lorelei a écrit :
ayant bossé en lycée à Garges les Gonesse, je n'étais pas pour la loi sur la laïcité (mes couilles, ouais, elle était effectivement surtout destinée à stigmatiser le voile). Mais c'est pas pour ça que j'approuve le voile. Je dis simplement que c'est pas par la répression idiote (et interdire à une fille d'avoir accès à l'école est une répression) qu'on risque de faire évoluer les choses.
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Bonsoir Lorelei, je viens de voir cette réponse, je serai curieux d'avoir ton opinion sur l'argumentation suivante (désolé, c'est un peu long, mais j'avais cherché à être exhausitif ). Il s'agit d'une réponse que j'avais préparée suite à la parution d'un article dans Le Monde (article reproduit à la fin de mon post) :
Au-delà de la laïcité, le bon sens historique
Réponse à Monique Canto-Sperber et à Paul Ricur
Après des mois de réflexion, le consensus autour de la question de la laïcité paraissait établi : « Oui, se disait-on, il faut légiférer, et interdire le port de tout signe visible d'appartenance religieuse ou politique à lécole. » Quelle n'a pas due être la surprise de nombreux lecteurs du Monde en découvrant le très récent Point de vue de madame Canto-Sperber et monsieur Ricur. La contestation d'un recours à la loi détonne dans le paysage, et mérite une analyse détaillée de son argumentation.
Celle-ci commence par une présentation des parties en présence : ceux qui sont plutôt pour une loi, et ceux qui sont plutôt contre. Ceux qui sont pour sont présentés comme des gens agissant au nom de principes : l'école lieu de neutralité, l'égalité homme-femme ; mais aussi par crainte que la situation ne devienne incontrôlable ; enfin, pour fixer aux chefs d'établissements un repère clair et distinct. D'un autre côté, les réticences à la loi sont diverses, allant du refus de toute interdiction à la volonté de ne pas exclure des jeunes filles des écoles, en passant par la suspicion à l'égard de l'efficacité voire de la légitimité de la solution législative.
Une phrase forte conclut cet exposé : « Reconnaître la force du principe de laïcité ne dispense pas de s'interroger sur l'interprétation à en donner et sur les conditions de son application. » On ne peut que souscrire à tant de bon sens.
A partir de là, pourtant, l'argumentation devient fragile. Les auteurs estiment en effet que le port du voile n'est pas aussi grave qu'on a voulu le présenter, parce qu "un bout de tissu" ne constitue pas "de manière raisonnable et non contestée" une "intrusion" et un "élément de pression" venant "perturber l'enseignement". Ils avancent même que son interdiction ne serait acceptable que s'il constituait, "dans tous les cas", une "menace beaucoup plus générale sur l'école ou la République" !
On comprend l'objection philosophique dans laquelle se drapent madame Canto-Sperber et monsieur Ricur, et les précautions langagières employées le montrent bien : il s'agit pour eux de ne surtout JAMAIS porter atteinte à la liberté d'expression d'une religion librement consentie. Pour justifier l'interdiction d'une pratique, la contrainte que reflète celle-ci doit être systématique et inévitable ; mais pour invalider cette même interdiction, un seul acte de liberté serait suffisant. Si l'idée est séduisante, son application lest moins : exiger des conditions à ce point restrictives pour légitimer linterposition de lEtat condamne à limmobilisme, et naurait par exemple jamais permis aux femmes dobtenir le droit de vote, encore moins celui de disposer de leur corps. Par ailleurs, réduire le voile à "un bout de tissu", c'est réduire une arme à un morceau de métal. C'est oublier que le danger n'est pas dans la matière, mais dans la finalité. Enfin, réduire l'école à un lieu d'instruction en prétendant que le voile n'est gênant que s'il perturbe l'enseignement, c'est oublier qu'elle est aussi le lieu d'apprentissage de la vie en commun et des valeurs républicaines. Si l'égalité homme-femme n'est pas même respectée à l'école, comment espérer sincèrement qu'elle le soit jamais ailleurs ?
Madame Canto-Sperber et monsieur Ricur objectent encore qu'une loi interdisant le port de tout signe religieux visible va conduire à l'exclusion de nombreuses jeunes filles des écoles publiques. Ils oublient toutes celles que cela va soulager du poids d'une tradition religieuse intégriste et sexiste. Ils oublient également que de nombreux élèves sont déjà soustraits à la laïcité, au sein d'écoles confessionnelles. Si un nouveau débat sur l'école privée doit être ouvert, fort bien ! Mais ne confondons pas tout. Enfin, penser que l'expérience de l'égalité de traitement à l'école entre filles et garçons permettra aux jeunes filles voilées de se battre pour obtenir leur émancipation, en comptant sur le pouvoir de l'éducation, c'est encore une fois théoriquement très beau, et même possible à long terme. Mais en attendant, que fait-on ? Rien ? Ce serait oublier toutes celles et tous ceux qui ont combattu pour l'égalité des sexes, reconnue par notre République. Ce serait admettre que l'on ne veut plus affirmer aussi fort aujourd'hui ce que l'on proclamait hier. Ce serait renoncer et se défausser. Que penseront celles qui, sous le voile, aspirent à autre chose et attendent, muettes, le soutien de la République pour obtenir enfin des droits qu'elles n'ont peut-être même jamais osés espérer ?
Quand madame Canto-Sperber et monsieur Ricur mettent en garde contre une laïcité d'exclusion, présentée comme la meilleure ennemie de l'égalité, ils oublient encore que la laïcité ne s'est pas imposée sans contrainte, et que la République a toute légitimité pour faire respecter les règles de vie en commun. Ils se raccrochent à un principe d'égalité potentielle d'égalité à venir , pour accepter une inégalité présente. Ce faisant, ils voilent la République, et se contentent d'espérer qu'elle finira par s'émanciper de nouveau. Formidable retour en arrière !
A cet égard, il est fécond de citer deux passages du livre Bas les voiles ! publié récemment par Djavann Chahdortt : « Qu'est-ce que cela signifie, voiler les filles ? Cela signifie en faire des objets sexuels : des objets, puisque le voile leur est imposé et que sa matérialité fait désormais partie de leur être, de leur apparence, de leur être social ; et des objets sexuels : non seulement parce que la chevelure dérobée est un symbole sexuel et que ce symbole est à double sens (ce que l'on cache, on le montre, l'interdit est l'envers du désir), mais parce que le port du voile met l'enfant ou la jeune adolescente sur le marché du sexe et du mariage, la définit essentiellement par et pour le regard des hommes, par et pour le sexe et le mariage. » (p.12) Et aussi : « Autoriser le voile à l'école replace les adolescentes vivant dans les cités et les banlieues sous le joug des dogmes islamiques et rend leurs légitimes aspirations à l'émancipation encore plus difficiles. » (p.38) La République peut-elle complètement ignorer de tels témoignages de désespoir et de souffrance ?
Alors oui, demander à tous les élèves de s'abstenir de tout signe religieux visible, c'est leur demander, à eux et à leurs parents, de faire un effort. Mais contrairement à ce que sous-entendent madame Canto-Sperber et monsieur Ricur, cet effort n'est pas vide de sens. Il s'agit d'un geste symbolique d'ouverture, et la reconnaissance d'un primat du savoir sur la foi. La question des signes religieux à l'école déborde en effet la question de la laïcité. Elle touche à notre conception de la société et à l'indépendance du savoir, et c'est pourquoi elle doit s'appliquer aussi aux élèves pour les aider à s'émanciper. Il ne s'agit pas là d'anticléricalisme : la religion, ou la spiritualité, ne sont pas nécessairement synonymes d'obscurantisme. Mais chaque fois que la sphère du religieux et celle du savoir se sont croisées, des scientifiques ont été muselés, et la science comme la religion en ont souffert : la science, sur le moment ; la religion, à long terme. Evitons que cela ne se reproduise. Pour cela, il faut distinguer clairement lieu d'expression religieuse et lieu d'apprentissage du savoir. C'est une question de bon sens historique.
L'ultime rempart dressé par madame Canto-Sperber et monsieur Ricur relève de la hiérarchie des normes : une loi serait inadaptée, et seul un décret permettrait aux chefs d'établissements de conserver la marge de manuvre nécessaire pour exercer leur responsabilité et leur autorité, en distinguant 'foulard-expression de la liberté religieuse' et 'foulard-provocation'. Le statu quo, donc, puisque c'est déjà ce qui se passe, avec les problèmes que l'on connaît. Or, non seulement il n'est pas évident que cette distinction doit être maintenue, car l'école n'est tout simplement pas un lieu d'expression religieuse, et les chefs d'établissements ont d'ailleurs autre chose à faire que délibérer constamment pour savoir si tel ou tel signe relève de l'expression ou de la provocation ; mais surtout, une loi se termine fréquemment par la mention "Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application de la présente loi", et ce décret peut lui même encore laisser de la souplesse aux chefs d'établissements en renvoyant aux règlements intérieurs pour préciser certains points. L'argument de la rigidité de la loi n'est donc pas valide, puisque tout ne sera pas déterminé par le texte législatif. Par contre, celui-ci permettrait de clarifier enfin des principes mis à mal par l'imprécision de la loi de 1905, par l'application difficile d'un arrêt du Conseil d'Etat, et par l'évolution du paysage religieux français.
Pour finir, et si l'on a beaucoup parlé du voile, il faut rappeler que la loi à venir sur la laïcité concerne bel et bien toutes les religions et tous les signes politiques. Le voile n'a été que l'initiateur d'une réflexion plus large sur les fondements et l'utilité de la laïcité. De tels débats sont nécessaires en démocratie, parce qu'ils nous permettent de repenser tous ensemble les principes de notre République. Une fois par siècle, ce n'est pas de trop.
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texte de référence :
POINT DE VUE
Une laïcité d'exclusion est le meilleur ennemi de l'égalité, par Monique Canto-Sperber et Paul Ricur
LE MONDE | 10.12.03 | 13h35
On débat aujourd'hui de l'éventualité d'une loi interdisant le port des signes religieux à l'école.
Les arguments qui plaident en faveur d'une telle loi sont bien connus. Ils visent à montrer que la loi est nécessaire pour des raisons de principe.
Il faut préserver l'école des appartenances religieuses en affirmant haut et fort qu'elle est un lieu de neutralité, où nul ne doit se singulariser en fonction de sa religion. Par ailleurs, l'école ne peut admettre aucun signe, tel le foulard, qui distinguerait les femmes et symboliserait leur statut d'infériorité par rapport à l'homme.
D'autres arguments portent sur les conséquences. Ils soulignent qu'il faut agir avant que la situation ne devienne incontrôlable. Une interdiction suscitera sans doute un ajustement des comportements. Si le foulard, la kippa ou la croix visible sont interdits à l'école, les enfants, et leurs familles, sauront qu'il est inutile de chercher à créer un rapport de force.
D'autres arguments enfin ont trait aux moyens d'action. Seule une loi peut donner l'autorité nécessaire à l'affirmation des valeurs laïques et un cadre clair aux décisions des chefs d'établissement : ces derniers ne feront qu'appliquer la loi.
Sur le bord opposé, réticent à l'égard d'une telle loi, les arguments sont plus hétérogènes. Certains contestent le principe même d'une interdiction. D'autres, qui ne sont pas nécessairement hostiles à une telle interdiction, considèrent toutefois que la loi n'est pas le meilleur moyen de la mettre en uvre. C'est le scepticisme à l'égard des effets dissuasifs des interdictions, surtout quand leur légitimité est incertaine, qui caractérise ce point de vue. Le souci aussi de ce que deviendront les enfants exclus de l'école. Reconnaître la force du principe de laïcité ne dispense pas de s'interroger sur l'interprétation à en donner et sur les conditions de son application. Dans la mesure où cette position prend acte de la difficulté qu'il y a à accorder, dans nos sociétés, les principes de laïcité et de neutralité avec celui de libertés, il vaut la peine de détailler les raisons qui la justifient.
Le rappel de la liberté religieuse, d'abord. Chacun est libre d'exprimer sa religion, non seulement dans le lieu privé, mais aussi dans l'espace commun, à condition qu'une telle expression ne porte atteinte ni aux autres personnes ni aux institutions sociales. Puisque les polémiques se concentrent sur le foulard, la question est donc de savoir s'il est vrai qu'un foulard, même discret, choque, fasse intrusion, introduise un élément de pression et perturbe l'enseignement.
Mais peut-on vraiment espérer démontrer de manière raisonnable et non contestée qu'un bout de tissu ait un tel effet ? Non. C'est donc autre chose qui justifierait le bien-fondé des décisions d'exclusion des jeunes filles à foulard. On ne considérerait pas le foulard seulement comme un signe d'expression religieuse, mais comme portant une menace beaucoup plus générale sur l'école ou la République. Or personne n'a encore établi que le foulard à lui seul incarnait dans tous les cas une telle menace. Et si celle-ci était avérée, ne faudrait-il pas alors interdire le foulard en tous lieux, y compris dans la rue ?
On peut être hostile au fait que des jeunes filles portent le foulard dans l'enceinte scolaire, mais encore plus hostile à l'éventualité de les exclure pour cette raison. La tolérance religieuse est un principe fondateur de nos sociétés. Et quand il est nécessaire de la restreindre, ce ne peut être que pour des raisons dont la légitimité ne fait pas de doute. C'est au nom de faits et de menaces incontestables qu'on limite la liberté, pas au nom d'inquiétudes ou d'idées de dérives possibles.
Par ailleurs, comment interpréter l'exigence de neutralité à l'école publique ? Neutralité, cela signifie d'abord absence de traitement préférentiel et refus des privilèges pour quelque religion que ce soit. Les locaux sont neutres. L'enseignement dispensé à l'école est affranchi de toute référence religieuse. C'est précisément pour cette raison qu'il n'existe pas de motif d'incompatibilité qui remette en cause l'obligation de suivre les cours en totalité, sciences de la vie et éducation physique incluses.
Quant aux professeurs qui se sont engagés volontairement dans cet espace de neutralité, ils sont tenus, comme tous les autres agents de l'Etat ou employés des services publics, de ne manifester dans l'exercice de leurs fonctions aucune appartenance religieuse. Pas de professeurs à foulard, à kippa ou avec une croix visible, que ce soit dans les cours ou pour les examens. La même exigence devrait du reste être inscrite explicitement, à titre de réquisit de la déontologie, dans les professions qui sont au service du public, au premier rang desquelles la médecine.
Mais les élèves ? Y a-t-il un sens à exiger d'eux la même neutralité, la même laïcité "sans qualités" requises des professeurs et de l'administration ? Doivent-ils souscrire un engagement à la laïcité lorsqu'ils entrent à l'école ? Doivent-ils s'abstraire de ce qu'ils sont ? de leur milieu familial ? de leur religion ? Les élèves ne sont pas des agents de l'Etat, ils viennent d'une société tissée de liens et d'habitudes. Faut-il, pour les éduquer, commencer par les désincarner ?
La laïcité, c'est l'engagement de garantir à chacun la possibilité de s'émanciper de ses appartenances et de ses origines. L'école peut conduire l'enfant à un tel affranchissement, non l'exiger de lui au départ. L'école, assurément, est un lieu de formation. Elle n'a pas pour fonction de refléter la société, mais d'affirmer ses propres normes. Mais ces valeurs qui la distinguent du monde extérieur, elle doit les mettre en uvre par son mode de fonctionnement, non par des conditions d'entrée. L'école donne l'expérience concrète des valeurs du dialogue et de la connaissance, libres de toute autorité religieuse. C'est une telle expérience qui forme les esprits à la laïcité, plus efficacement qu'une obligation préalable souscrite sans adhésion aucune.
Enfin, que répondre à l'observation pleine de sens : le foulard, ce n'est pas quelques centimètres carrés de tissu sur la tête, c'est une marque, la marque de l'asservissement de la femme, c'est un signe, le signe du rapport de forces que des groupes de pression veulent créer au sein de l'école ? C'est vrai, incontestablement, pas dans tous les cas, mais parfois. Et après ?
Dans l'enceinte scolaire, le principe de la non-discrimination entre fille et garçon est fondateur. Le foulard y porte directement atteinte. Peut-on déduire de ce constat qu'il faut l'en bannir ainsi que les filles qui le portent ? L'école n'est-elle pas le lieu où ces jeunes filles pourront faire l'expérience de l'égalité entre filles et garçons ? Le foulard les stigmatise comme femmes, mais les professeurs et les autres élèves les traitent comme égales. Ce seul rappel suffit à convaincre qu'il est d'autant plus nécessaire qu'elles suivent le même enseignement que les autres enfants de leur âge. Car le sens le plus profond de l'exigence d'égalité à l'école est bien là : permettre aux jeunes filles voilées d'accéder à cette forme de vie où elles sont traitées pareillement aux garçons. Si elles doivent un jour se battre pour être égales, c'est à partir de ce vécu qu'elles le feront. La chance d'avoir pu vivre l'expérience d'une laïcité de confrontation, de confrontation bienveillante, les y aidera. Les exclure, c'est les priver d'une telle chance, c'est décider délibérément de ne pas les traiter comme les autres.
N'oublions pas non plus que si des jeunes filles sont contraintes à porter le foulard ou même incitées à cela depuis l'enfance, il arrive aussi que d'autres décident de le porter par engagement personnel ou pour se démarquer de leur famille. Ces dernières acquiescent sans doute à une forme de soumission de la femme, mais elles y acquiescent à première vue librement. Il faut le reconnaître et se rappeler qu'on n'émancipe pas les personnes contre leur gré en leur demandant de renoncer d'abord à ce qu'elles ont librement choisi. Si l'école a une mission, c'est de faire valoir le sens de l'égalité, c'est de donner une occasion concrète de liberté, soumise à la loi, et affranchie de l'arbitraire comme des autorités abusives.
On peut souhaiter que les jeunes filles finissent par renoncer au foulard. Elles ne le feront que pour autant que l'école leur aura permis de vivre jour après jour l'égalité entre les sexes et une forme de respect mutuel. Prononcer l'exclusion, c'est les priver du seul accès qu'elles peuvent avoir à cette expérience de liberté. Il est contradictoire de souhaiter que les jeunes filles trouvent en elles de vraies ressources d'autonomie alors qu'on commence par leur imposer, contre leur gré, de renoncer à leur choix religieux.
Dernier argument qui porte cette fois sur le recours à la loi. La loi est générale dans ses objets, universelle dans sa portée. Une loi sur le foulard ne risque-t-elle pas de discréditer son effet à vouloir régler des situations où le sens même de son application sera constamment contesté ? On ne peut y recourir en la matière qu'en cas de danger certain et grave. La loi de 1905 définit les valeurs de la laïcité. La future loi d'orientation scolaire formulera les principes fondateurs de la neutralité et de l'égalité des sexes à l'école. Il existe de nombreux types de normes à côté des lois. C'est aux décrets de donner une interprétation détaillée des principes et des conditions d'application et aux responsables des communautés scolaires d'apprécier, à l'aide des règlements intérieurs, les cas qui tombent sous ces conditions. Comment plaider pour une société autonome et active si ceux qui sont en position d'autorité ne peuvent exercer les responsabilités qui y sont liées ? Aucune loi, sous une apparente simplification du problème, ne saurait se substituer à un tel exercice.
Il faut distinguer entre le foulard-expression de la liberté religieuse, qui doit rester discret, et le foulard-provocation, souvent associé à des comportements activistes et prosélytes. Ce dernier est inadmissible, et à exclure, non parce qu'il s'agit d'un foulard à signification religieuse, mais parce qu'il serait jugé par les responsables d'établissement être une perturbation avérée à l'ordre scolaire. Les groupes de pression qui pourraient chercher à établir un rapport de forces au sein de l'école ou à l'égard des jeunes filles maghrébines sans foulard devraient par là être dissuadés.
Certains se gausseront : admettre que persiste une part irréductible d'appréciation, n'est-ce pas confondre les principes avec les centimètres de tissu ? Mais aucun énoncé d'un principe ne dispense d'une réflexion sur les cas où il s'applique. Dans toutes les solutions sociales stables, il y a une part de convention. Telle est la formule générale sous laquelle la société moderne règle le rapport des libertés. Nous définissons sans cesse des limites, conventionnelles certes, quoique non arbitraires, et contraignantes. La conciliation entre l'intérêt public, les normes communes et le principe des libertés est parfois difficile, mais c'est ainsi que nos sociétés éprouvent la force de leurs valeurs et la confiance qu'elles y placent.
Monique Canto-Sperber et Paul Ricur sont philosophes.
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.12.03