philosophie de la nature, qui veut rendre compte (conte ?) du réel, qui a la volonté d'explorer, de récupérer puis d'intérioriser quelques bribes de cette nature qui est le non-moi par excellence, peut effectivement atteindre quelque chose de réel en dehors d'elle ? Quel rapport y a-t-il entre la Nature où je vis et qui me contient, et ce sensible que je vois, que je touche mais que je ne connais que parce que ma conscience l'enveloppe ? D'un côté, la Nature " existe " partout sans nous, mais de l'autre elle n'est (et ne naît) qu'en qualité d'objet fantasmatique (produit par notre entendement) ; comme une sorte de possible narratif émanant de notre personne métaphysique ou de notre intelligence métaphorique. Ce langage de la nature n'est-il pas autre chose qu'une illusion fondamentale qu'élabore le discours humain pour résister à l'entropie du monde ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'homme est l'être qui refuse d'être ce qu'il est en tant que donné naturel. Toutes ses conduites, des plus naïves aux plus sophistiquées, vont donc plus ou moins s'ingénier à susciter un processus de dépassement de la nature ; Ainsi s'accomplit ce que Hegel définit comme " le travail de la négativité ", cette Aufhebung dont l'énergie dialectique, intrinsèquement liée au pouvoir du langage, supprime le réel tout en le conservant (en allemand : " aufheben " ). La nature correspond donc à une interprétation religieuse (du latin " religere " : qui recueille et qui relie) du monde : elle est la promotion d'une réalité seconde, idéelle, et par-là presque indicible, une sorte de quintessence du sensible (à la fois immédiate et insaisissable, parce que toujours déjà là) ; Bref, la nature est une force autonome... dont les caractères sont faits pour décevoir l'analyse philosophique. Que nous soyons philosophes avertis ou simples curieux des choses de la vie, nous voulons tous, en effet, " surprendre des existences en train de naître " (CF. Sartre, La nausée). Or, la nature est une Force toujours silencieuse, invisible et impensable (irreprésentable) dans son accomplissement. Un peu comme l'herbe qui pousse... ou la barbe ! Bref, la nature s'offre, évidente et claire, au ciel de nos idées. Mais, vivant paradoxe du réel, tantôt c'est un fabuleux trompe-l'oeil esthétique, tantôt c'est une matière et une forme à doutes, incompréhensible et inexplicable, dont l'insolite existence s'affirme poétiquement, en pulvérisant l'être-là de toute chose. Face à cette mise en perspective surréaliste du réel, la conscience philosophique se doit de ne pas " perdre la raison ", mais bien d'aimer tout ce que la raison nous fait perdre ; Elle doit partir en quête de cette " authenticité primitive ", cette sauvage vision qui seule nous fait atteindre la région originale-originaire de la réalité. Ainsi, L'art ou la simple contemplation curieuse des choses, nous révèle le statut éminemment ontologique de la " nature " ou " la même chose se donne à penser et à être " (cf. Parménide). En effet, le philosophe, comme l'artiste ou le savant, le poète ou le promeneur prouvent-ils l'absolue disponibilité de l'homme qui peut, de temps à autre, s'abstraire de toute détermination objective, et par là affirme sa liberté. Leur activité esthétique, critique ou contemplative, dévoile le Corps même de la nature ; Autrement dit, ce sont des expériences métaphysiques fondamentales, où se révèlent le Même et l'Autre du sujet. Grâce à cette nature-miroir qui, l'espace d'un instant, efface le clivage pathétique de l'existence humaine (libre) et de l'Etre (nécessaire), l'homme devient ce qu'il est : pouvoir producteur de la nature. Car, en tant que " principe considéré comme produisant le développement d'un être " (cf. A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, art. " Nature ", d'après Aristote), la nature est un au-delà du réel. En quelque sorte, c'est un entre-deux magique : à égale distance des hasards de la matière et des artifices de l'activité humaine. En effet, ce qui se fait " par nature " se fait a priori sans l'homme. Loi divine (véritable " ombre de Dieu ", selon Nietzsche) la Nature est, bien plus qu'elle n'existe, puisque exister, c'est être pris avec d'autres choses dans le tissu de l'expérience. Or, la nature transcendant toute position, toute interprétation ou les surdéterminant toutes (ce qui revient à ne jamais s'y résoudre), elle provoque et attise le perpétuel défi de la connaissance humaine au monde. Seule une sorte d'autodépassement de l'homme vers son contraire, vers sa propre négation qui le définit tout autant que la meilleure position (à l'instar du philosophe-poète ou de l'homme de science-homme de foi) lui permet d'entrer en symbiose avec elle, bref de la " connaître ". On voit par-là combien la notion de nature, en philosophie plus qu'en toute autre matière, est inséparable de la croyance en un homme qui, bien que situé dans le monde, n'est pas du monde. Condition sine qua non qui fait (c'est là tout l'héritage Biblique et de bien d'autres textes sacrés) que la nature (celle de l'homme comme celle des " choses " ) est ordonnée à la grâce. Grâce sanctifiante, qui anime la création entière témoigne de la présence de Dieu (ou de l'Etre) dans l'âme, au-delà du sensible et du rationnel. De là vient cette urgence de la Foi (Descartes, Kant, Rousseau) ou de la Contingence pure (Lucrèce, Nietzsche, Marx) : expressions, voire revendications, toutes aussi exigeantes, d'un manque à être, d'une sainte législation de la vie (puisque nier Dieu n'équivaut certes pas à en expulser l'idée, cf. Nietzsche). Ensemble de forces (la physis) ou principe primordial (le Cosmos, le Logos) ; efflorescence anarchique de la vie dans tous ses états ou action et conduite réfléchies de l'homme ; dynamique productrice des " choses " ou faculté d'infléchissement du réel, la Nature est un événement éternitaire. En elle, pour une fois, l'acte de la pensée et son objet se confondent : Je m'explique de par le monde. L'homme étant un mystère, à l'image de Dieu, la nature représente d'abord, pour lui, un essai de résolution de la question anthropologique. Elle lui permet de voir un peu plus clair dans son âme ; parce qu'elle est une sorte d'intercesseur métaphorique entre Dieu et ses désirs, bref un lien providentiel où se joue l'âme des êtres et la mesure de leur existence. Ainsi, grâce à la nature, " ce qui est visible ouvre nos regards sur l'invisible " (Anaxagore). Et le monde est " un livre immense, écrit de la main de Dieu, où chaque être est un mot plein de sens ". (Hugues de Saint-Victor, XIIe siècle). Dans cette perspective proprement ontologique, l'homme incarne le prêtre de la création, chargé de décrypter, déchiffrer l'algèbre du réel. Telle est la dignité de l'esprit humain chargé, selon l'expression consacrée par Descartes, de nous rendre " comme maître et possesseur de la nature " (cf. Discours de la méthode, VIe partie). " Nature " est donc bien ce " paradigme perdu ", horizon sans rivage de notre quête, spirituelle ou intellectuelle. Quant à l'idée de Dieu qui sans doute la sous-tend ou celle de l'Inconditionné, elle s'impose comme la limite de toute expérience. Malebranche nous l'affirme, qui dit que " les raisons du monde se trouvent cachées dans quel qu’être en dehors du monde (" aliquis extra mundanus " ) ". Pourtant, si l'idée de nature apparaît indéniable et inévitable, c'est qu' " on se représente d'abord comme indéniable la nature humaine, c'est-à-dire la faculté d'agir sur la nature ". En tout cas, elle n'est pas que cette étrange personne, étrangère à tout, et inaccessible ; elle se révèle aussi proche de nous, et même inscrite en nous de manière paradoxale : par tous les " artifices naturels " qu'elle déploie pour que l'on arrive à ses fins (cf. " l'insociable sociabilité " de Kant). Bref, cette " entéléchie " (état de perfection, parfait accomplissement de l'être), comme dirait Aristote, est aussi " chose " humaine : humaine nature et nature humaine tout uniment, dans son élan et ses métamorphoses. Dès lors, se pose à nous cette question vitale : que signifie au juste cette rhapsodie ontologique-existentielle qui nous anime ?
L'homme, à l'instar du chêne de la fable, est citoyen de deux mondes : issu du monde matériel, il touche au monde spirituel. Il est donc un être " composé ", qui cependant forme un tout. Cette situation articule tout le drame de la nature humaine. Elle est aussi l'élément moteur et primordial de sa quête du sens : ce démon (cf. le " daïmôn " des anciens Grecs) de la connaissance qui fait qu'il trouve de l'intention partout, que ce soit au nom de Dieu ou du hasard (cf. Le problème du finalisme). " Tout était ensemble, mais vint l'entendement qui mit tout en ordre. " Cette sentence, attribuée au penseur présocratique Anaxagore, souligne d'emblée certains caractères essentiels de la nature d'un être " condamné au sens " : d'une part, le lien intime qui l'unit à la conscience, unité sans contenu (forme vide) susceptible de recevoir n'importe quel contenu ; d'autre part, le souci majeur d'ordonnance des choses et d'organisation de soi, qui en est comme le corollaire. Ainsi, nous pensons lois parce que nous pensons, et " l'entendement est par lui-même une législation de la nature " (cf. Kant). Face à l'état de non-sens, au manque de cohérence et de cohésion du réel, contre le sentiment de violence absurde qui en émane, ma conscience se révolte et exulte ma liberté : penser est un cri lancé contre l'absurde de notre condition. Étant, à la différence de Dieu, une " personne " inachevée, par cet univers de fictions verbales qui habite ma pensée, je règle logiquement (selon le Logos, parole et mesure) mon appartenance au monde ; en somme, c'est grâce à " mon discours qui dit le double aspect des choses " (Empédocle) que je construis mon défi au réel, en une sorte de recul " néantisant ". Le concept émerge, comme suspension (" Epochê " ) métaphorique d'un " tas de choses ". Furieux paradoxe que cette magie du verbe : là où je pense, je ne suis pas ! Bref, la conscience, c'est l'art de poser sa différence en regard de la nature ou d'émettre au monde ses objections. L'homme est donc le seul être libéré de la nature et la culture est son mode d'être au monde. Elle constitue " un autre soleil ", nous dit Héraclite. Dans son effort culturel constant, fragile, souvent chaotique, l'homme creuse sa différence radicale, comme la reconnaissance d'une transcendance... Ainsi, Merleau-Ponty pourra écrire : " Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourraient servir à définir l'homme. " (cf. Phénoménologie de la Perception). En tout cas, le vrai, le juste, le bien, le beau sont des idées dont nous éprouvons la " valeur " avec force ; quand bien même nous ne parviendrions jamais à les définir. La nature humaine ou " le congé définitif que l'instinct reçoit de l'intelligence " (cf. Bergson, L'Evolution créatrice). Cependant, il est temps - à ce stade de notre réflexion - de nous rappeler certaine leçon que nous adresse amicalement Descartes, dans sa VIe Méditation : le " clair de lune " est un symbole sensible, où la nature parle à l'esprit... par l'intermédiaire du corps. Autrement dit : la conscience est solidaire du corps, l'une étant un principe spirituel d'organisation de l'être, l'autre un principe matériel. La matière et le corps viennent donc se regrouper organiquement, autour du sujet pensant. Car, " par ma nature en particulier, je n'entends autre chose que la complexion ou l'assemblage de toutes choses que Dieu m'a données. Or il n'y a rien que cette nature m'enseigne plus expressément, ni plus sensiblement, sinon que j'ai un corps... " Si, par sa texture et sa complexion générale, l'homme puise toutes ses informations initiales dans le jeu du sensible (il n'y a rien dans l'intelligence qui n'y soit venu d'abord par le canal des sens, dit l'adage grec), ses sensations sont aussitôt prises en compte par la raison, à travers un monde complexe d'interprétations, pour être filtrées, affinées, conceptualisées. Certes, dans l'être humain, il n'y a que de la matière, pourtant, l'homme n'est pas que de la matière : quelque chose, un-je-ne-sais-quoi s'effectue dans les lieux son corps, qui échappe au jeu des causes purement physiques et biologiques. Cela est particulièrement vrai des " choses " du désir et de celles de l'art. En effet, dans le domaine des sentiments comme de la création esthétique, le réel ne se distingue pas de l'imaginaire. Au contraire, ils s'accomplissent et se transforment mutuellement. Ainsi, la conscience (de) soi se révèle dans la nature par l'expérience du désir, alors que la création artistique se fait en quelque sorte l'agent de ses représentations sur la scène de l'Etre : " l'imaginaire est ce qui tend à devenir réel ", dit le poète. D'où une fascinante ambiguïté, inhérente à chacune des postures de notre conscience, éthique ou esthétique ; elle nous " ravit " et nous " ravage " dans ces quelques secondes d'enthousiasme ou d' " extase matérielle ", quand le désir créateur " taille en pièces " la réalité, pour mieux s'insurger contre le mystère de l’Etre. Cette uni(duali)té de l'homme se découvre dans l'immédiat au-delà de tout objet. En présence de sa " création ", l'artiste éprouve le sentiment étrange d'une sorte de " révélation " ; l'art représente et exprime cette réalité indéfinissable qu'est l'homme, être plus " aspiré " qu'inspiré. Son désir dépasse tout objet existant, son appel est sans limites puisqu'il les transmue toutes : la connaissance " poïétique " abolit toute césure entre le moi et l'univers. Elle provoque un bonheur fusionnel - grâce à quoi le " sujet " (étymologiquement, " celui qui est soumis à " ), s'affranchit - qui pénètre et s'incorpore tous les secrets de la nature et du monde. L’œuvre d'art est proprement la mise en valeur de la vérité, essentielle et inaperçue, de l' " étant " ; la mise au jour de son être enfin reconnu et dévoilé : " Magie suggestive contenant à la fois l'objet et le sujet, le monde extérieur à l'artiste et l'artiste lui-même " (cf. Baudelaire). Ainsi va la création ou le désir de ce qui est. Nous voyons à quel point la conscience, le désir, l'art ou l'amour d'autrui révèlent le statut hybride de l'homme dans la nature, autrement dit la dimension proprement " téléologique " de son existence. Aussi la nature, perçue par lui comme " substance infinie ", se trouve-t-elle soumise aux sacro-saints principes de la Raison (" mathésis " du réel) ou aux fantaisies débridées de l'Imagination (" poïêsis " du monde) ; véritable " étymon spirituel " (Etymon : racine, germe symbolique inscrit en nous), elle seule fait qu'en notre for intérieur l'être et la pensée coïncident. En somme, la reconnaissance de la Nature (comme principe) au sein du cosmos physique correspond à un acte de foi dans une Vérité des êtres et des choses qui excède toujours leur présence au monde. D'où la pérennité, par-delà les systèmes et leurs exclusions idéologiques, de cette exigence tant spéculative que philosophique d'une " ontologie naturaliste " : processus intellectuel de dépassement du donné physique immanent à l'être humain. Grâce à quoi se découvre " en creux " le Sens, double reflet de l'imagination et du langage.
Ainsi on n'échappe pas à la " nature ", bien que personne ne puisse sans doute jamais savoir en quoi elle consiste absolument. Présente partout mais visible nulle part, elle s'offre avant tout comme une sorte d'invariant théorique, de concept utopique d'unité de l'homme dans le cosmos. En fait, ce qui apparaît avec elle c'est la volonté d'expliquer le monde, c'est la nécessité intrinsèque pour l'homme de toujours se référer à une " illusion fondamentale " (cf. Kant), comme aux récits de fondation légendaires. Genèse idéale de notre monde, hypothèse cosmogonique destinée à rendre les choses réelles plus intelligibles : avec elle, grâce à elle, je rencontre l'idée de Parfait, qui est en moi (cf. Descartes, 3e Méditation). Lui serais-je donc, en quelque façon, redevable de mon existence ? Métaphore du divin, elle est l'embryon de réponse (avant l'invocation directe à Dieu) au problème lancinant de notre origine. " Chassez le naturel, il revient au galop. " Pour résister à l'entropie du monde, les artistes, les savants, les sages ou les amoureux fervents, tous élaborent ou célèbrent un certain Etat souverain des choses et des êtres, qui se perpétue sans cesse par le jeu libre des associations-interprétations. Car, s'il est vrai que les choses et le monde se modifient perpétuellement, il n'est pas moins vrai que Nature est l'objet pérenne qui ne doit subir aucun changement. Comment, en effet, ce qui existe véritablement pourrait-il changer ? Alors que le changement exprime toujours un défaut d'être, quelque altération qui accable un sujet. Le concept de nature, comme principe exclusif d'explication du monde, est donc une fabuleuse création de l'homme ; innée ou factice, qu'importe puisqu'elle est " un oui triomphant à la vie, au-delà de la mort et du changement, la vraie vie, survie globale par la procréation, par les mystères sacrés de la sexualité " (Nietzsche). Sans Elle (car elle est : femme idéale ou déesse cachée, incarnation de la Vérité), la vie est sans style, rien qu'un mouvement qui court après sa forme sans la trouver. Avec Elle, je n'existe plus nulle part, je suis, enfin ! Voilà pourquoi seul celui qui agit conformément à la nature atteint la perfection, nous précise la Gîta. Le vrai problème étant, comme le souligne Pascal, que " la vraie nature de l'homme étant perdue, tout devient sa nature ". Amère condition ! Pourtant, que représente donc pour l'homme, à la fin, ce fabuleux fantasme d'une nature unique, matrice inconnaissable de toute vie ? D'abord, la Nature va radicalement à l'encontre de ces univers technocratiques qui se montrent uniquement soucieux de pérenniser leurs systématisations hypothétiques et conjoncturelles (et n'aboutissent en fait qu'à ossifier la vie). La nature n'a de toute évidence rien de commun avec les fausses " images pieuses " du monde de la technique ; en tout cas, lorsque cette dernière prétend régenter, au nom des seuls critères de rentabilité économiste, la vie et le destin des hommes. Prenant ses distances avec les objets qui forment notre univers, la nature s'affirme d'emblée comme une Idée-vague, donc invulnérable. Et ce, dans toute l'acceptation du mot. D'un côté, parce qu'elle signifie un cadre référentiel où toute connaissance est appréhension d'un monde plein et foisonnant, mais limité au champ de l'expérience in medias res ; d'un autre côté, parce qu'elle indique aux hommes, par-delà leurs diversités contingentes, un absolu normatif, irradiant foyer où s'inscrit la racine des choses, ce qui fait que les choses sont. Ainsi, " nous sommes conservateurs et architectes de ce monde, continuellement " (cf. Alain, Elément de philosophie). Idée-vague, autrement dit : à la fois indéfinie et inévitable parure de l’Etre, la " nature " déferle sans cesse en nous, autour de nous et recouvre, par la magie de son concept, la mécanique vide de nos existences. Antidote aux puissances trompeuses du moment, elle désigne un au-delà par rapport à toute objectivité, une inassignable Cause (ou nécessite) à la source des phénomènes. Reconnue comme " valeur " (La nature, nous dit Valérie, est " un de ces mots qui est plus de valeur que de sens " ), elle seule permet à l'homme, quels que soient les noms d'emprunt dont on l'affuble, de résoudre le drame de sa conscience affrontée au " malentendu " de l'existence ; puisque " la véritable, la grande angoisse, c'est celle-ci : le monde n'a plus de sens " (cf. Nietzsche, La volonté de puissance). Mais, la " nature ", c'est aussi (et de manière presque aussi prégnante) ce que nous appellerons un Concept-gigogne. En effet, elle contient " en abîme " la plupart des thèmes (clés de la métaphysique) : l’Etre, Dieu, la Conscience, la Substance, l'Existence, l'Espace, le Temps, le Vouloir-vivre, toutes perspectives ontologiques ou axiomatiques qu'elle convoque et intègre pour " rendre conte " du réel (cf. Alain : " Il faut donc dire que toute conscience ou pensée est un univers, en qui sont toutes choses et qui ne peut être dans aucune chose). Cette promotion du Suprasensible constitue en quelque sorte l'émanation mythologique de toute philosophie, qu'elle soit d'essence naturaliste ou artificialiste. Elle révèle en outre la nature profondément oraculaire de tout projet philosophique, autrement dit : son inconscient. En fait, la quête obstinée et systématique du Sens est bien l'activité fondamentale du philosophe de la nature. Elle marque sans doute la limite du penser : l'ici, pour advenir et prendre forme, doit s'éclairer d'un ailleurs qui représente le salut proprement métaphysique de notre présence au monde. Parce que " l'homme, comme le dit si bien Pascal, est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature, car il ne peut concevoir ce que c'est que corps et encore moins ce que c'est qu'esprit, et moins qu'aucune chose comme un corps peut être uni avec un esprit. C'est là le comble de ses difficultés, et cependant c'est son propre être ".
Message édité par l'Antichrist le 27-08-2007 à 08:30:27