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M. Gérard Mestrallet a déclaré que la fusion de Suez et de Gaz de France apporte une réponse pertinente aux enjeux du secteur énergétique européen. Le gaz prenant une part croissante, et qui devient dominante, dans le mix énergétique du continent, l'Europe entre progressivement dans une économie gazière. Dès 2020, 40 % du mix énergétique sera d'origine gazière, et le gaz gagne des parts de marché par rapport à toutes les autres énergies. Il en résulte une dépendance énergétique croissante, car les gisements en mer du Nord sont en voie d'épuisement. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les importations de gaz de l'Union européenne à quinze, qui étaient de 189 milliards de m³ en 2002, s'élèveront à 336 milliards de m³ en 2010 et à plus de 500 milliards de m³ en 2020. Selon la Commission européenne, la dépendance énergétique globale de l'Union européenne, actuellement légèrement inférieure à 50 %, sera de 70 % en 2030. C'est dire que l'Europe devra acquérir sur les marchés internationaux, en négociant du mieux qu'elle pourra, la quasi-totalité de son approvisionnement énergétique. C'est en Russie, au Qatar, en Iran, dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen et en Afrique centrale que l'Europe peut trouver les réserves de gaz qu'elle n'a pas, ou qu'elle n'aura plus, dans son sous-sol. On note que les réserves de la Russie sont à elles seules dix fois plus importantes que celles de l'Algérie. Celles du Qatar, qui va devenir un géant du gaz naturel liquéfié (GNL), sont cinq fois plus importantes que les réserves algériennes. La tentation pour l'Europe est de se tourner vers la Russie, dont les gisements sont accessibles par gazoduc, les autres réserves gazières étant pour l'essentiel atteignables par bateau, exception faite de quelques zones, dont l'Afrique du Nord. Pourtant, pour sécuriser son approvisionnement et ne pas dépendre d'un seul Etat fournisseur, l'Europe devra diversifier ses sources et développer son approvisionnement en gaz liquéfié, ce qui conditionnera l'avenir de l'industrie du gaz. Les risques de tension sont d'ordre géopolitique et technique mais il existe aussi un risque d'arbitrage en défaveur de l'Europe. De surcroît, ces tensions s'exerceront dans un contexte d'énergie durablement chère. Sans même parler de l'évolution des prix sur le marché spot, la cotation à moyen terme du baril de pétrole a triplé depuis 2003 et elle s'établit actuellement à 55 dollars pour des livraisons dans sept ans. Le gaz naturel liquéfié est donc appelé à jouer un rôle croissant dans la diversification des approvisionnements et par là même dans leur sécurisation. Or, dans un secteur qui demande des investissements et une logistique considérables - usines de liquéfaction sur les lieux de production, flotte de méthaniers et terminaux de regazéification -, Suez, comme Gaz de France, est déjà un acteur important dans le GNL au niveau mondial, et le seul présent à la fois sur les marchés européen, atlantique et asiatique. Ainsi, Suez est le premier importateur de GNL aux Etats-Unis, par le plus grand terminal américain, situé à Boston. Sur le bassin atlantique, Gaz de France est leader en contrats d'approvisionnement et en capacités de regazéification, mais il est talonné par Gas Natural et par Suez, chacune des trois sociétés ayant une activité nettement supérieure à celles de British Gas et à British Petroleum pour ce qui est du GNL. Le rapprochement Suez-Gaz de France ferait du nouveau groupe le premier acteur mondial du gaz naturel liquéfié. Les autorités européennes et françaises doivent considérer le développement du GNL, qui est au cur du projet, comme un élément central de sécurisation de l'approvisionnement en gaz. Considérant qu'une partie importante des infrastructures existantes seront frappées d'obsolescence d'ici 2030, l'Agence internationale de l'énergie estime à 1 000 milliards d'euros les investissements nécessaires au cours des vingt-cinq ans à venir pour satisfaire les besoins énergétiques, à raison de 750 milliards pour la production d'électricité et de 250 milliards pour le gaz. Suez partage cette analyse. Les entreprises du secteur énergétique devront donc être capables d'investir massivement en nouvelles capacités de production et en logistique - transport et terminaux. L'Europe a longtemps vécu avec l'idée qu'elle était en situation de surcapacité énergétique. Ce n'est plus vrai. Sur la plaque continentale - France, Benelux et Allemagne -, la capacité de production nécessaire pour couvrir la demande commencera d'être insuffisante dès 2008. C'est pourquoi la plupart des grands pays européens envisagent d'augmenter considérablement leurs capacités de génération d'électricité ; la France devrait d'ailleurs suivre l'avis du Conseil supérieur de l'énergie et le faire elle aussi, a estimé M. Gérard Mestrallet,
Le projet de fusion entre Suez et Gaz de France s'inscrit dans une phase de concentration majeure des grands acteurs du secteur. En 2005, le chiffre d'affaires de Suez s'élevait à 41,5 milliards d'euros, celui de GDF à 22,4 milliards. La même année, E.On facturait 56 milliards, EDF 51 milliards, RwE 42 milliards, Enel 34 milliards, Veolia 25 milliards, Endesa 18 milliards, Iberdrola 12 milliards et Gas Natural 6 milliards. Le secteur est entré dans une période de recomposition sans précédent. Tous les électriciens sont devenus acteurs du secteur gazier, et tous les gaziers se sont associés à des électriciens, sauf un, Gaz de France, qui ne pourra rester seul. Voilà pourquoi, alors que le mouvement est en phase d'accélération parce que les marchés s'ouvrent, la fusion est pertinente. M. Gérard Mestrallet a rappelé que Suez est le cinquième groupe français toutes activités confondues. L'entreprise, qui compte 160 000 salariés, est le cinquième électricien et le sixième opérateur gazier européen, et le leader européen des services énergétiques La fusion, a-t-il souligné, est une opération logique pour les deux acteurs. Gaz de France a besoin de s'associer à un électricien. En France, il y en a deux : EDF et Suez, Suez qui, outre sa place dans le secteur électrique, est un acteur gazier significatif. Le nouveau groupe aura la chance de pouvoir combiner des activités électriques de Suez et les activités gazières de GDF, qui seront confortées. Avec une capitalisation boursière de 65 milliards d'euros, le nouvel ensemble deviendra le leader européen du gaz en traitant 20 % du marché européen, et le leader mondial du gaz naturel liquéfié, contribuant ainsi à sécuriser l'approvisionnement énergétique de l'Europe et de la France. Sans atteindre celui de Gazprom, le chiffre d'affaires du nouvel ensemble sera important. On a parfois présenté le projet de fusion comme une opération « franco-française ». C'est caricatural, alors que Gaz de France réalise 40 % de ses activités à l'international, et Suez 75 %. Le nouveau groupe sera un acteur paneuropéen majeur. Enel, en revanche, n'est pas un groupe européen. Il aspire à le devenir, mais ses activités sont concentrées à 95 % en Italie. Suez a construit l'Europe de l'énergie par des partenariats et des contrats négociés - mais jamais de manière hostile, façon de procéder qui ne convient pas dans le secteur énergétique. Le groupe fusionné sera présent dans tous les pays européens, avec une présence particulièrement forte en France et dans le Benelux mais aussi en Hongrie, en Pologne, en Roumanie, en Italie, en Espagne, en Allemagne... S'agissant du point crucial de la diversification des approvisionnements gaziers, aucun autre groupe n'a une palette aussi diversifiée que serait celle de Suez - Gaz de France. Actuellement, la Russie représente 25 % des approvisionnements de GDF et donc de la France, ce qui n'est pas sans comporter des risques, notamment techniques. Cet hiver, tous les pays européens ont souffert de ruptures d'approvisionnement ; seuls les Français et les Belges ne se sont rendu compte de rien, GDF ayant opportunément puisé dans ses stocks et Suez ayant trouvé des solutions alternatives en Belgique. Outre les sources d'approvisionnement actuelles de Suez et de Gaz de France - Russie, Norvège, Algérie, Pays-Bas -, le nouveau groupe en aurait de nouvelles, actuellement en cours de négociation par l'une ou l'autre des deux entreprises : le Qatar, l'Egypte, le Yémen, Trinité-et-Tobago et le Nigeria. La Mauritanie et l'Iran sont d'autres possibilités à l'étude. Si certaines sources venaient à manquer, on se tournerait donc vers les autres. Outre qu'il assurera ainsi la sécurité d'approvisionnement due aux consommateurs français, le groupe fusionné sera, de par sa taille, en mesure de négocier ses contrats dans de très bonnes conditions.
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