Grosses fuites et petits bateaux.
Aujourd'hui : 14 Avril 1912 : Le naufrage de la petite Annick.

La petite Annick Siforqueson, de Plougastel, avait épousé en grande noce un certain Simon Cussonay à Torray (l’Eure), en mars 1912. Pour sa lune de miel, qu’il voulait salutaire, Simon referma la porte sur Annick, la frappa avec passion, la dénuda avec fureur et lui offrit une croisière sur le plus grand paquebot de la compagnie « White Star », le plus gros de l’époque.
L’appareillage de Southampton à destination de New-York se déroula à la perfection, dans la cohue des passagers pris de regret qui voulaient redescendre, pour fuir. L’armée républicaine Irlandaise massée sur les quais tira plusieurs fois sur la foule, mais le bateau rompis enfin ses amarres, pour effectuer son voyage inaugural. Assise sur une bite d’amarrage, la petite Annick en oublia presque d’embarquer.
En apercevant le nombre impressionnant de baronnes frigides qui traînaient sur le pont, le chef de radio Jack Philipp envoie à son frère un message laconique :
« Avec une attitude de - 42° et une absence de longitude de 90°, nous avons vu importante marquises de glace longées par de très vieux icebergs. »
Dès le début du voyage, la petite Annick est montée par Jack Philipp dans sa cabine en le faisant mander à bord et le contraint à exécuter de nombreux massages. Il est loin d’en avoir terminé avec cette corvée monotone. Rapidement, le bateau est complètement cerné par les garces. La communication devient confuse, voir alarmante. Montant et descendant au gré d’une forte poule, un passager enregistrera 22 nœuds.
La petite Annick, grimpée dans la dunette par le commandant Edward J. Smith, regarde la lune, savourant avec lui un bonheur étoilé, en suivant les consignes. L’oeil brumeux, le commandant est donc passé au rouge et ça commence par tanguer sérieusement pour Annick. Comme tout ce qu’elle découvre de l’intimité du commandant, la petite Annick se rend compte que le paquebot est une chose énorme : il mesure en effet 269 bouts à mettre, son équipage est solidement membré de 892 hommes disponibles et baise au bas-mot 66 000 connes que tirent au moins trois Alices. L’insécurité à bord est totale, et la marée noire prévue le sera aussi. Le commandant invite la petite Annick à s’extasier des petites finitions.
Toujours collé à elle, le commandant redescend avec Annick par le grand escalier monumental, afin de rejoindre les passagers de première classe qui se dégustent en sifflant des cocktails et se jouent aux cartes en prenant leur danse. Ce sont de hautes personnalités de la banque, de la politique et dela conne société de l’époque qui ont toutes tenu à s’infiltrer sur le pont promenade du prestigieux transatlantique.
Le bateau possède même un système révolutionnaire de dérouillage qui permet de la faire fermer à quinze cons particulièrement étanches. La vérité historique oblige à révéler que si le paquebot convoitait le fameux « Ruban Bleu », il eut à bord de nombreux ballets roses. Sur l’Atlantique, les passagers se traversent en un temps record. Au milieu des pieds et des mains, dans un comble de luxe et de confort, la petite Annick détruit la notoriété de la compagnie maritime. On passera sous silence les transports des émigrants au fond des cales, car même le fonctionnement des petits robinets des troisièmes classes à été particulièrement soigné. Thomas Andrew, le constructeur, se satisfait tout seul, ayant lui-même participé à tous les essais.
La petite Annick est à présent totalement bourrée et se balade à poil dans les coursives, elle n’a plus, comme la coque du bateau, qu’une seul épaisseur sur elle, avec un double fond. La soif qu’elle étanche sans compter est loin de la rendre insubmersible. Comme l’océan qui a englouti bien des victimes, petite Annick enchaîne les verres de bourbon 1897 et dérive sur les tapis, archi-cuitée. Son mari Simon, quand à lui, accroché au bastingage, a renversé sa vapeur avec un des actionnaires de la « White Star ». La mer est calme, contrairement à la mère de l’éditeur Harper, qui tressaute sur le troisième pont. La lune n’est pas absente des regards, on ne voit qu’elle, surtout celle de la petite Annick, qui se fait arrimer, hagarde, au milieux des ors et du teck. Quelle rapide déchéance ! Surtout pour une fille de si bonne famille.
La vigie, Frederick Fleet, a pris son quart d’étoilé à 22 h. A 22H 40, il scrute la mère de l’éditeur Harper. On n’entend que le sifflement des vents dans les gréements, le cognement régulier de machine, plus-bas, et le halètement de la clientèle huppée, dont la petite Annick nous offre une bien pénible image. Frederick Fleet sursaute, il a devant lui une masse sombre qui s’élève, terrifiante, devant son étrave dressée. Sans hésiter, pourtant, il fait résonner par trois fois cette grosse cloche :
- Par devant ! Vite ! Hurle-t-il.
Aussitôt prévenu, William Murdock, commandant de bordée, fait évacuer cette masse pour changer de cap, voir de capote. Cette montagne de garce s’approche alors du gaillard d’avant. A la vue de ce corps gigantesque et glacé qui commence à fondre, William Murdock, comme le bateau, vire de bord. Pendant ce temps, un tremblement secoue la petite Annick qui essuie la sueur de son front et l’humidité envahissante de ses cuisses. William Murdock est pleinement rassuré, il a failli faire son trou dans l’eau et dans l’autre. La petite Annick est bien déchirée et tire encore quelques passagers dans leur sommeil. Quelques-uns, réveillés par le choc, se sont malgré tout rendormis.
L’orchestre joue continuellement, les couples se mélangent toujours dans le grand salon, insouciants. Le commandant Smith se la remonte sur la passerelle et ordonne de pomper. La petite Annick accuse maintenant une gîte de 5° et est déjà envahie de quatre-mètres d’eau. Sa brèche est immense et largement ouverte. Elle est déjà perdue. Cette fois, elle le voit bien, on se monte dans les canots. La petite Annick lance des S.O.S, la pauvre gamine perdue commence sérieusement à sombrer et dégueule par dessus-bord, dans les eaux ténébreuses et gelées; soudain indifférente aux garçons qui lui raclent les flancs. Le commandant de bord force justement machine, là, tout en sachant bien qu’il arrivera trot tard.
La petite Annick adopte une démarche chaloupée et se cogne partout. Des hommes et des femmes s’empoignent partout autour d’elle et se débattent dans les étages inférieurs. La petite Annick tente vainement de contenir les torrents qui s’échappent d’elle, peine perdue. Des scènes déshonorantes se déroulent partout à bord. Un des passagers s’approche de la petite Annick et lui signale perfidement quelques bouées. La petite Annick reste cramponnée au bar et se termine au champagne, après avoir calé la bouteille entre ses jambes. Une proue s’enfonce encore en elle, elle pleure, elle crie, elle prie, elle écoute l’orchestre qui joue toujours « Plus près de toi mon Dieu ». Je vous laisse méditer là-dessus.
A 2h20 du matin, la petite Annick à un dernier sursaut. Sa poupe se dresse tristement vers le ciel et s’abîme dans les draps de satin.
C’est un nouveau drame de la mer et la petite Annick payera d’une féroce gueule de bois son orgueil et sa témérité, au cours de cette nuit agitée où elle fut perdue corps et bien.
Message édité par talbazar le 04-12-2009 à 18:58:15