"Le vent d’hiver souffle en avril" pensa Victoire.
"T'as pas plus gros? ou plus petit?"
Rien ne semblait combler son envie de mortadelle, elle qui d'habitude s'en délectait.
Victoire hésita en regardant la petite blonde fluette qui savait.
"La prochaine fois, c'est tintin!", en lançant les quelques euros à la simplette.
Une mortadelle est soit suffisament massive pour bien servir, soit exprime sa volonté d'être savourée, petite et gentille comme elle sait l'être. On ne peut vouloir les deux, gourmande va.
 
Rat d'opéra, l'apport quotidien de protéines bon marché avait donné bonne mine à Victoire.
Un énorme muscle aussi.
Sa cuisse gauche pourrait siéger magnifiquement en devanture du meilleur traiteur italien sans que sa mère y contredise, ou participer à un concours avec Sébastien Chazal.
La jambe droite était décharnée, un vieux bout de boit rassit prêt à rompre à la moindre sollicitation.
Elle avait d'ailleurs pris l'habitude de sautiller plutôt que de marcher, plus rapide. Un kangourou unijambiste en jupe en somme.
Pour les hommes, c'était plus difficile.
Mais elle le leur rendait bien. Très bien. Magnifiquement.
 
Les plus dociles avaient pris gout à son membre décharné comme on apprend à apprécier une tige de réglisse quand on a eu de l'eau gouttelée de citron comme seule récompense.
Ils le chevauchaient, le brisaient parfois. Ils le regrettaient toujours alors.
 
De ses longs séjours à l'hôpital, Victoire retenait seulement la poitrine opulente de l'infirmière. Le bouton qui aurait du être fermé s'animait dans ses rêves. Le cheval ruisselant peinait à en prendre la forme.  
Malaxer, caresser, effleurer, pincer, mordre, trancher. Victoire n'arrivait pas à animer le pourtant vibrant émoi qui la traversait.  
L'achat de multiples accessoires vermillons ne mis pas fin à son tourment, malgré la diligence des délicieuses vendeuses qui, coupées en quatre, ne purent que faire de leur mieux, malgré les rideaux de douche.
 
Oh, un trèfle!
"Bouffe pédé" dit Victoire en lui assignant un violent coup de pied dans le fondement et planta la fourche dans son dos courbé.  
Elle recula, contempla le cou disloqué du bougre et se toucha.
Elle aimait l'odeur de la mort.
"J'ai jamais vu la mer mais il paraît qu'une fois qu'on y est, elle est bonne."
Le petit homme bavait un sang poisseux, c'était un fan de tuning ou un roadie. Pour trainer près du lac de palandru, il faut en être.
Pas bon signe ça, pensa Victoire en s'essuyant les mains. Elle se gratta frénétiquement le chicot avant de cracher sur la mare de sang qui commençait à la cerner avant de faire les poches encore sèches du pauvre paysan qui n'en avait pas demandé tant.
3 euro 16 centimes soupira Victoire.
 
Elle avait du mal à boucler les fins de mois, et les protéines coutaient cher mais sa cuisse continuait à enfler, elle sentait qu'elle allait y arriver.  
 
Dans son cabinet, le prince tentait de se persuader que d'être entouré de livres suffisait à s'en imprégner.  
Son jeu d'échec n'avait vu que des défaites, et son ipod ne délivrait que des mélopées classiques dont la raideur et l'académisme n'avaient d'égal que l'interprétation moyenne dont ils furent victime. Les pièces pour flute à bec souffraient particulièrement de l'indigence de leurs interprètes. Son thé au jasmin trônait à côté des nombreux flacons achetés à gros prix.
Il était pourtant certain de faire partie de l'élite, ce magma difforme seulement reconnaissable par les élus. Un peu comme les as du ski: de pâles machines à osciller qui se reconnaissent et se respectent, bêtement.  
Oh comme il se trompait. Un combat d'arrière garde, au mieux.
 
La concierge appela:
"Sire, une visite"
 
Il réajustât sa perruque, contempla l'opale rare enchâssée sur la seule bague qu'il daignait porter  et pressa le pas pour rencontrer ses égaux. L'heure n'était pas à claironner mais la fierté qui l'envahissait le rendait heureux.
Arrivé au bas de l'escalier il contempla l'horreur qui se dessinait devant la porte encore ouverte. Une femme difforme avec une cuisse énorme et un membre décharné. Il n'avait rien vu de tel.
Une fourche était comme suspendue sur son dos, un trèfle était logé contre la pavillon vermillon de son oreille droite. Une sorte d'homme des cavernes en jupe courte, noire.
Elle souriait et semblait jolie pour peu que l'on ne voie que son visage.
 
"Que voulez-vous, sorcière ?"
"Rien sire, juste partager, pas de salamalecs"
"Partager quoi, vieille folle"
"Ta bite, rastasqouère, tu risques de te faire pincer très fort"
Elle pris la fourche et la planta dans le front du prince.
"Aaaaaarg"
"Tchouk-tchouk nougat"
Elle enleva sa ceinture, le déshabilla et s'appliqua à déchiqueter le sexe renfrogné du représentant royal comme un légume trop charnu et désosser son épaule gauche.
Le bruit avait attiré la vielle concierge qui se pétrifia en voyant le spectacle.  
Assez de temps pour Victoire pour pivoter sur son chicot et assainer un violent coup de cuisse à la connasse. L'équivalent d'un violent coup de ballon sur la tempe, imparable.
Elle termina le travail en s'asseyant sur son visage et commença à sentir une excitation qu'elle ne connaissait que trop. Elle n'aimait pas faire le voyage à vide.
 
Elle réfléchit quelques secondes, pesant le poids de son histoire, contemplant cet embranchement dont elle était la créatrice.
Lassée, elle n'avait plus envie de changer, plus envie de chevaucher son dragon. Elle n'était pas une coupeuse de citrons en quatre.
 
Victoire monta vers le bureau du prince et se jeta par la fenêtre.