Le vent d’hiver souffle en avril. Un homme m’a apporté à manger tout à l’heure, une sorte de mélange de nouilles collées écrasées et de viande bouillie. Et une pomme en dessert. J’ai bouffé toute la mixture et j’ai encore faim.  
 
Enfermé dans cette cave comme un rat d’opéra, je me sens redevenir homme des cavernes. Chasser, manger. Qu’on m’apporte un cassoulet, qu’on me donne de la raclette avec de la viande de grison et de la mortadelle. Surtout, que l’on m’apporte une proie. Plus que la nourriture, c’est la chasse qui m’attire. D’ailleurs, je ne l’ai pas mangée. J’ai juste goûté. J’ai mordu dans la chair, là ou elle est si molle, si tendre. J’ai vu couler le sang, et puis les yeux fou de douleur, le cri muet, l’horreur. C’était dégueulasse, finalement. Au goût surtout. J’ai attrapé le rideau de douche et je l’ai étouffée avec.
 
Après, j’ai mis un Gainsbourg sur la chaine, elle écoutait des trucs vraiment sympas. Je l’ai violée deux fois, en écoutant Lola Rastaquouère, histoire de ne pas faire le voyage à vide, ni pour rien.
 
Quand j’ai eu terminé, je l’ai désossée dans son salon. J'ai pas l'habitude de faire ça, j’ai fait ça comme un saligaud, il y en avait partout sur la moquette. Ca pue, le sang chaud. J’avais du matériel mal aiguisé, j’étais obligé de taper trois fois sur les tendons en m’excitant comme un coupeur de citrons pour réussir à séparer les membres. Ca faisait des « Tchouk tchouk », et de temps en temps ma feuille ripait sur le pied métallique de la table de salon, ça faisait « Tchouk tchouk NOUGAT » ! Je sais pas pourquoi ça fait ça « nougat » quand ça ripe sur un pied métallique, mais en tous cas ça m’arrange.
 
A un moment je me suis arrêté. J’avais du raisiné plein la truffe, j’étais vermillon de la tête aux pieds, je me suis dit « bordel tu t’en sortiras jamais. Lâche ta feuille. T’as pas plus gros, ou plus petit ?
 
J’ai regardé ma ceinture, j’avais mon Leatherman. J’ai bien pensé à l’utiliser, et puis je me suis dit « tu risques de te faire pincer très fort ». Ca m’a ramené des années en arrière, quand je n’avais de prédateur que l’état d’esprit, et que déjà, je regardais de façon appuyée les femmes qui montaient et descendaient des rames, en me demandant ce qui m’empêchait de les baiser, là, dans le wagon. Ce n’étaient certes pas les quelques vieilles bonnes femmes d’arrière-garde qui m’en auraient empêché. Elles auraient attendu que je sois descendu tranquillement du wagon pour claironner leur indignation. Vieilles connes, c’est vous que je devrais découper !
 
C’est marrant comment je suis passé de l’état de prédateur passif à celui d’actif. Ca s’est fait connement, hier soir, j’avais pas mal picolé au bar en face de chez moi, je tapais la discute avec des copains en mangeant des cacahuètes à la pisse, et puis une gonzesse est entrée. Une belle rousse, grande, juste vulgaire comme il faut. Elle habitait un peu plus haut dans la rue, je l’avais déjà vue, et surtout regardée. Elle s’est assise toute seule à une table et elle a commandé un Martini Gin. Je l’ai regardée, comme je regardais les autres dans le métro, et le mec qui nous servait l’apéro a dit : « elle a un cul à se faire enfiler toute debout contre le bar ». J’ai trouvé que c’était une bonne idée, sur le coup, mais j’étais bien allumé à la bière et on a continué nos salamalecs sans plus faire gaffe à la souris. De temps en temps, quand même, je jetais un œil à sa peau opaline, et je sentais quelque chose de bizarre en moi.
 
Le type qui avait mis la tournée a crié : « La prochaine fois, c’est Tintin ! », et Tintin il a gueulé parce qu’il avait mis déjà celle d’avant. J’ai dit : « non, ce sera la mienne », en regardant la fille.
 
La télé était allumée, y avait canalsat et on voyait Paris Hilton remuer son cul de riche héritière en montant dans une bagnole qui la conduisait au ballon. Elle chialait comme une madeleine, elle nous jouait un joli numéro de flûte à bec mais pour une fois elle avalait rien à la fin.  
 
- « Ca va la changer du thé au jasmin », qu’il a dit Tintin.
- « Tu sais, elle est plus habituée à aller faire du ski à Dubaï ou sur le lac de Paladru en sniffant de la coke, qu’à boire du Earl-Grey, que j’ai rigolé.
 
Les autres aussi ils ont rigolé. Tas de cons, ils ne savaient même pas que le lac de Paladru est un coin paumé dans lequel une mondaine désoeuvrée comme Paris Hilton n’aurait sûrement jamais foutu les pieds.  
 
Ce matin, je me suis réveillé, tout ça m’est revenu en mémoire, et je me suis dit que j’avais jamais vu la mer, mais qu’il paraissait qu’une fois qu’on y était, elle était bonne, alors je suis allé chez la gonzesse, et c’est elle que j’ai tuée. Quand j’ai eu fini, et après avoir abandonné l’idée d’utiliser le Leatherman, j’en ai eu marre de la découper. Il y avait un bras tout seul qui semblait pointer dans la direction de la fenêtre, il manquait des doigts à la main, parce que j’avais donné un coup de feuille malheureux. Ils avaient volé dans le salon, peut-être derrière la télévision. Je sentais bien que quelque chose d’irréversible venait de se produire. Et puis tout ce merdier, là. Pas envie de finir ce boulot de merde, moi ce qui m’intéressait c’était de la violer et de la tuer. La découper, je trouvais ça très chiant. Alors j’ai laissé les morceaux ou ils étaient, épars, au milieu du salon, j’ai pris les clés de sa bagnole, une espèce de Golf sur laquelle un adepte du tuning automobile avait cru bon de rajouter des paupières de phares et un aileron mal riveté, je suis descendu en ville, et j’ai été voir les flics.
 
Ils m’ont enfermé dans cette cave, et ils sont partis voir. Je vais m’éplucher cette pomme à présent, et puis dormir. Demain sera une dure journée.