sinon interview trés interéssante sur le monde
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La guerre en Irak et l'opinion arabe
LEMONDE.FR | 28.03.03 | 17h10 ? MIS A JOUR LE 31.03.03 | 19h27
L'intégralité du débat en direct avec le cinéaste irakien Saad Salman, du lundi 31 mars.
Matthieu : M. Salman, quelle image choisiriez-vous pour représenter cette guerre ?
Saad Salman : C'est une guerre d'images.
Baghdadi : Bonjour Monsieur. Pensez-vous réellement que les missiles britanniques et américains apporteront la démocratie, au sens noble du terme, au peuple irakien qui vit aujourd'hui une guerre violente et meurtrière ?
Saad Salman : Non.
Les missiles n'apportent jamais la démocratie. La démocratie, c'est une indication, c'est un comportement, c'est un mode de vie... Mais avant d'installer tout ça, il faut se débarrasser d'abord de Saddam et de son système. Et je ne vois pas d'autre possibilité que la force puisque Saddam Hussein ne comprend que ce langage.
Vasho : Que pensez-vous de l'action américaine contre l'Irak ?
Saad Salman : Je souhaitais qu'elle ne soit pas seulement américaine. Je souhaitais voir toutes les forces démocratiques soutenir l'aspiration de la population irakienne pour la paix et la démocratie. Mais si les Américains, Anglais et Australiens ont répondu à cet appel, les autres ont délaissé leurs responsabilités, ils se sont rangés aux côtés du tyran de Bagdad. Je ne suis pour rien à cette défection. Il faut chercher ailleurs pour comprendre cette défection.
Koant : N'est-ce pas une guerre juste (se débarrasser d'un tyran) faite pour de mauvaises raisons (politique intérieure américaine, pétrole, etc.) ?
Saad Salman : Ce n'est pas mon problème. En tant qu'Irakien, et permettez-moi de revendiquer cette identité difficile aujourd'hui, j'ai le droit aussi de me placer dans mon axe pour l'enjeu géopolitique.
Matthieu : Que pensez-vous de la position française ?
Saad Salman : Elle est dégoûtante. Je comprendrais si la position française était moins hypocrite. Mais elle indique clairement l'enjeu stratégique et ce que va perdre la France dans la région. La France défend son intérêt clairement et hautement. A la limite, je peux le comprendre. Mais, cacher l'intérêt de Elf derrière le prétexte de la défense du peuple irakien, ça je ne l'accepte pas. J'aimerais voir les responsables politiques français critiquer les choix stratégiques qui sont de parier sur un dictateur. Aujourd'hui, leur cheval est boiteux. Et je n'y suis pour rien.
Wil : Et l'intérêt de Halliburton, Texaco, etc. ?
Saad Salman : En tant qu'Irakien, je n'en ai rien à faire de savoir que le pétrole irakien est vendu pour telle ou telle société pourvu que cet argent revienne à l'Irak, pas aux usines d'armement.
Poleta33 : Pourquoi y a-t-il autant de complaisance dans le monde arabe envers quelqu'un d'aussi abject que Saddam Hussein ?
Saad Salman : D'abord, il faut savoir que, dans le monde arabe, il n'y a pas d'indicatif sérieux sur l'opinion publique. Les sociétés civiles arabes n'existent pratiquement pas. Aucune institution, aucun moyen d'information, bref, il n'existe pas de société civile. Comment peut-on mesurer l'opinion arabe ? Est-ce par quelques chômeurs qui manifestent après les prières du vendredi pour exprimer leur frustration et leur manque de liberté ? Jusqu'à maintenant, les intellectuels, les démocrates, les opposants, des composantes importantes de sociétés civiles, sont privés de tout moyen de faire entendre leur voix. Et on entend seulement les cloches de l'extrémisme... Je trouve que c'est dommage d'identifier les foules arabes à l'image de criminels comme Saddam Hussein.
Epook : Parmi la diaspora irakienne, pensez-vous que les élites politiques et culturelles voudront revenir nombreuses pour participer à la reconstruction du pays, une fois le conflit terminé ?
Saad Salman : J'en suis sûr. La diaspora irakienne comprend 4 millions d'individus, environ, qui ont tous un haut niveau d'études et qui ont fait leurs preuves dans les sociétés où ils sont installés. Et assurément, l'Irak de demain profitera de cette expérience, à tous les niveaux, y compris les valeurs de la démocratie et le respect des valeurs universelles. Qu'ils ont pris dans les sociétés où ils vivent, soit en Europe ou en Amérique, ou encore en Australie, bref, dans le monde libre.
Pygmalion : Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas encore eu de soulèvement en Irak depuis le début de la guerre ?
Saad Salman : Il faut comprendre le système répressif de Saddam Hussein. Malheureusement, il a tiré des leçons des soulèvements de 1991 et il a organisé tout son système de défense non pour combattre les chars américains ni les avions, mais pour contourner un soulèvement. Aujourd'hui, quartier par quartier, dans toutes les villes de l'Irak sous le contrôle de Saddam, les populations sont encadrées par des milices, elles-mêmes enrôlées de force, encadrées par les Gardes républicains, eux-mêmes encadrés par les Fedayins de Saddam, qui eux-mêmes sont encadrés par l'escadron de la mort, unité qui possède le droit de vie et de mort sur tout Irakien. Et donc, il faut comprendre que les populations sont vraiment complètement étouffées. Le moindre mouvement, c'est l'exécution sur le champ. Hier, j'ai eu des nouvelles de Chamchamal. Un escadron de la mort a massacré 50 soldats et 30 officiers. Et aussi à Nadjaf. On oblige les gens à conduire des voitures piégées.
Samyd : Il est exact que ces intellectuels sont privés de tout moyen de faire valoir leur voix, mais pensez-vous sincèrement que l'intervention américaine changera la donne ? Comptez-vous participer à la société civile si vos dires s'avèrent accomplis ? Par quels moyens ?
Hocine : Voudriez-vous rentrer en Irak libéré ?
Saad Salman : En ce qui concerne la première question, bien sûr, toutes les données vont changer. Pas seulement en Irak, mais dans l'ensemble du Moyen-Orient. Et tant mieux ! Et concernant la deuxième question, je suis cinéaste et, depuis trente ans, je suis en exil. Mon exil aujourd'hui n'est plus géographique. Je me suis engagé à mener à bien mon film Bagdad on/off parce que la situation en Irak, au moment où j'y suis retourné, c'est-à-dire il y a deux ans, ne me laissait pas le luxe de rester silencieux. Je rentrerai et je participerai à la reconstruction de l'Irak. Maintenant, quoi qu'il arrive, je reste toujours dans l'opposition. C'est ma place maintenant. Ma place naturelle !
DeBruxell : Qu'est-ce qui permet de croire que les Irakiens, une fois démocratisés, auront une attitude positive vis-a-vis des Etats-Unis ou d'Israël ?
Saad Salman : Il faut connaître un peu les causes de l'antiaméricanisme et du sentiment anti-Israël dans la région. Une fois que la démocratie s'installera en Irak, il n'y aura pas de place pour les kamikazes ou les extrémistes juifs. Ils n'auront pas les clés pour perturber le processus du rapprochement entre les deux peuples. Il faut remodeler ce Moyen-Orient dessiné par des Français et des Anglais, à l'issue de la première guerre mondiale. On se trouve aujourd'hui dans une situation absurde, comme deux peuples pour la même terre ou des minorités réprimées dans la région. Le Moyen-Orient, comme il a été dessiné par les Franco-Anglais il y a un siècle. Cet Moyen-Orient n'a donné que guerres et haines. Il n'est pas trop tard pour le remodeler pour qu'il devienne une oasis de paix.
Wil : La guerre était-elle le seul moyen ? Comment justifier des centaines de milliers de morts directs ou indirects victimes des bombardements ? Que pensez-vous du dispositif onusien abandonné ?
Saad Salman : Quelquefois, il faut choisir entre la peste et le choléra. Il s'agit aujourd'hui de Saddam Hussein. Ce dictateur qui n'a aucun scrupule, dans quelques mois, voire quelques années, aura des armes de destruction massive qu'il pourrait utiliser comme moyen de chantage contre ses voisins et le monde libre. Par rapport aux "centaines de milliers de morts", qui vous a dit ça ? La télévision française, qui ne joue que son rôle de propagande de Saddam ? Je vous raconte l'histoire d'un reportage que j'ai vu hier sur France 3. On montre un cadavre sur un pont. Et tout près de lui se trouve un soldat américain. Le reportage dit que cet Irakien a défendu le pont jusqu'à la mort... En réalité, cette personne a été abattue par l'escadron de la mort, pourchassé par les soldats américains. Les images vraies et le commentaire faux ! Et la manipulation de cette image, c'est une insulte à l'éthique journalistique. Autre exemple : parmi des dizaines de milliers de manifestants dans les rues de Paris, il y a un membre de l'ambassade de l'Irak qui brandit les photos de Saddam Hussein. Et France 2 présentait ce reportage avec un montage honteux : un gros plan sur la photo de Saddam Hussein après un résumé de l'ensemble de la manifestation. C'est de la télévision idéologique que vous voyez. Et pour chercher la vérité, il faut aller ailleurs que sur la télévision française. Il y a eu aujourd'hui, depuis la fin de la matinée, au moins 3 000 exécutions par les escadrons de la mort. Et ces nouvelles sont disponibles sur plusieurs sites Internet, de l'intérieur de l'Irak. Ils décrivent la situation et comment la population est obligée de rester chez elle. Les garçons à partir de 14 ans et les hommes sont enrôlés de force dans les milices. Est-ce qu'il y a un journaliste qui vous a informés sur les conditions de travail à Bagdad ? Est-ce que vous connaissez les véritables cibles qui sont touchées ? Les Bagdadis ne considèrent pas qu'ils sont menacés par les bombes. Leur souci, c'est comment se débarrasser des milices qui les encadrent. Et toutes ces frappes et ces bombes tombent sur des symboles du régime irakien.
Samyd : Au sujet de votre film, que j'espère bientôt voir, pouvez-vous nous éclairer sur un point : comment avez-vous pu retourner en Irak alors que vous êtes exilé et que vous parlez d'escadrons de la mort ? Si l'Irak est un pays contrôlé, comment avez-vous fait ?
Saad Salman : Je suis passé clandestinement par le nord de l'Irak, c'est-à-dire par le Kurdistan. Et j'ai utilisé le moyen des passeurs qui font normalement le voyage dans l'autre sens. Et, avec ma petite caméra mini-DV, j'ai réussi à échapper à tout contrôle. Les gens que j'ai rencontrés ne sont plus sous l'autorité de Saddam, ils vivent au Kurdistan. J'ai rencontré des vieillards, des enfants, des femmes et pratiquement toutes les couches de la société irakienne. Et je vous assure que ce que j'ai vu et entendu dépasse largement l'entendement. Pour vous rassurer, le film n'est pas aussi tranché que moi. Il est dans la subtilité, dans l'humour et avec quelques grains d'absurdité qu'on appelle la poésie.