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William Rivers Pitt : L'Irak est-il en possession d'armes de destruction massive ?
Scott Ritter : Les choses ne sont pas aussi nettes que certains le prétendent au sein de l'administration Bush.
Il est évident que l'Irak ne s'est pas entièrement conformé à l'obligation de désarmement que le Conseil de sécurité lui a faite. Mais ce pays est par ailleurs, depuis 1998, complètement désarmé : de 90 % à 95 % de ses armes de destruction massive ont fait l'objet d'une élimination vérifiable. Cela comprend toutes les usines utilisées pour produire des armes chimiques, biologiques et nucléaires, ainsi que les missiles balistiques à longue portée ; les équipements de ces usines ; et la grande majorité des produits qui en sont sortis. L'Irak devait livrer le tout aux Nations unies, qui étaient chargées d'en surveiller la destruction et l'enlèvement. Il a préféré détruire ? unilatéralement, et sans le contrôle des Nations unies ? une grande partie de ce matériel. Nous avons eu par la suite la possibilité de procéder à des vérifications. Mais le problème est que ces destructions ont eu lieu en l'absence de documents, ce qui rend les vérifications très vite compliquées.
W. R. P. : Pourquoi l'Irak a-t-il détruit ces armes plutôt que de les livrer ?
S. R. : Les Irakiens ont, à de nombreuses reprises, cherché à en camoufler l'existence. L'élimination unilatérale a pu être une ruse destinée à conserver des armes de destruction massive tout en déclarant qu'elles avaient été détruites.
Il est important de ne pas accorder à l'Irak le bénéfice du doute. L'Irak a menti à la communauté internationale. Il a menti aux inspecteurs. Beaucoup estiment que le pays cherche encore à conserver sa capacité de produire ces armes.
Cela dit, nous n'avons pas la preuve que l'Irak garde cette capacité. De fait, une quantité considérable de signes laisse penser que l'Irak n'a pas conservé le matériel indispensable.
Je crois que le problème fondamental est, à ce stade, celui de la comptabilité. L'Irak a éliminé de 90 % à 95 % de ses armes de destruction massive. Il faut savoir que les 5 % à 10 % restants ne constituent pas nécessairement une menace. Ils ne constituent même pas un programme d'armement. Ce sont des éléments épars qui, au total, ne représentent pas grand-chose, mais qui restent illégaux. En même temps, ce n'est pas parce qu'on n'a pas pu comptabiliser leur destruction que l'Irak a conservé ces armes. On ne détient aucune preuve qu'il en possède. Là est le problème. Nous ne pouvons pas donner à l'Irak un certificat de bonne conduite et tourner ainsi la page sur la question des armes de destruction massive. Mais nous ne pouvons pas non plus déduire de son refus d'obéir qu'il y ait de ce fait détention illégale d'armes pouvant justifier une guerre.
Comment gérer cette incertitude ? Il y a ceux pour lesquels le fait qu'il n'y ait pas d'inspecteurs en Irak aujourd'hui, que l'Irak ait montré le désir d'acquérir ces armes et les ait utilisées contre ses voisins et contre son propre peuple, qu'il ait menti aux inspecteurs de l'armement par le passé, incite à envisager le pire. Pour eux, une attaque préventive est justifiée.
Dans une cour de justice, la balance pencherait dans l'autre sens. L'Irak a, en fait, montré à maintes reprises sa volonté de coopérer avec les inspecteurs de l'armement. Des circonstances atténuantes ont accompagné l'arrêt des inspections et la non- conclusion ou le non-achèvement de ces missions, par quoi j'entends l'échec à certifier que l'Irak est complètement désarmé. Ceux qui ? comme les Etats-Unis ? sont partisans d'une intervention ont en fait violé les termes des résolutions des Nations unies, en utilisant leur autorisation d'opérer en Irak pour, par exemple, espionner ce pays.
W. R. P. : Cinq points mobilisent l'attention du gouvernement américain et de ceux qui souhaitent une offensive contre l'Irak. Ce sont : 1) le potentiel d'armes nucléaires ; 2) le potentiel d'ar-mes chimiques ; 3) le potentiel d'armes biologiques ; 4) le potentiel de systèmes de lancement de missiles capables d'atteindre les Etats-Unis ; 5) les liens possibles entre Saddam Hussein et Al-Qaida ou d'autres réseaux terroristes. J'aimerais que l'on parle un moment du programme d'armes nucléaires de l'Irak.
S. R. : Quand j'ai quitté l'Irak en 1998, à l'arrêt du programme d'inspection, l'infrastructure et les équipements avaient été éliminés à 100 %. Cela est indiscutable. Toutes les installations avaient été détruites. Les lieux où les armes étaient conçues avaient été détruits. Les moyens de production avaient été localisés et détruits. Nous avions également des systèmes de surveillance ? à partir de véhicules et à partir du ciel ? capables de détecter les rayons gamma qui accompagnent les procédés d'enrichissement de l'uranium ou du plutonium. Or nous n'avons rien trouvé. Et on peut dire sans équivoque que l'infrastructure industrielle nécessaire à l'Irak pour produire des armes nucléaires n'existe plus. (...)
W. R. P. : Qu'en est-il des armes chimiques ?
S. R. : L'Irak fabrique trois types d'agents neurotoxiques : le sarin, le tabun et le VX. Certains de ceux qui veulent la guerre avec l'Irak parlent de 20 000 munitions portant des charges de sarin et de tabun qui pourraient être utilisées contre les Américains. Les faits contredisent cependant ces affirmations. Ces deux agents chimiques ont une durée de conservation de cinq ans. Or, même si l'Irak avait réussi d'une manière ou d'une autre à cacher une telle quantité d'armes aux inspecteurs, ce qu'il en resterait serait aujourd'hui inutilisable.
Les armes chimiques étaient produites à Muthanna, une énorme usine spécialisée dans leur fabrication. Cette usine a été bombardée pendant la guerre du Golfe. Après quoi les inspecteurs de l'armement se sont rendus sur place pour achever son démantèlement. Cela veut dire que l'Irak a perdu son unité de fabrication du sarin et du tabun.
Nous avons détruit des milliers de tonnes d'agents chimiques. (...) Nous avions un incinérateur qui a fonctionné à plein pendant des années, et où ont été brûlées des tonnes d'agents chimiques chaque jour. Nous nous sommes déplacés sur le terrain, nous avons fait exploser des bombes, des missiles, des ogives équipés de charges chimiques. Nous avons vidé de ces charges les têtes de missiles Scud. Nous avons recherché en tous lieux les agents chimiques et les avons détruits.
W. R. P. : Les Irakiens n'auraient-ils pas pu en cacher ?
S. R. : Si, cela est fort possible. Mais tout ce qu'ils ont pu détourner a été produit à Muthanna, ce qui veut dire qu'une fois que ces installations ont été détruites, ils n'ont plus pu en fabriquer, et, en cinq ans, le sarin et le tabun déjà produits se seront complètement dégradés. Le monde n'a plus d'inquiétudes à avoir à ce sujet.(...) La vraie question est celle-ci : existe- t-il une usine de fabrication de l'agent VX en Irak aujourd'hui ? A cette question, je réponds non, de façon absolument certaine.
W. R. P. : Ces installations n'ont-elles pas pu être reconstruites ?
S. R. : Aucune équipe d'inspection n'a remis les pieds en Irak depuis 1998. Je pense que l'Irak était techniquement capable de redémarrer la fabrication d'armes chimiques dans les six mois qui ont suivi notre départ. Cela lui a laissé trois ans et demi pour fabriquer toutes les horreurs que l'administration Bush met en avant pour motiver une attaque contre ce pays. L'important, ici, ce sont les termes "techniquement capable". En l'absence de surveillance, l'Irak aurait pu le faire. Mais exactement comme pour le programme d'armes nucléaires, il lui aurait fallu tout redémarrer à partir de rien, car le pays ne possédait plus aucun équipement, aucune installation, aucune unité de recherche. Il lui aurait fallu se procurer du matériel et une technologie complexes par l'intermédiaire de sociétés écrans. Cela se serait su. La production d'armes chimiques s'accompagne d'émissions de gaz que l'on aurait à l'heure actuelle détectées si cela avait été le cas. Nous exerçons une surveillance par satellite, ainsi que par d'autres moyens, et nous n'avons rien relevé. Si l'Irak produisait des armes chimiques aujourd'hui, nous en aurions, de façon claire et nette, la preuve décisive. (...)
W. R. P. : Il nous reste à parler du lien avec Al-Qaida.
S. R. : Ce lien est évidemment absurde. Saddam est un dictateur laïque. Voilà trente ans qu'il combat et réprime le fondamentalisme islamique. Il a fait la guerre à l'Iran en grande partie pour cette raison. Les Irakiens ont aujourd'hui des lois sur les livres qui punissent de mort immédiate le prosélytisme pour le compte du wahhabisme, et de l'islam sous toutes ses formes, en réalité. Mais ces lois sont tout particulièrement sévères pour le wahhabisme, qui est la religion d'Oussama Ben Laden, comme chacun sait. Oussama Ben Laden hait Saddam Hussein depuis toujours. Saddam est pour lui un apostat, qui doit être tué.
W. R. P. : Même s'il utilise les sanctions contre l'Irak comme cri de ralliement...
S. R. : C'est que les sanctions américaines ne touchent pas Saddam. Elles touchent les civils irakiens. Il n'y a jamais eu de lien entre Oussama Ben Laden et Saddam Hussein. (...) W. R. P. : Quelle sera la réaction dans la région [NDLR : en cas d'offensive américaine] ?
S. R. : D'abord, il y a de fortes chances que l'ensemble de la campagne militaire échoue, parce qu'elle repose sur un trop grand nombre d'hypothèses : a) que l'armée irakienne ne combattra pas ; b) que la population irakienne se soulèvera ; et c) qu'une fois que nous aurons montré notre détermination à renverser Saddam, la communauté internationale se ralliera. (...)
Cela peut mal tourner. Le risque est réel. Deux facteurs jouent contre nous : le temps et le nombre des victimes. Si l'on fait la guerre à l'Irak, il faut la gagner vite. Nous ne pouvons pas nous permettre une offensive qui dure. Dans le cas où les Irakiens réussiraient à retarder notre progression ? un mois, deux mois, si Saddam Hussein tient bon ?, le monde arabe explosera comme jamais. Et le 11 septembre aura été une partie de plaisir à côté de ce qui nous attend.
S'il y a des morts parmi les nôtres, nous aurons en outre un désastre politique, ici aux Etats-Unis. La condamnation internationale, plus une opinion américaine hostile : le président sera en mauvaise posture.
(...) Nous allons vraiment en arriver au choc des cultures qu'appelait de ses v?ux Oussama Ben Laden. C'est la raison pour laquelle il nous a attaqués : il voulait un affrontement entre l'Occident et l'islam. A peu près tout le monde trouve cela ridicule. Mais les Etats-Unis s'apprêtent à mener une guerre entre l'Occident et l'islam. Et nous ne la gagnerons pas. Le pays ne sera pas soudainement occupé, mais nous perdrons cette guerre en ne la gagnant pas. Ce pourrait être une défaite humiliante pour les Etats-Unis, importante en ce qu'elle marquera peut-être le début d'un recul de leur influence dans le monde. Et la ruine de notre économie.
On joue avec le feu. Il suffit pour s'en convaincre de lire le document "Nuclear Policy Review" qu'a rédigé le Pentagone à ce sujet. (...) On a supposé des capacités chimiques et biologiques à l'Irak. Ce pays ne possède peut-être pas ces armes, mais on les leur a données dans tous les scénarios qui ont été imaginés. Si 70 000 à 100 000 soldats américains se trouvent piégés en Irak, et si le Moyen-Orient explose, que nos moyens de communication sont menacés, que l'approvisionnement de nos troupes est menacé, et si les Irakiens continuent de résister, l'arme nucléaire pourrait bien alors être utilisée.
Et ce serait l'apocalypse. Personne n'a jusqu'ici envisagé de livrer des armes nucléaires à des terroristes ; il leur serait très difficile de s'en procurer aujourd'hui. Mais si soit les Etats-Unis, soit Israël utilisaient l'arme nucléaire, je peux vous garantir qu'avant dix ans l'Amérique serait frappée par une bombe nucléaire terroriste. Et ce qui se passera alors est imprévisible. Si les Etats-Unis ou Israël emploient contre l'Irak la bombe atomique, le Pakistan et l'Iran fourniront des armes nucléaires aux terroristes. Je m'en porte garant. Et ce sera effectivement l'apocalypse. Cette guerre à l'Irak est la plus monstrueuse des idées.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sylvette Gleize
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