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Auteur Sujet :

"Ecriture d'un roman d'heroic fantasy" - histoire n°2

n°3151783
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 07-07-2004 à 11:17:37  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
Je voudrais embrayer sur cette intervention au sujet des chasseurs. Au chapitre 3 l'un d'eux déclarait:
 

Citation :

" La Forêt Hurlante ...Il semblerait que quelqu’un maintienne cette forêt sous contrôle climatique. La température là-bas est bien plus douce qu’ici, et un vent tiède transporte les graines en tous sens pour aider la germination. "  
Il haussa les épaules.  
" Un mage vit sans aucun doute dans ces bois. Il est non autorisé.


 
Les chasseurs traquent-ils Barel parcequ'il se sert de magie noire ou bien parcequ'il est un mage vert non autorisé? Ou pour poser la question plus simplement: qu'est-ce qu'un mage non autorisé?

mood
Publicité
Posté le 07-07-2004 à 11:17:37  profilanswer
 

n°3153012
Damrod
Posté le 07-07-2004 à 14:15:11  profilanswer
 

la suite !!! la suite !!!

n°3154022
E-Nyar
I ain't no nice guy after all
Posté le 07-07-2004 à 15:48:55  profilanswer
 

Toujours aussi intéressant à lire :)
 
Félicitations Grenouille :D
 
(et un p'tit drapal en passant)

n°3168618
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 09-07-2004 à 09:59:28  profilanswer
 

la suite  :cry:  :cry:  :cry:  :cry:  :cry:  :cry:  :cry:  :cry:

n°3171832
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 09-07-2004 à 14:58:36  profilanswer
 

Bien, bien, bien...
Les choses sérieuses commencent...  :D  
 
___________________________________________________
Chapitre 6
___________________________________________________
 
 
 
 Pendant un instant irréel, tout sembla se figer sur place. Il régnait une sorte de silence divin, le silence qui précède les mélodies les plus envoûtantes. Même les lattes du plancher n'osaient faire de bruit de peur de perturber l'atmosphère.
Puis la petite salle bascula dans la folie. Aarel bondit sur ses pieds  et sa main se porta à sa ceinture, là où habituellement se balançait sa hache. Mais pas aujourd’hui.  Shani se jeta devant Barel, mains écartées, hurlant " non !". Il suffit d’un geste, tranquille, si désinvolte, au mage en robe blanche, pour qu’une soudaine bourrasque l’envoie voler dans la pièce. Mahlin referma lentement la bouche. Lorsqu’il tâcha de se lever, il constata que ses pieds ne lui obéissaient plus. Une puissance étrange le plaquait au sol et l'empêchait de se mettre debout.  Les soldats, le visage fermé, épée en main, s’égaillerent dans la pièce, et bientôt une lame fut sous sa gorge, ainsi que sous celle de ses compagnons.
 
 Barel Khorr avait les mains ligotées par un fil lumineux, presque translucide. Malgré le lien, il se tenait droit et fier. D’une manière ou d’une autre, il parvenait à donner l’impression que l’homme qui avait son épée sur sa gorge n’était qu’un serviteur qu’il aurait pu congédier d’un geste, mais qu’il tolérait.
 " Puis-je savoir ce que signifie cette intrusion ? "  
 Le mage en blanc le détailla insolemment de la tête aux pieds.
 " Vous n’êtes pas en position de poser des questions, mon ami. Et peut-être ne le serez-vous plus jamais, si vos réponses ne sont pas satisfaisantes. "
 " Vous outrepassez mon hospitalité " Barel haussa les épaules. " Il y a des lois. Même pour les mages. Surtout pour les mages. "
 Raclements de pieds sur le sol dallé. Les sept guerriers s’approchaient, jusqu’à l’entourer. Dous n’avait plus l’air ni calme ni placide. Adossé contre un des murs restant, son visage était fermé, ses sourcils froncés.
 
 " N'inversez pas les rôles" cracha un des hommes. " Nous sommes la loi. Nous sommes le tribunal. "
 " Et de quoi suis-je accusé, exactement ? Je ne crois pas avoir créé le moindre trouble dans les environs. Même si cela était, je trouve vos manières fort peu civiles. Je croyais que l’on traitait les mages avec plus de respect."
 " Silence " fit l’homme en blanc. Le visage impassible, il gifla Barel à toute volée. " N’aggravez pas votre cas. Vous n’êtes pas un mage malgré vos airs arrogants. Vous n'avez pas la bénédiction des Collèges de Magie ! Vous êtes accusé d’utilisation illicite de la magie, sans caution des Universités." Il cracha sur le sol. "Vous poussez le vice jusqu’à former des apprentis. Trois ! Vous n’avez aucune autorité ici. Donnez-moi votre nom "
 Barel le regarda, l’air vaguement surpris.
 " Je me nomme Barel Khorr. Je suis un mage, quoi que vous pensiez. Et j’ai mon Sceau. "
 Il y eut des murmures parmi les Chasseurs alors que Barel, entravé comme il l’était, parvenait à montrer sa bague au châton argenté.
 " S’il a un Sceau, c’est un mage à part entière " observa le Traqueur indigo, le visage de marbre. " Reste à savoir si le sceau est authentique. "
 " Il n’y a aucun mage de ma Couleur dans la région " intervint le guerrier vert. Il se tourna vers le mage blanc " J’en suis certain, Maître Vil. C’est pour cela que nous sommes ici. Ca doit être un faux. Vérifie, Bertam. "
 L’homme en bleu – Bertam – s’approcha avec précaution, et enleva le Sceau du doigt tendu de Barel.
 " A première vue, il paraît de bonne facture. Je n’en suis pas encore sûr, mais il a de bonnes chances d’être authentique. S'lesh, Qu’en penses-tu ?"  
 
 L’homme en jaune s’avança. Mahlin regardait la scène de son coin de plancher, toujours aussi incapable de bouger le moindre muscle. Il ne savait pas quelle magie était à l’œuvre, ni qui le paralysait ainsi, mais c’était efficace. Shani était allongée dans un coin, visiblement évanouie. Il brûlait d’envie d’aller la rejoindre, voir si elle était gravement blessée mais, non, décidément, impossible de bouger. Aarel devait être sous l’effet d’une magie identique car, malgré tous les regards meurtriers qu’il dardait sur les Chasseurs et ceux, chargés d’inquiétude, qu’il lançait sur Shani, il ne bougeait pas d’un pouce. Jeb leur lança un regard distrait, puis se pencha pour examiner le Sceau.
 " Je vous dit qu’il est authentique " gronda Barel Khorr. Une ombre de contrariété passa fugitivement sur son visage.
 " Nous verrons, nous verrons. Si réellement il l’est, nous aviserons. En attendant, veuillez garder le silence. "
 " C’est très ancien " constata l’homme en jaune sans relever la tête. Soudain, Barel se figea, comme s’il n’avait pas prévu quelque chose. " Oui, très ancien. Bien trop ancien, en vérité, pour appartenir à un mage encore vivant. Le Sceau est authentique, mais l’homme ne l’est pas. "
 Barel soupira et secoua la tête. Tout d’un coup, il avait l’air fatigué. Et ennuyé.
 " Le Sceau est à moi " fit-il. " Je l’ai hérité de mon maître, qui l’avait hérité du sien. Qu’y a-t-il de si étonnant à cela ? "
 " Cela fait des siècles que la loi de Transmission a été abrogée ! Le Sceau n’est plus transmissible, tu devrais le savoir si réellement tu es un Mage " cracha le mage blanc. " Il semblerait que ta situation s’aggrave. Où as-tu volé ce sceau ? "
 Barel le regarda silencieusement, ses lèvres compressées. Le Traqueur grinça des dents.
 " Nous saurons bien te faire parler. Ou le Sceau le fera à ta place. Je… "
 " Plus de huit cent ans, Vil. Plus de huit cent ans. " L’homme en jaune avait enfin relevé la tête, et ses sourcils étaient froncés. " Il y a là quelque chose qui me dépasse. Le Conseil des Mages n’existe que depuis… "  
Dans le coin, Dous battit des paupières.
 " Montre-moi ça ! "
 " C’est donc bien un faux ! " fit l’homme en blanc, son masque d’impassibilité se transformant en jubilation sadique. Mahlin lui lança un regard assassin. Vil. Il s’appelait Vil. Si seulement il pouvait se libérer…
 
 Alors quoi ? Si même il pouvait bouger, quoi ? Que pouvait-il faire contre sept guerriers expérimentés, tous aux aguets, tous plus terribles les uns que les autres ? Sans même parler des deux mages ?
 Soudain, une pensée lui glaça le cœur. Etaient-ils capables de voir qu’il maîtrisait la magie Noire ? Allaient-ils… comment avait dit le maître ?… l’écraser comme un moustique ? En les regardant, il comprit ce que disait Barel. Les Couleurs n’ont aucune volonté propre, ce sont leurs détenteurs qui les utilisent à leur gré. Ces gens, en face d’eux, quels que fussent leurs motivations, se comportaient comme des bandits, de vulgaires brigands. Et la robe blanche ne changeait rien à ça.
 " Puisque je vous dis que ce n’est pas un faux " fit Barel, maintenant exaspéré. " Si c’est ce que vous voulez, je peux vous montrer mon grimoire et la signature de mon maître. "
 " C’est une excellente idée… " commença Vil, mais Dous lui coupa la parole.
 " Je peux déjà dire que les documents qu’il nous produira seront des faux. "
 " Qu’est-ce qui te rend si sûr de toi ? "
 " Quand bien même ils seraient authentiques, comment expliquer ce Sceau ? Comment expliques-tu cela, Barel ? " Il marcha sur le mage, les yeux froids ; il n’y avait plus trace en lui de Dous le rêveur, Dous qui avait dansé avec Shani en cette nuit déjà si éloignée… la veille. " Et comment expliques-tu la forêt ? "
 Barel haussa un sourcil.
 " La forêt ? "
 " La forêt. Quelle sorte de maléfice as-tu lancé sur elle ? Nous avons tourné pendant plus d’une journée dans ces maudits bois, et nous y serions encore si je n’avais pris la précaution de me Lier à tes disciples, au village. Seule leur trace psychique m’a conduit ici. Ils dormaient, c’était plus difficile ; maudit sois-tu ! "
 Les yeux de Mahlin s’agrandirent. Ils s’étaient fait manipuler dès le début ? Mais comment avait-il pu savoir, comment avaient-ils pu se douter de… ? Il se rappela ce que Dous avait dit en dansant. Les gens se confiaient plus facilement à lui. A lui et son visage d’ange. Oh, oui, cela n’avait pas dû être dur pour lui de soutirer quelques informations à dame Maud ou ses consoeurs. Quel mal de parler des petits jeunes du manoir ? Quel mal à bavarder ? Il gronda. Dous se tourna vers lui.
 " Tu pensais que je dansais avec ton amie parce que je la trouvais jolie ? Je t’ai même rendu jaloux, je me trompe ? " Il rit. " Eh bien, j’espère que tu es rassuré désormais. Elle m'indiffère."
 Barel soupira.
 " Je vois. Honnêtement, je ne vous attendais pas aussi tôt. Félicitations, je n’ai pas pensé que vous vous étiez Accordé sur mes disciples. Une erreur de ma part. "
 " Ce sera probablement ta dernière " grommela Vil en jetant le Sceau à terre. Il avait l’air de très mauvaise humeur. Mahlin remarqua soudain que ses habits, naguère impeccables, étaient souillés de boue, et que l’étoffe avait cédé en de nombreux endroits. Un rapide regard aux autres Chasseurs lui confirma que cette traversée de la Foret Hurlante n’avait pas du être plaisante. A vrai dire, le seul homme qui ne semblait pas réellement avoir souffert du voyage était le mage violet.  " Je n’ai pas beaucoup de patience, Barel, et tu es en train d’épuiser mes réserves rapidement. Une dernière fois, où as-tu volé ce Sceau, et à qui ? Tes aveux pourront peut-être alléger ta peine. "
 Barel garda un silence buté. Vil grimaça, puis fit un salut formel. Il passa au vouvoiement officiel.
 " Très bien. Les procédures doivent être respectées. Nous allons vous conduire à Gaordon, et vous serez jugé selon les formes. La sentence sera très probablement la mort, je ne vous le cache pas. "
 Le mage eut un brusque sursaut. Autant il était resté maître de lui jusque là, autant brusquement il pâlit. On pâlirait à moins, pensait Mahlin, toujours impuissant sur le sol. Mais la raison ne semblait pas être la sentence.
 " Gaordon ? Vous m’emmenez à Gaordon ? "
 " Bien sûr, à quel autre endroit ? C’est ici que se trouvent l’Université de Magie, et c’est ici que vous serez jugé."
 Barel se lécha les lèvres nerveusement.
 " Je croyais que les tribunaux se tenaient à la capitale "
 " Certains s’y tiennent, en effet " fit le guerrier rouge, qui n’avait pas encore parlé. C’était un homme de haute taille, presque aussi grand qu’Aarel. Sa cotte de mailles, à la différence de celle des autres, s’arrêtait aux épaules, dévoilant des bras aux muscles noueux, sans graisse aucune, au point que cela en devienne caricatural. Mais, à la différence des autres, sa voix était compatissante. Il n’avait pas non plus l’air d’avoir trop souffert de la forêt ; ceci expliquait peut-être cela. " Mais cela doit bien faire trois cent ans que Gaordon abrite les Tribunaux des Mages. Quelle autre ville pourrait mieux convenir ? "
 " Bien sûr… bien sûr… " fit pensivement Barel. Il semblait retrouver lentement son assurance, mais la pâleur restait. " Bien sûr… "
 " Je ne comprends pas en quoi le lieu peut t’inquiéter " ricana Vil. " Je peux t’affirmer que nous ne te laisserons pas t’échapper. Et une ville en vaut une autre, lorsqu’il s’agit de mourir. "
 " Bien sûr " répéta Barel, l’air absent. Il reprenait lentement des couleurs. " Bien sûr " dit-il encore. Il leva la tête, et il souriait tranquillement. Il ferma les yeux. Les liens qui le maintenaient se volatilisèrent.
 
Mahlin étouffa une exclamation. L’instant d’avant, il y avait cette corde de lumière qui liaient les mains de son maître, et maintenant Barel se massait les poignets, toujours aussi tranquille. L’homme qui lui tenait la lame sous la gorge hésita une seconde, puis poussa un cri alors qu’une force invisible le soulevait et le projetait sans douceur contre un mur. Les Chasseurs autour de lui entourèrent Barel en un battement de cœur.
 " Comment… comment as-tu fait ça ? " cracha Vil, la stupeur se le disputant à la colère sur son visage d’ordinaire si inexpressif.
 " Un endroit en vaut un autre, lorsqu’il s’agit de mourir " fit simplement Barel. Il fit une passe dans les airs, et un lourd bâton noir finement ciselé, aux extrémités alourdies par des pierres précieuses, apparut dans sa main droite. " Le tout est de savoir qui meurt. "
 Dous recula d’un pas, un juron au bord des lèvres. Les autres se rapprochèrent au contraire.
 " Tu ne prétends pas essayer de te battre contre nous ? " rit Vil, incrédule. " Tu penses réellement que tes pouvoirs de second plan te seront utiles contre nous ? " Barel avait baissé la tête. " Mais tu m’offres l’occasion que j’attendais. Tes manières ne me revenaient pas, dès le début. Je vais balayer ton arrogance, et te faire me supplier à genoux de t’épargner. Mais tes cris seront sans réponse, et tes prières n’atteindront aucun dieu. "
 " Bavard " murmura Barel, la tête toujours baissée, appuyé sur son bâton. Mahlin remarqua soudain qu’il était exactement au centre du pentacle. Le visage de Vil devint blanc de rage, blanc comme sa robe. Il était au bord de l’apoplexie.
 " Meurs, si tel est ton souhait ! Tuez-le ! Tuez-le ! "
 
 Les guerriers dégainèrent d’un même mouvement, six épées qui parurent danser alors qu’ils bondissaient en avant. Mais, arrivés à quelques pouces du mage, leur belle charge fut stoppée net par un obstacle invisible. Le choc les projeta au sol; ils se relevèrent avec une souplesse féline. Lentement cette fois-ci, calmement, ils se placèrent en cercle autour de Barel et avancèrent leur épée en avant, tâtant l’air devant eux. Dès qu’ils touchèrent la barrière invisible, ils s’immobilisèrent.
 Vil leva les mains au ciel et commença à incanter, yeux fermés. Les guerriers attendaient, et la mort dansait dans leurs yeux. Dous se contentait de regarder. Des rides de concentration plissaient son front. Barel continuait à murmurer, tête baissée, trop doucement pour que quiconque puisse l’entendre.
 " Ta mort réglera nombre de problèmes " observa Vil avec un sourire pervers. Il tendit les mains et des flammes jaillirent de ses paumes en un jet puissant. La chaleur dans la pièce devint soudain insoutenable, malgré le mur ouvert sur l’air extérieur. Le jet s’enroula autour des autres Chasseurs, et chaque contact augmentait sa puissance et sa taille, jusqu’à ce que le noyau original devienne une véritable fournaise entourant Barel. Un dernier mot de Vil, et les flammes se refermèrent sur leur victime. Au même moment, Mahlin se sentit libéré de sa paralysie.
 " Maître Khorr ! " hurla-t-il, désespéré.
 Aarel, lui aussi libéré, se montra plus téméraire. Ignorant les mages qui continuaient à psalmodier, il se jeta vers les flammes avec un cri étranglé, cherchant visiblement à en extraire Barel. Mais, alors qu’il atteignait le pentacle, il fut obligé de reculer, se protégeant le visage entre les mains. Les flammes redoublèrent d’intensité. De là où il était, Mahlin sentait les vagues de chaleur se propager au travers de la pièce. Il suait abondamment, et une bonne part était dûe à la peur. Un meurtre ! Il assistait à un meurtre ! Le meurtre de son maître ! Les chasseurs allaient-ils laisser des témoins derrière eux ? Le bras armé de la justice… Pah ! Il se sentit coupable de se soucier de sa peau plus que de celle de son maître, mais celui-ci ne devait plus être que poussière désormais, alors que lui-même était vivant. Peut-être, s’il se faufilait hors de la pièce pendant qu’ils regardaient les flammes danser... Mais il n’allait pas abandonner Shani.
 A moitié rampant, soulagé de voir que personne ne lui portait le moindre intérêt, Mahlin alla s’agenouiller près de la jeune fille. A cette distance, la chaleur était intolérable. Qu’elle ne se réveille pas après cela devait signifier qu’elle était plus gravement touchée qu’il ne le pensait. Toussant et larmoyant dans l’épaisse fumée qui maintenant se dégageait des flammes, il la traîna vers l’air frais, là où maître Barel avait détruit le mur, il y avait quelques minutes… cela semblait des heures.
 " Justice a été rendue " fit solennellement Vil alors que les flammes se tassaient lentement sur elles-mêmes.
 " Justice a été rendue " répétèrent les autres en écho. Certains avaient toutefois l’air mal à l’aise. Peut-être leur restait-il un peu de sens moral après tout ?
 " Justice a été rendue " articula Dous, toujours adossé à sa colonne, mais il n’était pas à ce qu’il disait. Ses yeux restaient braqués sur la fumée qui lentement se dissipait. Et lentement émergèrent les jambes, puis le corps, puis la tête de Barel, toujours dans la même position, tête baissée. Vil se retourna, poussant une exclamation.
 " Je crois ", fit Barel en levant enfin la tête, " que vous ne vous rendez pas compte de qui vous affrontez "
 Les Chasseurs se contentèrent de le regarder, bouche bée. Dous hocha la tête comme si tout cela confirmait ce qu’il pensait, et il quitta enfin sa place pour se joindre au groupe. Barel sourit et désigna le soleil à travers le mur brisé.
 " Une belle journée, ne trouvez-vous pas ? Un endroit en vaut un autre… lorsqu’il s’agit de mourir. "
 " Cesse de répéter ça ! " hurla Vil, furieux. Il se tourna vers ses compagnons. " Abattez-le ! Abattez-le ! "
 " Vous n’arriverez à rien tant qu’il est au milieu du pentacle " fit Dous en levant les yeux au ciel. Sept regards se posèrent sur lui. Neuf, avec Aarel et Mahlin. Dix lorsque Barel haussa délicatement un sourcil.
 " Je vois que l’un de vous, au moins, peut se prévaloir du titre de Mage "
 " Ne te moque pas de nous " gronda Vil.
 " Il est au milieu d’un Pentacle de Protection. Vous auriez pu le remarquer " dit le mage violet. " Vous avez perdu beaucoup de Pouvoir pour rien. "
 " Et pourquoi n’as-tu rien dit, toi qui est si malin ? " écuma Vil.
 " Interrompre un rituel ? je ne suis pas fou à ce point. Le contrecoup vous aurait été fatal. Ou bien n’avez-vous pas non plus pensé à cela. " Dous souriait largement, maintenant. " Brisez tout d’abord ce pentacle, ou tous vos efforts – nos efforts – s’avèreront vains. "
 Vil baissa les yeux vers le pentacle. Une veine battait sur sa tempe.
 " Ne crois pas que ton Pentacle te sauvera longtemps. Nous sommes huit. "
 " Tu l’as déjà dit " observa Barel. " Crois-tu qu’il y ait lieu de t’en vanter ? " Il fit tournoyer son bâton, et une expression rêveuse se peignit sur son visage. " Cela fait longtemps... si longtemps...  j’avais presque oublié cette sensation…"
 Il se passa la main sur le visage et, lorsqu’il la retira, il ne souriait plus.
 " Te’n’siii Nye’tan Ne’bek Se’bek  Les Sceaux sont brisés, les Runes sont détruites ! Démons, répondez à mon appel ! Ce monde est le vôtre... " Le bâton se mit à briller.
 Si Vil avait pu paraître stupéfait avant, que dire de l’expression qui se peignait sur son visage.
 " Cette incantation..."
 " Je croyais que..." fit le mage jaune.
 " Quelqu’un connaît encore... "
 " …du Pacte des Dieux, empruntez la Voie et respectez nos Accords. Le sang versé… "
 " Arrêtez-le tout de suite ! " hurla Dous, dont le visage venait de se décomposer.
 " Unissez-vous ! Il faut détruire le pentacle ! Unissez-vous, que les Couleurs vous maudissent ! "
 " Formez un Bouclier ! Tout de suite ! "  
 Le mage bleu leva les mains, et commença à chanter doucement, presque tendrement. Sa voix contrastait avec la terreur qui se lisait sur son visage. Le vent, dans la pièce, forcit et commença à tourbillonner. Un geste, et une véritable tornade se rua contre le pentacle. Mais l’ouragan se heurta à la barrière invisible et retomba en vaguelettes inoffensives. La cape de Barel ne frémissait même pas.
 " ...la Voie est désormais libre pour qui accepte l’Accord ! Venez et obéissez, car la récompense est grande..."
 " Trop tard ! " hurla Jeb alors qu’une lueur dorée, grandissante, se plaçait en écran entre lui et le pentacle.
 " Trop tard… " murmura Dous, avec l’air d’un rêveur qui vient de se réveiller.
 " Trop tard… " gémit Vil, et il tendit les mains comme pour se protéger le visage.
 " Trop tard ! " confirma Barel, et la mort dansait dans ses yeux.
 Et le pentacle vola en éclats sous la pression venue de l’intérieur, et puis tout ne fut plus qu’une gigantesque explosion. Quelque chose de noir et de blanc, de rouge et de bleu, de vert et de violet, d'orange et d'indigo, de multicolore et en même temps tellement sombre, quelque chose qui vous explosait dans la tête et vous laissait extatique, quelque chose d’ancien et d’inquiétant, quelque chose de neuf et d'exultant, la naissance du monde, la fin du monde, quelque chose qui jamais n’aurait dû exister, quelque chose qui peut être n’avait jamais existé. Puis cela cessa.
 
 L’armoire, contre le mur nord, grinça, puis tomba lourdement, soulevant un nuage de poussière.
 Mahlin cligna des yeux. Il était vivant. Comment pouvait-il être vivant ? Il avait vu la mort, il l’avait vue. Il l’avait vue ! Elle était telle que le barde l’avait décrite, si belle et horrible à la fois, avec sa faux étincelante et son rire éclatant. Il ne pouvait pas être en vie.
 Il agita la main pour dissiper la poussière qui lui masquait la vue. Une pierre se détacha du plafond et tomba à quelques pas de lui. Oui, il était en vie. Mais il ne le serait pas si le plafond s’effondrait sur lui. Shani, ou était Shani ? Aarel ? le maître ?
 Les chasseurs ?
 Il parcourut la pièce du regard. Rien ne bougeait. Tout le monde avait-il disparu ? Il regarda avec plus d’attention ? Etait-ce une botte, là-bas ?
 Il se leva avec difficulté. Oh, son dos ! Oui, c’était bien une botte. Et un pied, et une toge jaune. Jeb, il s’appelait. Oh, sa tête !  
 Il s’obligea à regarder, tremblant sur ses jambes. Pas de blessure apparente, mais l’homme était tout ce qu’il y avait de plus mort. Et son visage n’était qu’un masque d’horreur.
 Mahlin se détourna avec une grimace, et ce fut pour arrêter son regard sur une toge blanche. Puis une bleue, une verte. Tous, ils étaient là. Tous les Chasseurs, étendus sur le sol, avec la même expression d’intense stupéfaction, de terreur superstitieuse. Tous morts. La magie noire. C’était la magie noire.
 Il tituba contre un mur et s’y appuya pour s’éponger le front. La chaleur n’avait pas encore complètement reflué. Sa tunique était trempée.  
 Une toux sèche le fit se tourner brusquement. La toux recommença, puis un bras s’agita. Un bras épais comme ses propres cuisses. Cela ne pouvait être qu’Aarel. Il était vivant ! Et si eux deux étaient vivants…
 Shani reposait sur le sol, évanouie comme lorsqu’il l’avait trouvée. Mais son cœur battait, il en était sûr. Il ne pouvait en être autrement. Il lui souleva la tête, lentement, la gorge serrée.
 " Elle va bien. Du moins, elle ira bien lorsque je l’aurai soignée. Rien de cassé, rien d’irrémédiable. "
 Mahlin fir volte-face. Barel sortait du pentacle, la démarche hésitante. Il s’appuyait sur son bâton ornementé comme s’il s’était agi d’une canne. Ses beaux habits étaient déchirés en de nombreux endroits, et avaient perdu de leur lustre. A bien y réfléchir, son visage aussi semblait avoir subi des ravages. Quelques rides de plus, ça et là. Rien de flagrant, mais le maître semblait à bout de forces. Il était aussi bien qu’il le fût, après une telle prestation, sans quoi Mahlin se serait interrogé sur son humanité.
 " Je n’avais pas le choix " mumura le mage en regardant les corps épars. " Je n’avais vraiment pas le choix. Je m’étais promis de ne plus utiliser cette incantation. Je l’avais juré. "
 " Que… qu’est-ce que c’était ? " souffla Mahlin, redoutant déjà la réponse.
 " Il vaut mieux que tu ne le saches pas… pour l’instant.  Peut-être plus tard, même si je doute que tu disposes jamais d’assez de pouvoir et de connaissance pour l’utiliser. Non que je te souhaite de te retrouver dans une situation où il te faille l’utiliser. C’est assez… désagréable. "
 " Je le crois volontiers… maître " fit Mahlin avant de se laisser tomber sur le sol. Il n’en pouvait plus.
 " Je crois que je vais devoir repousser la fin de la leçon, finalement " murmura Barel. Il eut un petit rire. " Si seulement j’avais pensé que ce mage violet pouvait suivre vos traces psychiques, je me serais mieux préparé. " Il engloba la scène d’un geste de la main. " Tout cela n’aurait pas été nécessaire, seraient-ils venus un jour plus tard. " Il hocha la tête. " Ce mage était puissant. Très puissant. "
 " Plus encore que tu le crois " fit Dous, apparaissant soudain devant le mage.  
 Et il lui planta un couteau dans le cœur.


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Ma chaîne YouTube d'écrivain qui déchire son père en pointillés - Ma page d'écrivain qui déchire sa mère en diagonale
n°3172146
E-Nyar
I ain't no nice guy after all
Posté le 09-07-2004 à 15:22:18  profilanswer
 

C'est excellent :)
 
quelque remarques :
- "Les soldats, le visage fermé, épée en main, s’égaillerent dans la pièce" le verbe "s'égailler" me semble inapproprié, j'aurai plutôt mis "s'éparpillèrent", ou plus simplement "prirent position "
 
- "Mais, alors qu’il atteignait le pentacle, il fut obligé de reculer, se protégeant le visage entre les mains." il serait plus réaliste qu'il se protège le visage avec son avant bras, comme on le fait naturellement, non ?
 
sinon, dans la dernière partie, quelque chose m'intrigue, apperement la pièce est plus ou moins remplie de poussière, mais on a l'impression que Mahlin peut y voir assez distinctement pour y retrouver ses camarades e voir l'armoire tomber (étant donné que c'est précisé que c'est l'armoire au Nord). il faudrait peut-être rendre ça plus "sonore" que visuel sinon on ne comprends pas comment Dous a pû se dérober au regard de tout le monde, ou alors faire apparaitre Dous "magiquement" devant Barel.


Message édité par E-Nyar le 09-07-2004 à 15:27:44
n°3172184
docwario
Alea jacta est
Posté le 09-07-2004 à 15:25:41  profilanswer
 

excellent !

n°3172313
deidril
French Geek Society Member
Posté le 09-07-2004 à 15:35:17  profilanswer
 

Le meilleur chapitre que j'ai lut pour l'instant. Efficace et tout. Qq erreurs grammaticales comme d'hab :).  
 
Le passage avec le sortilege de Barehl m'evoque qq scenes de Bastard, surtout l'intonation de la formule. Du coup, je n'aurais pas fait reapparaitre Barehl, mais je serais repartit sur un truc du genre
 
Et du milieu des flammes monta une incantation : " Te’n’siii Nye’tan Ne’bek Se’bek  etc ... '
 
Je n'aurais pas fait apparaitre Dous devant mais derrière.
 
Enfin le sortilège qui fait si peur à tous fait simplementer tomber une armoire ? ( et volatiluse les autres certes ). Je pense que l'effet manque de description à ce moment pour qu'on sache quel type de sort il s'agit. Autant refaire Independance Day quand on pete le sort qui tue :)
 

n°3172774
yulara
Byte Hunter
Posté le 09-07-2004 à 16:14:41  profilanswer
 

roh petard je veux la suite :bounce:
 
GB si je peux me permettre: je te deteste de nous servir cette histoire au compte-goutte :cry:

n°3175131
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 09-07-2004 à 20:21:14  profilanswer
 

Je n'avais pas fait gaffe, mais il y a effectivement de l'inspiration Bastard dans l'incantation :D
 
En tout cas, je suis content que ça vous ait plu, parce que ce passage m'a donné beaucoup de mal... même si le sort qui fait peur n'a pas volatilisé le chateau :whistle: La magie Noire n'est pas destructrice, hein... elle est juste, hmm... mortelle ? :D

mood
Publicité
Posté le 09-07-2004 à 20:21:14  profilanswer
 

n°3189565
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 12-07-2004 à 10:26:36  profilanswer
 

Et voici le chapitre 7 !
________________________________________________________
 
 Dous retira son arme. Ce n’était qu’une petite blessure, une fine coupure dans le tissu, un peu de sang qui perlait sur la poitrine. Mais le cœur était atteint. Mahlin regarda, comme dans un rêve, le maître tomber sur le sol. Pour un être qui s’était toujours déplacé avec autant de grâce, il s’effondrait bruyamment. La cape noire avait des allures de linceul.  
 
 " C’est une mort un peu décevante pour l’un de nous, tu ne trouves pas ? " fit Dous en s’agenouillant près du corps. Le front plissé, il posa sa main sur la gorge de Barel. " Mort " murmura-t-il enfin. Il hocha la tête d’un air satisfait. " Si j’avais imaginé te trouver ici… qui contrôle le Destin ? Quelqu’un qui ne devait pas t’aimer. "
 Il soupira et se releva. Avisant qu’il tenait toujours la dague dans sa main, il la jeta de côté avant de se retourner vers les apprentis.
 " Maintenant, il s’agit de s’occuper de vous. " Il eut l’air pensif. " Que vais-je bien pouvoir faire de tels disciples ? Si seulement je pouvais savoir ce qu’il vous a révélé… je n’aurai peut-être pas à prendre des mesures drastiques. "  
 
 Mahlin n’était certainement pas en état de subir un interrogatoire ; il fixait le corps de Barel, le regard vide. Il ne pouvait pas être mort. Pas après la démonstration de puissance qu’il avait faite. Ce ne devait être qu’une comédie destinée à tromper ce maudit Chasseur. Comment avait-il survécu, là où les autres avaient péri ? Respirez, maître, respirez. La poitrine ne bougeait pas. Et Shani qui refusait d’ouvrir les yeux, de lui sourire. Ou était Aarel ?
 Aarel était derrière lui, il venait de se relever et regardait la scène avec un air de totale incompréhension. Il se frottait la tête en murmurant quelque chose d’inaudible. Dous fronça les sourcils.
 " Vous ne m’avez pas l’air bien vaillants, tous autant que vous êtes. Savez-vous au moins qui était cet homme ? " Il attendit une réponse, la tête inclinée, les yeux mi-clos. Lorsqu’elle ne vint pas, il rit. " Je le reconnais bien là. Toujours prudent, trop prudent. " Il poussa le corps du pied. " Peut-être pas assez, après tout. "  
 Il s’arrêta de parler, fronça de nouveau les sourcils, puis se mit à faire les cent pas dans la pièce, mains derrière le dos. Mahlin le regardait faire d’un air éteint. Aarel lui tira la manche, ne prêtant pas plus d’attention au Chasseur.
 " Maître Khorr… il est… il est mort ? "
 Non, pas lui. Il n’allait pas mourir aussi facilement. Mahlin garda le silence. Mais…
 " Oui… " fit-il finalement, du bout des lèvres. Aarel le regarda, puis acquiesca silencieusement.  
 " Peut-être nous devez-vous quelques explication, Maître Dous. Je pense que c’est la moindre des choses après ce qui vient de se passer. " Il parlait d’une voix monocorde, et n’accordait plus un regard au corps de Barel, sur le sol. " Maître Khorr disait qu’un endroit en valait un autre dès lors qu’il s’agit de mourir. Quitte à ce que vous nous tuiez, j’aimerais d’abord comprendre. "
 Dous se pencha en avant, un air d’extrême fascination sur le visage.  
 " J’ai toujours été subjugué par la manière dont les gens réagissent lorsqu’ils savent qu’ils vont mourir. Certains crient, certains supplient ; d’autres se battent contre tout espoir ; certains sont apathiques, comme ton ami. J’en connais qui deviennent soudain arrogants. Ce sont les plus amusants. " Il regarda Aarel avec attention. " Oui, vraiment. "
 " Vous n’avez pas répondu à ma question " observa celui-ci. Il avait les mâchoires serrées.
 " Et je n’y répondrai pas. Il y a des limites à tout, même à la tolérance que je vous montre. Je pense d’ailleurs qu’il est temps de mettre fin à tout cela. Je ne peux prendre le risque de vous laisser en vie. Je suis désolé, Aarel, mais tu mourras dans l’ignorance. Je n’ai pas le temps de tout t’expliquer ; d’autant plus que ce serait l’affaire d’une journée au bas mort.. " Il leva les mains, ferma les yeux. " Priez le dieu que vous voulez, et détendez-vous. Je vais tâcher de rendre votre mort la plus agréable possible. Vous aimez les fleurs ? Tout le monde aime les fleurs. "
 
 Mahlin s’arracha à la contemplation du corps de Barel, sur les dalles de pierre. Froides les dalles, et froid le corps. Il ne voulait pas finir ainsi. Il y avait certainement quelque chose à faire ! Instinctivement, il ferma les yeux et rechercha l’Arc-En-Ciel. Les ténèbres l’envahirent, mais il n’y prit pas garde. Grand bien leur fasse. Elles lui permettaient d’atteindre les Couleurs. Là. Elles étaient là, chaudes et rassurantes, rayonnantes. Vivantes. Il plongea dedans avec soulagement. Quelle couleur ? Le Vert. Il ferait honneur au Maître.
 Il rouvrit les yeux. Le Pouvoir rugissait en lui, hurlait en lui, demandait la mort du mage Violet. Mahlin sourit cruellement. Puis l’odeur de rose lui envahit les narines.
 C’était un parfum douceâtre, avec des relents d’ancienne amertume. Un parfum indéfinissable, surprenant, mais pas si désagréable au fond. Des roses, oui, mais des roses fanées. Le jardin de sa mère, lorsqu’il était enfant. Elle était là, avec son sourire rassurant, sa longue robe, ses cheveux nattés, et son parfum, son parfum. Lentement, le Pouvoir reflua en lui. Que pouvait-il y avoir de menaçant ici ? Pourquoi était-il aussi méfiant ? Les yeux embués, il courut vers sa mère, et vers les roses. Vers sa maison. Il se sentait faible, mais cela n’avait aucune importance. Une nuit de repos, et il n’y paraîtrait plus. Dormir. Il se coucha sur le sol avec un léger soupir. La pierre était confortable, après tout. Dormir. Il était en sécurité. Il avait sommeil. Il bailla, puis ferma les yeux. Quelle odeur étrange...
 
 " Pas maintenant ! Pas tout de suite ! "
 C’était un hurlement de frustration. Mahlin  fronça les sourcils, perplexe. Que se passait-il ? Tout disparut, les roses, la maison, sa mère. Il cligna des yeux,  complètement désorienté. Où était-il ?
 Il était allongé sur le sol, près d’Aarel et de Shani, et Dous les regardait avec colère. C’était lui qui avait crié. Que se passait-il ? Il plissa les paupières. Le soleil passait au travers de Dous. Quelque chose lui disait que ce n’était pas normal.
 " Qui contrôle le Destin ? " gronda Dous. " Une minute, une simple minute de plus… "
 Lentement, Dous s’estompait. On commençait à apercevoir le mur derrière lui, et la table, et les chaises. Seul son visage furieux finit par rester, flottant dans l’air sans corps pour le soutenir. Et ce visage sourit abruptement.
 " Votre mort n’est pas si importante en regard de ce que j’ai accompli aujourd’hui. Nous nous reverrons. Ici, ou ailleurs. " Il rit.
 Et la tête disparut à son tour, mais le rire continua, et continua, et monta dans les aigüs, jusqu’à ce que cela devienne un rire de femme, un rire pur et cristallin, un rire qui rappelait irrésistiblement Shani à ses meilleures heures.
 Maintenant que l’odeur des roses ne planait plus dans l’air, la pièce était vraiment froide et lugubre. Mahlin se passa la main sur les yeux, essayant de réaliser un tant soit peu ce qui se passait. Il se retourna, et Aarel lui rendit son regard. Pour la première fois depuis ce qui semblait une éternité, la salle était calme. Une tapisserie à moitié brûlée se détacha du mur et tomba sur le sol avec un bruit mat.
" Tu.. tu vas bien ? " demanda Mahlin.
  " Aussi bien que possible " murmura Aarel. " Aussi bien que possible. "
 Son regard errait dans la pièce, s’arrêtant sur les corps épars, hochant lentement la tête.
 " Shani ? Maître Khorr ? "
 Mahlin soupira. Il se sentait fatigué. Il était si bien sur le sol. Les roses, où étaient les roses.
 " Barel est mort. Dieu du Foyer, il a été assassiné ! Tu as vu aussi bien que moi ! Pourquoi me demandes-tu comment il va ? Comment veux-tu qu’il aille bien avec un pouce d’acier dans le cœur ? "
 " Calme-toi " fit Aarel. Il dodelinait de la tête, les yeux embrumés.
 " Non, je ne me calmerai pas, comment veux-tu que je me calme ? Tu réalises ce qui vient de se passer ? Les Chasseurs sont morts, le maître est mort, et nous.. nous sommes morts aussi, pour ce que cela change. Ce… cet assassin va revenir nous achever sous peu, et nous serons incapables de faire quoi que ce soit pour l’en empêcher ! D’ailleurs, pourquoi ne nous a-t-il pas tué alors qu’il en avait l’occasion ? C’aurait été tellement plus simple ! Pour lui, comme pour nous…"
 " Ne te plains pas d’être en vie " grinça Aarel. " Certains nous envieraient. Et, pour ma part, je n’ai aucune envie de lui simplifier la tâche en geignant jusqu’à son retour. "
 " Parce que je geins ? " ulula Mahlin. " Je geins ? Oui, je geins. Et tu trouves qu’il n’y a pas de raison de… "
 " Si, mais je pense qu’il y a aussi mieux à faire. Si tu ne te soucies pas de mourir, pense à Shani ! Et, accessoirement, à moi. Je n’ai pas l’intention de me faire tuer si je peux l’éviter "
 Mahlin se massa les tempes. La situation lui échappait complètement, et il détestait cela. Lui qui était toujours si rationnel. Shani. Il fallait soigner Shani.
 
 Son regard erra dans la pièce. Elle était là, là où il l’avait laissée, étendue de tout son long. Il la retourna et étudia son visage. Elle était si pâle ! Elle gémit.
 " Elle ne va pas bien du tout… "
 " Elle doit s’être brisé quelque chose lorsqu’elle a été projetée contre le mur. " fit Aarel. Il se pencha à son tour, et l’examina rapidement. Il grimaça. " Ce n’est pas beau, pas beau du tout. J’ai l’impression qu’elle a un bras cassé, et probablement quelques côtes. " Shani grogna alors qu’il passait son bras sous son épaule et la soulevait doucement. " Elle ne va pas pouvoir marcher. "
 Mahlin ouvrit de grands yeux.
 " Marcher ? "
 " Eh bien oui, marcher ! " répondit Aarel, fort occupé à adosser Shani contre un mur. Les sourcils froncés, il éprouva la résistance de la voûte en frappant du plat de la main. " Je ne voudrais pas que tout nous tombe dessus. Il y aurait de quoi, vû les dégâts causés. " Son examen parut le rassurer, et il retira son bras. La jeune fille dodelina de la tête.
 " Marcher où ? Que veux-tu dire, marcher ? "
 " N’importe où, mais pas ici. Je ne veux pas être là quand ce mage reviendra. Si tu tiens vraiment à respirer de nouveau ses maudites fleurs, grand bien t’en fasse. Mais j’emmène Shani avec moi. "
 Mahlin regardait le sol, mâchoires serrées.
 " Et où irions-nous ? tu l’as dit toi-même, elle n’est pas en état de bouger. "
 " Nous la porterons. Je ne laisserai pas cet étron en robe violette poser ses mains sur elle. Ou sur moi, tant qu’à faire. "
 Mahlin renifla amèrement.
 " Ce n’est pas que j’apprécie l’idée de mourir, mais je ne vois pas vraiment ce que l’on peut faire… maître Khorr… maître Khorr est mort, et je n’ai jamais réfléchi à ce qui nous arriverait dans une telle éventualité. Et encore moins aux moyens de fuir un assassin au regard d’ange. Il l’a dit lui-même. Nous sommes des morts en sursis. "
 Aarel grimaça un sourire.
 " Je ne sais pas pour toi, mais j’ai appris à ne pas croire sur parole les gens qui veulent ma mort. De toute manière, nous n’avons pas vraiment le choix. En supposant même qu’il ne revienne pas, il faut que quelqu’un s’occupe de Shani. Quelqu’un de compétent. "
 Mahlin hocha la tête comme à regret.
 " Où veux-tu aller ? "
 Le géant hésita.
 " Là encore, nous n’avons pas le choix. Nous devons atteindre Longue-Rivière. Là-bas, ils sauront lui offrir des soins. Ou du repos. Je suis sûr que Erhman et dame Maud voudront bien nous cacher un moment si nous leur expliquons la situation " Mahlin lui jeta un regard acéré, et il sourit. Un pauvre sourire, mais un sourire tout de même. " Oh, non, je ne compte pas tout leur raconter. A supposer qu’ils nous croient, l’histoire serait connue de tout l’Empire en quelques jours. Assez pour qu’ils nous cachent, en tout cas. Ils ont bon cœur. "
 " Longue-Rivière… " Mahlin se tapota la lèvre de la main, réfléchissant. Lentement, il sortait de sa léthargie. " Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure chose à faire. Après tout, ce sera le premier endroit où Dous regardera lorsqu’il se rendra compte que nous avons disparu. "
 " Tu as une meilleure idée ? " grommela Aarel. " Je reviens, je vais aller chercher des provisions à la cuisine. Il faut nous dépêcher. Rassemble tes affaires. Il ne faut pas que nous nous chargions trop, rappelle-toi que nous porterons Shani. "
 Les derniers mots se perdirent au détour d’un corridor alors que le géant se hâtait de disparaître. Mahlin soupira en regardant les corps épars. Tout allait si bien il y avait une heure. Ou une demi-heure, tout était arrivé si vite… Son regard s’arrêta sur quelque chose de brillant, au milieu des décombres. Curieux, il se baissa et ramassa l’objet. C’était le sceau de Barel Khorr. Sans réfléchir, il l’empocha.
 
 Le bâton posait un autre problème. Il reposait sur le sol, désormais inerte. Il ne brillait plus. A vrai dire, il brillait même moins qu’un bâton ordinaire. Les deux pierres précieuses, aux extrémités, auraient dû réfléchir un tant soit peu la lumière du soleil. Mais, non, elles restaient ternes. Ce furent ces joyaux qui décidèrent Mahlin. Il avait finalement décidé de vivre ; il leur faudrait certainement de l’argent dès lors qu’ils ne dépendaient plus du maître, et ces pierres devaient valoir une fortune. Après une seconde d’hésitation, il agrippa le bâton, son sens pratique prenant le pas sur sa répugnance.
 Quoi d’autre ? Son regard erra dans la pièce. Peut-être devrait-il fouiller les corps ? Qui sait ce qu’il pouvait trouver, peut-être des renseignements intéressants ? Ou de l’argent. Il se prit à penser que désormais, les ressources leur étaient comptées. Lentement, avec dégoût, il s’approcha du mage rouge et entreprit de lui faire les poches. Rien de bien intéressant. Il passa à un autre.
 " J’ai trouvé du pain, du jambon et quelques fruits ! " fit Aarel en revenant, les bras chargés. " Il faudrait que l’on trouve une besace pour tout transporter, nos bourses ne suffiront pas. "
 " En tout cas, nous ne manquerons pas d’argent " répondit Mahlin sans prendre la peine de lever la tête, occupé à fouiller le corps de Fez. " Aucun parchemin, aucune arme, mais des bourses bien remplies. " Le silence lui répondit. Il se retourna pour voir Aarel le regarder sans ciller. " Quoi, qu’y a-t-il ? "
 " Tu ne devrais pas détrousser les cadavres. "
 " Hein ? Pourquoi ? "
 " Ca ne se fait pas, c’est tout " grommela Aarel. " C’est un manque de respect flagrant. "
 Mahlin haussa les épaules.
 " Sincèrement, mon respect n’était déjà pas grand pour ceux-là. Ils n’ont plus besoin de leur argent, de toute manière. Il faut être réaliste. La nourriture que tu as trouvée ne durera guère plus de deux ou trois jours. "
 Aarel secoua la tête. Il ne paraissait pas convaincu. Mais Mahlin se pencha sur un autre corps.
 " Tu avais raison, tout à l’heure. Je veux vivre ; tu veux vivre. Et, pour cela, il nous faut de l’argent. C’est trivial, mais c’est ainsi. "
 " Je suppose que nous n’avons pas le choix " acquiesca finalement Aarel. Il resta cependant mal à l’aise tout le temps que Mahlin fouilla les corps, ne se détendant que lorsque son ami se redressa.
 " Ils avaient beaucoup d’argent, et de l’or. Assez pour que nous puissions vivre correctement pendant longtemps, et faire soigner Shani, quoi qu’elle ait. Si je savais ou le maître rangeait son or, je n’aurais pas à faire cela. Mais nous n’avons pas le temps de fouiller le manoir. "
 Aarel hocha sobrement la tête.
 " Puisqu’il fallait le faire… bon, je vais chercher des sacs ".
 
 Il disparut de nouveau. Mahlin le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse dans l’escalier, puis il se mordit la lèvre et regarda Barel, allongé sur le sol.  
 Si jamais il avait quelque chose d’important sur lui ?
 Il lui devait le respect dû à un mort, et à un Maître.
 Mais si jamais il avait quelque chose d’important sur lui ?
 Il ne s’abaisserait pas à ce point.
 Il s’accroupit et, lentement, entreprit de fouiller les poches de la tunique sombre. Il frémit lorsque ses doigts effleurèrent par mégarde la légère entaille dans les vêtements, au niveau du cœur. Le sang, bizarrement, n’avait pas coulé. Et la peau, sous ses doigts, était froide. Il ne s’attarda pas à ces constatations. Le Maître ne portait rien d’essentiel sur lui, et il était hors de question de lui prendre ses bijoux, anneaux ou autres amulettes. Il lui restait un fond de décence. Tout de même. Des bruits de pas : Aarel revenait.
 " J’ai trouvé ça… " il montrait d’épais sacs en toile de jute, solides, mais peu pratiques. " Je n’ai pas osé chercher plus avant. Je suppose qu’il faudra s’en contenter. "
 Mahlin hocha la tête.  
 " Tu penses que nous avons oublié quelque chose ? "
 " Je ne sais pas, mais je crois que nous aurons tout le temps de le regretter plus tard. Filons. "
 " Quoi, tout de suite ? Je voudrais au moins donner une sépulture décente au maître… "
 Aarel s’arrêta net alors qu’il se préparait à soulever Shani.  
 " Je n’y avais même pas pensé ! Tu as raison, nous ne pouvons pas le laisser ainsi. " Il s’écarta de la jeune fille et, à la place, souleva doucement le cadavre. " Aide-moi, nous allons le descendre dans le jardin. Je n’aime pas l’idée de perdre du temps – et les Couleurs savent que nous allons en perdre – mais nous ne pouvons pas partir sans l’enterrer. "
 Mahlin opina et s’empara des jambes. Lentement, précautionneusement, ils descendirent. Combien long et raide est un escalier lorsque l’on porte quelqu’un. Mahlin perdit le compte des tours et détours qu’ils faisaient. Mais enfin ils se retrouvèrent dehors. Délicatement, ils posèrent Barel contre un arbre.  
 " Descendons Shani, aussi. Je ne voudrais pas qu’elle se réveille seule là-haut. Et puis, l’air frais ne peut lui faire que du bien. "
 " Tu as raison, je vais t’aider. "
 De nouveau ils montèrent dans la Salle d’Incantations, puis redescendirent en portant leur fardeau. La jeune fille était beaucoup plus légère ; bientôt elle reposait contre la muraille. Quelque pâle que soit son visage, sa poitrine montait et descendait au rythme de sa respiration. C’était rassurant ; elle vivait.
 
 Creuser une tombe prit une bonne heure pour qu’elle ait les bonnes dimensions, et Mahlin se sentait quelque peu inutile devant les muscles puissants d’Aarel. Il s’esquiva bientôt, affirmant qu’il allait chercher d’autres objets pour le voyage. Ils avaient forcément besoin de quelque chose de plus. Des vêtements chauds. Des couvertures.
 Il passait rapidement dans les couloirs, les bras chargés de fourrures, lorsqu’il s’arrêta brusquement. A gauche de lui, à moitié entrebâillée, se trouvait la porte de la bibliothèque. Mû par une impulsion, il entra.
 La pièce était dans son état habituel, c’en était presque un soulagement après tous les bouleversements de la journée. Fidèles à eux-mêmes, les livres s’entassaient dans les rayonnages en tous sens, dans toutes les directions, en des formations hétéroclites. Tout était impeccablement classé, le tout était de savoir quel critère était utilisé. Mahlin était bien en peine de le dire. L’air ici avait une légère odeur de renfermé, de confort tranquille, de sagesse millénaire. Oui, c’était rassurant.
 Mahlin hésita un instant, puis posa ses fourrures sur la table et alla étudier les quelques tomes épars. S’il se souvenait bien de ses dernières recherches, ces livres étaient ceux qui se rapprochaient le plus de grimoires de magie. On y parlait en tout cas d’utilisation des Couleurs, d’incantations, et d’ésotérisme. Il se tapota la lèvre du bout de l’index, comme toujours lorsqu’il était pensif. Ils ne pouvaient se permettre de se surcharger ; la traversée des bois serait assez pénible ainsi – il n’osait y penser. Mais d’un autre côté, ce qu’il avait vainement essayé de comprendre durant des heures autrefois lui serait peut-être plus accessible désormais. Après tout, il savait désormais…
 Il se figea, bouche ouverte. Lorsque Dous s’était tourné vers eux...
 Lorsque Dous s’était tourné vers eux... oh c’était si flou…
 Lorsque Dous s’était tourné vers eux, il avait réussi à atteindre les Couleurs. Il ne se souvenait pas réellement de tout ce qui s’était passé après, mais cet épisode lui apparaissait clairement. Sans le soutien de la lumière (quoi que ce fût) du maître, il avait pu puiser dans ses Pouvoirs.  
 En temps ordinaire, il aurait crié de joie. Là, il se contenta d’un sourire triste. Et trois des livres qu’il avait sélectionnés vinrent s’empiler dans sa musette. Il sortit sans se retourner, et partit rejoindre Aarel.
 " J’ai comme dans l’idée que tu es parti au moment qui t’arrangeait " fit Aarel, suant et soufflant. Le soleil tapait fort sur la clairière, et il n’avait cessé de manier la pelle et la pioche. Un large trou béait désormais devant lui, assez pour y glisser un corps, assez pour que ce corps soit à l’abri des charognards. " Aide-moi au moins à le mettre en terre "
 Mahlin laissa glisser ses affaires au sol et s’empara du cadavre. Il savait qu’il aurait dû ressentir des émotions, mais non. Ni colère, ni désespoir, ni peur, ni tristesse. Du fatalisme, peut-être. Lentement, il vit le visage aristocratique disparaître sous les pelletées de terre. Le soleil accrocha une bague à sa main droite, puis elle aussi fut recouverte.
 " Tu crois qu’il faut prononcer une orée funèbre ? " fit Aarel, hésitant.
 Mahlin regarda la terre fraîchement remuée.
 " Je ne sais pas. Peut-être. Oui, je pense. Mais je ne sais pas quoi dire. "
 Ils restèrent un moment à regarder la tombe.
 " Moi non plus " murmura finalement Aarel. Il se détourna. " C’est peut être mieux comme ça. "
 Mahlin resta sans bouger. Lorsqu’il parla, sa voix était sans timbre.
 " Je ne sais pas pourquoi vous êtes mort. Et je ne sais pas pourquoi vous avez vécu. Puisse votre séjour sur Terre vous avoir plu, comme il a enrichi ceux qui vous ont rencontré."
  Puis lui aussi se détourna. Aarel l’observait du coin de l’œil.
 " C’est ainsi qu’on saluait les morts, dans mon village " se défendit Mahlin.
 " Mais ca lui convenait parfaitement " conclut Aarel. " Bien, nous partons ; nous n’avons perdu que trop de temps. Dous aurait pu revenir à n’importe quel moment. " Il fit un vague signe de la main. " Occupe-toi des sacs, je porterai Shani sur mes épaules. Mais il faudra que tu ouvres la marche, tu te sens de taille ? " Mahlin acquiesca. " Alors nous sommes partis. "
 Mahlin grimaça en regardant la forêt. Trois heures de marche à tout le moins, chargé comme une mule. Cela n’allait pas être une partie de plaisir. Heureusement, il se sentait à peu près en forme. Il n’avait pas été blessé durant l’affrontement ; quelle qu’ait été l’incantation utilisée par Barel Khorr, elle semblait avoir été sélective.
 " Il commence à faire froid " observa-t-il soudain. Quelques feuilles flétries se détachaient des arbres proches.
 " Oui, j’ai remarqué aussi. C’est normal ; avec la mort du maître, ses enchantements disparaissent aussi. Nous ferions mieux de mettre tout de suite nos fourrures ; de couvrir Shani, aussi. Il ne manquerait plus qu’elle attrape froid. " Suivant ses propres directives, il rajusta son manteau. " D’un certain côté, je préfère que ses sorts se dissipent ainsi. Je n’aimerais pas avoir à affronter les Protections qu’il a placées sur la forêt. S’il a fallu une journée entière aux Chasseurs pour nous retrouver, malgré leur Lien, je n’ose imaginer ce qui nous arriverait. D’ailleurs… quoi, qu’est-ce qu’il y a ? " Le visage de Mahlin venait de se décomposer.
 " Aarel… le lien.. "
 " Eh bien quoi, le lien ? "
 " Je ne comprends pas exactement de quoi il s’agit, mais j’ai l’impression que c’est ce Lien qui l’a conduit à nous, n’est-ce pas ? Donc il sera capable de nous retrouver où que nous allions… c’est sans espoir… "
 " Tu ne vas pas recommencer ! " gronda Aarel. " Tu l’as dit toi-même, nous ne savons pas la nature de ce Lien. Ce n’est pas la peine de paniquer déjà. Chaque chose en son temps, et la première chose, c’est trouver un guérisseur pour Shani. "
 Mahlin hocha la tête avec lassitude.
 " Si tu le dis.. "
 " Je le dis. Allons-y "
 
 Sans attendre de réponse ni regarder en arrière, Aarel mit Shani sur ses épaules et s’enfonça dans les bois. La jeune fille murmura vaguement, puis retomba dans le silence.
 Mahlin se retourna. Il ne voulait pas partir aussi rapidement. Il regarda le manoir dans lequel il avait habité pendant près de deux ans, et le bosquet dans lequel il aimait paresser, et la tombe.
 Puis il s’empara des sacs – Dieu du Foyer, que c’était lourd – et clopina à la suite de son compagnon.


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n°3190137
yulara
Byte Hunter
Posté le 12-07-2004 à 11:43:32  profilanswer
 

m'enfin, c'est quoi ce binz? Dous connaissait Barel alors? Pis pourquoi il se dematerialise comme ça contre sa volonté? C'est quand meme pas un fantome!!!
arghhh je veux la suite! j'en ai marre de me poser des questions existentielles :cry:

n°3190224
Damrod
Posté le 12-07-2004 à 11:51:52  profilanswer
 

mais qui était vraiment Barel Khorr? et qui est Dous?
et surtout quand auront nous la suiiiite ?!!! :bounce:

n°3190727
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 12-07-2004 à 12:49:05  profilanswer
 

Dommage que Barel soit déjà exit. C'était un personnage intéressant mais on n'en saura pas plus. :(  
 
Sinon Mahlin semble avoir retrouvé la mémoire, il se souvient de sa mère et des pratiques funéraires de son village. Tu peux expliquer Grenouille?

n°3190871
yulara
Byte Hunter
Posté le 12-07-2004 à 13:12:14  profilanswer
 

moi je parie que Barel était tres tres vieux, comme Dous... peut-etre meme qu'il faisait parti des précurseurs de la magie... imagine un peu, le premier mage noir de l'existence... un mage rendu à un tel niveau de connaissances qu'il aurait trouvé le secret de jouvence... ça pourrait expliquer que son sceau soit authentique mais tres ancien...
enfin bon là je delire un peu je crois :p

n°3191015
deidril
French Geek Society Member
Posté le 12-07-2004 à 13:33:53  profilanswer
 

Morpion Cosmique a écrit :

Dommage que Barel soit déjà exit. C'était un personnage intéressant mais on n'en saura pas plus. :(  


 
Oui mais c'etait previsible :) Le maitre meurt toujours pour donner a son poussin la chance et la motivation de devenir fort pour le venger.
 
Le sort des roses est bien trouvé.  
 
Pour ce qui est des interrogations et des questions, ca s'accumule :)
 
J'ai du mal a voire en Barel un mage immortel. Un tel mage ne meurt pas d'un coup de couteau dans le coeur. Ou alors effectivement il n'est pas vraiment mort... disons pas mort définitivement. ( Y'a des gens qui guérissent du coeur arraché dans la fantasy i.e encore Bastard :) )
 
Je suppose qu'il va falloir patienter pour avoir plus de détails :)
 :bounce:  :bounce:  :bounce:  

n°3191095
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 12-07-2004 à 13:46:06  profilanswer
 

Morpion Cosmique a écrit :


Sinon Mahlin semble avoir retrouvé la mémoire, il se souvient de sa mère et des pratiques funéraires de son village. Tu peux expliquer Grenouille?


 
Oui, je peux expliquer: erreur de copier/coller  :D


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Ma chaîne YouTube d'écrivain qui déchire son père en pointillés - Ma page d'écrivain qui déchire sa mère en diagonale
n°3191108
docwario
Alea jacta est
Posté le 12-07-2004 à 13:48:27  profilanswer
 

si mahlin retourve la memoire c est que les sorts de barrel disparaissent apres sa mort...
est-ce mahlin qui a fait disparaitre dous ?
et quels livres a t il choisi d'emmener ?
et qui a cree le Lien ? un des mages qui sont morts ? si oui, le Lien a disparu, mais si c'est dous, il va les retrouver n'est ce pas ?
 
sinon, quel est l intrigue de l histoire ? c'est la fuite des apprentis ? ou leur quete de la verite dur barrel ?
 
la suite !!

n°3191157
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 12-07-2004 à 13:55:08  profilanswer
 

DocWario a écrit :

si mahlin retourve la memoire c est que les sorts de barrel disparaissent apres sa mort...


 
Tout à fait d'accord d'ailleurs Gb a écrit au sujet du changement de climat dans la forêt :

Citation :

" Oui, j’ai remarqué aussi. C’est normal ; avec la mort du maître, ses enchantements disparaissent aussi.


 
Dans ce cas il faudrait juste rajouter quelques lignes pour montrer que les héros se rendent compte qu'ils ont retrouvé leurs souvenirs...

n°3191191
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 12-07-2004 à 14:00:34  profilanswer
 

DocWario a écrit :

si mahlin retourve la memoire c est que les sorts de barrel disparaissent apres sa mort...


 
Il ne retrouve pas la mémoire, non. Erreur de copier/coller comme dit plus haut, j'ai honte  :o  
 

DocWario a écrit :


est-ce mahlin qui a fait disparaitre dous ?


 
 :D  
 

DocWario a écrit :


et quels livres a t il choisi d'emmener ?


 
:D
 

DocWario a écrit :


et qui a cree le Lien ? un des mages qui sont morts ? si oui, le Lien a disparu, mais si c'est dous, il va les retrouver n'est ce pas ?


 
:D
 

DocWario a écrit :


sinon, quel est l intrigue de l histoire ? c'est la fuite des apprentis ? ou leur quete de la verite dur barrel ?


 
:D


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n°3192063
docwario
Alea jacta est
Posté le 12-07-2004 à 15:13:55  profilanswer
 

merci Gb pour toutes ces reponses :)
 
vivement la suite !

n°3199425
foularou
Posté le 13-07-2004 à 12:08:36  profilanswer
 

la suite :p

n°3199464
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 13-07-2004 à 12:10:51  profilanswer
 
n°3199606
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 13-07-2004 à 12:25:16  profilanswer
 

Et voici le chapitre 8 ! Assez long...
_____________________________________________
 
 
 La forêt était morte.
 Il n’y avait pas d’autres mots. Avec Barel venait de mourir l’esprit de ces bois, à voir leur aspect tandis que les deux jeunes gens se frayaient un chemin au travers. Au fur et à mesure qu’ils marchaient, ils écrasaient de plus en plus de branches mortes. Les feuilles autrefois si vertes, épargnées par l’hiver, tombaient maintenant en avalanche - comme pour s’excuser de leur retard. Il ne fallut que peu de temps pour que le sol soit jonché d’une épaisse couche de feuilles mortes. Les bottes glissaient et s’enfonçaient laborieusement dedans ; le crissement était insupportable. Il portait sur les nerfs, il incitait à voir dans les ombres ce qui ne pouvait exister. Cet arbre, à gauche… quelqu’un n’avait-il pas bougé derrière ? Mahlin plissa les yeux pour mieux voir… mais non, rien. Il aurait pourtant juré…
 Et puis il y avait le temps. Il n’avait guère fallu plus d’une demi-heure au ciel pour s’obscurcir ; la belle journée de printemps n’était plus qu’un vague souvenir alors que les nuages s’ammoncelaient au-dessus de leur tête. Et la pluie se mit à tomber.
 " Il ne manquait plus que cela… " grommela Mahlin.  
 
 Aarel ne répondant pas, il cessa bientôt de pester pour économiser son souffle. Un pied, puis l’autre. Le sol, sous ses pieds, commençait à devenir boueux alors que cette petite pluie oblique se transformait lentement en grande pluie oblique. Par les Couleurs, ses habits n’étaient pas prévus pour cela ! Le protéger contre le froid, à la rigueur. Il portait en ce moment un solide manteau de laine, et le vent frais ne le gênait pas plus que cela. Mais cette pluie ! Ses cheveux mouillés lui tombaient dans les yeux, chatouillant son nez et l’empêchant de bien suivre la route. Un pied, puis l’autre. Aarel, devant lui, n’était plus qu’une silhouette floue sous le rideau de pluie. Mais comment pouvait-il pleuvoir autant ? Les quelques feuilles qui n’étaient pas encore tombées se détachaient maintenant, pour s’accrocher aux poils détrempés de son manteau.  Le tonnerre gronda dans le lointain, puis plus proche. Il n’y eut pas d’éclair. Un pied, puis l’autre. Shani devenait de plus en plus lourde, ou bien était-ce une impression ? Elle grognait doucement, presque délicatement, comme un souffle que le bruit des intempéries suffisait à couvrir. Mais elle était toujours aussi pâle, tellement pâle…
 " Attends ! " fit soudain Mahlin.  
 Précautionneusement, il adossa la jeune fille à un arbre et lui essuya le visage. La pluie ne s’en arrêtait pas pour autant, et il renonça bientôt. Grinçant des dents, il enleva son manteau pour le rajouter à celui qui la couvrait déjà. Aarel le regarda faire sans rien dire, son expression dissimulée dans les ombres. Mahlin frissonna, désormais exposé au vent, mais il serra les dents et reprit le brancard.
 " C’est un beau geste, mais je ne pourrai la porter seule si tu meurs de froid en route… " fit enfin Aarel. Sa main écarta quelques mèches de cheveux. L’eau lui dégoulinait sur le visage.
 " Avance " grogna Mahlin. Si seulement cette pluie voulait bien cesser…
 " Penses-tu vraiment que ce soit le moment de jouer au héros ? " tenta encore Aarel, levant les yeux au ciel en signe d’exaspération.  
 " On aurait dû mieux la couvrir dès le début. Allez, avance. Plus je reste sans bouger, plus j’ai froid. "
 " Tête de mule " murmura le géant, un murmure qui parvint aux oreilles de Mahlin malgré la tempête, un murmure fait pour être entendu. Il souleva de nouveau Shani et, sans un regard en arrière, reprit sa marche. Mahlin, déséquilibré, eut besoin de quelques pas pour se rétablir. Il ravala son juron et s’appliqua à suivre le rythme. Il fallait qu’ils sortent de cette forêt. Ce n’était pas si loin. Un pied, puis l’autre.
 
 Désormais, la boue giclait à chaque enjambée. Comment un sol pouvait-il devenir boueux aussi rapidement ? La boue, les feuilles. Le froid.  
 Il eut une pensée rapide pour les loups alors qu’un hurlement s’élevait dans le lointain. Mais pourquoi se soucier de ce contre quoi il ne pourrait rien faire ? Dans l’état dans lequel il se trouvait, dans lequel Aarel se trouvait, il n’y avait plus qu’à espérer que les animaux passent loin d’eux. Après tout, on racontait qu’ils n’attaquaient que rarement les humains. Le hurlement se rapprocha. Il ne pourrait jamais se servir de sa dague ainsi encombré.
 " Tu entends les loups ? " gémit-il.
 Aarel ne se retourna pas.
 " Il faudrait être sourd pour ne pas les entendre. Même si cette pluie semble noyer tous les sons. "
 " Et tu comptes faire quelque chose ? "
 " Marcher. Tu as une autre idée ? "
 Un pied, puis l’autre. Marcher, aller de l’avant. La boue se faisait de plus en plus épaisse, de plus en plus avide, de plus en plus envahissante. Cela devenait un supplice que de lever la jambe. Un pied, puis l’autre.
 " Aarel ? "
 Le colosse continuait à marcher d’un pas uni.
 " Aarel ? "
 Il y avait une branche en travers du chemin. Cela commençait à devenir habituel, et il était de plus en plus dur de soulever assez Shani pour qu’elle passe. Les arbres continuaient à pourrir rapidement, de plus en plus rapidement. De la fumée s’élevait de certains d’entre eux sous l’effet du vieillissement accéléré qu’ils semblaient subir. Les écorces se craquelaient,
se déchiraient, se détachaient. La sève s’écoulait lentement, lavée par la pluie incessante, pour venir se fondre dans la fange qui recouvrait le sol.  
 " Aarel ? "
 " Quoi ? " La voix était exaspérée.
 " Tu penses qu’on va y arriver ? Je n’en peux plus… "
 Le géant pesta.
 " Aucune idée. Ah, qu’il est beau notre héros. ‘Je donne mon manteau à une demoiselle en détresse’… " Il continuait à marcher. Un pied, puis l’autre. " …et ‘je ne suis pas même capable de l’amener hors de la forêt ‘! "
 " Je t’ai posé une question " fit Mahlin d’une voix lasse. Il ne parvenait pas à se mettre en colère, et cela seul lui indiquait à quel point d’épuisement il avait sombré. Shani avait raison. Il n’était qu’un scribouillard.
 " Et je t’ai répondu du mieux que j’ai pu. Je n’en ai aucune idée. Pour ce que j’en sais, nous pouvons parfaitement nous être perdus. "
 " Quoi ? " cria Mahlin, alors que le froid le saisissait de nouveau.
 " Comment espères-tu que je trouve exactement le bon chemin par ce temps, et avec la forêt qui se décompose autour de moi ? "
 " Je ne sais pas, tu… tu… "
 Tu es le guide, allait dire Mahlin. Tu es celui qui connaît la forêt, celui qui a les larges épaules, celui qui manie la hache, celui qui n’a pas été abattu par la mort du Maître, celui qui a toujours su quoi faire. Tu devrais pouvoir nous sortir de la forêt.
 Mais il ne le dit pas, car tout tournait autour de lui. Il ne se sentait pas bien. Mieux valait ne pas parler. Un pied, puis l’autre. Il se déplaçait comme dans un rêve, un mauvais rêve ; un cauchemar. Il avait souhaité un peu d’aventure. Personne ne lui avait prédit que son premier voyage se passerait sous la pluie, épuisé, désespéré. Un pied, puis l’autre. Depuis combien de temps marchaient-ils ? Un pied, puis l’autre. Il tomba.
 
 Il avait vaguement conscience de s’enfoncer dans le sol, lentement, lentement. La boue était accueillante, la terre restait tiède malgré la pluie glaciale. Une tête roulait contre son épaule, une tête avec de longs cheveux bruns. Shani ? Shani.
 " Relève-toi ! " Un bras le secouait. " Relève-toi ! " Un bras le frappait. " Mahlin ! " Un bras le forçait à se lever et l’adossait à un arbre. Sorti de la boue, il avait de nouveau froid. " Tu ne vas pas arrêter maintenant ! " Une voix lui criait dans les oreilles. Il fit un effort pour s’y intéresser. Une voix incohérente. Et puis le visage d’Aarel juste devant lui. Il essaya de se ressaisir.
 " Je crois... " fit Mahlin en essayant désespérément de tenir debout, " je crois que je n’y arriverai pas. " Sa lucidité revenait avec le froid, et avec elle le désespoir. La pluie ne cessait pas pour autant. Avec opiniatrité, elle contribuait à enterrer les arbres et transformer ce qui naguère était une forêt en un véritable marécage. " Je n’aurais pas dû t’écouter et partir avec toi ; je serais mort au chaud. "
 Il ne vit pas le coup partir, mais déjà il était par terre. De nouveau. Péniblement, il se remit debout, tâtant sa mâchoire.
 " Tu es fou ? "
 " Je ne sais pas pour toi, mais je ne veux pas mourir ici. Et je suis sûr que Shani non plus. Donc tu me fais un sourire, tu la reprends, et on repart. Plus on attend, moins tu pourras bouger. Sans compter ce... ce Dous qui est peut-être déjà sur nos traces. " Une pause. " Je te préviens, tu bougeras, même si je dois te fouetter pour cela ! "
 Un sourire sans joie flotta sur les lèvres de Mahlin.
 " Toujours aussi brutal, Aarel... c’est gentil... mais je te dis.. que je ne peux pas continuer. Vraiment.... "
 Il crut un moment que le géant allait le frapper de nouveau, et il ferma les yeux, mais, non. Aarel se contenta de se détourner avec un grognement de frustration, et cogna un arbre de son poing serré. L’écorce céda sous le coup, et le tronc s’affala  dans la boue.
 " Tout pourrit autour de nous. Damnée magie. Je voudrais ne jamais avoir rêvé d’être mage. Le Pouvoir, le Respect... Ha ! Nous allons mourir seuls dans cette forêt en déliquescence. Quel glorieux destin... " Aarel se prit la tête entre les mains.
 Mahlin fronça les sourcils. Il y avait là-dedans quelque chose...
 " Aarel... " fit-il doucement.
 " Laisse-moi ! Continue à gémir dans ton coin, et laisse-moi ! "
 " Aarel, il y a peut-être un moyen... "
 Le colosse leva la tête. Il avait les yeux rouges mais, sous cette pluie battante, impossible de savoir s’il pleurait. Il s’approcha d’une démarche tanguante.
 " Un moyen de ? " son regard était interrogateur.
 " De... de survivre " fit Mahlin. Il se sentait épuisé, sans forces. Il ne savait pas si il allait en être capable.
 Le tonnerre gronda de nouveau, très loin, mais personne n’y prit garde. Shani était blanche comme un linge, les cheveux étalés autour d’elle comme un linceul.  
 " Je n’y pensais plus... mais nous sommes des mages. Des apprentis, mais des mages tout de même. Nous devrions pouvoir nous en sortir, il doit bien y avoir des Pouvoirs de guérison, non ? "
 Aarel hocha lentement la tête.
 " C’est une idée intéressante, mais tu aurais dû l’avoir avant. Je tiens à peine debout... et regarde toi ! Nous ne sommes pas en état de faire quoi que ce soit, si même nous pouvions avant. Rappelle-toi que le Maître n’est pas là avec sa lumière.... "
 Mahlin haussa laborieusement les épaules.
 " Je pense être capable d’atteindre les Couleurs... je l’ai déjà fait inconsciemment au manoir... je t’expliquerai. Mais de toute manière, autant essayer. Je sais que je ne pourrai plus faire un pas dans l’état où je suis... "
 Aarel lui lança un regard critique.
 " Tu parles beaucoup, pour quelqu’un à l’article de la mort. Et je ne comprends toujours pas ce que tu veux faire. "
 " Agir sur le Sang " murmura Mahlin, et il ferma les yeux.  
 
C’était si facile. Il se laissait tomber. Tout était si noir. Il entendit vaguement la voix de son ami, comme un bourdonnement à son oreille, mais il ne put en saisir la signification, et il ne s’en inquiéta pas. Il sentait de nouveau la boue autour de lui, et la tièdeur l’envahissait lentement. Le noir s’épaississait, si tant est que l’on puisse dire cela. Il plongeait dans un océan de ténèbres, dans des abysses d’obscurité, et il nageait. La douleur, à un moment ou à un autre, avait disparu. Il se sentait euphorique, terriblement et dangereusement euphorique. Mais où pouvaient bien être cet Arc-En-Ciel ? Il plongeait de plus en plus profond sans effort apparent, et l’air ici était frais et pur. Il lui fallut longtemps pour comprendre qu’il se noyait. Il battit des jambes pour remonter.
 Et il vit les Couleurs.
 Comment avait-il pu ne pas les voir auparavant ? Elles étaient belles, si belles, elles brillaient, et l’obscurité qui les environnait ne les rendait que plus éclatantes. Il pleura en avançant lentement vers elle, et il pleurait toujours alors qu’il se fondait dans le Rouge. Le Rouge était autour de lui. Non, il était le Rouge. Non, le Rouge était lui. Il Sentait le Rouge autour de lui, en lui, partout. L’obscurité avait disparu, tout avait disparu sauf la Couleur. Il sentait la puissance couler en lui, rouler en lui, l’emporter. Son cœur battait plus vite. Il cligna des paupières.
 
 La pluie continuait à tomber avec rage. Il était adossé à un arbre, et Aarel le regardait avec une inquiétude non dissimulée. Pour la première fois, malgré la brume qui commençait à se lever, il entrevit distinctement son ami et vit à quel point lui non plus ne tenait pas debout. Il ne le voyait pas, pas exactement.. il le sentait. Aarel était à bout de forces. Avec surprise, Mahlin se rendit compte que lui-même se sentait parfaitement bien. Le Rouge était toujours en lui, et un filtre écarlate se posait entre lui et le monde, où qu’il regardât. Il sentait pour la première fois le sang couler en lui, un rapide courant qui emportait sa fatigue et sa douleur. Il haussa les sourcils, surpris. Oui, il se sentait bien. Très bien, même. Un regard rapide lui montra que ses blessures étaient toujours là, mais il ne les sentait plus. Souplement, il se leva. Un mouvement si fluide.
 " Je... c’est incroyable ! " fit-il enfin, et ses yeux étaient aussi écarquillés que ceux d’Aarel. " Je ne sais pas ce que j’ai fait, mais ces pouvoirs du Sang sont magnifiques ! Essaie ! Nous allons nous en sortir ! " Son optimisme reprenait le dessus alors qu’il se rendait soudain compte que le froid ne l’atteignait plus ; moins qu’avant, en tout cas. Aarel se lécha les lèvres, nerveux.
 " Si tu te sens bien, je crois que nous pouvons repartir. Je n’ai pas besoin de ça... je peux marcher... " Mahlin lui rit au nez, moqueur, insolent, en pleine forme.
 " Ne te montre pas aussi superstitieux que le plus ignorant des paysans ! La magie est faite pour être utilisée, après tout ! Si notre maître était capable de faire prospérer une forêt par sa propre présence, il paraît normal que nous puissions à tout le moins prendre soin de nous même, non ? Agir sur son corps, c’est facile... "
 Il fronça légèrement les sourcils. Il se rappelait avoir lu le contraire dans un grimoire, un jour. Mais le souvenir était confus.
 " Je ne sais pas " hésita Aarel. " Je ne suis pas même sûr de trouver les Couleurs... Non, je ne préfère pas. Si jamais je n’en peux plus, alors peut-être... En attendant, si tu te sens bien, il est temps de partir. "
 Bien ? Oui, Mahlin se sentait bien. Eclatant de rire sans raison, il prit Shani aux épaules et la souleva délicatement. Pour la première fois, il se rendait compte de toutes les sensations que lui renvoyaient ses mains alors qu’il les posait sur elle. C’en était presque effrayant. Alors, il rit de nouveau.
 " Avançons ! "
 Aarel secoua la tête, mais ne parla pas. Il s’empara des jambes de Shani et repartit d’un pas pesant. Mahlin ne s’était jamais rendu compte auparavant combien son compagnon était lent. Il devait sans cesse réfréner les pulsions qui le poussaient à courir.
 
 Un moment après - combien de temps ? il lui avait semblé que c’était très bref -, ils débouchèrent enfin hors de la forêt. Ils n’avaient pas suivi le chemin, mais ce n’était plus tellement grave ; les arbres tombaient de toute part. Il eut un petit rire ;  quelques jours avant, ce phénomène de décomposition ne leur aurait pas paru aussi banal.  
Clopinant, ils continuèrent leur chemin vers Longue-Rivière sans se retourner. Du moins Aarel titubait-il. Mahlin se sentait ferme comme un roc, puissant, endurant, et son pas était félin. S’il portait Shani tout seul, sans doute iraient-ils plus vite. Mais ce serait insultant son ami. Non, tout était très bien ainsi. Très bien. Dans une heure, à ce rythme, ils seraient au village. Les pierres roulaient sous ses pieds.
 Le temps s’améliorait lentement. La pluie tombait moins fort, pour ne plus devenir qu’une mince bruine. Le tonnerre était décidément bien loin, et toujours aucun éclair visible. Puis la pluie cessa totalement. On entrevoyait les toits du village dans la brume.
 " On l’a fait ! " cria Mahlin, riant de nouveau.
 Aarel lui lança un regard inquiet, puis sourit enfin.
 " Oui... Dieu du Foyer, je crois bien que oui... "
 La brume se dissipait lentement. La route se dévidait sous leurs pieds, jusqu'à ce qu’ils arrivent enfin au pied de la première maison. Il n’y avait personne dans les rues ; les volets étaient fermés.
 " Tout est bien silencieux... " marmonna Aarel.
 " Et que veux-tu qu’ils fassent par ce temps ? qu’ils dansent ? " plaisanta Mahlin. " Allons à l’auberge, dame Maud saura sûrement nous aider pour Shani ! Sûrement ! "
 Le silence était tout de même pesant. L’humeur d’Aarel ne cessait de se dégrader alors qu’ils passaient sur la grande place où le bal avait eu lieu ; plus trace de musique, plus trace de danseurs. Le sourire de Mahlin devenait nerveux. Il frappa sèchement à la porte du Fil de l’Eau. Attente.
 " Et s’ils n’étaient pas là ? " fit Aarel, la tête penchée sur le côté, les yeux interrogateurs. Ses cheveux trempés tombaient en masse sur ses épaules.
 " Ils sont là " affirma Mahlin, frappant de nouveau.
 " Mais s’ils ne sont pas là ? "
 " Eh bien nous irons jusqu'à Bois-Rouge. Je te le dis, je me sens en pleine forme. Fais comme moi, et je suis sûr que c’est faisable ! "
 Aarel lui lança un regard sans expression.
 " Tu... " commença-t-il.
 Et puis la porte s’ouvrit, et Erhman apparut, les cheveux en bataille, les yeux inquisiteurs ; et Mahlin laissa enfin partir le Pouvoir, et il cracha du sang, et il tomba. L’eau sur le sol était décidément bien rouge.
 
 Le mur au-dessus de lui était bleu. Bleu, bleu. Et puis la tête d’Aarel qui le regardait, sourcils froncés, le front plissé par des rides d’inquiétude. Mahlin essaya de lever la main, mais il ne put la bouger de plus d’un pouce. Il la laissa retomber ; ce simple geste l’avait épuisé.
 " Ou suis-je ? " demanda-t-il. Il se sentait faible, si faible. Mais visiblement il pouvait encore parler sans trop de difficulté. C’était comme si toutes ses perceptions étaient atténuées, comme si tout se déroulait à l’intérieur d’un cocon. Un lit. Je suis dans un lit.
 " Dans un lit " fit Aarel simplement. Il avait l’air fatigué ; il n’y avait pas que les rides, des cernes lui marquaient le visage. Il se passa la main sur le front. " Au Fil de l’Eau ".
 Bruit d’une porte qui s’ouvre, quelque part.
 " Alors, mon garçon, ca va mieux ? " le sourire de dame Maud se penchait sur lui. " Tu nous as fait peur, ça je peux le dire ! A tomber comme ca sous la pluie, dans la boue ! Non, mais je ne comprends même pas comment tu as pu marcher jusqu’ici dans ton état ! Ah, ça ! Non, je l’ai dit à mon mari, il ne comprenait pas non plus. Tu sais que tu es un miraculé ? Je n’ai jamais vu quelqu’un perdre autant de sang ! Moi qui en ai horreur... j’en frémis encore ! Une mauvaise grippe je suis sûr ! Vous avez vu le temps qu’il a fait ? Et vous, pauvres petits, à fuir par ce temps ! Oh, ne remue pas comme ça, ton ami m’a tout raconté ! " Mahlin, au prix d’efforts surhumains, parvint à bouger assez pour lancer un regard interrogateur à Aarel. Le géant lui sourit tranquillement. " C’est vraiment affreux, affreux " elle secoua la tête, désolée. " Non, affreux ce que ces mages vous ont fait. Inhumain. Ma mère me disait, méfie-toi toujours de ces sorciers ! Des hommes qui portent des robes, cela ne peut être que mauvais signe, voilà ce qu’elle disait ! Et elle avait raison, que le Dieu des Morts la protège et la bénisse, la sainte femme... Oh oui, elle avait raison. Mais je vous l’ai dit, je l’avais prédit ! Dès que je les ai vu entrer dans notre auberge, avec leurs regards arrogants, je savais qu’ils allaient causer du vilain ! Mais alors, qu’ils osent s’attaquer ainsi au Seigneur Barel... " Elle soupira, les yeux humides. " Pauvre homme, lui toujours si gentil ! Mourir comme ça... vous savez, je suis sûr que personne n’osera faire quoi que ce soit contre ces assassins ! Voilà où en est le monde, voyez ? D’abord les taxes, après les privations, et maintenant ça ! Non mais vous avez vu ce qu’ils ont fait à cette forêt ? On ne peut même plus parler de forêt maintenant, tout a été détruit, jusqu’au dernier centimètre ! " Elle se frappa le front de la main. " Mais que je suis bête, vous avez vu ça de vos yeux ! C’est affreux, à vous donner la chair de poule, n’est-ce pas ? Non, les temps changent, et pas pour le mieux, c’est moi qui vous le dit ! On devrait les pendre jusqu’au dernier, ces mages, tous autant qu’ils sont ! " Elle serra les poings, toute à sa colère vertueuse, puis soupira, impuissante. " Mais je parle, je parle... ce qu’il te faut, mon garçon, c’est du repos. Du repos, de la soupe, voilà le remède. Quelques jours de plus et il n’y paraîtra plus ; tu as bien meilleure mine qu’avant-hier, tu sais ? Je... "
 
 Mahlin eut un spasme brutal et tenta de se lever sur un coude. Il faillit y arriver, mais des étourdissements le prirent et il retomba sur l’oreiller, haletant.
 " Avant-hier ? " coassa-t-il.
 Dame Maud le regarda d’un air soucieux.
 " Aarel, vérifie qu’il ne bouge pas trop pendant que je lui essuie le front ! Dieu du Foyer, tu es encore brûlant ! " Elle courut aller chercher un chiffon dans un coin de la pièce et l’imbiba d’eau. Soigneusement, elle plia le linge et commença à lui nettoyer le visage. " Tu es en sueur, c’est bon signe ; la fièvre va bientôt baisser. Oui, avant-hier. Cela fait deux jours que tu dors dans ce lit, entre la vie et la mort. Si Pietr n’avait pas veillé sur toi, qui sait ce qui ce serait passé " Une flambée de colère lui fit appuyer plus que de nécessaire sur son torchon. Mahlin gémit. " Quand je pense que ces mages, ces... assassins voulaient le capturer ! Sans lui, tu serais peut-être... " Elle se tut. Une seconde, pas plus, avant qu’elle se remette à parler. Elle ne vit pas le regard alarmé que Mahlin lançait à Aarel ; il ne l’écoutait déjà plus.
 Deux jours ? Deux jours qu’il gardait le lit, inconscient ? Ils auraient eu cent fois le temps de se faire rattrapper par Dous... et il n’avait rien pu faire... d’ailleurs.... il sursauta.
 " Shani ! "  
 Etait-ce une lueur d’amusement dans l’œil de la matrone ?
 " Elle va bien, elle va bien. Un certain Toni a fait venir des coûteuses potions directement de Bourg-Château. Il semble tenir à sa santé. En tout cas, elle se rétablit bien, même si elle en est au même point que toi. Elle avait un bras cassé, tu sais ? Et d’après Pietr, vous ne l’avez pas ménagée lors de votre voyage " elle leva une main apaisante " non que vous ayez eu le choix ! Je trouve d’ailleurs ton attitude très courageuse, Mahlin, je tenais à te le dire. " Son visage redevint sombre. " Ah, si je pouvais mettre la main sur ces maudits mages qui l’ont blessée à ce point, la pauvre enfant. " A voir son expression, Mahlin plaignait presque Dous si jamais il tentait de les dénicher ici. Presque.
 " Merci " murmura-t-il finalement alors que la femme plantureuse se taisait pour reprendre son souffle. " Pour tout... "
 Dame Maud le regarda, sincèrement surprise.
 " Mais c’était la moindre des choses, mon grand ! Tu ne penses quand même pas que nous laissons les gens mourir sur le pas de notre porte sans bouger ? Non, non, cela nous ferait une très mauvaise réputation... " Elle rit. " Nous allons te bichonner, tu vas voir ça... et quand je dis nous... "
 Aarel riait silencieusement. Cela atténuait quelque peu ses rides d’inquiétude.
 " Oui, Betingel est venue te voir à plusieurs reprises. Tu vas avoir des problèmes à la fuir dans ton état... "
 Dame Maud hocha la tête avec sérieux.
 " Elle n’a pas beaucoup aimé que tu disparaisses dans la nuit sans un mot pour elle, en plein milieu d’une danse... "
 " J’ai dit que je revenais ! " protesta faiblement Mahlin.
 " Et tu es revenu ? " sourit Dame Maud. "  Toujours est-il qu’elle mérite peut-être quelques mots pour la constance avec laquelle elle t’a veillé ces deux derniers jours. Elle est allée se coucher il y a trois heures, épuisée " Le jeune homme poussa un soupir de soulagement. " Tant que j’y suis, remercie ton ami, aussi. Il est resté debout deux jours, à partager son temps entre le chevet de Shani et le tien. Je n’arrive pas à comprendre comment il tient encore debout... "
 " A vrai dire, moi non plus " bailla Aarel en se levant. " Maintenant que tu vas mieux, je crois que je vais me coucher ; Dame Maud, vous pouvez certainement me dire où je peux m’installer ? "
 " Mais certainement, certainement ! Par ici, mon pauvre, comme tu dois avoir sommeil ! Ah si seulement tous les jeunes avaient ton courage, ah… le monde ne serait pas dominé par ces... ces maudits sorciers et leurs maudites incantations, je te le dis ! "
 
 Les deux sortirent de la pièce et Mahlin resta seul avec son sourire amer. Il ne pouvait pas bouger, mais son esprit travaillait à toute vitesse. Deux jours ? Ils avaient perdu deux jours par sa faute ! Qu’avait-il bien pu lui arriver ? Il s’était senti si bien durant le trajet, la fatigue ne l’atteignait pas ; pourquoi, tout d’un coup… ? Il se mordit les lèvres. Peut-être n’aurait-il pas dû utiliser inconsidérémént la magie, après tout, surtout après que le Maître les ait mis en garde contre le Sang.
 D’un autre côté, s’il ne s’était pas ainsi empli du Rouge, il n’aurait certainement pas réussi à quitter la forêt, encore moins à porter Shani jusque là. Sans grande conviction, il tenta de se persuader que tout était pour le mieux. Deux jours de perdus…
 Il laissa errer son regard sur la pièce, prenant la mesure des lieux. Comme il l’avait pensé, il se trouvait bien dans l’auberge du Fil de l’Eau, dans une chambre à l’étage. Une des chambres que les Chasseurs avaient occupé lors de leur séjour à Longue-Rivière, certainement. Il frissonna. Ce n’était pas réellement la meilleure cachette possible. Si jamais le Chasseur survivant décidait de suivre leur piste, il n’aurait pas même besoin du Lien. La fatigue le reprit, et il ferma les yeux. Il se sentait épuisé. Le Lien…
 Il se réveilla au matin – le troisième jour, nota-t-il machinalement. Trois jours ! Les volets étaient grand ouverts, et laissaient entrer le soleil à flots. Il pouvait difficilement voir de son lit, mais le ciel paraissait bleu, et clair. Une belle journée.
 " Ca va mieux ? "
 " Oui " murmura-t-il avant de lever les yeux.
 Betingel se tenait à son chevet, ses petits sourcils froncés. Assise sur une chaise, les genoux remontés sous le menton, elle le regardait. Au temps pour le répit qu’il espérait.
 " Ne parle pas trop, tu vas te fatiguer. Il faut encore que tu gardes le lit quelques temps. " Il se souleva sur un coude, mais elle le fit se recoucher d’une main autoritaire. Il gémit. " Oh, ne grogne pas comme ca, je n’ai pas vraiment de raison d’être douce.Et ce sera un plaisir de te materner. Tu vas voir, toi-même tu finiras par… "
 Elle s’interrompit alors que la porte s’ouvrait. Son nez se plissa de frustration, et Mahlin étouffa un rire malgré sa situation. Elle ressemblait vraiment à un hamster. Vraiment. Son rire lui rentra dans la gorge alors que Pietr entrait dans la pièce.
 Il faut dire qu’il ne faisait rien pour inspirer le rire. C’était un homme grand et dégingandé, et vieux. Très vieux. La plupart de ses cheveux étaient tombés des années auparavant, mais quelques rares touffes survivaient envers et contre tout, blanches et immaculées, sur un crâne qui avait dans la lumière le poli du marbre. Il portait des habits sales et rapiécés, qui avaient autrefois pu être de bonne facture, mais dont il ne restait plus que la corde. Même à cette distance, il sentait la tombe, la terre fraîchement remuée, le caveau mal refermé. L’odeur empira alors qu’il avançait dans la pièce d’un pas hésitant. Il avait un sac de peau à la main, et il fourrageait dedans tout en avançant.
 
 " Vous êtes fascinant, mon garçon, savez-vous ? Oh, bonjour Betingel, bonjour. " Il s’assit. " Je n’avais jamais vu un tel phénomène. Et pourtant, si vous saviez depuis combien de temps je soigne les gens de Longue-Rivière, vous seriez surpris. Jeune homme, je vous assure que vous seriez surpris.  Mais ça… non, non de mémoire d’alchimiste, jamais. Regardez-vous même, attendez, attendez " il plongea sa tête dans le sac " je vais vous trouver ça. Je ne l’aurais tout de même pas oublié ! Ce serait tout moi, ça, oublier les… ah les voilà ! Regardez un peu à la lumière ! " Il se redressa, et il tenait deux fioles dans les mains. Alors qu’il les agitait, le liquide écarlate à l’intérieur se mit à tourner dans l’une d’elles. " Ceci, mon garçon, est du sang. Le tien est à gauche. "
 Il y avait quelque chose de paisible en lui, une tranquille assurance dans ses yeux, qui démentait la première impression qu’on avait de lui. Il avait plus l’air d’un vagabond, voire d’un pilleur de tombes, que d’un guérisseur, mais on disait que ses mains étaient sûres, et on ne comptait plus les soins miraculeux que ses elixirs divers avaient pu apporter. Betingel, loin d’être écoeurée par le vieil homme, se penchait en avant avec fascination.
 " Mon sang ? " murmura faiblement Mahlin.
 " Parfaitement ! Oh, ne t’inquiètes pas, je n’ai pratiqué aucune saignée ; je doute que tu aies été en mesure de la subir lorsque l’on m’a amené. Mais tu saignais déjà bien assez pour que je puisse en prélever un peu dans cette fiole ! " Il la brandit triomphalement, puis la ramena près de son nez, l’observant avec attention. " C’est un miracle que vous soyez en vie, je le dis comme je le pense. Et mes potions n’y sont pas pour grand chose, je le sais. Très étrange, vraiment. " Il secoua la tête et répéta : " Je n’ai jamais vu ça. "
 " Vu quoi ? " demanda enfin Mahlin, que l’inquiétude commençait à gagner devant la perplexité du vieux bonhomme.
 " Mais ça, voyons, ça ! " Il agitait la fiole devant les yeux du jeune homme. Il passa brusquement au tutoiement. " Tu ne vois donc pas la différence avec du sang… normal ? Attends, attends, je vais te montrer ! " Il déboucha la flasque et l’inclina verticalement.
 " Vous allez tacher les couvertures ! " glapit Betingel, déjà effrayée par la perspective des remontrances qu’elle encourait de la part de dame Maud. L’imposante tavernière pouvait être commère et souriante, mais elle ne plaisantait pas avec la saleté.
 " Non je ne les tâcherai pas, c’est bien là le problème… " commenta l’alchimiste avec un soupir de frustration. Et de fait, le sang ne coulait pas. Pietr agita la fiole une ou deux fois en guise de preuve, puis la reboucha. " Je ne sais pas à quoi c’est dû, mais jamais encore je n’ai vu de sang aussi paresseux. Paresseux, c’est un mot faible. Du sang solidifié, voilà ce que c’est ! Quant à savoir comment tu as pu survivre avec des humeurs pareilles, c’est un mystère. Voilà deux jours que j’essaie de comprendre, mais non, rien. Ton sang ne réagit pas avec la belladone, ni la mandragore. Les racines de Chalme sont inopérantes. C’est fascinant. Je crois que… "
 
 Mahlin ne trouvait pas vraiment cela fascinant. Les yeux écarquillés, il fixait le plafond, et ses pensées se bousculaient. La magie Rouge. Le maître les avait mis en garde et il n’en avait pas tenu compte ; et voilà ce qui arrivait. Trois jours de coma, et peut-être d’autres ennuis à venir, tout cela pour une vigueur illusoire et temporaire ? Par les Couleurs, quel marché de dupes avait-il contracté ? Il se rappelait, maintenant qu’il était trop tard, les avertissements de Barel. Nous allons laisser le Rouge de côté pour l’instant, vos corps risqueraient de ne pas pouvoir suivre la voie du Sang. Il grogna lorsque Betingel lui planta son index dans les côtes.
 " Ecoute un peu, tête de bois ! " siffla-t-elle, et en effet Pietr continuait à parler.
 " J’écoute, j’écoute… "
 " … des champs. Oui, je crois que c’est le meilleur remède. Après, il n’y a plus qu’à laisser agir la nature. Sincèrement, si tu étais bâti comme ton ami aux larges épaules, je ne serais pas inquiet. Mais dans ton état… tu as perdu beaucoup de sang. Au pire, tu devras garder le lit une bonne semaine, je dirais. "
 Mahlin alla pour se lever, mais une main ferme le recoucha. Betingel entendait bien se comporter comme une parfaite garde-malade ; le jeune homme n’accorda pas un regard à la main qui le retenait.
 " Une semaine ? Je ne peux pas ! Il faut que… je dois…. "
 Soudain, le regard de Pietr n’était plus aussi vague. Le vieillard se pencha en avant. Sa voix était rugueuse, comme de la roche frottée contre de la roche.
 " Toi aussi, ils te recherchent, hein ? Ces maudits Chasseurs, ces Mages abandonnés des Dieux ? Ils disent qu’ils sont la loi, mais ils sont pire que des loups. Bien pire. " Il cracha par terre. " Trois jours, j’ai dû me terrer. Trois jours dans ma grotte, sans autre nourriture que les quelques racines que j’avais le courage d’aller déterrer avant de fuir de nouveau dans mon trou. Mais ils ne m’ont pas trouvé ; je ne leur aurai pas fait ce plaisir. Tous plus pourris les uns que les autres. Ils promettent d’une main, et ils frappent de l’autre. Si vous voyiez ce qu’il reste de notre belle forêt… " Il gémit. " Certaines plantes ne poussaient que sous le couvert de ces arbres. Plus jamais je ne pourrai les cueillir… et… " Il battit rapidement des paupières. " Et votre maître, bien sûr… pauvre Seigneur Khorr… l’histoire a fait le tour du village, vous savez ! Comment il s’est courageusement élevé pour protester contre leurs actions, et comment ils l’ont tué sans autre forme de procès, pour s’être comporté comme un homme devrait se comporter ! Aah, justice doit être faite ! C’était un noble, dans tous les sens du terme, et je suis certain que sa mort sera vengée. Vous-même, je suis sûr que vous avez l’intention d’aller demander justice à l’Empereur, n’est-ce pas ? Ce qui s’est passé était… intolérable ! Il n’y a pas d’autres mots ! "
 " J’irai avec toi, si tu veux " fit Betingel, les yeux brillants. " Les travaux des champs sont finis à cette époque. J’ai toujours rêvé de voir la capitale " elle se renfrogna " même si nous y allons pour une raison importante. Oh, ce serait fantastique ! "
 " Betingel… " commença Mahlin. Il laissa retomber sa main. Il se sentait encore trop mal pour discuter, trop faible pour argumenter. D’autre part, Pietr venait de lui couper la parole.
 " Les travaux des champs sont terminés ? Tu plaisantes, j’espère ? Que dirait ton père ? L’hiver se finit, c’est bientôt le temps des semailles ! "
 Elle lui tira la langue, et Mahlin ne put s’empêcher de rire. Tout semblait si normal, si calme… mais bientôt il redevint sérieux. Il fallait qu’il réfléchisse ; il y avait beaucoup de choses à faire, beaucoup de choses à tirer au clair. Il soupira alors que Pietr rangeait les deux flacons de sang dans son sac.
 " Mon garçon, ce dont tu as le plus besoin, je ne te le dirai jamais assez, c’est du repos. Je vais aller voir comment va ton amie Shani. Tu sais qu’elle était aussi dans un état critique, la pauvre… je.. " Pietr fronça les sourcils devant la pâleur soudaine de son patient. " On ne te l’a pas dit ? " Il grimaça. " Voilà ce que c’est, je parle, et je ne réfléchis pas. Aaah, Dieu du Foyer ! Non, ne t’agites pas comme ça. J’ai dit qu’elle était gravement blessée. Mais elle commence à aller mieux, les Dieux en soient remerciés. Encore un rétablissement surprenant, ça. Mais elle a un bras cassé et… ah on t’en a déjà parlé ? Ne te fais pas de souci, mon garçon. Tu as tes propres problèmes, ne te disperse donc pas, et dors un peu. "
 
 Continuant à marmotter, le vieil homme se détourna et, de sa démarche tanguante, alla pour sortir. Sur le pas de la porte, il se retourna.
 " Betingel, laisse-le. Je suis sûr que ce jeune homme apprécie ton intérêt pour lui, mais tu lui prouveras tout cela plus tard. Pour l’instant, je le sens plus gêné qu’autre chose ; il faut qu’il dorme. "
 La jeune fille rougit.  
Betingel, qui n’avait peur de rien ni de personne, rougissante ! Elle lança un rapide regard à Mahlin, puis s’en alla à pas pressés.
 " Guéris vite, tête de pioche ! " Un clin d’œil, et elle disparut. Mahlin se serait bien autorisé un rire, mais ses côtes lui faisaient assez mal comme ça. Il s’enfonça au plus profond des couvertures. Il lui fallait réordonner ses pensées.
 Il flottait dans un néant comateux, à la limite du sommeil. Mais son esprit ne voulait pas lâcher prise. Il avait peu de temps, si peu de temps. Il fallait qu’il fasse quelque chose.
 Son regard se posa sur la vieille besace couverte de boue, dans un coin de la pièce, qu’il avait emportée avec lui du château, remplie de nourriture, de couvertures, de… de livres ? Il plissa les yeux. Oui, ce rebondissement de l’étoffe, cela ne pouvait etre que cela. C’est vrai, il avait emporté avec lui quelques grimoires ; il s’en souvenait maintenant. Il se lécha les lèvres. Quel abruti il était ; pourquoi ne les avait-il pas abandonnés derrière lui ? Leur progression en aurait été tellement facilitée… c’est que cela pesait son poids !
 
 Il réprima un soupir de soulagement en constatant que les cordes qu’il avait nouées étaient toujours en place. Visiblement, personne n’avait eu la mauvaise idée de fouiller dans ses affaires. C’était une bonne chose. Bien sûr, la viande n’allait pas tarder à empester après tant de temps. Mais Mahlin n’osait pas imaginer la réaction de dame Maud – ou de Pietr, pour ce que cela changerait – si elle tombait sur les lourds grimoires de maître Khorr, soigneusement emballés dans des chiffons, couverts de notes et de signes cabalistiques. Si même elle ne les jetait pas de suite dehors, du moins y aurait-il quelques questions ennuyeuses. Non, il était bien mieux qu’elle n’ait pas mis son nez là dedans. Bien mieux.
 Lentement, il sortit son bras du lit, et lentement il tendit la main vers la sacoche. Il grimaça, mais la douleur était supportable ; un élancement sourd, mais rien de plus. Bientôt, la corde était dans ses mains. Quelle chance que dame Maud ait posé le sac au pied du lit, et non contre le mur opposé. Il hissa le paquet sur le lit, et il défit le nœud. Ses mains étaient malhabiles, mais il y parvint finalement. Il s’arrêta au moment de plonger la main dedans. Peut-être était-ce une mauvaise idée. Après tout, dame Maud allait certainement passer pour voir s’il dormait bien. Que se passerait-il si elle le trouvait avec un grimoire de magie dans les mains ?  
 Mais le temps lui était compté ; et il n’avait plus sommeil. Il prit un livre au hasard et en ôta le chiffon protecteur. Le reste atterrit sous le lit. Il souffla sur la couverture pour en ôter la poussière.
 Les Murmures de la Mer – Secrets Indigos.
 Il commença à lire.


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n°3201110
yulara
Byte Hunter
Posté le 13-07-2004 à 15:07:51  profilanswer
 

je les trouve bien passifs les villageois face à la foret qui se désagrege...
puis c'est quoi cette histoire de sang qui se solidifie? pourquoi ça fait pas pareil dans son corps? (bon ok, il serait mort et c'est lui le gentil donc c'est pas possible mais bon quand meme)
pis Dous il est où? il lui faut quand meme pas 3 jours pour récupérer? ou alors la bataille contre barel a vraiment epuisé toutes ses forces... ou comme l'a dit je sais plus qui c'est mahlin qui l'a fait disparaitre (mais dans ce cas pkoi aurait-il dit pas maintenant...)
bon, j'ai compris... la suite :bounce:


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n°3203410
Damrod
Posté le 13-07-2004 à 18:08:54  profilanswer
 

interressant tout ça mais tu souleves plein de question et pour avoir les reponses (ou au moins un debut) il nous faut la suite :bounce:

n°3218807
foularou
Posté le 15-07-2004 à 15:44:26  profilanswer
 

up du jeudi :p

n°3219598
Damrod
Posté le 15-07-2004 à 17:01:32  profilanswer
 

la suite !!! :bounce: la suite !!! :bounce:

n°3219838
yulara
Byte Hunter
Posté le 15-07-2004 à 17:18:28  profilanswer
 

je plussoie fortement :o


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Quizz'n'Blind pour tester vos connaissances
n°3220427
deidril
French Geek Society Member
Posté le 15-07-2004 à 18:13:33  profilanswer
 

On commence par les corrections traditionnellles :)
 

Grenouille Bleue a écrit :


La forêt était morte.  
Il n’y avait pas d’autres mots. Avec Barel venait de mourir l’esprit de ces bois, à voir leur aspect tandis que les deux jeunes gens se frayaient un chemin au travers. Au fur et à mesure qu’ils marchaient, ils écrasaient de plus en plus de branches mortes. Les feuilles autrefois si vertes, épargnées par l’hiver, tombaient maintenant en avalanche - comme pour s’excuser de leur retard. Il ne fallut que peu de temps pour que le sol soit jonché d’une épaisse couche de feuilles mortes.


 
1xmorte par phrase dans le premiere paragraphe...
 

Grenouille Bleue a écrit :


Un pied, puis l’autre.  


 
Bien trouvé la répétition mais je la mettrais en italique sur une nouvelle ligne. En un seul bloc ca donne pas terrible. ( Petite remarque purement cosmetique )
La tirage de dame Maud gagnerait p e aussi à etre éclaircie.  
 

Grenouille Bleue a écrit :


C’est un beau geste, mais je ne pourrai la porter seule si tu meurs de froid en route…


Plutot de pneumonie non ? Je dirais plutot ... si tu tombe inconscient suite à une fulgurante pneumonie.
 
Mon opinion :  
 
Un chapitre sur le hero qui se reveille apres avoir utilise son pouvoir. Celui-ci essaye de comprendre ce qu'il s'est passé et les personnes présentes tentent d'apporter quelques éléments de réponses : pour l'instant je m'y suis casse les dents puisque c'est exactement le sujet du chapitre sur lequel je travaille ( le 5 donc ).  
 
Je trouve assez dur d'écrire un chapitre comme ca qui - bien que moins frénétique que le chapitre precedent - ne doit pas être une halte dans le rythme.  
 
La premiere version que j'avais écrite etait dans le meme style :  
Combat -> Repos, les autres personnages défilent, donnant un peu de background/discussions sur les pouvoirs. Ca me plaisait pas, je trouvais que le rythme retombait beaucoup trop :(
 
J'ai finalement opté pour un decoupage autre : dans la Belgariade quand Belgarath est out ( je crois que c le debut du livre 4 ), le(s) chapitre est découpé avec des tranches de vie des autres personnages ( garion decouvre qu'il a une cousine ). Je pense que dans ce cas où le/un hero est alité, c'est le bon moment pour faire vivre un peu les autres personnages plutot que de les faire défiler dans la chambre.  
 
Maintenant, c'est vrai que dans ton cas, c'est Malhin qui est toujours la 'camera' du récit. Donc c'est très différent si tu souhaite te maintenir à une vision du récit limité à Malhin. D'ailleurs pourquoi ce choix ?


Message édité par deidril le 15-07-2004 à 18:20:37
n°3228513
Damrod
Posté le 16-07-2004 à 17:37:11  profilanswer
 

la suite !!! :bounce: la suite :bounce: !!!

n°3234776
kat'tre
Posté le 17-07-2004 à 12:59:39  profilanswer
 

je viens de lire les premiers chapitres et j'avoue que je trouve ca exellent
alors en attendant la suite......... ++


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si tu es feignant et que l'envie soudaine te prend de travailler, assied toi et attend que ça passe!!!
n°3248514
Damrod
Posté le 19-07-2004 à 10:28:14  profilanswer
 

Up du lundi

n°3248569
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 19-07-2004 à 10:34:45  profilanswer
 

Deidril a écrit :


Plutot de pneumonie non ? Je dirais plutot ... si tu tombe inconscient suite à une fulgurante pneumonie.


 
En même temps, dans une époque médiévale, tu penses vraiment qu'ils vont connaître les mécanismes de la pneumonie ?  :D  
 

Deidril a écrit :


Un chapitre sur le hero qui se reveille apres avoir utilise son pouvoir. Celui-ci essaye de comprendre ce qu'il s'est passé et les personnes présentes tentent d'apporter quelques éléments de réponses : pour l'instant je m'y suis casse les dents puisque c'est exactement le sujet du chapitre sur lequel je travaille ( le 5 donc ).  
 
Je trouve assez dur d'écrire un chapitre comme ca qui - bien que moins frénétique que le chapitre precedent - ne doit pas être une halte dans le rythme.  
 
La premiere version que j'avais écrite etait dans le meme style :  
Combat -> Repos, les autres personnages défilent, donnant un peu de background/discussions sur les pouvoirs. Ca me plaisait pas, je trouvais que le rythme retombait beaucoup trop :(


 
On ne peut avoir uniquement des chapitres d'action. Après, il faut essayer d'écrire quelque chose qui se lise avec plaisir et qui tisse des interactions dans d'autres sens. J'espérais que la présence de la petite Betingel (inspirée d'une amie que j'adore  :D) mettrait un peu de vie dans tout ça. Le chapitre était si ennuyeux à lire ?
 
 

Deidril a écrit :


J'ai finalement opté pour un decoupage autre : dans la Belgariade quand Belgarath est out ( je crois que c le debut du livre 4 ), le(s) chapitre est découpé avec des tranches de vie des autres personnages ( garion decouvre qu'il a une cousine ). Je pense que dans ce cas où le/un hero est alité, c'est le bon moment pour faire vivre un peu les autres personnages plutot que de les faire défiler dans la chambre.  
 
Maintenant, c'est vrai que dans ton cas, c'est Malhin qui est toujours la 'camera' du récit. Donc c'est très différent si tu souhaite te maintenir à une vision du récit limité à Malhin. D'ailleurs pourquoi ce choix ?


 
Pourquoi ce choix ? Parce que Mahlin, malgré toutes ses hésitations, ses faiblesses et ses angoisses, c'est le personnage que je préfère...
 
Mais rassure-toi, de nombreux chapitres vont être écrits d'un autre point de vue, à commencer par le début du suivant. Simplement, ce ne sera pas la norme...


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n°3249402
foularou
Posté le 19-07-2004 à 12:08:38  profilanswer
 

Bon je viens de lire plus consciencieusement l'ensemble des huit chapitres, et j'ai noté quelques erreurs aux niveaux des prénoms, en particulier:
 
Batingel->Betingel
Erhmar->Erhman
Mehlin -> Mehlian -> Mahlin
 
Sinon a part cela la lecture a été agréable, et personnellement je trouve que le calme du chapitre 8 n'est pas si désagréable, il faut bien que Mahlin se repose avant "la tempête" qui ne devrais pas tarder a arriver. La disparition inattendus de Dous reste flou et permet de nous poser pas mal de question, Malhin l’aurais t’il mis en difficulté ? Non je pense pas les dernières phrases auraient été différentes la il semblait s’attendre a disparaître mais pas aussi tôt. On dirais qu’une tierce personne est intervenu, quelqu’un ou quelque chose qui aurait le pouvoir de contrôler le Destin a priori et qui aurait jugé que pour Malhin et ces comparses l’heure n’était pas venu. De même que la familiarité dont Dous a fait preuve a l’égard de Barel Khorr laisse supposer que ceux ci se connaissaient. La vieillesse du sceaux pose aussi de nombreuses interrogations, Maître Khorr l’aurait obtenu selon d’anciens rites, tout cela nous laisse perplexe. L’apparente puissance de Malhin, l’ensemble de toutes c’est interrogations ne peuvent m’empêcher de poser une question récurrente dans tes histoires : « LA SUITE ! ! ! ! ! ! ! »

n°3249424
yulara
Byte Hunter
Posté le 19-07-2004 à 12:12:03  profilanswer
 

ouais, c'est vrai quoi, on veut la suite :bounce:


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n°3250210
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 19-07-2004 à 13:59:52  profilanswer
 

Bon, ben la suite alors.
 
 
Chapitre IX
 
 Aarel monta lentement les marches. Il portait un plateau chargé dans ses bras, et il connaissait trop bien sa propre maladresse pour avancer plus rapidement que nécessaire. Un verre de lait – non, deux -, une miche de pain frais, à peine sortie du four, sentant bon le pétrin, une pomme, deux poires. Comment diable les aubergistes avaient-ils pu trouver des poires à la fin de l’hiver ? Il haussa les épaules. Il n’avait jamais aimé réfléchir. C’était l’occupation préférée de Mahlin, ça. Chercher les tenants et les aboutissants de toute action. Lorsqu’il verrait les poires – Aarel pouvait déjà imaginer la scène – ses sourcils se soulèveraient, puis se fronceraient. Il regarderait les poires avec cette expression rêveuse, la tête inclinée, puis il mangerait. Mais non sans plisser les yeux de temps en temps, absorbé dans ses réflexions, cherchant à comprendre d’où ces fruits pouvaient bien venir.
 Aarel haussa les épaules. Qu’importait la provenance de tout cela ? C’étaient des fruits, et ils sentaient bon. Il n’en demandait pas plus. Dame Maud les lui avait placés entre les mains alors qu’il se préparait à partir aux champs. Avec deux blessés sur qui veiller, il pouvait difficilement se permettre de rester inactif. Certes, ils avaient de l’argent, mais s’ils voulaient vraiment s’attirer les bonnes grâces du village en cas de problème, il valait mieux travailler dans le soleil, à leur côté. Cela créait des liens. De plus, il aimait bien cela. D’autant plus qu’il faisait beau ; il n’y avait plus aucun signe de l’orage qui avait éclaté quelques jours auparavant. A croire que rien ne s’était passé. Puis son regard tomba, à travers la large fenêtre,  sur la forêt, sur ce qui avait été une forêt, et il frissonna. Il termina de monter l’escalier et poussa la porte.
 
 " Alors, le grand malade, ca va mieux ? " Le grand malade leva les yeux du grimoire qu’il compulsait et le cacha fébrilement sous sa couverture ; mais trop tard. Les yeux d’Aarel s’arrondirent. " Qu’est-ce que tu fais encore ? " En deux pas, il fut près du lit, et le livre changea rapidement de main. On ne résistait pas à Aarel lorsqu’il voulait vraiment quelque chose. Le colosse fronça les sourcils en regardant la couverture finement ouvragée. " Tu n’étais pas censé te reposer ? Je croyais que tu voulais partir le plus rapidement possible ! Pour ça, il faudrait que tu te rétablisses, ne compte pas sur moi pour te porter jusqu’à Bois-Rouge, et les Couleurs savent où après. Alors tu poses ce livre bien gentiment, et tu dors ! " Il criait presque. Le plateau était renversé sur le sol, les fruits roulaient sur le sol. " Je ne savais même pas que tu avais ramené des livres du manoir ! Tu te rends compte du poids de…  Le Vert en question, la Nature et la Terre,  par Polis d’Aethron " Son regard se fixa sur la couverture. Il y avait quelque chose de frappant, dans ce titre. " Est-ce que tu te rends compte de la réaction que peut avoir dame Maud ou son mari si jamais elle tombe là-dessus ? "
 Les lèvres de Mahlin étaient serrées en un pli nerveux. Il avançait la mâchoire, agressif.
 " Je me rends surtout compte que quelqu’un nous traque, et que nous devons trouver le moyen de nous défendre, d’une manière ou d’une autre. "
 Aarel leva des yeux exaspérés.
 " Nous défendre, nous défendre ? Et contre quoi ? Tu penses vraiment que tu deviendras un Maître Mage simplement en lisant ces vieux tomes poussiéreux ? Franchement ? A mon avis, il ne faut pas y compter. Et de toute manière, Dous ne reviendra pas. "
" Qu’est-ce qui te rend si sûr ? " grinça Mahlin.
" Réfléchis un peu, cela fait bien trois jours que nous moisissons ici. Si vraiment il tenait tant que cela à mettre la main sur nous, il l’aurait fait depuis longtemps. "
 Mahlin haussa les épaules.
 " Je préfère ne pas prendre de risques. Rappelle-toi ce qu’il a dit. Il a promis qu’il nous retrouverait pour nous tuer. "
 " Il n’a pas dit ça. Si je me souviens bien, il a simplement averti que nous nous reverrions. "
 Mahlin eut un petit rire moqueur.
 " Et il apportera les verres, et nous amènerons la liqueur de Te’ssari… Aarel, sois réaliste, pourquoi crois-tu qu’il veuille nous retrouver ? Je te rappelle qu’il a tué notre maître ! "
Aarel serra les poings. C'était quelque chose de terrifiant à voir, cette montagne de muscles qui contenait sa colère.
"La prochaine fois que tu parles ainsi, je t'arrache la tête de mes propres mains ! Ou bien Dous nous trouvera, ou il ne nous trouvera pas. Et dans le premier cas, il risque de ne pas y avoir grand chose à faire. " Mahlin s’agita, mais le colosse n’était pas prêt à se laisser interrompre. " Je ne suis pas fataliste, mais il faut voir la vérité en face. La seule chose à faire, c’est fuir pour qu’il ne nous trouve pas. Trois jours déjà que nous avons passé ici et il n’est pas venu. C’est peut-être une bonne nouvelle ; qui sait, peut-être ne se soucie-t-il pas de nous… Sinon, il serait déjà là. Tu te rappelles du Portail que ces Chasseurs avaient ouvert pour se déplacer ? Où qu’il soit, cela ne devrait pas lui prendre tant de temps de nous traquer si jamais c’est son intention. " Il s’interrompit enfin devant les efforts de son ami pour parler. " Tu voulais dire quelque chose ? "
 Mahlin se haussa péniblement sur les coussins.
 " L’auteur de ce grimoire ne te dit rien ? Ca devrait. "
 " Ce n’est pas vraiment le sujet " gronda Aarel. " Quand bien même ce serait l’œuvre de Brajan De’Stil en personne… " Il s’interrompit, le souffle court. " Que les Couleurs me pardonnent ! " Il reprit le livre. " Ce n’est pas vrai… "
 " Si… " fit simplement Mahlin. Ses doigts couraient sur la couverture du grimoire. La vieille couverture. Le vieux grimoire.
 " Polis d’Aethron… ce n’est tout de même pas la Polis d’Aethron ? "
 " Elle-même " confirma Mahlin. Il fronçait les sourcils. " Polis, qui combattit aux côtés de Brajan. La Grand’Mage Verte. "
 " Je ne savais même pas qu’elle avait écrit des livres " fit rêveusement Aarel. Il tournait et retournait le grimoire entre ses mains calleuses. " Et Maître Khorr avait cela dans sa bibliothèque ? Ce livre a quatre cent ans, au bas mot… Je doute qu’il en existe de nombreux exemplaires… "
 " Et encore, tu n’as pas tout vu. Ouvre-le, tu veux ? N’importe quelle page devrait faire l’affaire. "
 Le géant regarda le lourd volume comme s’il allait le mordre, les lèvres retroussées en un rictus de défiance, sans qu’il s’en rende compte Finalement, il tourna quelques pages. Son souffle se fit oppressé. " Dieu du Foyer ! " exhala-t-il.
 
 Le livre ressemblait à un véritable journal intime. Dans la marge, d’une écriture nerveuse, s’étalaient de nombreux commentaires. Quelques passages étaient raturés d’un trait épais, d’autres corrigés. Parfois l’encre avait coulé, à d’autres endroits l’écriture devenait un gribouillis illisible. Mais il n’y avait aucun doute sur l’ancienneté de ces annotations ; et c’était une écriture de femme. Aarel tourna une page, puis un autre.
 " Tu crois vraiment que Polis elle-même a marqué tout cela ? Que ce livre est… est l’original ? " fit-il enfin.
 " Je ne sais pas ; cela paraît tellement invraisemblable… d’un autre côté, qui d’autre aurait eu les connaissances nécessaires pour corriger cette épreuve ? " Mahlin se passa la main dans les cheveux. Il ne comprenait pas ; quelque chose n’allait pas, dans cette histoire. Quelque chose devait lui échapper. " Il faut croire que j’ai eu la main heureuse en choisissant les livres à emporter. Surtout que je dois te montrer quelque chose d’autre. Attends… " Il se pencha maladroitement vers le sac sous le lit, et fourragea dedans.
 Aarel s’écarta du lit et se mit machinalement à ramasser les fruits tombés.
 " C’est insensé. Comment maître Khorr pouvait-il avoir en sa possession un livre aussi précieux et aussi rare ? Il devrait être à l’Académie, sous verre, et ne pas en bouger. Je pense que… " Et puis les mots s’étranglèrent dans sa bouche alors que Mahlin brandissait un volume d’un noir mat, au titre en lettres de feu. Le Chemin des Tenebres  
 " Celui-ci n’est pas signé. Il n’est même pas achevé, et l’écriture est trop tortueuse pour être lisible la plupart du temps. Mais je n’ai pas vraiment de doutes sur celui qui l’a écrit. "
 
 L’ombre du Déchu plana un moment dans la pièce. Les pages étaient craquelées.
" Nous devrions brûler ce livre " suggéra Aarel, " et enterrer ses cendres dans un coin du jardin….le plus profondément possible. Oui, je crois que c’est la meilleure solution. " Les mains de Mahlin se refermèrent sur le grimoire comme pour le protéger. " Eh bien, quoi ? Le Maudit est mort, mais je ne doute pas que tous ses écrits soient pervertis. Tu ne penses tout de même pas le déchiffrer ? " Il se pencha pour étudier le visage de son ami, puis il se lécha nerveusement les lèvres. " Bon sang, j’ai bien l’impression que c’est ton intention… "
" Et alors ? " fit Mahlin, sur la défensive. " Tu l’as dit toi-même, le Déchu est mort et enterré. Depuis quatre cent ans ! Les livres ne sont pas maléfiques en soi ! Le Noir n’est pas maléfique en soi, tu as entendu notre maître… "
" Oui, mais… "
" Mais tout le reste n’est que superstition grossière. La seule chose dont je sois sûr, c’est que je suis un mage Noir – je le suis, que les Dieux me pardonnent – et que nul n’est capable de m’enseigner ce que j’ai besoin de savoir.  Peut-être ce livre y réussira-t-il mieux. "
 Aarel se redressa. Il se frottait les sourcils de sa grosse main, comme à chaque fois qu’il était perplexe.  
 " Je ne sais pas, Mahlin… je ne sais pas. Ce livre est dangereux… Si même il n’est pas corrupteur, le simple fait de le posséder risque de te faire pendre par le premier Chasseur venu… ou même par le premier magistrat avec un tant soit peu de pouvoir. Sans compter tous ceux qui tueraient père et mère pour ne serait-ce que jeter un œil sur un livre écrit d’une main aussi… aussi… " il hésita " légendaire. " Mahlin sourit nerveusement, mais sa prise sur le gros tome ne se relâchait pas.  
 " Et, non, je ne sais pas non plus comment maître Khorr a pu mettre la main sur ce livre. "
 " Tu vas me dire que tu as pris cela au hasard dans sa bibliothèque sans voir de quoi il s’agissait ? Tu te moques de moi ? Tu n’aurais pas traîné cela durant toute notre progression si tu ne savais pas que c’était aussi important. "
 " Mais je ne savais pas ! " gronda Mahlin. " Je t’assure ! Ces livres, ils étaient déjà sortis et posés sur la table de la bibliothèque…je n’avais pas le temps de chercher, je les ai pris. Je croyais que c’était ceux que j’avais déjà lu sans succès avant, mais… mais non. "
 Ils restèrent un instant silencieux. Aarel faisait les cent pas dans la pièce, mains derrière le dos, sourcils froncés. Mahlin tournait et retournait Le Chemin des Tenebres comme s’il ne savait qu’en faire.
 " Et les autres ? " finit par dire le géant en indiquant le sac sous le lit. " Je ne m’étonne plus de rien. Vas-y, dis-moi que les autres grimoires que tu as emmené sont signés Rhodaz, ou Teklan, ou même Brajan… "
 
 Mahlin secoua la tête.
 " Non, non, tu penses bien que j’ai vérifié ; mais ces deux là sont les seuls qui datent de cette époque. Les autres m’ont l’air d’être des éditions magnifiques et le Maître semble les avoir tous annotés, mais rien de plus. "
 " Tu dis que maître Khorr les a annotés ? "
 " Oui, pas grand chose, quelques traits de crayon. Mais j’ai bon espoir. "
 " Bon espoir de quoi ? "
 " Il semblerait qu’il y ait moyen de briser le Lien que ce mage Violet a tissé sur nous. Un rituel simple. "
 Aarel resta un instant bouche ouverte.
 " Tu veux dire que tu comprends ce qu’il y a dans ces livres ? "
 Le jeune homme remua dans le lit, puis eut une grimace hésitante.
 " Je n’irais pas jusque là, beaucoup de choses m’échappent, et je n’ai fait que survoler certains passages. Mais je pense que c’est faisable, oui. De toute manière, comme tu l’as fait comprendre plusieurs fois, nous n’avons pas le choix. " Aarel grinça des dents. " Je ne tiens pas à trouver Dous un beau matin au pied de l’auberge. Demain, je pense que je serai capable de t’aider à faire ce rituel. "
 Les mots s’étranglaient dans la gorge d’Aarel alors qu’il tentait de poser plusieurs questions à la fois.
 " Mais… moi ? Regarde ce qu’il t’est arrivé lorsque tu as manipulé les Couleurs sans précaution. Tu as failli mourir, il est hors de question que tu retentes quelque chose comme ça ! Et moi… j’ai encore moins d’expérience en ce domaine, que veux-tu que je fasse ? J’imagine que tu veux que Shani vienne nous assister malgré son bras blessé et.. " Il s’interrompit en voyant l’expression de son compagnon. " Dieu du Foyer, c’est ce que tu veux, n’est-ce pas ? Tu n’hésiteras pas à tous nous tuer pour tes théories fumeuses… d’ailleurs tu devras garder le lit au moins une semaine, a dit Pietr, et je veillerai à ce que… "
 
 Mahlin dodelinait de la tête.
 " Tout cela est bel et bon, mais tu sais aussi bien que moi que nous allons faire ce rituel, parce que le temps nous est compté, parce que nous n’avons pas le choix, et parce que tu as toute confiance en moi " Il ricana. " N’est-ce pas ? "
 Aarel haussa les épaules.
 " Je te laisse à tes folies. Je tâcherai d’occuper dame Maud pour qu’elle ne se mette pas à fouiner par ici. C’est tout ce que je peux faire. Pour le reste… repose-toi, s’il te plaît. Vraiment. " Il alla pour la porte, puis se retourna sur le seuil.  " Je t’ai apporté quelques fruits ; ils sont là, sur l’assiette. Bon appétit. "
 " Eloigne aussi Betingel ! " lança Mahlin en s’emparant d’une poire sans sourciller sur la saison. Il avait faim, et des problèmes plus importants l’occupaient.
 " Ca risque d’être difficile " fit Aarel avec sérieux. " Très difficile. " Et il ferma la porte.
 Mahlin murmura un juron, puis reprit avec attention sa lecture.
 Il se sentait encore faible, et son esprit restait embrumé, mais le temps leur était compté si vraiment Dous n’abandonnait pas leur trace ; et le jeune homme sentait que, pour une raison ou une autre, le mage Violet ne les lâcherait pas aussi facilement. Lentement, suivant avec le doigt, murmurant pour lui-même, il comparait les passages venant de tel ou tel livre, cherchant à comprendre comment défaire ce Lien.
 Il finit par sourire. Cela paraissait d’une simplicité enfantine, ne demandait aucune connaissance, aucune incantation. A partir du moment où l’on savait que Lien il y avait, le localiser puis le détruire n’était qu’une simple formalité. Mahlin soupira, corrigeant intérieurement. Une simple formalité pour un mage accompli, certes. Pour eux, cela risquait de se révéler bien plus compliqué. Mais avaient-ils le choix ?
 Depuis quelques jours, il semblait vraiment que leur liberté de décision avait disparu. Une mesure d’urgence en amenait une autre, toujours plus éprouvante, toujours dans le même but : survivre. Mahlin commençait à en avoir assez.  
 
 Il s’arrêta de lire pour boire quelques gorgées de lait ; c’était rafraîchissant. Puis il entendit un bruit dans l’escalier ; benies soient les lattes grinçantes ! Il rangea à la va-vite les grimoires dans son sac, et poussa celui-ci sous son lit. Betingel entra.  
 " Alors, comment va notre malade ? " fit-elle aussitôt à l’intérieur, en approchant une chaise. Elle alla pour s’asseoir, puis se ravisa et s’installa sur le lit, dangereusement près du jeune homme. " Je vois que l’appétit te revient enfin ! "
 " Aarel est une mère pour moi " sourit Mahlin en s’emparant de la miche de pain. Hâtivement, il rajouta : " Et je te remercie pour tout ce que tu as fait " Elle ne lui rendit pas son sourire.
 "   Pourquoi es-tu parti sans dire un mot, le soir du bal ? "
 Mahlin resta un moment la bouche ouverte, puis elle se referma avec un claquement sec. Elle avait le don de poser les pires questions aux pires moments.
 " Je… nous devions rentrer rapidement au manoir " fit-il maladroitement.
 " Ca, je le sais ! Même si j’ai dû l’apprendre de la bouche de Toni Broadhelm puisque tu n’as pas daigné m’avertir. Et donc, brusquement, au milieu d’une danse, tu t’es dit que votre Seigneur vous réclamait ? Aurait-il des pouvoirs magiques pour ainsi rappeler ses serviteurs ? " Mahlin sentit la peur l’étreindre, mais, non. Elle avait dit ca d’une voix amère, moqueuse. La possibilité ne l’avait visiblement pas même effleurée. " Qu’est-ce qu’il y a, je ne te plais pas ? "
 Lorsqu’il était un enfant et n’habitait pas encore au manoir, Mahlin avait l’habitude de grimper aux arbres – comme tous les enfants. Il s’était vite rendu compte que la mousse, au petit matin, était désespérément glissante et l’empêchait d’assurer ses prises. En entendant Betingel parler, il se sentait revenir à cette époque. Il se sentait sur une pente mousseuse, désespérément glissante.
 Cette petite phrase, elle annonçait des ennuis ; et des ennuis, il en avait déjà bien assez pour ne pas s’encombrer plus que nécessaire. Les problèmes sentimentaux attendraient. Que répondre ?
 " Si, bien sûr… " fit-il lentement.  " Tu es ravissante, et… "
 " Alors, quoi ? " murmura-t-elle. " Je suis une paysanne, et tu es un page ? "
 Un page ? Un page ! Mais à quoi pensait-elle donc ? Et puis il se rappela que maître Khorr était vu comme un Seigneur par tous les habitants de Longue-Rivière. Un Seigneur excentrique et solitaire, mais un Grand Seigneur quand même. Peut-être un noble lassé des intrigues de la cour. Il soupira. On soupirait beaucoup, à discuter avec Betingel. Elle se rapprochait de plus en plus. Mais comment étaient élevées les filles, dans ce village ?
 " Ce n’est pas du tout ça, voyons. Pas du tout. Je t’aime beaucoup et… "
 Et la porte s’ouvrit sur Shani. Se jetant de côté, il s’écarta de Betingel et grimaça sous la douleur qui le transperçait.
 
 Elle restait sur le pas de la porte, l’air surpris. Ses longs cheveux étaient nattés, et elle portait une robe qu’il ne se souvenait pas avoir jamais vu sur elle. Probablement un cadeau d’une des filles du village pour remplacer ses vêtements déchiquetés. C’était une robe de laine simple, d’un bleu profond, avec un liseré blanc grossièrement tissé sur les bras. Elle était resplendissante. Et elle avait le bras en écharpe.  
 " Tu m’as l’air d’aller bien mieux " fit-elle en souriant. Mais, derrière le sourire, son ton était neutre. " Je m’attendais à trouver un moribond, d’après ce que m’en disait dame Maud. " Elle s’approcha et lui toucha le front. " Pas de fièvre. Betingel, tu veux bien aller me chercher un linge propre ? Bouilli, de préférence. "
 Betingel, qui l’avait suivie des yeux avec défiance, sursauta comme si on l’avait giflée.
 " Il a surtout besoin de repos " fit-elle sans bouger. " Je vois que ton bras va mieux. "
 " J’aimerais parler un moment avec lui "
 " Il faut qu’il se repose. J’allais le quitter, justement. "
 Mahlin grogna, se soulevant sur les coussins.
 " J’aimerais que vous cessiez de parler de moi comme si je n’étais pas là et ne pouvais pas entendre "
 Personne ne tint compte de l’interruption, et il se renfonça dans ses couvertures avec une grimace maussade.
 " J’aimerais vraiment lui parler. S’il te plait. "
 Comment résister à ces yeux implorants ? Mahlin se sentait de plus en plus mal à l’aise, et se détendit enfin alors que Betingel se levait.
 " Ne sois pas trop longue. Comme je te l’ai dit, il faut qu’il se repose. Je serai devant la porte si tu as besoin de quoi que ce soit. "
 Et elle partit d’un pas lent, pour bien montrer que rien ne l’y obligeait. Enfin, la porte se ferma. Mahlin poussa un long soupir.
 " Je t’assure que je n’y suis pour rien… " commença-t-il, puis il s’interrompit. Pourquoi devait-il se justifier ? Shani ne se départit pas de son sourire et s’installa sur la chaise que Betingel avait avancée.
 " Je peux te prendre un fruit ? Je suis affamée " Elle s’empara d’une pomme et mordit dedans à belles dents. " Comment te sens-tu ? Honnêtement ? "
 Mahlin remua.  
 " Bien. Oh, ne me demande pas de courir ou de faire des acrobaties, mais je pense que je peux marcher sans trop de problèmes. Pietr m’a dit que j’aurais besoin d’une semaine pour être totalement rétabli, mais je me sens déjà en forme. Un ou deux jours de repos, et tout ira comme avant. "
 " Penses-tu que nous ayons un ou deux jours devant nous ? " demanda la jeune fille, l’air sérieux. Une expression qu’il avait si rarement vue sur son visage. Un très beau visage au demeurant.  
 " Comment va ton bras ? " fit-il doucement. Elle cilla.
 " Aussi bien que possible. Il est cassé, il faudra du temps pour que tout se remette en place. Pietr est un formidable guérisseur. "
 " Et les potions que Toni t’a achetées ont dû faciliter la guérison, n’est-ce pas ? "
 " Oui, il a été très gentil. Il m’a beaucoup veillé… " Le jeune homme leva les yeux au ciel " un peu comme Betingel t’a veillée. Je suis sûr qu’elle aurait fait venir les meilleurs guérisseurs pour toi si jamais elle avait eu l’argent nécessaire. "
 " Oh, je n’en doute pas " gémit Mahlin. Il se redressa péniblement. " A ce sujet, tu n’es peut-être pas encore au courant, mais nous sommes riches, je dirais même très riches. Plusieurs poignées de pièces d’or, de l’argent et du cuivre à profusion. Frappés aux marques de l’Empire. "
 Les yeux de Shani s’étaient arrondis.
 " Ou as-tu trouvé… peu importe, je ne veux pas le savoir. C’est plutôt une bonne nouvelle ; il vaut mieux être un riche fugitif qu’un vagabond. "
 " Tu sais donc que nous devons nous cacher. Aarel t’a raconté tout ce qui s’est passé ? "
 " Oui, pendant les rares moments où il pouvait éloigner Toni de ma chambre " sourit-elle, toute sa gaieté revenue. Elle récupérait admirablement bien. Il chercha un instant à élucider en quoi sa bonne humeur naturelle différait de celle de Betingel, mais abandonna finalement avec un discret haussement d’épaules.
 " J’arrive difficilement à imaginer Toni te veiller avec constance. Peut-être est-il réellement amoureux, cette fois-ci ? " Shani fit la moue.
 " De toute manière, nous devrions quitter ce village avant qu’il ne devienne gênant. " Mahlin ressentit une bouffée de plaisir égoïste, et eut besoin de toute sa concentration pour garder un visage impassible. " Pour ma part, je peux marcher sans trop de problèmes ; tout dépend donc de toi. "
 " Tu oublies encore une fois que nous sommes riches. Nous pouvons aisément acheter des chevaux, cela nous simplifiera énormément le voyage "
 Shani fronça ses jolis sourcils.
 " Le voyage ? Où veux-tu aller ? "
 " N’importe où ; n’importe où, mais loin d’ici. Je ne veux pas affronter ce… ce Dous une fois de plus. Tu ne l’as pas vu, tu étais déjà évanouie. Tu ne te rends pas compte à quel point il est… terrifiant. Pour toi, je suppose que c’est toujours une personne avec qui tu as dansé ; un très bon danseur, au demeurant. "
 " Tu ne te débrouilles pas si mal toi-même, lorsque tu te concentres " sourit Shani. " Oui, j’imagine que nous devons désormais vivre comme des fugitifs, du moins pour un certain temps. " Elle parut hésiter, se léchant les lèvres. " Mais où que nous allions, le Lien… "
 "… n’est pas un problème insurmontable. Je ne veux pas trop m’avancer, mais je pense que je serais capable de le briser… avec votre aide. "
 
 Shani fronça les sourcils ; elle ne souriait plus.
 " Aarel ne m’a pas simplement raconté comment notre maître est mort. Il m’a aussi parlé de la manière dont tu as inconsidérément utilisé les Couleurs dans la forêt… "
 " Oh, écoute, nous n’allons pas reparler de ça… "
 " En ce qui me concerne, je n’en ai encore jamais parlé avec toi, et tu vas me faire le plaisir de m’écouter. Tête de mule ! " Elle lui planta un doigt dans le gras du ventre. " Tu as failli te tuer en jouant ainsi avec ce que tu ne connaissais pas. Avec tout ce qui est en train de nous arriver, je n’accepterai pas que tu nous rajoutes des ennuis en jouant à l’apprenti sorcier. "
 " Nous sommes des apprentis sorciers " marmonna Mahlin, mal à l’aise.
 "  Pour l’instant, nous sommes des fugitifs ; le principe est de ne pas nous faire remarquer. Ce n’est pas en crachant du sang que tu nous aideras. "
 " Mais… "
 " Ce n’est pas en crachant du sang que tu nous aideras ! " répéta-t-elle d’un ton péremptoire. Puis elle adoucit ses paroles d’un sourire. " Nous parviendrons bien à nous débrouiller sans puiser dans les Couleurs. Après tout, j’ai vécu près de vingt ans sans même savoir comment les utiliser ; et je ne suis pas même sûr de savoir comment faire aujourd’hui. "
 " Pendant ces vingt ans, nous n’étions pas pourchassés " observa  Mahlin. " Je pense que la différence est de taille. " Shani ne répondit pas. " Nous sommes Liés à ce mage Violet, du moins est-ce ce qu’il a dit, et je serais enclin à le croire. Si nous ne nous débarassons pas de ce Lien, cela ne servira à rien de fuir ; il nous rattrappera tôt ou tard "
 Il se tut, et le silence s’installa pendant un instant. L’instant se changea en moment, et le moment devint long. Mahlin s’agita dans ses couvertures, mal à l’aise. Enfin, Shani hocha la tête.
 " Je suppose qu’il va falloir en passer par là. Mais j’espère vraiment que tu sais ce que tu fais. Je ne veux pas paraître cynique, mais tout aurait été tellement plus simple si le maître était mort ne serait-ce qu’un jour après… " Elle rosit en se rendant compte de ce qu’elle disait, mais reprit vite sa contenance. " Quand penses-tu pouvoir couper ce Lien ? Tu as raison, le temps presse… "
 " Ce soir, cela devrait être bon, si Aarel et toi parvenez à éloigner Betingel et dame Maud de ma chambre. Vous n’aurez qu’à leur dire que…que je dors d’un sommeil très léger ; aucune n’osera me déranger. J’espère. "
 " Je m’occuperai personnellement de Betingel " sourit Shani en se levant souplement. " Tu peux étudier tranquillement. " Arrivée à la porte, elle se retourna, et ses yeux étaient inquiets. " Mais prends tout de même soin de toi ; repose-toi. "
 " Oui " fit Mahlin, conciliant. Sa main fouillait déjà sous le lit, à la recherche des grimoires.
 " Tu me le promets ? "
 " Oui " répondit Mahlin, plus sérieusement, et elle tourna la porte, et elle n’était plus là.
 Il espérait sincèrement qu’elle parviendrait à faire barrage auprès de Betingel ; il avait mieux à faire. La jeune paysanne était très gentille, mais… mais… mais il replongea la tête dans le manuscrit et se mit à lire avec application.  
 Le soir tombait lorsqu’il releva la tête. Il pouvait distinctement voir la nuit avancer par la fenêtre, une grande chose noire qui le privait de lumière. Il grimaça. Tout mage des Ténèbres qu’il était censé être, il aurait bien aimé pouvoir approcher une chandelle.
 
 La pénombre augmentait rapidement, et il finit par abandonner sa lecture. Les grimoires qu’il avait éparpillés sur ses couvertures se retrouvèrent dans son sac. Il fallait que cela suffise. Ils ne pouvaient se permettre d’attendre plus longtemps pour briser ce Lien ; ce damné Lien. Il bailla et enfouit sa tête sous les draps ; s’il ne pouvait pas lire, mieux vallait dormir en attendant que les autres le rejoigne.
 Il n’avait pas fermé les yeux depuis plus de dix minutes que la porte s’ouvrait sur dame Maud. La plantureuse aubergiste tenait entre ses mains une soupière fumante, qu’elle posa à la tête du lit sans se soucier du bruit. Mahlin se redressa sur les oreillers.
 " Debout, mon garçon ! Il faut que tu manges si tu veux récupérer ! Manger, dormir, voilà ce qui vous remet un homme sur pied ! Goûte-moi un peu cette soupe, tu m’en diras des nouvelles " Elle eut un rire tranquille alors que le jeune homme commençait à manger. Quelques croûtons surnageaient. Cela avait l’air délicieux. " C’est la première fois que je vois Betingel aux fourneaux. Je ne te demanderai pas ce que tu lui as fait, mon garçon, mais c’est bien la première fois que je la vois aussi anxieuse de plaire. Et aussi peu désireuse de te voir…"
 La soupe avait soudain un goût de cendres. Betingel ; il allait décidément falloir qu’il lui parle. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver ? C’était habituellement Aarel qui attirait les regards séducteurs, et cela avait toujours paru dans l’ordre des choses. Mais Mahlin avait soudain l’impression d’être le centre de toutes les attentions ; autrefois, il aurait pu trouver cela grisant. Maintenant, il n’aspirait plus qu’au calme. Il se rendit compte que dame Maud s’était assise sur la chaise, et il gémit intérieurement. Le calme…
 " Tu devrais être plus gentil avec cette fille, mon garçon. Crois-moi, c’est bien de jouer les indifférents, je suis sûr que tu l’as piquée à vif. Mais vient un moment où il faut savoir ce que l’on veut. Elle est gentille, belle et en bonne santé, tu devrais te sentir flatté. Elle te ferait de bons enfants. Pourquoi ne t’installerais-tu pas ici ? Après tout, maintenant que… après tous ces événements funestes, tu n’as plus d’attaches. La plupart des gens t’apprécient ici ; je suis sûr que tu pourrais devenir un bon paysan ; les terres de maître Gondran sont fertiles, et tu en recevrais certainement une bonne part comme dot. " Elle le jaugea d’un œil critique. " Si même tu ne veux pas être paysan, pourquoi pas clerc ? Tu es instruit, tu sais lire et écrire, il n’en faut pas plus ! Tu peux écrire les lettres et tenir les comptes ! Qu’en penses-tu ? "
 Mahlin marmonna un vague acquiescement, cachant son expression dans la soupière. Il bénissait désormais le manque d’éclairage. Par les Couleurs ! Dame Maud méritait bien sa réputation de commère et de marieuse. Que les Ténèbres les engloutissent, elle et Betingel ! Il ne pouvait pas s’installer ici ; c’était impossible. Et même s’il l’avait pu, il ne pensait pas qu’il l’aurait voulu.
 " Tu n’es pas bien bavard, ce soir " constata dame Maud, s’arrêtant enfin de monologuer. Aucune réponse ne venant, elle continua. " Mais comme je le dis toujours, il vaut mieux manger que discuter. Nous aurons tout le temps d’avoir cette discussion plus tard, mais je te demande d’y penser. Tu n’es plus un enfant, tu sais. Il paraît que tu as vingt ans. Cela me paraît un age parfait pour s’établir. "
 Elle lui fit un clin d’œil.
 " Je pense que tes amis s’installeront ici aussi. Shani est une épouse toute trouvée pour Toni ; je ne l’ai jamais vu si épris, lui qui courait les donzelles et fuyait toute chaîne jusqu’à maintenant " elle eut un sourire attendri. " Quant à Aarel… ce ne sont pas les candidates qui manquent, ici comme à Bois-Rouge " elle rit. " Tu sais qu’il est allé travailler aux champs cet après-midi, aux côtés de nos hommes ? Va savoir pourquoi, les lavandières sont allées étendre et battre leur linge à côté de lui. "  
 Mahlin essaya de joindre son rire à celui de la matrone, mais le cœur n’y était pas. Il se sentit soulagé lorsqu’elle se leva enfin.
 " Cela me fait plaisir de discuter avec toi, mon garçon, vraiment ; mais tu sais ce que c’est , mon bon à rien de mari est incapable de servir tout le monde. A voir le nombre d’ivrognes qui viennent dépenser quelques piécettes ici tous les soirs, on pourrait croire que nous sommes une véritable ville. Repose-toi bien ! Bientôt, tu pourras gambader comme un cabri ! "
 
 Les derniers mots étaient étouffés par la cloison alors qu’elle passait la porte et dévalait l’escalier. Mahlin tendit l’oreille pour vérifier qu’elle ne remontait pas, puis se laissa retomber sur l’oreiller avec un grand soupir. Il devenait de plus en plus urgent qu’ils partent. Et ce maudit Toni Broadhelm… Il ferma les yeux. Ses dents grinçaient alors qu’il cherchait le sommeil. Bientôt, Aarel et Shani devraient venir. Il valait mieux être un tant soit peu reposé ; mais difficile de s’endormir. Tellement de choses, tellement de choses ! Il se demandait confusément s’il existait des grimoires pour les demoiselles comme pour la magie. Tout serait tellement plus simple.
 Et puis les heures passèrent, et  la porte s’ouvrit silencieusement. La nuit était déjà bien avancée.
 " C’est nous " chuchota Aarel ; une forme plus svelte se faufila derrière lui. " Franchement, tu aurais pu choisir une heure plus normale. De quoi est-ce qu’on a l’air, à nous glisser dans l’auberge comme des voleurs ? Et ce maudit parquet qui grince ! "
 Shani eut un petit rire.  
 " Le problème m’a occupé toute la journée, Mahlin. Comment éviter de réveiller toute la maison. "
 " Et finalement elle a utilisé la magie " fit Aarel, fier comme s’il s’était agi de lui.
 Ils parlaient désormais tous les deux en même temps, leurs chuchotis se complétant.
 " C’était la meilleure solution "
 " Elle a appelé le Vert ! "
 " Ca me paraissait logique "
 " Elle a parlé au bois ! "
 " Il était mort, je n’arrivais à rien faire, il fallait que je tâtonne, c’était très étrange, mais finalement… "
 " …elle a fait une sorte de pacte avec lui ! "
 " Pas exactement, en fait j’ai créé… "
 " …toujours est-il que le pêne a coulissé tout seul pour ouvrir la porte, et que le bois n’a pas craqué sous nos pieds ! "
 " Je ne savais pas si ca marcherait avant d’essayer… mais ca a marché, oh Mahlin c’est merveilleux ! "
 Elle lui tomba dans les bras alors qu’il cherchait encore à comprendre ce qu’ils racontaient. Et il décida qu’il comprendrait plus tard. Son corps était chaud. Il se demanda si, par conséquent, elle le trouvait froid. Il se força à penser à ce qui était important.
 " Bon, plus tôt nous commencerons, et plus tôt ce sera fini. Une fois le Lien coupé, nous pourrons enfin nous détendre. "
 " Ce n’est pas compliqué, tu as dit ? " demanda Aarel. Il posa la chandelle qu’il tenait sur le bougeoir. Ses mains étaient moites.
 " Non, un véritable jeu d’enfant. En fait, la vraie force du Lien est qu’il est difficilement détectable. Mais une fois que l’on sait que l’on est Lié, s’en débarasser est une tâche aisée. " Shani se détacha de lui ; il la laissa partir avec regret.
 " Eh bien, commençons le rituel " fit-elle avec un petit rire. Un petit rire tendu.
 Mahlin prit une grande inspiration, puis sortit du lit. Quatre jours, maintenant, qu’il restait allongé. Se tenir debout lui parut d’abord malaisé ; ses jambes ne le soutenaient pas. Mais le malaise passa bientôt. Tout allait mieux dès lors qu’il s’appuyait à un mur. Si seulement la pièce voulait bien s’arrêter de tourner.
 " Bien. Ce que nous allons faire, vous vous en doutez, fait appel au Violet. Vous êtes tous capables de trouver l’Arc-En-Ciel ? Shani, si tu as pu atteindre le Vert, je pense que tu ne devrais pas avoir de problèmes. Aarel ? " Le colosse fit un signe de tête affirmatif. Quand avait-il eu le temps de s’entraîner ?  " Parfait. Mettez-vous autour de moi, donnez-moi la main. Je pense que le Lien a été établi avec toi, Shani, puisque c’est avec toi qu’il a dansé. Mais on ne sait jamais, peut-être sommes nous Liés également. "
 Ils se prirent tous par la main, formant un cercle.
 " Cela ressemble aux contes que me racontait ma mère pour m’effrayer " murmura Aarel. " Il manque le pentacle. "
 " Nous n’avons pas besoin de pentacle. Comme je te l’ai dit, il ne s’agit que de magie mineure. Allez, cherchez le Violet. "
 Obéissants, ils fermèrent les yeux. Mahlin prit le temps de vérifier qu’ils suivaient ses directives avant de fermer les siens. La plongée dans les ténèbres, la sensation de liberté, puis, plus profond, celle de se noyer. Puis il refit surface, et les Couleurs étaient là. Maître Khorr avait raison. Cela devenait de plus en plus facile. En un instant, il fut environné de Violet. Il prit le temps de sentir l’énergie couler en lui, puis il rouvrit les yeux. Il ne fut pas tellement surpris de voir les paupières de ses amis encore fermées. Ils avaient moins d’entraînement.  
 Il attendit patiemment, jouissant de la sensation de puissance, du Pouvoir qui frémissait en lui. Lorsqu’Aarel battit des paupières, il lui sourit. Shani était plus longue. Très longue. Il fronça les sourcils.
 " Shani ? Tout va bien ? "
Elle était pâle sous la pâle lueur, pâle et pâlissante, une peau claire au clair de lune.  
" C’est tellement plus difficile " fit-elle entre ses dents. Sa respiration était sifflante.
" Plus difficile que quoi ? "
 
Elle ne répondit pas, et Mahlin commença à s’inquiéter pour de bon. D’autant plus qu’il sentait le Pouvoir décroître lentement en lui. Combien de temps pouvait-il encore le conserver ?
 " Shani ? " fit-il encore.
 " Tous ces arbres se ressemblent " murmura-t-elle, rêveuse.
 " Quoi ? Quels arbres ? "
 Et puis elle ouvrit les yeux et lui sourit, d’un sourire aussi pâle que sa peau, la lueur et la lune. Mais c’était tout de même un sourire. Et ses yeux avaient des reflets violets.
 " C’était… c’était plus facile avec le Vert. Tellement plus facile….  Mëme maintenant, j’avais l’impression de… " Elle porta la main à son front et se tut quelques secondes avant de reprendre. " J’avais l’impression de me noyer dans le Vert, aussi fort que je cherche à atteindre le Violet. Une sensation surprenante. Mais tout va bien maintenant. "
 Aarel fronça les sourcils, mais il n’eut pas le temps de parler. Mahlin sentait le Pouvoir le déserter.
 " Parfait " fit-il avec une grimace rassurante. " Commençons. Unissez-vous à moi."
 Deux regards se chargèrent d’incompréhension. Il eut un geste d’impatience.
 " Vous percevez mon aura ? " Hochements de tête. " Regardez-là, tendez-vous vers elle. "
 " Comment ça ? " demanda Shani, perplexe.
 " Je ne sais pas, je n’ai jamais fait de rituel non plus " grommela Mahlin. " Et il n’y a personne pour nous enseigner. Il nous faut essayer par nous-même, et prier pour trouver. "
 
 " Attends, tu ne nous avais pas prévenu qu’il faudrait tâtonner ainsi " fit Shani, crispée.
" Certaines trouvailles en magie ont pris des années " marmotta Aarel. " Tu nous demande l’impossible. " Puis il s’éclaira. " Je crois que je sais.. " Il se tendit.
 Et puis Mahlin sentit une douleur intolérable lui vriller les tempes. Blême, il tomba à genoux. La douleur cessa aussitôt, et Aarel le releva, les traits décomposés.
 " Je… je suis désolé. Ce n’était pas ce que…  Bon sang, mais on risque de te tuer à expérimenter ainsi ! "
 Mahlin lui fit un pâle sourire.
 " En tout cas, tu sais désormais comment donner un mal de tête insupportable à quelqu’un. C’est déjà quelque chose. "
 Aarel grimaça.
 " Lorsque je veux assommer quelqu’un, j’utilise mes poings ; c’est plus efficace. "
 " Concentre-toi ! " siffla Shani. Elle fermait les yeux, comme si voir les Couleurs pouvait l’aider à les canaliser. Ses narines remuaient ; c’était fascinant.
 " Je ne fais que ça, figure-toi " répondit Aarel, et lui aussi ferma les yeux.
 Ils restèrent ainsi pendant près de cinq minutes. Mahlin grinça des dents. L’effort de maintenir le pouvoir en lui devenait de plus en plus intolérable. Il allait devoir bientôt abandonner sa prise sur le Violet, et aucune de ses lectures ne l’avait prévenu de ce qui pouvait se passer dans un tel cas. Sur le papier, les rituels paraissaient si simples ! Tellement simple qu’il n’avait pas même pris la peine de se demander comment ils le réaliseraient.
 Et puis il sentit soudain une chaleur intense, comme s’il s’approchait trop près d’un feu de joie. L’instant d’après, c’était fini, et il sentait le Pouvoir circuler en lui, bien plus puissant qu’avant. Aarel dodelinait de la tête. Il avait réussi.
 
 Quelques secondes plus tard, il y eut la même sensation, brève et douloureuse comme un coup de poignard. Et le Pouvoir coulait en lui, libre, Violet, disponible. Il s’était attendu à une certaine empathie avec ses amis, mais, non, rien. Comme si le Pouvoir avait surgi de nulle part. Et pourtant, il pouvait nommer ce qu’il utilisait. Il reconnaissait les flots, il pouvait les diviser, il savait ce qui venait de Shani, ce qui venait d’Aarel. C’était une sensation grisante.
Il ne savait pas ce que ressentaient ses compagnons, mais se sentit soudain coupable. Il perdait du temps. C’était à lui d’agir.
Concentré, il étendit le Pouvoir autour de lui, des filaments de Violet qui se mirent à tournoyer autour de lui et de ses amis. Les grimoires étaient clairs sur ces étapes, décrivaient avec précision les schemas de pensée à mettre en œuvre, et il se sentait en territoire connu. Bientôt, il sentit la résistance qu’il attendait, autour de la tête de Shani. Et autour de la sienne. Aarel semblait épargné.
Il prit une grande inspiration, puis lâcha le Pouvoir en une attaque violente, rapide, un coup de sabre. Il sentit quelque chose se couper, quelque chose se déchirer, et puis, plus rien. Le Pouvoir reflua lentement en lui. Le Lien était coupé. C’avait été si simple.
" Ouvrez les yeux " fit-il doucement. " Nous avons réussi. "
" Déjà ? " murmura le géant. " Tu es sûr ? "
" Tu as réussi " corrigea Shani. Elle souriait, mais ses yeux étaient voilés. " Nous n’avons pas fait grand chose. "
" Je n’aurais pas réussi seul. " protesta-t-il. " J’espère que le rituel n’a pas été trop épuisant pour vous. C’était nécessaire, mais je dois avouer que j’étais très inquiet. "
" Et moi donc… " soupira Shani. " Mais nous n’avons plus rien à craindre désormais ! " Son regard confiant chercha celui de Mahlin. " N’est-ce pas ? "
Mahlin évita ses yeux en se prenant la tête entre les mains.
" Bien sûr " fit-il.


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Ma chaîne YouTube d'écrivain qui déchire son père en pointillés - Ma page d'écrivain qui déchire sa mère en diagonale
n°3250446
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 19-07-2004 à 14:34:31  profilanswer
 

tu t'en sors très bien pour la description du rituel magique. Chapeau c'était pas évident! J'aime bien l'idée que les apprentis vont devoir développer leur pouvoir seuls... à tâtons.
vivement la suite

n°3252220
Damrod
Posté le 19-07-2004 à 17:29:52  profilanswer
 

tt a fait d'accord : bonne vision du rituel mais un seul regret: c'est trop court, j'en veut encore :cry:

n°3252286
yulara
Byte Hunter
Posté le 19-07-2004 à 17:35:46  profilanswer
 

ben pas mieux, donc la suite! la suite! :bounce:


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Quizz'n'Blind pour tester vos connaissances
n°3252477
Davidartis​te
aaah... la vie d'artiste!
Posté le 19-07-2004 à 17:52:25  profilanswer
 

raah put**n comme c top!


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http://www.ecrivons.net/index.php
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Posté le   profilanswer
 

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