Les matins se suivent et se ressemblent, les week-ends aussi dailleurs. Nous étions dimanche, et comme dhabitude, je me laissais traîner au marché par ma moitié littéralement transportée à lidée de tâter de la courgette, de côtoyer des égorgeurs de cochons, et des hippies fiers cultivateurs de salades moches.
Comme les autres dimanches, javançais vers ce foutoir bruyant avec au moins autant dentrain que si javais dû participer à un tournoi régional du plus gros mangeur de bortsch. Autant de vieux au mètre carré, ça dépassait lentendement, et moi les vieux, ça me rend nerveux, autant vous lavouer, de toute façon vous me trouvez déjà infâme, plus dune fois, jai eu envie de casser du col du fémur. Faut pas pousser mémé dans les orties, mais on peut bien laider à tomber sur le bitume non ?
Je ne sais pas très bien où se situe mon problème en fait, un espèce de vieux compte à régler avec les bigoudis. Plus plausible, une peur de cette métamorphose qui triomphe de chacun de nous, à moins davoir la chance de mourir dune overdose à trente ans, comme toute bonne rock-star.
Dans cet enfer aux allures de carte postale, il y avait aussi Marjo. Il y avait toujours Marjo. Toujours là, derrière sa tonne de cagettes, à truffer ses phrases de schnoles par-ci, schnoles par-là, le tout avec le pire accent québécois que je connaisse, même si jen connais très peu.
Fossilisé dans sa chemise crasseuse, ses yeux bleu cobalt transperçant son visage, ça le faisait rire de parler testicules à ma copine, dautant quelle gardait toujours son air naïf et courtois, celui des bécasses qui sourient alors quelles ne pigent rien.
Marjo, de son vrai prénom Marjobert (détail qui me fait penser quil nétait peut-être pas voulu par ses géniteurs), était la caricature du canadien vu par nous, cons de français
Nempêche, cet homme aussi épais quun tronc, avait beau avoir le comportement dun inoffensif chiot cul de jatte, je ne bronchais jamais quand il matait les fesses de Clotilde. Dune part parce que je doute quil y ai vu une quelconque malpolitesse en fait et dautre part parce les points de sutures et toute les conneries sur lhonneur, ça ne me sied guère.
Je vous vois venir, vous me prenez pour un gros faible qui se laisse mener à la baguette par sa compagne plus bobo écolo hystérique que normalement joyeuse de faire ses courses. Vous pensez aussi certainement que je suis un pauvre type aux yeux hagards et à la face mal rasée qui conchie tout le monde, peut-être même que je déteste les animaux, allez savoir.
He bien bravo, dans le mille, cest tout à fait moi. Dailleurs, plutôt que de maventurer une fois de plus dans ce marasme, jagis dès le départ en social-traitre qui naidera pas sa niaise à porter poireaux et autres choses vertes immondes. Je vais directement mattarder au zinc du premier café, non sans avoir auparavant acheté lEquipe et allumé ma première gitane.
Ah ma gitane ! on peut dire quelle a du caractère, pas comme cette potiche décorative que je côtoie quotidiennement
plutôt péniblement maintenant que jy réfléchis. Jen viens même à douter de lavoir aimé un jour. Non, en fait la question est, est-ce que jai aimé qui que ce soit un jour ?
Faut bien que je voie la vérité en face, je nai pas été programmé pour ça, et finalement je crois que je men fous. Jai pas besoin de ça, je n'ai pas besoin dêtre heureux, tout ça cest la garniture culturelle propagandiste avec laquelle on nous farci tous les jours comme de bons canards morts.
Bon, alors expliquez-moi pourquoi jai soudainement envie de vomir. Quest-ce quelle fout à se laisser bêtement caresser la main par ce sous-cromagnon ? Ho mon dieu ! elle a enfin compris ce que schnoles voulait dire !? ou pas
La fièvre sempare de moi, cest quoi ce regard humide de Lolita quelle lui sert maintenant ? depuis quand je nai plus vu cette expression ? Oui, parce que je les connais ces petits yeux coquins, javais juste oublié, cest tout.
Elle nest pas juste en train de jouer à la cliente gourde, impossible de se tromper, impossible. Combien de fois lavais-je laissé seule faire ses courses, combien de fois de trop ?
Je suis maintenant collé comme un pauvre môme à la vitre du bar, mon café refroidit, et moi jobserve ce qui se passe, là, à même pas quatre mètres devant ma tronche dartiste mal mal-aimé. Je dois avoir lair dun con.
Leurs lèvres bougent, leurs sourires fusent, les mains se heurtent doucement. Mais quest ce quil lui raconte ce pauvre primate ? Jai des tas dimages qui me passent par la tête, je fais ma propre bande-son : « Rions un peu ma coquine, tiens, et si je prenais un de mes plus beaux concombres, que jy ajoutais un peu de mayonnaise et quon samusait comme des fous jusquau petit jour ? », et elle rie. Elle se frotte lascivement la lèvre inférieure derrière ses jolies dents blanches, comme une actrice très spécialisée, vous me suivez ?
Jai envie de lui hurler quelle est plutôt branchée vibromasseur, quelle donne pas de le trip « Oups chérie, jai mis de la terre sur ton stérilet !! », cest une élaborée Clotilde, pas une de ces petites bouseuses qui connaissent à peine les règles fondamentales de lhygiène.
Jimagine leur petite séance de culbute, je vais rendre mes tripes. Ai-je vraiment mérité ça ? Jai juste horreur quon me fasse chier le dimanche matin avec des conneries de pyramides de fruits, est-ce que ça mérite une facture aussi salée ?
Je fais quoi, je fais quoi ? Mais aidez-moi vous, plutôt que de vous repaître de mon malheur ! Vous savez quoi ? je vous emmerde, oui, et jemmerde aussi cette crétine prête à me lacérer le dos dès que je détourne lattention, quelle aille se faire prendre par son poilu, quils fassent ça sur un motoculteur si ça leur chante, sur un tabouret en formica, ou dans son estafette davant-guerre.
Je me souviens vaguement avoir empilé quelques fringues dans un vieux sac, davoir jeté un dernier coup dil à ce qui avait été notre dormoir à Clotilde et à moi, et dêtre parti.
Javais descendu lescalier dun pas hâtif, javais croisé la Mère Michu et ses papillotes sur le crâne, - une vieille bique en moins dans mon paysage - javais pris ma Volvo, et je métais cassé.
Quest-ce que jétais devenu ensuite ? aucun intérêt. Certains pensent certainement que je suis le pire des enfoirés que la terre aie porté. Pas faux.
Dautres mattribuent sûrement les lauriers du type le plus couillu de lannée, et rêvent secrètement de faire pareil avec leur greluche.
Jespère que dautres mimaginent flibustier pourfendeur de canadiens craspecs, par delà les mers, par delà les montagnes, nobéissant quà mon seul courage. Mais soyons réalistes deux secondes, à moins davoir huit ans, qui pourrait bien croire des conneries pareilles, surtout me connaissant.
Je crois surtout que vous comme le reste de mes connaissances prient secrètement pour que ma misérable carcasse aie finie dans un ruisseau, cest tout ce que je mérite, hein !. Bande de chiens. Vous voudriez peut-être des photos !!! Vautours
Vous serez donc au regret dapprendre que je vais bien, que jai complètement oublié cette nunuche à moyens nichons, jespère quelle a vécu laventure du grand nord avec son paysan, et quils ont eu plein de petits marcassins sordides et bruyants. Jai pourtant douté plus dune fois, je me suis dis que javais sûrement mal vu ce jour là, que mon imagination avait joué bien plus que de raison.
Je métais monté un bon vieux troll des tapis pour avoir le courage de quitter cette vie blafarde. Ouais, peut-être bien après tout, et finalement, quoiquil arrive, qui me regrettera ?