Les matins se suivent et se ressemblent dans la vie de Zachary Strimoul. C'est la remarque qu'on aurait pu faire sur sa triste et morne vie de top-modèle au QI de courgette. Mais ce matin, les aléas de la vie allaient se révéler à lui et rendre son existence toute autre...
Il était donc quinze heures du matin lorsque Zachary, que nous appellerons Zach pour plus de commodité, était dans sa salle de bains à mettre en forme ses frisottis grâce à quelques bigoudis savamment placés sur son cuir chevelu, blond cela va de soi. A côté de lui, un pot de mayonnaise allégée dans lequel il trempait des morceaux de brocoli cru.
Il reçut un appel, un numéro inconnu. Zach n'aimait pas les appels anonymes. Il décrocha. Il y avait de la musique assourdissante en fond sonore.
- Allooooooo, dit-il.
- ...
- Allo ?
- OUAIS ZACH, C'EST KEVIN. J'SUIS A UNE SUPER-MEGA-TEUF A LA VILLA DE MONSIEUR BORTSCH, IL FAUT QUE TU VIENNES.
- C'est que... Ouais j'arrive !
Et il arriva sur place à seize heure et treize minutes. Je vous vois venir, vous allez me dire "Oh, mon Dieu! Une histoire à la con, digne de Stéphane Bern. On va se faire chier". Mais laissez-moi donc vous conter la suite, qui devient fort intéressante.
La villa était comble, les invités bruyants donnaient plus l'impression d'une invasion de criquets que d'une soirée au siège du PS un 21 avril. La pelouse en était ravagée. On aurait cru qu'un motoculteur atteint d'épilepsie était passé par là.
Zach ne reconnaissait personne. Il rappela le numéro de Kevin. Ce dernier lui dit que lui le voyait et qu'il était actuellement déguisé en flibustier, à lui faire de grands coucous depuis la terrasse. C'est donc pour ça que je reconnaissais personne, conclut Zach.
Il se faufila jusqu'au perron. Il aperçut en haut des marches une jolie brunette déguisée en canard. Avec son sourire Ultra-brite, il lui fit "Coin", elle répondit "Coin coin". La fête commençait bien.
Il entra dans la villa. Une belle porte à double-battant, blanche et vitrée, qui devait bien faire trois mètres cinquante de haut. Mais là n'est pas le sujet... Un cochon gigantesque était face à lui et déclama d'une voix de stentor "Pas de costume, pas de fête. Veuillez voir au vestiaire s'il y en a un qui vous va".
Le vestiaire était sur sa droite. Un homme le toisa du regard, se retourna et lui tendit un déguisement :
- Qu'est-ce donc?, s'enquit-il.
- Un costume de vibromasseur, c'est tout ce qu'il me reste.
Zach réfléchit quelques secondes en faisant un "Huuuuuu" d'effort que certains ornithologues avertis auraient pu interpréter comme le cri d'une bécasse. Le majordome était derrière lui, à guetter un refus de sa part. Il se résolut finalement à l'enfiler.
[Pause explicative : Je viens de recevoir de la part d'un autre lecteur que vous-mêmes un message contenant l'unique phrase "Photos !!!". J'aimerais éclaircir un point si vous le voulez bien. Lorsque j'ai dit, je cite, "Il se résolut finalement à l'enfiler", je parle de Zach s'habillant à l'aide du costume prêté par le maître de céans, pas d'autre chose. Merci d'en tenir compte, ceci est un texte sage et fin.]
A la suite de cette courte pause explicative, Zach, un peu perturbé et ayant déjà oublié ce qu'il était venu faire ici, reprit ses esprits. Il monta les escaliers d'une démarche hâtive. A mi-étage, il reconnut la belle inconnue habillée en canard. De dos, il put constater que ses fesses rebondies étaient particulièrement attractives. Il lui tapota l'épaule et, lorsqu'elle se retourna, il lui dit :
- Re-coin ?
- Je vous y aurais volontiers accompagné mais je n'ai pas mon stérilet. Peut-être une autre fois.
Zach ne comprit pas tout de suite l'allusion. Lorsqu'enfin il émit le « Hoooo » rédempteur, la jeune fille était déjà un bas de l'escalier, à lui lancer un sourire en coin et un regard coquin.
Il se précipita sans s'attarder sur la terrasse. Il aperçut Kevin appuyé sur la ballustrade. Après les bonjours d'usage et principalement décoratifs, Kevin empoigna Zach par l'épaule et l'emmena de l'autre côté de la terrasse, vers un escalier de service qui semblait peu employé ce jour-ci. Ils le descendirent quatre à quatre et arrivèrent dans une pièce aux reflets bleu-cobalt. Ils se trouvaient derrière un aquarium lui-même situé dans le salon du rez-de-chaussée.
Kevin s'assit dans un grand canapé et invita Zach à le rejoindre. Il sortit une papillotte de sa veste de pirate et la tendit à Zach :
- Ooooh, un bonbon, c'est sympa, merci.
- C'est pas un bonbon, Zach, c'est mieux que ça. Avec ça, tu vas subir une putain de métamorphose, fais-moi confiance, tu vas danser toute la nuit !
Zach défit le papier et avala le bonbon. Il n'avait pas de goût. Très vite, il sentit le rythme de son coeur s'accélérer. Des orbes lumineux apparurent devant lui et s'étendirent très vite à l'intégralité de son champ de vision. Son regard se fixa sur le sol alors qu'il tentait de reprendre ses esprits. Il s'écria :
- Oh ! Un troll des tapis !
Zach fit une culbute et s'effondra sur le sol. Alors que ses yeux se fermaient et qu'il perdait tout ancrage dans la réalité, il entendit au loin quelques mots de celui qu'il croyait son ami. Il demandait de l'aide pour l'amener dans le donjon.
Samantha était dans le salon du rez-de-chaussée. Elle n'avait pas idée de ce qui venait de se tramer à quelques mètres d'elle et, quand bien même elle l'aurait su, elle n'en aurait peut-être eu rien à faire. Sauf que...
Sauf que sa tenue de canard n'avait pas de poche et qu'elle avait dû remettre toutes ses affaires à Brandon, le bellâtre qui l'avait accompagné à la soirée. Et ce bellâtre était en possession de sa réserve de cigarettes qui la rendent habituellement joyeuse. Or il s'avérait que ce même Brandon était, comme on lui indiqua rapidement, celui qui avait aidé Kevin à transporter un vibromasseur jusqu'à la cave.
Zach se réveilla, accroché à une roue, jambes écartées, tel une cible de lanceur de couteaux. Des lanières lui enserraient poignets et chevilles. Un spot lumineux l'éblouissait. Une voix s'enquit de son réveil et la lumière fut alors détournée vers le mur. S'ensuivit à peu près ce dialogue :
- Zachary Strimoul, content de te voir réveillé.
- Kevin... Qu'est-ce que je fais là ?
- Tu es un social-traitre, Zachary !
- Non, Kevin, je t'assure, je préfère l'amour soft, ça n'a jamais été ma tasse de thé. Et en plus, nous deux...
- Ta gueule Zach ! J'ai pas parlé de sado-masochisme. Nous sommes là pour te punir.
- Me punir de quoi ? J'ai fait quoi ?
- J'en ai marre de voir tes succès, Zach. Toi, tu as des contrats avec des grandes agences de top-modèles, moi, il ne me reste que les restes, faire les photos truquées pour les pubs qui seront destinées à être données en même temps que L'Equipe. Nous avons toujours été amis, Zach mais, aujourd'hui, je ne peux plus. Et je vais te punir pour tout ce que tu m'as fait.
- Mais que vas-tu me faire, Kevin ? Me frapper dans les schnoles ?
- Les quoi ?
- Je ne sais pas, je voulais dire couilles et ce mot est sorti tout seul, comme s'il m'avait été dicté par une puissance supérieure, puissance qui serait également capable d'intervenir sur notre futur et de...
- Merci Zach, ça suffira. Bon tout ça pour dire que faut pas pousser Mémé dans les orties et que tu vas payer. Brandon, mes instruments. Rions un peu. Brandon ?
Brandon était sorti de la pièce pour rejoindre Samantha à l'entrée. Elle lui demanda ce qu'ils étaient en train de faire, il lui expliqua qu'il n'était pas trop au courant, c'était une sombre histoire de type qui n'avait pas payé ses factures à temps.
Alors que Brandon revenait dans la pièce, Samantha jeta un oeil. Elle n'était pas mannequin et comprit donc immédiatement que ce qui se tramait n'était pas naturel. Elle se glissa discrètement dans la pièce tandis que Kevin se rapprochait de Zach avec tout plein d'outils dont nous tairons les noms ici afin de ne pas inspirer les esprits vicieux qui hantent ce topic.
Kevin n'eut guère le temps d'en faire plus. Il venait de se prendre un coup de tabouret. Brandon recula d'un pas pour ne pas subir le même sort. Zach fut libéré. Il reconnut le costume qu'elle portait et surtout son derrière lorsqu'elle se retourna vers Brandon. Et a priori, ce n'était pas pour lui tresser une couronne de laurier.
Après que Brandon fût remonté en sanglotant vers l'endroit où la fête battait son plein, Samantha aida Zach à se déplacer, il était encore trop faible pour mettre un pied devant l'autre. Elle avait reconnu celui qu'elle avait croisé plus tôt dans la soirée à son costume qu'il avait renfilé pour ne pas prendre froid. Ils revinrent au rez-de-chaussée et avertirent les autres invités de ce qui venait de se tramer sous leurs pieds. Alors que la fièvre gagnait toute la réception, ils s'éclipsèrent.
Ils s'assirent côte à côte au bord du ruisseau qui ondulait dans le fond du jardin. Et c'est d'ailleurs là que nous les laisserons dans l'intimité, parce qu'il est des moments où même une puissance supérieure doit savoir laisser... Enfin bref, sachez juste que ce qui suivit dura plus longtemps et fut encore plus passionnant que ce que j'ai raconté dans cette histoire.