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  "Ecriture d'un roman d'heroic fantasy" - histoire n°2

 


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Auteur Sujet :

"Ecriture d'un roman d'heroic fantasy" - histoire n°2

n°3109569
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 01-07-2004 à 17:02:11  profilanswer
 

Bien.
 
Comme précisé sur le topic écriture d'un roman d'heroic fantasy, j'ai besoin de faire un break de mon précédente histoire. Ca fait trop longtemps que je vis le nez dans les aventures de Malek, Shareen et Rekk, donc j'en profite pour vous faire découvrir une autre histoire, commencée il y a trois ans, et que j'avais abandonnée pour un moment pour exactement les mêmes raisons (overdose :D). Il est maintenant temps que je la reprenne un peu.
 
Quelques points importants:
 
1. Oui, les noms sont très semblables à ceux de l'autre histoire. C'est normal, c'est de là qu'ils venaient et je n'ai jamais pris la peine de les changer. Donc vous rencontrerez un Mahlin, une Shani, un Kerr... ça devrait vous rappeler des souvenirs.
 
2. L'histoire est axée sur la magie, donc bien plus "heroic fantasy" que l'autre, qui était vraiment low fan
 
3. J'ai écrit ça dans une période de célibat, alors que j'étais profondément amoureux d'une fille. Ben oui, ça arrive. Vous trouverez donc probablement certains passages très mièvres - ou alors peut-être vous y identifierez-vous :D. En tout cas, c'est bien plus présent que sur le livre précédent.
 
4. Normalement, le style est de meilleure qualité. Mais c'est à vous de juger...

mood
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Posté le 01-07-2004 à 17:02:11  profilanswer
 

n°3109580
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 01-07-2004 à 17:02:44  profilanswer
 

Voici donc le premier chapitre. Il reste pas mal de tournures enfantines...
 
 
 Le gourdin frappa le tapis avec un bruit mat, et un nuage de poussière s’éleva. Mahlin toussa.
 "Que les vents des Enfers emportent toutes ces corvées !" gronda-t-il.  
Cela faisait quelques heures qu'il répétait cette phrase en boucle.
 Il n’y avait personne pour l’entendre, bien sûr. Dans ce grand corridor du manoir, il n’y avait que lui, et la poussière. De plus en plus de poussière, au fur et à mesure qu’il battait les carpettes avec hargne. Un gourdin, ce n’était pas le meilleur objet pour cet usage, mais il n’avait pas réellement le choix. Au début, ça n'avait pas paru si compliqué. Il avait même trouvé ça amusant de frapper dans tous les sens, imaginant des ennemis dans les entrelacs de fils d’or pour pimenter un peu son travail. La tache, dans ce coin du tapis, pouvait bien ressembler à un monstre, après tout. Un monstre prêt à lui sauter dessus si jamais il relâchait son attention ! Un coup bien placé avait estourbi la créature imaginaire et Mahlin avait poussé un glapissement de victoire. Mais maintenant que la bataille traînait en longueur, il commençait à se lasser. Même son imagination débordante ne suffisait à rendre cette corvée passionnante. Il soupira.
 
 Un nouvel ennemi se présentait ! Vite, vite, bondir dessus ! Tenant son gourdin comme une épée, il frappa d’estoc le pauvre tapis. La poussière s’éleva de plus belle. La sueur commençait à lui dégouliner dans les yeux ; il l’essuya sur sa manche d’un mouvement irrité. Absorbé comme il l’était, il n’entendit pas les bruits de pas.
 " Tu vas finir par les abîmer, si tu y mets autant d’énergie ! "
 
 Il se retourna d’un bloc. Il n’y avait pas à se tromper, seule une personne dans cet endroit lugubre arrivait à faire passer aussi aisément son sourire dans sa voix. Elle était là à le regarder, avec cette expression amusée, tête légèrement penchée, qui lui allait si bien.
 "Ah, c’est toi Shani…"
 "Qui d’autre irait récolter la poussière dans un endroit pareil ? " fit-elle en plissant le nez. "A bien y réfléchir, je me demande ce que, même moi, je fais ici."
 Elle avait dix-neuf ans et elle était belle. Mahlin s’aperçut que sa machoire béait, et il la ferma avec un bruit sourd. Il se mit à tousser.
 " Ca va ? "
 Le jeune homme s'étouffa encore quelques secondes, et s’appuya au mur pour reprendre son souffle. Elle avait de longs cheveux bruns. Pourquoi fallait-il qu'il se rende toujours aussi ridicule en sa présence ?
 " Oui… " fit-il enfin. " Oui oui, ça va. C'est la poussière, c'est simplement… tu ne m’as pas dit ce que tu venais faire ici ? A part me regarder travailler et tousser ? "
 
 Restée jusque là dans l’embrasure de la porte, elle entra finalement, se pinçant ostensiblement le nez de la main gauche. Dans la main droite, elle portait une assiette d’acier remplie d’une soupe fumante.  
"T’apporter ton repas, quoi d’autre ?"
 Il cligna des yeux.
 "Il est si tard que ça ?"
 "Six heures, tout de même. Cela fait toute une après-midi que tu bats des tapis." Elle eut un sourire amusé. " On dirait que tu y prend goût. "
 " Certainement pas ! Je n’ai jamais vu une tâche plus stupide que celle-là ! "
 Ecoeuré, il jeta le gourdin dans un coin, et s’approcha de la table.
 " Tu étais obligée de poser l’assiette dans ce nuage de poussière ? "
 " Oh, là, excuse-moi, monsieur le susceptible ! "
 Sans répondre, Mahlin prit le bol de soupe et sortit de la pièce à grands pas, les yeux droit devant lui. A peine dehors, il s’arrêta.
 " Le beau mage que je fais, n’est-ce pas Shani ? "
 La fille le rejoignit. Son sourire était toujours intact.
 " Plains-toi, plains-toi ! Tu ne sais que te plaindre... Sais-tu combien de temps j’ai dû recopier des parchemins pour le maître ? Dis une heure ? Je t’écoute ? "
 Mahlin se retourna, sourcils froncés par la concentration.  
 " Eh bien, je t’ai vue il y a quatre heures et tu ne semblais pas particulièrement occupée, donc je suppose que tu as commencé après. D’autre part, le maître ne s’abaisserait jamais à me préparer de la soupe, et Aarel encore moins, je suppose donc qu’il a bien fallu que tu la prépares toi-même, ce pour quoi je te suis, au passage, très reconnaissant. Considérons vingt minutes pour cela, dix minutes de battement, je dirais… trois heures trente ? " Shani le regarda un instant, et il se hâta de rajouter : " Ce n’est qu’une estimation, bien sûr. "
 " Bien sûr… " fit-elle. Elle battit rapidement des paupières, comme toujours lorsqu’elle était déconcertée. " Dis-moi, est-ce que tu as jamais répondu à quelque chose à l'instinct, plutôt que de faire des calculs compliqués ? "
 Il la regarda, perdu.
 " C’est que… "
 " Mange ta soupe, ca va refroidir… "
 
 Depuis le temps qu’ils parlaient, ils avaient atteint sans qu’il le notât la pièce meublée avec goût qui formait le cœur du manoir. Ils allaient souvent ici pour étudier ; l’ambiance feutrée semblait inviter à la méditation. Mais cela pourrait faire affaire de salle à manger. Avec un soupir satisfait, il s’affala sur un des lourds sièges de brocard, posa son assiette sur la table de chêne, et commença à manger. Le brouet était chaud et épais. Shani n’avait jamais été une grande cuisinière – et n’y avait jamais mis de bonne volonté, quelques efforts qu’aient pu faire Aarel et lui pour lui expliquer diplomatiquement que c’était un travail de fille – mais il avait faim, et il mangea sans se plaindre. Comment osait-elle lui dire qu’il ronchonnait tout le temps ? C’était faux. Tout à fait faux.  
 " Je n’ai jamais rien mangé de meilleur ! " fit-il entre deux cuillérées, l’air le plus sincère possible. La fille lui rit au nez.
 " Oh, mais battre les tapis semble te réussir dis-moi ! Tu n’étais pas aussi gracieux lorsque tu avais à nettoyer la cave. Va, c’est moi qui ai préparé cette soupe, je sais quel goût elle a… "
 Mahlin replongea son nez dans son écuelle, grommelant qu’il était honteux qu’elle doute encore de son honnêteté. Elle rit de nouveau.
 " Dépêche-toi de terminer, si ça te plaît tant que cela. Le Maître ne devrait pas tarder à rentrer. C’est la fin des corvées pour la journée ! "
 Elle poussa un soupir de plaisir et s’étira. Il baissa les yeux. Comment faisait-elle pour s’étirer de cette manière ?
 " Je dois dire que je ne suis pas mécontent d’être débarassé de ces damnés parchemins à recopier… tu as de la chance d’avoir une écriture atroce ! "
 Mahlin s’étouffa sur sa dernière gorgée de soupe et partit dans une nouvelle quinte de toux. Shani eut un sourire espiègle.
 " Eh bien ? Ca ne va pas ? Deux fois, déjà, que… "
 
 Le jeune homme rassembla toute sa dignité et ne répondit pas ; si tant est qu’on pût parler de dignité dans cette situation. Mais enfin, il finit par retrouver son souffle.  
 " Ne recommence jamais ça ! " fit-il en tendant un doigt menaçant vers Shani. Elle lui sourit avec un air de merveilleuse innocence, et il se prit à penser qu’elle y réussissait bien mieux que lui.  
 " Recommencer quoi ? Tu ne vas tout de même pas m’accuser de t’avoir fait avaler de travers ? "
 " Eh bien si, figure-toi ! " s’entêta Mahlin, se sentant ridicule. " Qu’est-ce que c’est que ces histoires au sujet de mon écriture ? J’écris très bien ! "
 " Oui, et je cuisine très bien ! Bon, tu as fini de manger ? Viens, allons rejoindre Aarel ! "
 Mahlin la regarda un instant, tâchant vainement de se mettre en colère. Il avait une belle écriture, vraiment. Enfin, il arrivait à se relire.
 " Bonne idée. Tu lui as déjà apporté à manger ? "
 " Pas encore, j’allais y aller. Il est en train de couper du bois, comme d’habitude. "
 Mahlin haussa les épaules.
 " Quand je pense que nous nous plaignons… c’est tout de même lui qui a la tâche la plus épuisante ! "
 Shani sortait déjà de la pièce, légère, aérienne. Elle s’engagea dans l’escalier alors qu’il arrivait à la porte, et elle se retourna pour le dévisager.
 " Tu oublies qu’Aarel n’est pas bâti comme toi, scribouillard ! C’est un homme, un vrai ! "
 " Que ? Attends un peu ! " gronda Mahlin en se lançant à sa poursuite.
 Bien sûr, il se fit rapidement distancer.
 " D’abord tu me dis que je ne sais pas écrire, ensuite que je suis un scribouillard ? Il faudrait te décider ! " lança-t-il de dépit alors qu’elle disparaissait au coin d’un couloir.
 Seul un éclat de rire lui répondit. Il suivit l’écho. Si Aarel était déjà rentré, il serait directement allé dans la salle d’études, et ils se seraient donc croisés. Il devait donc être toujours en train de fendre des bûches. C'était la logique même.
 
 Il atteignit rapidement la porte du manoir, qui battait au vent. Shani l’avait bien sûr devancé. Il sortit ; aussitôt le vent le fouetta. Ce n’était pas désagréable, un vent tiède qui tourbillonnait autour de lui, jouant avec son pourpoint et faisant voler ses cheveux longs maintenus en catogan. Un rapide coup d’œil lui confirma que Aarel était encore au travail, à la lisière de la forêt. Shani était déjà assise à côté de lui, les jambes repliées.
 On était encore en hiver, mais l’on se serait déjà cru au milieu du printemps. Il n’avait pas froid, malgré l’absence de sa cape de fourrure et de ses bottes montantes. Le soleil brillait dans un ciel sans nuages. La forêt qui cernait le manoir, de tous côtés, revenait à la vie. Moins de dix jours auparavant, seuls les conifères arboraient quelques touches de vert dans leur ramure. C’était désormais un véritable patchwork de couleurs où que son regard se posât. Les buissons s’étoffaient, les plantes repoussaient. Le contraste était d’autant plus saisissant qu’il n’avait pas mis les pieds dehors depuis une semaine, concentré qu’il avait été par ses études.
 " Aarel ! Shani ! "
 
 Il héla les deux silhouettes, à l’orée de la clairière, et se hâta de les rejoindre. Shani le regarda arriver avec le même regard amusé qu’elle dardait sur le monde. Aarel émit un grognement qui pouvait passer comme un salut, et continua sa besogne. Il était torse nu, et ses muscles saillaient alors qu’il maniait sa cognée de bûcheron, ahanant à chaque coup. Le métal scintillait sous le soleil, et les rondins tombaient. Aarel n’était que sueur, mais il ne paraissait pas s’en rendre compte. Toujours, la hache remontait et toujours elle se rabaissait – et toujours il ahanait.
 En petits tas, adossés au dernier rempart du manoir, se trouvait le bois qu’il avait déjà coupé aujourd’hui. Les yeux de Mahlin s’agrandirent. Tant que cela ? En si peu de temps ? S’il avait, lui, à couper du bois… Supposition grotesque, il doutait de pouvoir même soulever cette cognée. Comment l’avait-elle appelé ? Scribouillard ? Il jeta un regard anxieux à Shani, et la vit en train d’observer les yeux mi-clos un oiseau qui s’était posé sur le même rondin qu’elle. Ses yeux étaient écarquillés, avec un air d’émerveillement non feint. Elle avait toujours aimé, non, adoré les animaux. Quels qu’ils fussent. Sauf les araignées. Elle n’aimait pas les araignées. Mais les guêpes, les serpents, oui. Tant qu’elle ne regardait pas le torse d’Aarel avec ces yeux là, tout irait bien.
 
 " Dur travail, Aarel ! " dit-il finalement d’un ton qu’il voulait compatissant.
 Le géant se tourna vers lui et le toisa de toute sa taille. Ses muscles roulèrent alors qu’il déposait sa hache contre un arbre.
 " On peut le dire, oui ! D’un autre côté, ça me maintient en forme ! Bien plus que de battre des tapis, hein Mahlin ? "
 Son sourire se fit roublard alors qu’il se laissait choir sur le sol. Il s’installa comme à son habitude, jambes croisées, et regarda Shani dans les yeux. La différence de taille était telle que le rondin qu’elle occupait ne faisait que mettre leurs regards à même hauteur.
 " Aaah, je vois que notre cuisinière favorite a préparé quelque chose de bon ! Montre-moi un peu ? "
 L’assiette de soupe changea de main. Comment elle avait eu le temps de passer à la cuisine et d’arriver ici avant moi, Mahlin se le demandait bien. Aarel eut un soupir de contentement et commença aussitôt à manger. Il ne parla pas avant d’avoir terminé sa gamelle, et les deux autres se turent également. Le silence était agréable, à peine troublé par les chants d'oiseau.
Enfin, son repas fut fini, et il se lécha les doigts.
 " On peut dire ce que l’on veut, Shani mais, lorsque j’ai faim, je mange même ta cuisine ! "
 Elle rit.
 " Je prendrait cela pour un compliment ! "
 " Oh, c’en est un, c’en est un ! " Il posa l’écuelle à l’écart, et grimaça en plein mouvement. " J’ai des élancements dans les bras. Stupides corvées. Quand est-ce qu’il se décidera à nous apprendre finalement les bases de sa magie ? "
 
 Nul besoin de préciser qui était ce il, bien sûr. Barel Khorr. Sorcier Vert, Maître Mage. Tous ici étaient ses apprentis.  
Des apprentis frustrés.
 " Quand il nous jugera prêts, je suppose " fit Shani de sa voix douce. Elle était toujours soit calme, soit rieuse. Mais elle ne paraissait jamais irritée, ou en colère. Elle riait de sa propre frustration autant que de celle des autres. C’était merveilleux.
 " Oui, mais quand ? " grommela Mahlin. " Cela fait bientôt deux ans que nous sommes ici à devoir travailler comme des prisonniers de guerre sans qu’on nous apprenne la moindre chose… "
 " Pas la moindre chose ? Tu peux parler, toi qui as toujours le nez dans les livres de la bibliothèque du maître ! Ose dire qu’ils ne t’apprennent rien.. "
 " Je voulais parler de magie ! Tous ces volumes ne traitent que d’histoire, de géographie, de légendes diverses et variées ! C’est très intéressant, mais ce n’est pas de la magie… et les rares ouvrages d’ésotérie que je trouve me sont totalement hermétiques… "
 "Ce qui confirme ce que dit maître Khorr, je suppose. Nous ne sommes pas encore prêts " fit lentement Aarel.
 Mahlin se releva et fit quelques pas, exaspéré.
 " Mais comment savoir quand ? Quand serons-nous prêt ? Tu penses que cela sera une sorte d’éclair de lumière, ou bien une voix céleste dans notre tête qui nous avertira que nous sommes enfin capables d’apprendre ? "
 " Si le maître décide que la révélation nous viendra ainsi, alors ce sera ainsi qu’elle viendra " sourit Shani. " Mais je dois dire que je suis assez fatiguée de recopier ses parchemins. D’autant plus que la plupart détiennent un savoir magique, je le sens. Mais je suis aussi incapable que toi de comprendre les runes, Mahlin. " Brusquement son regard se posa sur Aarel. " Et toi ? Ne me dis pas que tu n’as jamais essayé de comprendre tout cela ? Peut-être que tu y arriverais ? "
 Le colosse la regarda, mal à l’aise.
 " Ne te moque pas de moi. Si vous n’y arrivez pas, comment veux-tu que j’y arrive ? Non, non, je n’ai jamais essayé. Et cela me paraît l’attitude la plus sage, au vu de vos mines dépitées. "
 
 Le silence s’installa, mais, comme d’habitude, il ne dura pas longtemps. Ce fut Mahlin qui le brisa. Non, ce n’était pas dans ses habitudes de se plaindre, maudites soient Shani et sa langue agile ! Mais certaines choses devaient être dites, et il les dirait.
 "C'est comme cet écran qu'il a mis sur nos souvenirs, soi-disant pour nous protéger. Ca ne vous rend pas mal à l'aise, vous, de ne plus rien savoir de votre passé ? Je ne me souviens même pas du visage de mes parents !"
 "Nous avons déjà eu cette conversation, Mahlin…" protesta Aarel. "En fait, si je ne me trompe pas, nous l'avons même tous les soirs. Si Maitre Khorr nous dit qu'il faut que nous ayons un esprit neuf pour apprendre la magie, eh bien nous n'avons pas vraiment le choix." Il soupira. "De toute façon, peut-être est-ce mieux ainsi. Tu dis que tu ne te souviens pas de ta famille. Qu'est-ce qui te dit que ce sont de bons souvenirs ? Peut-être qu'ils te battaient… peut-être qu'ils te détestaient…"
 "Non, jamais. Je suis sûr qu'ils m'aimaient… qu'ils m'aiment. J'en suis certain !"
 "Et j'en suis certaine aussi" murmura Shani. Sa main réconfortante vint se poser sur le bras du jeune homme. "Oui, moi aussi je me sens stupide à ne pas avoir de souvenirs qui remontent à plus de deux ans. Mais c'est pour notre bien ! Je ne peux pas imaginer que Maître Khorr nous veuille du mal."
 "Du mal, non. Mais trouver de bons serviteurs qui nettoient son manoir sans rétribution, oui."
 A peine avait-il prononcé ces mots que Mahlin les regrettait. Il ne le pensait pas vraiment. Barel Khorr n'était pas comme ça. Mais pourtant, cette attente insupportable…
 "Ca viendra" fit gentiment Shani. "Un jour, alors qu'on ne s'y attendra pas, il nous dira que nous sommes prêts."
 "Si nous le sommes un jour… non, j'en ai assez de ne pas savoir ce qui nous attend. Ce soir, je demanderai au maître combien d'années encore il compte nous faire travailler ainsi."  Il eut un regard écoeuré pour le tas de bûches qui allait sous peu nourrir les cheminées ronflantes du château. Les jours avaient beau se réchauffer, les nuits restaient glaciales dans ces pièces humides. "Ce qui m’exaspère le plus, c’est l’inutilité de tout ce qu'on fait. Je veux dire, je suis sûr que maître Khorr serait capable de couper tous ces rondins en une unique formule. Il ferait voler sa cape dans un vent imaginaire, comme d’habitude, pour tous nous impressionner, puis prendrait une pause martiale. Oh, je le vois d’ici ! Il fermerait les yeux, étendrait les bras, comme ceci " Il mima la posture avec des gestes exagérés " et les arbres s’élagueraient tout seul, les branches voleraient dans les airs, et retomberaient ici " il désigna le mur " en un splendide tas de bûches prêtes à l’emploi. "
 " De même pour tes tapis " ricana Shani. " Une incantation, deux ou trois mouvements de robe, et un vent violent chasserait la poussière de toutes ces vieilles carpettes. "
 Aarel sourit, les yeux brillants. Il était généralement bien trop calme et sombre pour son âge ; il était rare de le voir sourire, mais de nombreuses filles auraient tué pour cela.
 "Oui, une incantation magnifique, avec des mots incompréhensibles, un rythme monotone…"
 
 Aarel prit la même pose que Mahlin, mais sa taille et sa corpulence la transformaient en une caricature grotesque. Le colosse était tout, sauf souple. Il n’en continua pas moins. Les yeux fermés, il joignit les mains et commença à improviser, parlant lentement tout d’abord, puis de plus en plus vite.
 " Ash’n She’zn She’szn Sebe’k, Par les deux-cent trente-sept puissances extérieures, que les vents des plaines désertes viennent battre ces lieux ! Que les pouvoirs jadis disparus se réveillent et découpent proprement cet arbre en rondins ! "
 Les autres rirent et applaudirent alors qu’il lançait soudain la main en avant comme pour projeter son énergie.  
 L’arbre, devant lui, oscilla.
 Et il oscilla.
 Puis on entendit des craquements.
 Dans un bruit de tonnerre, l’arbre se déracina et commença à s’élever.
 Il s’éleva ainsi jusqu’à se retrouver suspendu à cinq mètres de hauteur.
 Là, il se mit soudain à tourner sur lui-même, lentement, puis vite, plus vite.
 De plus en plus vite.
 Et il s’illumina soudain.
 Dans l’air planaient une vingtaine de rondins, impeccablement coupés, qui vinrent s’entasser contre le mur, avec les autres.
 Il n’y avait pas un bruit.
 Shani regardait Aarel. Mahlin regardait Aarel. Aarel regardait l’endroit où l’arbre se dressait quelques minutes auparavant, et les yeux paraissaient prêts à lui sortir de la tête.
 Le silence dura. Puis, finalement, Mahlin s’aperçut qu’il avait la bouche ouverte ; elle se referma avec un claquement sec.
 " C’est… " commença-t-il, hésitant. " C’est toi qui as fait cela ? "
 Shani, toujours sous le choc, ne bougeait pas plus qu’une statue. Aarel se retourna, le visage décomposé.
 " Je… " commença-t-il.
 " Non, ce n’est pas lui " fit une voix que tous ici connaissaient. " C’est moi. "
 " Maître ! "
 
 Les trois jeunes gens se retournèrent dans le même mouvement, et c’était effectivement Barel qui leur souriait. Le soleil derrière lui l’auréolait d’or alors que le vent faisait bouger sa cape. Tous ceux qui le connaissaient savaient que la pose était étudiée, voire outrée, mais elle n’en restait pas moins efficace. Cape verte, pourpoint vert, bottes vertes montantes et pantalon vert. Ses cheveux flottaient eux aussi dans le vent, libres, sombres. Ses yeux étaient amusés alors qu’il regardait le trio. Ainsi placé, il semblait irradier le pouvoir.
 " Vous pensiez vraiment que ceci " il montra l’emplacement où l’arbre s’était élevé " était l’œuvre d’Aarel ? " Il écarta les murmures de ses disciples d’un geste souple de la main. " Ne soyez pas ridicules, il y a des limites aux coïncidences."
 Il rejeta la tête en arrière et rit.
 " Je vous vois là, discutant de la magie, de ses tenants et aboutissants. Je comprendrais que des chiens brûlent de courir avec les loups, mais vous n’êtes encore que des chiots ! " Il eut un mouvement de cape, cligna des yeux, et des flammèches vinrent l’environner, dessinant une silhouette lumineuse dans la clairière ensoleillée. " Si vous voulez un jour maîtriser les Arts Mystiques, il vous faut apprendre la rigueur. Et la discipline. " Il hocha la tête. " Très important, ça, la discipline. "
 
 Les trois ne baissaient pas les yeux, inquiets mais ne l’osant pas se l’avouer. Barell n’avait jamais été doux, ou compatissant, ou complice avec ses disciples. Et il souriait en ce moment, d’un sourire cruel, qui jamais ne venait adoucir ses yeux noirs. Si profonds. Si noirs. Même Aarel, Aarel et ses muscles puissants, Aarel qui parvenait à tuer seul un sanglier armé de son épieu, Aarel le regardait avec inquiétude. Barel plissa les yeux..
 " Eh bien, eh bien. Vous ne dites plus rien ? Mahlin ! " il tendit un doigt osseux vers celui qu’il interpellait, et le jeune homme recula comme si on l’avait frappé  " Mahlin, tu avais quelque chose à me demander, je crois ? "
 " Non… c’est que… enfin.. " balbutia le pauvre garçon. Ces yeux. On aurait vraiment dit deux trous sans fonds, deux ouvertures sur le néant.  
 D’un autre côté, Shani était derrière lui. Il n’allait pas se laisser effrayer par des yeux, aussi terrifiants soient-ils. Qu’avait-elle dit ? Un scribouillard ? Il n’était pas un scribouillard.
 " En fait… si vous avez écouté notre conversation, je suppose que vous le… enfin, nous discutions… nous nous demandions quel intérêt ces corvées que vous nous faites faire… ahh, je veux dire… quel intérêt exactement en retirez-vous ? " Une fois les premiers mots passés, le reste était plus facile. Il suffisait de penser à quelque chose d’agréable au lieu de se concentrer sur le visage du maître. Le parfum que lui apportait le vent rendait cette tâche aisée. " Je conçois que la rigueur et la discipline vous paraissent importants, mais.. enfin il y a d’autres manières de vivre un apprentissage que de battre des tapis à longueur de journées… "
 Barel leva un sourcil interrogateur.
 " Oh ? Et que suggères-tu ? "
 Mahlin s’humecta les lèvres. Que les enfers engloutissent Aarel et Shani, était-il le seul à devoir parler ?
 " Je ne sais pas… étudier… vos bibliothèques paraissent inépuisables…  je veux dire… ne pensez-vous pas que toutes ces connaissances nous serviront lorsque vous nous jugerez… ahh… dignes, d’apprendre la magie ? "
 " Certes, mais ce n’est pas cela qui enlèvera la poussière de mes tapis. N’est-ce pas ? "
 Barel Khorr lui dédia une grimace amusée, et se détourna dans un grand mouvement de cape.
 " Et, non, je ne peux pas utiliser quelques formules toutes prêtes pour effectuer ces tâches. Du moins je le pourrais, mais je n’ai aucun intérêt à le faire. Gaspiller vainement ses Pouvoirs dans des tâches triviales, voilà le cauchemar de tout mage. Non, vraiment. " Il secoua la tête, et soudainement son visage se durcit. " Nous ne reparlerons plus de cela. Vous n’êtes pas encore prêts, et je ne veux pas risquer de donner des leçons à des enfants sans bon sens ni discipline. Vous saviez tout cela lorsque je vous ai pris en apprentissage. Vous, tous, étiez d’accord. Même si vous ne vous en souvenez pas maintenant. " Il se tourna de nouveau vers eux, et les toisa. Ses yeux étaient froids, mais à tout le moins ils n’absorbaient plus la lumière comme ils le faisaient une minute auparavant. "Je ne vous dois rien, comme vous ne me devez rien. Si l’un de vous désire arrêter son apprentissage, qu’il le dise. Vous pouvez partir quand vous le désirez. Je suis beaucoup de choses, mais pas un geôlier. Je ne veux pas l’être. " Il plongea sa main dans les replis de sa robe, et la ressortit tenant une bourse de cuir. D’un geste méprisant, il la lança à Mahlin. " Si tu désires me quitter, je ne veux pas me sentir redevable de tes services. Cette bourse contient un peu d’or, et des pièces d’argent. Assez pour te permettre de vivre aisément pendant un an. Je te rendrai tes souvenirs, tu pourras retrouver ta famille."
 
 Mahlin regarda la bourse, ahuri. Il sentait les larmes lui monter aux yeux, mais il ne lui ferait pas ce plaisir. Jamais. Et certainement pas ici, devant les autres. Il relança la bourse à Barel.
 " Je n’ai jamais dit que je voulais abandonner… maître… "
 " Oh ? " fit le mage. " Bien. Très bien. Dans ce cas, cesse de te plaindre. Par les abysses gelées, on croirait que tu ne sais faire que cela ! "
 Lorsque Barel se tut, le silence s’installa. Mahlin s’attendait à entendre le rire de Shani dans son dos ; mais ses yeux étaient agrandis, et le jeune homme vit avec une certaine gêne qu’elle aussi retenait ses larmes. Barel parut le remarquer également, car sa voix s’adoucit.
 " Je ne voulais pas vous effrayer ainsi… je suis vraiment désolé. Quelques mauvaises nouvelles, et voilà que je perds la raison. Je ne suis plus comme avant." Il soupira un instant, puis sa voix reprit tout son mordant. " Ceci dit, tout ceci ne serait pas arrivé si vous respectiez quelques règles élémentaires de courtoisie, ne croyez-vous pas ? Comme ne pas médire derrière mon dos, et ne pas se plaindre de corvées que je vous impose… pour votre propre bien " Il se gratta le menton, pensif, et répéta : " pour votre propre bien. Sur ce, le soleil ne va pas tarder à se coucher, et vous feriez bien d’en faire autant. J’aurai besoin de vous demain. Aux aurores. Vous irez en ville pour m’acheter quelques objets nécessaires. Je pourrais le faire moi-même, mais il semblerait que vous ayez besoin d’un peu de détente. Cette promenade vous fera du bien. Oui, nous avons tous besoin de nous détendre. "
 L’écho de ses mots n’avait pas encore disparu qu’il se détournait pour rentrer au manoir. Trois paires d’yeux écarquillés le suivirent.
 "Il ne t'a pas fait de cadeau" murmura enfin Aarel dans le silence retrouvé.
 "Mmh… merci de votre aide, d'ailleurs. J'ai bien senti à quel point vous me souteniez…"
 Shani se planta devant lui et lui effleura la joue de ses lèvres. Mahlin rougit doucement.
 "Oh…" bafouilla-t-il. "En quel honneur ?"
 Elle sourit.
 "Tu t'es très bien débrouillé. Pour un scribouillard."


Message édité par Grenouille Bleue le 01-07-2004 à 17:05:27
n°3110534
deidril
French Geek Society Member
Posté le 01-07-2004 à 18:27:52  profilanswer
 

Je suis arrivé trop récemment pour avoir pu suivre Rekk au jour le jour alors je vais profiter de cet opportunité pour donner mon avis en premier :)
 
Sur le fond : C'est exactement le genre de prologue qu'on espere lire pour, disons le comme ca : un roman de quête initiatique.  
 
Sur la forme : le rythme est trop coupé par des virgules inutiles et - disons le franchement - contraire à la grammaire :)
 

Grenouille Bleue a écrit :

Bien.
"Il n’y avait personne pour l’entendre, bien sûr. Dans ce grand corridor du manoir, il n’y avait que lui, et la poussière. De plus en plus de poussière, au fur et à mesure qu’il battait les carpettes avec hargne. Un gourdin, ce n’était pas le meilleur objet pour cet usage, mais il n’avait pas réellement le choix. "


 
Je l'écrirais :
 
Bien sur il n’y avait personne pour l’entendre. Dans ce grand corridor du manoir il n’y avait que lui et la poussière. De plus en plus de poussière, au fur et à mesure qu’il battait les carpettes avec hargne.
Un gourdin n’était pas le meilleur objet pour cet usage mais il n’avait pas réellement le choix.  
 
En lisant les deux versions à haute voix en respectant les cassures de rythmes qu'imposent les virgules, on voit bien que les deux versions ont deux rythmes différents.  
 
Rien qu'en respectant la grammaire, le rythme change du tout au tout :
 
Je suis pas un pro de la grammaire mais je crois qu'on ne met pas de virgule devant un certain nombre de coordination dont 'et'.
 
Je pense vraiment que le rythme qu'on impose par la forme des phrases est très important.
 
Second point qui m'a interpellé :
 
On saute des descriptions aux pensées du personnage. Comme le style change de l'un - descriptif - à l'autre - interpellations et réflexions - ca fait parfois bizarre. Il me semble que certains auteurs utilisent l'italique pour écrire ce que pense le personnage acteur pendant la description d'un évènement afin de couper la réflexion du personnage de la description. Pour le coup, je sais que le forum n'accepte pas l'italique en copier-coller et la c'est casse...nouille à refaire à la main. ( J'ai du me taper la remise en italique de mes noms de sorts et j'ai pas eu le courage de les remettre tous sous cette forme (
 
Par exemple :  
 

Grenouille Bleue a écrit :


Depuis le temps qu’ils parlaient, ils avaient atteint sans qu’il le notât la pièce meublée avec goût qui formait le cœur du manoir. Ils allaient souvent ici pour étudier ; l’ambiance feutrée semblait inviter à la méditation. Mais cela pourrait faire affaire de salle à manger. Avec un soupir satisfait, il s’affala sur un des lourds sièges de brocard, posa son assiette sur la table de chêne, et commença à manger. Le brouet était chaud et épais. Shani n’avait jamais été une grande cuisinière – et n’y avait jamais mis de bonne volonté, quelques efforts qu’aient pu faire Aarel et lui pour lui expliquer diplomatiquement que c’était un travail de fille – mais il avait faim, et il mangea sans se plaindre. Comment osait-elle lui dire qu’il ronchonnait tout le temps ? C’était faux. Tout à fait faux.  
 


 
Ca commence avec une description et a la fin se mèle les pensées du héro. Où est la 'caméra' du récit ? Est ce que on regarde Mahlin et Shani ou bien est ce que on est dans sa tête ? Le 'point de vue' du lecteur est parfois confus.  
 
Evidemment ce sont des avis personnels et d'autres ne trouveront pas ca étrange :)
 
Je vais prendre de bonne manière à l'instar des autres lecteurs de Rekk :  
 
LA SSSUIIIITTTEEE !! :bounce:  :love:


Message édité par deidril le 01-07-2004 à 18:30:00
n°3111997
yulara
Byte Hunter
Posté le 01-07-2004 à 20:56:51  profilanswer
 

bon j'ai toujours pas lu le premier, mais celui-là je pense que je vais le lire au fur et à mesure...donc:
 
LA SSSUIIIITTTEEE !! :bounce:  :love:

n°3112051
ahe
Posté le 01-07-2004 à 21:01:22  profilanswer
 

[:drapal] pour plus tard

n°3112488
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 01-07-2004 à 21:45:30  profilanswer
 

Aucun commentaire sur la mièvrerie ? :whistle:

n°3112555
yulara
Byte Hunter
Posté le 01-07-2004 à 21:53:11  profilanswer
 

ben de toute façon, je suis accro à marion zimmer bradley, anne mac caffrey, mercedes lackey... bref, les histoires d'amoureux transis qui n'osent pas exprimer leurs sentiments, ben j'aurais un peu de mal à critiquer quoi :D
 
ah tiens y'a un truc qui m'a choqué pendant que j'y pense, c'est au moment au shani regarde les oiseaux. je crois que tu dis qu'elle a les yeux mi-clos, et dans la phrase d'apres elle les a ecarquillés. pour moi c'est contradictoire. attend que je retrouve ça... voila c'est là:

Citation :

En petits tas, adossés au dernier rempart du manoir, se trouvait le bois qu’il avait déjà coupé aujourd’hui. Les yeux de Mahlin s’agrandirent. Tant que cela ? En si peu de temps ? S’il avait, lui, à couper du bois… Supposition grotesque, il doutait de pouvoir même soulever cette cognée. Comment l’avait-elle appelé ? Scribouillard ? Il jeta un regard anxieux à Shani, et la vit en train d’observer les yeux mi-clos un oiseau qui s’était posé sur le même rondin qu’elle. Ses yeux étaient écarquillés, avec un air d’émerveillement non feint. Elle avait toujours aimé, non, adoré les animaux. Quels qu’ils fussent. Sauf les araignées. Elle n’aimait pas les araignées. Mais les guêpes, les serpents, oui. Tant qu’elle ne regardait pas le torse d’Aarel avec ces yeux là, tout irait bien.


mais bon ce n'est qu'un detail :p

n°3115576
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 02-07-2004 à 09:17:58  profilanswer
 

Allez et ça repart comme en 40 :) .
 
Avant que tout le monde ne se mette à poster toutes sortes de remarques il ne serait pas inutile de demander au sieur GB quel type de réaction attend-il de nous exactement. Dans le premier roman on avait tous saisi que l'enjeu était une publication de l'histoire. De nombreux lecteurs se sont donc décaracassés pour aider GB à améliorer son texte (surtout la forme). Mais si le but de cette histoire n°2 est uniquement de nous faire passer un bon moment, il n'est peut-être pas utile d'inonder ce topic de corrections d'otho et de gramm sachant que GB est à même de traiter ce type de fautes pour peu qu'il se donne la peine de reprendre le tout :sleep: . Peut-être qu'on serait plus utile si on se concentrait sur le style ou sur la construction du récit par exemple (donc un peu plus sur le fond que sur la forme). Qu'en pensez-vous?

n°3115763
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 02-07-2004 à 09:55:47  profilanswer
 

Personnellement, c'est effectivement ça que j'attends. Relever les  fautes d'orthographe, de grammaire, ou même de répétition n'est pas essentiel car il s'agit le plus souvent d'erreur d'inattention ou de copier/coller (comme dans le cas de ce qu'a relevé Yulara).
 
Par contre, si vous voyez des incohérences au niveau scenaristique, ou bien si vous trouvez à certains endroits le style trop lourd/ennuyeux, n'hésitez pas à me le dire. Sincèrement, je ne me vexerai pas. Enfin, presque pas :D
 
La seule ambition que j'aie, c'est que vous passiez un bon moment :whistle:

n°3116747
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 02-07-2004 à 11:56:26  profilanswer
 

Et voici le chapitre 2 :)
 
 
C’était une journée idéale pour se promener en forêt. Le beau temps de ces derniers jours se maintenait, et seules les brumes matinales empêchaient encore le soleil de briller vraiment. Il y avait beaucoup de vent, comme toujours. Ce n’était pas pour rien que les villageois appelaient cet endroit  la forêt hurlante. L’air s’engouffrait avec un bruit de succion dans les innombrables racines, et ressortait avec un cri plaintif, familier désormais aux oreilles des trois jeunes gens. Ces bois portaient sûrement un autre nom sur les cartes officielles, mais cela importait peu. Même Mahlin, qui avait passé de nombreuses soirées à lire des tomes de géographie et à compulser de vieilles cartes, ne se rappelait plus de son appelation réelle. Pour lui, pour eux, ça restait la forêt hurlante.
 " Je n’arrive pas à croire que le maître nous ait confié tout cet argent " fit Aarel, pensif. Il tournait et retournait dans ses grosses mains une bourse de cuir, semblable à celle que Barel avait lancée à Mahlin la veille, mais bien plus rebondie encore.
 " Surtout que nous ne savons même pas ce que nous devons lui rapporter. Je suis sûr que l'alchimiste va essayer de nous rouler dans la farine lorsqu'il saura que nous n'y connaissons rien" Mahlin tripota nerveusement la dague qui se balançait à sa ceinture. Il ne savait pas s’en servir, bien sûr. Il n’avait jamais appris à se battre. Mais elle avait un côté rassurant, affectueux, dès lors qu’il parvenait à oublier sa fonction première. Si jamais ils rencontraient un loup, cela pourrait lui servir, peut-être. Il en doutait.  
 
 Aarel portait à son côté la hache dont il s’était servi tant et tant pour couper le bois. Elle avait aujourd’hui un lustre nouveau, et Mahlin ne doutait pas que le colosse se soit levé aux aurores pour affûter la lame sur la meule, dans la cave. Il rectifia sa supposition avec un baillement : on était aux aurores. Maudit mage et ses maudites missions. Et s’ils rencontraient plusieurs loups ?
 " Il a dit que nous saurions bien assez tôt " fit remarquer Shani avec un petit rire. " Je crois ne jamais l’avoir vu aussi nerveux. "
 " Et sa nervosité t'amuse ? " grommela Aarel en enjambant une branche tombée. C’était lui qui marchait en premier, taillant le chemin là où la végétation bloquait le sentier. Il parlait sans se retourner, concentré sur sa tâche, attentif à ne pas se perdre. " Il n’y a pas là matière à plaisanter, je trouve. Tout cela risque de nous retomber dessus ; c’est toujours pareil lorsqu’il cherche des boucs émissaires. " Ses épaules se creusèrent, comme s’il redoutait un châtiment quelconque. C’était ridicule. Barel avait beaucoup de défauts, et pouvait se montrer agressif ou arrogant, mais jamais encore il n’avait levé la main sur ses élèves.
 " Oui, ca me fait rire. Il finira bien par se calmer et, en attendant, nous sommes hors de sa vue. Tout est donc pour le mieux. " Shani souriait tranquillement, respirant à pleins poumons. " Mais enfin, qu’est-ce que vous avez, tous les deux, à vous morfondre ainsi ? Vous vous plaigniez assez de rester confiné dans ce manoir poussiéreux, non ? Enfin l’occasion de marcher un peu ! "
 " Tu as raison " fit enfin Mahlin en lui rendant son sourire. Ils se soucieraient bien assez tôt des colères de Barel. Pour l’instant, le soleil se levait, les oiseaux se réveillaient – était-il besoin de partir si tôt ? Il avait envie de dormir ! – et toutes ces querelles paraissaient diffuses. " Oui, tu as raison. Profitons de la journée ! " Il bailla " Enfin, de la matinée… ". Très tôt, vraiment.
 La forêt devenait de plus en plus touffue au fur et à mesure de l’avancée, avec de temps à autres des passages dégagés, comme si la végétation avait volontairement épargné certains endroits pour se concentrer dans d'autres. Par moments, les lianes entrelacées bloquaient totalement la route, et Aarel avait à utiliser sa hache. Un éclair d’acier suffisait habituellement à libérer la voie, deux lorsqu’il devait s’attaquer à de véritables branches. Rarement plus.
 " Dire que nous avons déblayé ce chemin à la fin de l’automne " ahana Aarel alors qu’ils rencontraient un obstacle particulièrement épineux. " A croire que ces plantes n’ont jamais entendu parler de froid et d’hiver ! "
 " Oui, je m’attendais moi aussi à une marche plus aisée " fit remarquer Shani, une grimace figée sur le visage.  
 
Elle avait cessé de sourire lorsque sa robe s’était accrochée dans un buisson, une heure auparavant. Mahlin se demandait encore ce qui lui était passée par la tête pour enfiler une robe alors qu’ils devaient traverser une forêt. D’autant plus qu’elle en mettait rarement au manoir, quelques quolibets que ses habits de garçon aient attiré. Il réalisa soudain qu’elle désirait peut-être faire bonne impression au village. Après tout, ils étaient si souvent confinés entre eux dans le manoir qu’ils en avaient presque oublié que le monde ne gravitait pas autour d’eux. Que Shani se souciât de son apparence, voilà une découverte qui ne laissa pas de le surprendre. Son sourire s’agrandit alors qu’elle jurait de plus belle, les ronces lacérant l’étoffe. Cette journée allait être délicieuse.
 Malgré tous leurs efforts, le soleil était déjà au zenith lorsque le sentier cessa enfin de serpenter à travers bois.
 " Longue-Rivière, nous voici ! " fit Aarel avec un geste conquérant, s’effaçant pour laisser passer les deux autres.
 
 Le sentier, une fois sorti de la forêt, bifurquait pour rejoindre une route pavée, quelques cent mètres plus bas. Et, dans le lointain, entre deux collines, se tenait leur destination. La lumière jouait sur des toits de chaumes en un brillant kaléidoscope. Le cours d’eau qui avait donné son nom à l’endroit serpentait entre les deux monts, au travers du village et de ses rues. Il prenait sa source dans les montagnes au nord… comment s’appelaient-elles, encore ? Mahlin essaya de rassembler ses souvenirs. Cela avait un lien avec une légende quelconque…Cela lui revint brusquement. Le Bastion des Ames. En aval, la rivière coulait sur des centaines de kilomètres, serpentant à travers de nombreux royaumes avant de finalement rejoindre un fleuve. Nulle part sa largeur ne dépassait une cinquantaine d’encâblures, et pourtant c’était le cours d’eau le plus étendu du Monde Connu… Tout cela, il se souvenait l’avoir vu sur une de ces vieilles cartes délavées qui traînaient dans le manoir.  
Longue-Rivière n’était pas à proprement parler un grand village, mais ses maisons largement espacées le faisaient passer pour tel. La fumée des cheminées s’élevait droite dans le ciel. Pourquoi diable faire un feu durant la journée alors que la température était si douce ? Quelque chose dans ce tableau le fit froncer les sourcils.
 
 Mahlin frissonna et resserra les pans de sa cape contre son corps. Non, on ne pouvait pas dire qu’il fasse chaud. Il faisait même plutôt froid. A vrai dire, au moment où ils étaient sortis de la forêt…
 " Vous avez remarqué ? " fit-il en rabattant sa capuche sur la tête. " J’ai l’impression que la température a brusquement chuté. "
 Shani lui lança un regard acéré.
 " Je pensais que ce n’était qu’une impression, mais tu as raison. Il fait soudain diablement froid. "
 " Le vent est tombé, également " constata Aarel.
 Mahlin le regarda, les yeux écarquillés. Et puis il comprit enfin ce qui n’allait pas lorsqu’il avait regardé le village. La fumée des cheminées frémissait à peine. Non, pas le moindre souffle de vent de ce côté de la forêt.  
 " Je n’avais pas remarqué cela la dernière fois que nous sommes allés à Longue-Rivière. "
 " Il faisait chaud, alors " observa Aarel. Il s’était mis torse nu durant leur progression à travers bois, et il remettait à présent sa tunique sans se soucier des nombreuses écorchures qu’il avait récoltées. " Le maître n’aurait eu aucun intérêt à modifier le temps lorsqu’il était si beau. "
 Deux paires d’yeux convergèrent vers lui.
 " Tu penses que c’est le maître qui… "  
 " Qui d’autre ? Vous pensez réellement que c’est un phénomène naturel ? Qu’il y ait une telle différence de température entre deux endroits situés à cinq pas de distance ? " Il recula jusqu’à la lisière des bois, et étendit le bras au maximum au travers des arbres. " On le sent bien, ici. Un vent tiède passe dans la forêt. Pas ici. "
 " Tu crois vraiment qu’il est capable de faire cela ? De changer ainsi la température, je veux dire ? "
 Aarel haussa les épaules.
 " Je n’en sais pas plus que vous. Je ne fais que constater. "
 Shani rentra dans la forêt, puis en ressortit. Pour battre autant des paupières, il fallait qu’elle fût réellement perturbée.
 " Je n’aurais jamais imaginé que la magie permette de faire cela. "
 " N’oublie pas que c’est un sorcier Vert " fit observer Mahlin. " Il doit être particulièrement doué pour tout ce qui touche à la nature. Je pense que c’est possible… " Il hésita. " Oui, je l’en crois capable. "
 " Vous imaginez la puissance qu’il doit posséder pour englober toute la forêt dans un sortilège ? " murmura Aarel, rêveur.
 Ils regardèrent les arbres avec la même expression de respect inquiet puis firent tous le signe de l'Arc-en-Ciel pour se protéger du mauvais sort.
 " Parfois, je me demande ce qui a incité le maître à se retirer aussi loin du monde " fit Shani en plissant le nez. Elle posa sa main sur sa robe, à mi-chemin pour la lisser, et se redressa soudain en voyant que les deux n’observaient plus la forêt, mais elle. Ils semblaient se retenir de rire. La main hésita, puis reprit son mouvement. " Les dégâts ne sont pas irréparables, les dieux soient loués. C’est la seule robe que j’ai… "
 Aarel gloussa. Le son paraissait déplacé chez lui.
 " La seule robe que tu aies, et tu la mets lorsque tu sais que tu as une forêt à traverser ? "
 " Elle ne me servait à rien au château " grommela Shani, les yeux baissés.
 Les autres n’insistèrent pas.
" Nous avons mis plus de temps que prévu à franchir les bois. Il ne faut pas traîner.  Il y en a encore pour une bonne heure de marche ! "
 
 Il y en avait pour deux. Le froid rendait la progression désagréable. Aucun d’entre eux n’avait emporté de fourrure, ni même un simple manteau. Leurs capelines ne suffisaient pas à garder la chaleur, et ce fut d’un commun accord qu’ils accélérèrent le pas. Leur souffle, dans l’air, se condensait à peine sorti de leur bouche. Mais finalement ils arrivèrent aux premières maisons.
 " Enfin ! " soupira Shani. Elle ne s’était pas plainte une seule fois de cette marche rapide, mais son soulagement, alors qu’ils entraient dans Longue-Rivière, était visible.
 Il n’y avait pas beaucoup d’activité dans les rues. Quelques femmes étaient regroupées autour du lavoir, battant le linge avec énergie. Elles relevèrent la tête en les voyant arriver et se mirent à glousser entre elles. L’une d’elles, de haute taille et bâtie comme une bûcheronne, jeta un regard rapide à son linge en train de sécher, puis s’avança pour les accueillir. Elle stoppa à quelques mètres d’eux, essuyant ses mains sur son tablier.
 " Par exemple, mais si ce ne sont pas les jeunes du manoir ? Mais oui, c’est bien eux ! Toi, mon garçon " elle désigna Aarel d’un geste rapide " on peut dire que tu ne passes pas inaperçu, avec ta tête dans les nuages ! Mais regardez-moi ce qu’il est grand ! Aarel, c’est ça ? Et vous devez être Shani et Mahlin, c’est bien cela ? " Elle ne prit pas la peine d’attendre une confirmation avant de hocher la tête et de continuer. " Oui, il me semblait bien. Un trio comme le vôtre, cela ne s’oublie pas dans la journée, je peux vous le dire ! Mais vos visites sont si rares, c’est tout de même dommage. Vous n’allez pas me dire qu’un peu de marche vous fait peur ? " Elle avisa soudain la robe de Shani, et ses yeux s’écarquillèrent. " Dieu du Foyer, mais regardez-moi ça ! Mais qu’est-ce que tu as fait subir à cette pauvre robe, ma fille ? On croirait que tu es passée dans un buisson de ronces ! Ce ne sont tout de même pas ces jeunes gens qui t’auraient joué un mauvais tour, non ? Ce serait bien ton genre, Mahlin..  Oh, ne prends pas cet air innocent, la petite Betingel parle encore du moment où tu l’as jetée dans la rivière ! Tu lui as fait une forte impression, on peut le dire ! Tombée amoureuse et malade, le même jour ! Non, les dieux savent que je t’aime bien, mon garçon, mais tu n’es vraiment pas fréquentable. Mais regarde ce que tu as fait à la robe de ton amie ! Tu l’as mise pour Toni Broadhelm, ma chérie ? Je ne crois pas qu’il soit là en ce moment, mais…" Soudain, elle parut se rendre compte qu’elle ne cessait de parler, et s’arrêta au prix d’un effort visible. " Mais je discute, je discute, je suppose que vous avez faim ? Oui, c’est sûr ! Venez, je vous accompagne à l’auberge. "
 
 Le trio, qui avait subi le flot de paroles sans ciller, réagit soudain à cette dernière phrase. La marche et le froid les avaient affamés.
 " Merci, dame Maud " fit Mahlin en s’inclinant courtoisement. Betingel ? La fillette avec les grandes tresses ? " Je dois dire que nous mourons de faim. Et un bon feu nous ferait du bien également. Nous… "
 " Pour ma robe… " commença Shani au même moment, tâchant de rétablir un semblant de vérité. Mais la brave femme ne la laissa pas placer un mot.
 " Froid ? Mais bien sûr que vous devez avoir froid, mes pauvres petits ! Non mais regardez donc comment vous êtes habillés ! Je n’avais pas remarqué ! Mais vous voulez donc attrapper la mort ? Se promener ainsi en hiver, il faut vraiment être fou… Mais venez, venez ! Mon mari a dû faire un bon feu "
 Tout en parlant, elle agrippa Aarel par le bras et commença à le traîner vers l’auberge. Les autres suivirent, trop heureux d’échapper au froid. Les femmes, au lavoir, observaient la petite procession avec des rires clairs. Le jeune colosse attirait plus que sa part de regards, mais Mahlin n’était pas non plus oublié. Et les regards qui glissaient sur Shani se faisaient calculateurs. Heureusement, l’auberge n’était pas bien loin. Une enseigne de bois à la peinture écaillée proclamait Au Fil de l’Eau.
 " Entrez, entrez ! Je vais vous apporter de quoi manger ! Ermhar, Ermhar, où es-tu, vieil incapable ? "
 La porte claqua alors qu’elle rentrait d’un pas impérieux.  Les gens qu’on ne trouvait pas dans les rues s’étaient visiblement réunis ici à en juger par le monde qui se pressait dans la salle commune. Partout les gens buvaient et discutaient. Certains fumaient de cet excellent tabac qui poussait à flanc de colline, et l’odeur douceâtre en était venue à parfumer la salle. Tous les regards se tournèrent vers eux alors qu’ils rentraient. Une vingtaine de paires d’yeux, curieux et scrutateurs. Puis tous retournèrent à leur boisson, à leur pipe, à leur conversation.
 "Ermhar ! Que les vingt-sept vents t’emportent, où diable as-tu disparu ? "
 " J’arrive, j’arrive ! "
 La voix venait du sol, et était étouffée par l’épaisseur du plancher. Quelques secondes plus tard, on entendit des cliquetis, et une latte fut soulevée et posée de côté. La tête de l’aubergiste apparut. Il cligna des yeux.
 " Tiens donc, cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ces oiseaux-là par ici ! " Tout en parlant, il sortit de la cave à la force des bras. Les deux bouteilles de vin qu’il portait dans les mains rendaient l’opération délicate, mais ses gestes étaient le fruit d’une longue habitude. " Donnez-moi une seconde, et je suis à vous ! Une seconde, pas plus. J’ai deux personnes à servir… une seconde.. "
 
 Sans cesser de marmonner, l’aubergiste se dirigea d’un pas traînant vers une des tables de son établissement. Mahlin le regarda s’attabler avec les deux clients, deux paysans à en juger par leurs vêtements, et dissimula un sourire. Ermhar aimait autant parler que sa femme, et ne serait certainement pas de retour avant de bonnes minutes. Mais c’était bien le seul point sur lequel il ressemblait à sa douce moitié, constata-t-il comme à chaque fois qu’il venait au village. Cela ne laissait pas de l’étonner. Ermhar était un petit bonhomme sec et nerveux, fin comme un sabre, au visage secoué de tics. Le fait que dame Maud ne parvienne pas à l’engraisser malgré tous ses efforts était un sujet de plaisanterie courant.
 Contrairement à ses prévisions, l’aubergiste revint réellement rapidement. Il s’essuya lui aussi les mains sur son tablier, et leur sourit chaleureusement.
 " On se demandait ce que vous deveniez, vous autres, les gars du manoir. Et la donzelle, pareil. On se demandait. Vous savez ce que c’est, un village, on parle, on parle… c’est Toni Broadhelm qui va être content de te voir, Shani… dis moi, est-ce que tu n’aurais pas grandi ? Tu n’es plus une petite fille maintenant… enfin, je veux dire, tu n’en étais déjà plus une il y a six mois, mais… "
 " Cesse donc de jacasser comme une pie et donne-leur de quoi manger " interrompit dame Maud. " Ces pauvres enfants ont marché des heures sans rien avaler. Dans le froid, avec ces vêtements ! Si ce n’est pas malheureux… "
 " Comment donc ? Habillés ainsi ? Mais venez, venez, rapprochez-vous du feu ! "  
 La cheminée de l’auberge était un modèle du genre. Assez grande pour y faire rôtir un bœuf entier, elle abritait pour l’instant un feu ronflant. La chaleur dispensée était très agréable.
 " Nous ne savons comment vous remercier " fit Aarel, embarassé. " Je veux dire, tout ce que vous faites pour nous… "
 " Faire quoi ? Vous êtes morts de froid, vous pensez que je vais vous fermer la porte au nez ? Vous croyez donc qu’Ermhar n’a pas de cœur ? " L’aubergiste tenta sans succès de prendre un air menaçant, mais ne réussit qu’à paraître ridicule. Il rit. " Votre Seigneur me paye bien, ca, je peux le dire ! Ne vous inquiétez pas, il y a toujours une place dans mon auberge pour les gens du coin, oui ! Pas comme ces étrangers, qui se croient tout permis ! " Il cracha sur le sol, puis sursauta et regarda nerveusement autour de lui si sa femme était par ici. Heureusement pour lui, dame Maud était allée récupérer son linge.
 " Des étrangers ? " fit Shani en tendant ses bras vers les flammes. " Que viendraient-ils chercher par ici ? "
 L’aubergiste alla pour parler, puis se ravisa.
 " Ce ne sont pas des choses à discuter avec l’estomac vide, allez. Attendez-moi quelques minutes, je vous amène de quoi vous restaurer " Il fit quelques pas en direction de sa cuisine, puis fit volte-face avec un clin d’œil malicieux.
 " Mais ne croyez pas que vous vous débarasserez de moi aussi facilement ! Je compte bien avoir des nouvelles du manoir, et du Seigneur Barel ! " Et sur ces mots, il disparut enfin.
 
 Le trio se regarda un moment, avant d’éclater de rire.
 " En quelques mois, j’avais presque oublié combien cette auberge était remarquable " rit Mahlin. La chaleur remontait doucement dans son corps engourdi.
 " Comme tu avais presque oublié Betingel, hmm ? " fit Shani en lui pinçant le bras.
 " Aie ! Arrête tout de suite ! Mais non, je ne l’ai pas oubliée… Je… enfin bon, nous ne sommes pas là pour discuter de cela, si ? Que fait-on ? Avec tout cela, je n’ai pas eu l’occasion de demander à dame Maud si l’alchimiste était toujours au même endroit. "
 " Pourquoi ne le serait-il pas ? " fit Aarel, sincèrement surpris. " De plus, je pense que poser une telle question à dame Maud serait lui offrir bien trop d’occasions de raconter sa vie. "
 " Tu exagères… " sourit Shani. " Elle n’est pas si commère que cela… " Même elle ne paraissait pas vraiment convaincue par ce qu’elle disait.
 " Si tu le dis… mais je me rappelle encore les avertissements qu’elle nous a donnés la dernière fois au sujet de cet alchimiste. Comme quoi il frayait avec les démons, et autres balivernes. Elle a une sainte horreur de la magie… "
 Mahlin gloussa.
 " Si seulement elle savait… "
 " Mais elle ne sait pas. Pour elle, Barel est un grand seigneur, et je m’en voudrai de bouleverser son quotidien en lui révélant la vérité. "
 " La vérité ? Quelle vérité ? Il est atteint de la vérole ? "  
 Sans qu’aucun ne l’ait vu approcher, l’aubergiste était de nouveau parmi eux. Il portait dans ses bras maigres de lourdes assiettes remplies d’un gigôt fumant. L’odeur suffit à faire saliver le groupe.
 " Non " rit Shani avec un air insouciant, " rien d’aussi grave ! Nous disions juste que le seigneur Barel avait déjà une femme, et que les qualités de marieuse de dame Maud ne pourraient s’appliquer ici. "
 " Marié ? Le seigneur Barel ? Mais je ne l’ai jamais su ! " fit Ermhar, les yeux brillants. " Racontez-moi cela ! "
 Les assiettes passèrent de ses bras à la table. Décidément, cela sentait bon. L’estomac d’Aarel se mit à gronder.
 " Ahh, je suis vraiment désolé ! " fit l’aubergiste avec une moue navrée. " Vous avez bien mieux à faire pour l’instant que de raconter des histoires à un vieil homme ! Mangez, mangez, il sera bien temps de parler après ! "
 
 Sans attendre d’invitation, il approcha une chaise. Shani regarda un instant son assiette, hésitante, puis commença à manger, arrachant la viande à délicats coups de dents. Aarel et Mahlin ne furent pas long à la rejoindre. C’était délicieux ! Un goût de venaison qu’ils expérimentaient bien peu dans le manoir, où la viande provenait des divers élevages du Maître.
 " J’espère que cela vous plaît " observa Ermhar. " Ma femme parle beaucoup, mais c’est vraiment une très bonne cuisinière ! Et je ne me plains pas de mon apprenti, non plus… un brave garçon, un peu empoté, mais il y met de la bonne volonté. Vous savez… "
 " Vous avez parlé d’étrangers ? " coupa Mahlin entre deux bouchées. Le jus lui coulait sur le menton, et il l’essuya d’un revers de main. Dieu du Foyer, que c’était bon !
 " Des étrangers ? Ah, oui, les étrangers. Une belle idée, que j’ai eue, de vous en parler. Moi et ma stupide langue. Maud me dit toujours que je parle avant de réfléchir. Je n’ose pas lui faire remarquer qu’elle-même… mais oui, j’y viens, j’y viens. Attendez-moi une seconde. " Il se leva, et revint rapidement avec un pichet de vin à la main. Il s’en versa un verre et but une gorgée.  " Oui, ils sont venus il y a deux jours. Des Traqueurs, comme ils s’appellent. Comme je vous le dis. Un nom bizarre, vous ne trouvez pas ? Ce sont ces mages des universités, là-bas dans les villes, qui recherchent les charlatans, ceux qui se prétendent sorciers sans avoir suivi une formation et obtenu un Sceau, vous savez ? Enfin, je dois dire que moi-même, je ne comprends pas grand chose à leurs affaires. Surtout qu’on se demande vraiment qui ils pourraient bien débusquer ici, puisque nous n’avons pas de mages, eh ? " Il rit. " Enfin, nous avons bien Pietr, notre alchimiste, mais ce bon à rien préfère boire du vin plutôt que ses mixtures infâmes. Remarquez, il n’est pas méchant, pas le genre de sorcier à avoir le mauvais œil, et toutes ces choses-là… Et puis, il faut bien dire que ses remèdes marchent parfois. Non, c’est un brave homme, même s’il a tendance à boire trop. Alors, vous voulez savoir ce qu’on leur a répondu ? "
 Les trois acquiescèrent d’un même mouvement. Ils ne savaient pas qu’il existait de tels Traqueurs, mais à bien y réfléchir, cela paraissait logique. Eux-mêmes, lorsque leur formation serait terminée, iraient s’affilier à l’Ordre de leur prédilection. Les mages étaient des gens tellement différents des autres, et comment en serait-il autrement quand les volcans pouvaient se réveiller sur l’un de leurs caprices ?.
 " ‘Il n’y a pas plus de sorcier ici que de boue sur vos bottes’, voilà ce qu’on leur a répondu ! Et si vous voyiez leurs bottes et leur uniforme impeccable, vous comprendriez pourquoi on leur a dit ça ! Mais ça ne leur a pas plu, vous savez. Ils disent qu’ils sont le " bras armé de la justice ", ou une autre bêtise comme cela. Enfin, je ne sais pas pour vous, mais je les ai vraiment trouvés déplaisants. Et ils n’ont pas apprécié mon vin. " L’expression amère de l’aubergiste montrait clairement l’affront qu’il avait ressenti. " Ils ont dit qu'il était convenable pour un village, vous entendez ? Convenable ? Alors que je reçois parfois des habitants de Bois-Rouge ici, qui veulent en ramener chez eux. Et vous savez ce que je leur réponds ? Non, je leur dis. Non, ce vin ne bougera pas d’ici. Si vous voulez en boire, il faut venir dans mon auberge ! Et ces moins-que-rien qui arrivent d’on ne sait où, qui vous regardent comme si vous sentiez le purin, et qui dénigrent mon vin ? J’ai essayé, pourtant, j’ai essayé de les mettre à l’aise, de leur sourire, vous comprenez ! C’est mon travail, après tout, tout le monde n’est pas aussi agréable que vous… Eh bien, ils m’ont dit que je parlais trop, et que je les empêchais de réfléchir. Qu’ils avaient à discuter entre eux, et que je ferais mieux de m’occuper de mes clients ! Non, mais quelle audace ? Dame Maud était prête à les jeter dehors. Vous savez comment elle est… Mais je… tenez, les voilà ! "
 
 Les assiettes étaient finies depuis un bon moment, posées sur un coin de la table. Les trois jeunes gens écoutaient avec attention, digérant lentement. Mais au geste de l’aubergiste, leurs yeux se braquèrent sur l’escalier.  
Neuf hommes descendaient à la queue-leu-leu dans un chatoiement de couleurs. Deux d'entre eux semblaient être des mages. L’un portait une robe blanche, l’autre une violette. Une corde était nouée autour de leur taille en guise de ceinture. L’homme en violet, en plus de sa toge, était drapé dans un manteau au capuchon relevé sur sa tête, de sorte que la lumière des torches glissait sur lui sans jamais révéler son visage. Le capuchon se tourna vers les trois jeunes gens, et Mahlin sentit un frisson le parcourir, sans raison apparente. Avec effort, il détacha son regard des sorciers pour observer les autres étrangers.
 Ceux-ci n’étaient certainement pas des sorciers, plutôt des soldats. Tous portaient cotte de mailles, cape blanche et bottes blanches. Mais leurs tuniques étaient toutes dissemblables, arborant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Rouge, Orange, Jaune, Vert, Bleu, Indigo, Violet. Une épée se balançait à leur ceinture, dans des fourreaux blancs. Ils étaient aussi différents de visage qu’ils étaient semblables dans leur habillement, mais tous arboraient la même expression fermée, le même rictus de condescendance polie. Leurs mains gantées effleuraient parfois le pommeau de leur épée, comme par mégarde. Ils semblaient prêts à dégainer à la moindre menace, prêts à bondir alors même qu’ils se positionnaient en demi-cercle autour du mage en robe blanche. Leurs yeux, inquisiteurs, passaient et repassaient sur les fermiers présents, comme pour évaluer la menace potentielle qu’ils pouvaient représenter. Mahlin grimaça. C’était une véritable petite armée qui venait de s’installer à Longue-Rivière.
 Neuf paires de bottes claquèrent sur le parquet de l’auberge. Effectivement, aucune boue ne les souillait, malgré le long voyage qu’ils avaient sûrement dû effectuer. Cette propreté, c’était le point commun entre ces hommes. Cela, et l’air de suffisance intolérable qui s’affichait sur leur visage. L’homme en blanc fit un signe, et les autres s’arrêterent. Il se détacha du groupe pour marcher vers l’aubergiste. Il était de taille normale, mais l’autorité qui émanait de lui le faisait paraître plus grand. C’était un mage, dans une campagne reculée où sa seule présence devait inspirer le respect et la terreur. Ses cheveux étaient courts, impeccablement coupés, et ses yeux brillaient dans la lumière des torches.
 
 " Nous allons explorer la région " fit sobrement le Traqueur. " Voici pour vous. "  
 Il produisit une bourse de bonne taille, l’ouvrit et en tira une poignée de pièces brillantes. L’aubergiste, son sourire habituel remplacé par une grimace obséquieuse, s’inclina bien bas et l’argent changea de main. Mahlin remarqua la réticence masquée d’Erham à toucher la main du mage, comme s’il avait craint de se salir. La même expression de dégoût méprisant traversa fugitivement le visage de l’homme en blanc.
 " Gardez-nous les chambres pour deux jours encore. Nous restons un peu dans la région. "
 " Bien, messire "
 Erhmar s’inclina de nouveau, puis regarda ce que l’homme lui avait donné. Il lâcha une exclamation de surprise, puis son sourire cauteleux revint.
 " Messire, c’est bien plus que ce que je vous ai demandé ! "
 " La moitié seulement paie nos chambres. Le reste sert à acheter quelques renseignements " Le regard de l’homme en blanc se posa lentement sur chacun des consommateurs ; tous paraissaient soudain très occupés à boire ou jouer. " Je sais comment les choses vont, dans ces petits villages de campagne. Vous êtes tous en cheville avec vos… vos ‘soigneurs’. A moins que vous les appeliez des ‘rebouteux ‘? " L’homme sourit, un sourire froid qui jamais n’atteignit ses yeux. " Quoi qu’il en soit, je veux des informations sur eux. Les gens étranges, ceux qui sortent dans les bois la nuit, ceux qui entendent des voix. Ceux qui guérissent les blessures, et ceux qui se font payer pour cela. Je veux tout savoir. Tout. " Il s’arrêta un instant. Au pied de l’escalier, les guerriers observaient une immobilité de statue, si ce n’était pour leurs yeux qui bougeaient en tout sens, à l'affût du moindre danger. Mahlin frissonna lorsque ces regards impavides se posèrent sur lui. Shani et Aarel avaient le visage fermé. Le mage violet s’était détourné et l’ennui transparaissait dans l’affaissement de ses épaules. " Je crois savoir que vous avez un alchimiste, dans les environs ? "
 
 Il se tut. Un silence de mort tomba sur la salle.
 " Il faut que j’aille planter quelques graines " grommela un fermier, dans un coin de la pièce. Il se leva et quitta l’auberge d’un pas précipité. Sur le pas de la porte, il se retourna pour en héler un autre.
 " Tu viens, Jonas ? "
 Le dénommé Jonas eut un sourire d’excuse qui exprimait bien trop de soulagement, et lui aussi se hâta hors du bâtiment.
 " C’est la fin de l’hiver, il y a des tâches qui n’attendent pas. Moi-même… " constata un autre à haute voix. Des murmures lui répondirent. Bientôt, la salle fut vide de ses clients habituels. Aucun des Traqueurs n’avait bougé. L’homme en blanc leva un sourcil amusé.
 " Il semblerait que beaucoup de vos clients aient peur de nous. Il n’y a aucune raison. Nous ne sommes agressif qu’envers nos ennemis. Ceux qui se mettent en travers de notre route, ou… " sa voix devint caressante " … qui nous cachent quelque chose. "
 L’aubergiste se redressa. Il n’y avait plus trace de son sourire obséquieux, et encore moins de sa gaieté habituelle. Il regarda les pièces, dans sa main, et compta soigneusement. Quelques-unes atterrirent dans sa poche. Les autres, les plus nombreuses, il les repoussa sur la table.
 " Reprenez votre argent. Ce ne serait pas honnête de me payer pour rien. Je n’ai pas vos renseignements. Je ne connais pas d’alchimiste par ici. Ou de rebouteux. Ou de sorcière, ou de vampire, ou de démon. Maintenant, je vous souhaite une bonne journée, mais je doute que vous trouviez quoi que ce soit par ici. Nous sommes un village paisible, dans une région paisible. "
 L’homme en blanc hocha la tête, l’air pensif. Il ne fit pas un geste vers l’argent repoussé vers lui.
 " Souhaitons-le, aubergiste, souhaitons-le. Pour le village, et pour vous. Bon après-midi. "
 
 Il leva la main en un salut martial, et les autres Traqueurs lui emboîtèrent le pas pour sortir de l’auberge, dans le même ordre que tout à l’heure. Le mage violet fut plus lent à suivre, mais il partit enfin. Erhmar les suivit du regard, et resta un instant sans parler, écoutant le martèlement des bottes s’éloigner dans l’air vif. Puis il cracha par terre. Cette fois, il ne prit pas la peine de chercher son épouse du regard.
 " Et ils sont comme cela depuis hier. Puant l’arrogance et la richesse, nous regardant de haut comme si nous étions des moins que rien. Non, mais vous l’avez entendu ? A me demander de trahir mes amis pour.. pour de l’argent ! "
 Il donna un coup de poing sur la table, et de l’or scintilla alors que les pièces s’éparpillaient sur le sol. Il ne leur jeta pas un regard. De la sueur coulait sur son visage, qui pouvait être dûe, en partie, à la chaleur dégagée par la cheminée. Et en partie par le regard glacial qu’il avait dû affronter.
 " On ne peut pas dire que vous arriviez au meilleur moment, mes pauvres " fit-il en grimaçant. " Je crains bien que ces neuf là nous causent des problèmes. Mais que voulez-vous que j’y fasse ? Je ne crois pas que je puisse me permettre de leur refuser mon toit ; ils ont l’air décidés… damnés mages ! Si seulement l’empereur voulait bien tous les faire pendre !" Il eut un sursaut en réalisant ce qu’il venait de lire, et jeta un regard inquiet vers la porte.  
 " Et…et Pietr ? " souffla Shani. Ce ne fut qu’à ce moment que Mahlin réalisa que lui aussi ne respirait plus depuis quelques secondes.
 L’ aubergiste hocha la tête.
 " Je ne me fais pas trop de souci, c’est un vieux roublard. Quelqu’un doit déjà l’avoir prévenu, il a dû se cacher dans un de ses nombreux repaires. Non, ce qui m’inquiète vraiment, c’est les langues trop agiles de certains de nos fermiers… Mais oubliez que je vous ai dit cela. " Au prix d’un violent effort, il fit réapparaitre son sourire. " Mieux vaut parler d’autre chose. Ces hommes ne méritent pas une conversation. Vous restez, ce soir, oui ? J’ai une bonne nouvelle pour vous ! "
 " C’est que… " fit Aarel, hésitant.
 Il était normalement prévu qu’ils prennent rapidement commande chez l’alchimiste, puis qu’ils reviennent à la nuit au manoir. Mais les choses étaient désormais plus compliquées. Il était inutile d’espérer retrouver Pietr ce soir. Certainement, maître Barel serait compréhensif s’ils expliquaient la situation. Et puis, ressortir par ce froid…
 " Oui, nous restons " trancha Mahlin. Shani parut sur le point de dire quelque chose, puis se ravisa.
 " Parfait ! Vous ne pourrez hélas pas dormir à l’auberge, à cause de ces damnés Traqueurs, mais je doute que vous ayez apprécié leur proximité de toute manière. Mais je suis sûr que vous trouverez facilement à loger chez les uns et les autres. " Il eut un sourire malicieux. " Oh oui, j’en suis sûr ! Mais je ne vous ai pas encore dit la bonne nouvelle ! Vous aurez la chance d’entendre un barde, un vrai, ce soir ! "
 Les trois se mirent aussitôt à parler en même temps, mais ce fut Aarel qui réussit à s’imposer avec sa voix de basse.
 " Un barde, un vrai ? Ici ? "
 Il se rendit compte au moment où les mots sortaient, qu’il avait peut-être l’air trop dédaigneux, mais l’aubergiste ne le prit pas en mauvaise part.
 " Oui, ici. C’est décidément la semaine des étrangers ! Il est arrivé ce matin, luth en bandoulière. M’a proposé de jouer ici ce soir contre un repas et un lit, pensez si j’ai accepté ! Je ne sais pas ce que cela va donner, mais ce village a connu bien trop peu de distractions ces derniers temps. Et ces Traqueurs rendent le monde nerveux, j’aurais été prêt à payer bien plus pour redonner le sourire à Longue-Rivière. " Il eut un gloussement. " Et puis, bien sûr, les villages voisins ont été avertis, du moins je l’espère. Bois-Rouge, tout au moins. Je suis prêt à parier que certains vont faire le voyage rien que pour ça. Et pour mon vin, bien sûr ! Ohhh, je sens que la soirée va être bonne ! "
 Il rit de contentement, et rit de plus belle en voyant trois paires d’yeux émerveillés. Un barde ! C’était si rare, par ici. La soirée s’annonçait bien.

mood
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Posté le 02-07-2004 à 11:56:26  profilanswer
 

n°3119116
Damrod
Posté le 02-07-2004 à 15:49:20  profilanswer
 

très interessant tout cela
mais il nous faut la suite !!! :bounce:

n°3119310
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 02-07-2004 à 16:00:38  profilanswer
 

Des commentaires sur les éventuelles différences de style entre les deux histoires ? Celle-ci a été commencée alors que j'étais en plein dans ma période Jordan, l'autre dans ma période Martin...

n°3119632
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 02-07-2004 à 16:21:31  profilanswer
 

Pour l'instant ça flaire la bonne humeur et l'aventure entre copains. J'espère que cela va s'assombrir et se complexifier par la suite  :na: .
J'espère aussi que tu ne vas pas nous faire attendre le chapitre 12 avant de dévoiler l'intrigue. Avec Rekk le ton avait été donné d'entrée de jeu et j'avais personnellement adoré. La suite c'est quand tu veux  ;)

n°3127952
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 03-07-2004 à 20:24:16  profilanswer
 

Morpion Cosmique a écrit :

Pour l'instant ça flaire la bonne humeur et l'aventure entre copains. J'espère que cela va s'assombrir et se complexifier par la suite  :na: .
J'espère aussi que tu ne vas pas nous faire attendre le chapitre 12 avant de dévoiler l'intrigue. Avec Rekk le ton avait été donné d'entrée de jeu et j'avais personnellement adoré. La suite c'est quand tu veux  ;)


 
Oui, le début est moins glauque. Mais ne t'inquiètes pas, ça part bien assez tôt en live  :D  
 
Et voici le chapitre 3
 
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La nuit arriva dans l’effervescence générale. Tout le monde au village avait désormais appris l’arrivée du barde et, comme l’avait prévu Erhmar, le mot s’était répandu dans les villages voisins. On approchait de l’équinoxe de printemps, mais les nuits paraissaient encore longue à la campagne. Il y avait peu à faire, une fois le travail de la journée abattu. On discutait, on buvait, on se promenait. Souvent, on organisait des fêtes ou des bals. Mais rien de tout cela ne pouvait approcher la distraction que promettait un barde.
 Un barde ! Rien que le mot transportait quelque chose de magique, et on l’entendait rouler de chaumière en chaumière, alors que les ombres s’étendaient lentement sur la ville. Une à une, les chandelles s’allumèrent derrière les fenêtres, et les gens commencèrent à converger vers le Fil de l’Eau. Pas question de rester chez soi ce soir. Homme, femme, enfants, leurs yeux brillaient dans les lueurs des torches, et les rires résonnaient déjà dans la nuit. Quel spectacle cela serait ! Jamais un barde n’était venu dans la région depuis sept ans, clamaient les anciens. Sept ans ! Les enfants ouvraient des yeux ronds.
 
 Petit à petit, on voyait également affluer les charettes venues d’autres villages. Les gens y étaient entassés par groupe de six ou huit, et les chevaux essoufflés d’avoir été aussi poussés. De bons gros chevaux de labour, peu habitués au galop. On se saluait, on s’embrassait, on se retrouvait avec plaisir. Six heures de marches séparaient Longue-Rivière de Bois-Rouge, et cela seul rendait les rencontres assez rares pour être appréciées. Dans un roulement de sabots, quelques riches propriétaires arrivaient sur leurs montures. Eux aussi, malgré tout leur argent, se mêlaient avec plaisir à la foule et riaient de concert. Un barde ! Voilà une vraie distraction !
 Le village qui avait paru endormi pendant la nuit paraissait se réveiller au crépuscule. Les rues entraient en ébullition, et Mahlin avait bien du mal à se frayer un chemin dans la foule. Si seulement il avait eu les larges épaules d’Aarel, ou bien le sourire charmeur de Shani ! Mais, non, il écrasait des pieds à gauche et à droite en murmurant de vagues mots d’excuse, fendant la foule à la recherche de deux tresses. Deux tresses blondes, avec un nœud bleu, si sa mémoire était correcte. Un joli brin de fille, s’il avait pris la peine de la pousser dans le canal. Et il avait besoin de compagnie, de quelque chose pour lui faire oublier le sourire que Shani avait dédié à ce grand dadais de Toni Broadhelm. Non, vraiment, comment pouvait-elle lui sourire ainsi ? Elle devait pourtant se rendre compte qu’il n’était qu’un vulgaire charmeur au rictus trop carnassier.  
 
 Maugréant tout bas, il continua à marcher, esquissant un sourire poli dès lors qu’il croisait quelqu’un.
 " Ah, tu es là ! Viens vite, ça va commencer ! " Aarel apparut soudain à côté de lui et lui prit le bras. " La salle commune est déjà pleine à craquer, il faudra regarder de l’étage, j’ai réussi à trouver des places correctes, grâce à une certaine demoiselle que je ne nommerai pas. Mais dépêche-toi, ou je doute que Betingel patiente toute la soirée ! "
 Riant, moitié poussant moitié tirant, le colosse entraîna Mahlin en sens inverse, en direction de l’auberge. Là où Mahlin avait dû se faufiler, les larges épaules d’Aarel ouvraient un chemin sans aucune difficulté.
 " Betingel, tu dis ? "
 " Oui oui, c’est bien ce que je dis ! Mais je te préviens, elle n’a plus de tresses ! "
 Mahlin haussa les épaules, et dégagea son bras de la poigne de son ami.
 " Et tu dis qu’elle nous a trouvé des places ? "
 Aarel leva les yeux aux ciels.
 " Mais qu’est-ce que tu as, ce soir, à me faire répéter cent fois les mêmes choses ? Oui, oui, je te dis, mais dépêchons-nous, ou elle risque bien de changer d’avis. Et je veux voir ce barde, quoi que cela implique entre toi, et elle " Il riait ouvertement, maintenant.
 " Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? " grommela Mahlin. La foule était désormais assez dense pour que même Aarel ait à jouer des coudes. Lentement, péniblement, ils arrivèrent au pied de l’escalier qui montait à l’étage de l’auberge.Là encore, les gens se pressaient sur les marches, se dévissant le cou pour voir un spectacle qui n’avait pas encore commencé. Mahlin restait stupéfait devant cette foule. Comment un, voire deux villages, pouvaient-ils contenir autant de monde ?
 
 Enfin ils furent en haut. La vue de l’enfilement de chambre fit soudain hésiter Mahlin.
 " Et les Chasseurs ? Ils sont ici ? "
 Aarel secoua lentement la tête.
 " Non, ils ne sont pas encore rentrés. Je me demande si c’est bon signe ou non. Mais, crois-moi, ces gaillards ne sont pas du genre à lâcher prise s’ils ne font que renifler le début du commencement de l’odeur de Pietr. "
 " Oh, je veux bien te croire " acquiesca Mahlin en soupirant. Et puis toute pensée pour les Chasseurs disparut lorsqu’il reçut cent livres de fille dans le ventre.
 " Mahlin ! "
 Aarel hocha la tête avec componction.
 " Mahlin, je te présente Betingel. Betingel, voici Mahlin "
 " Je la connais " grogna le jeune homme, cherchant désespérément à voir quelque chose dans la semi-pénombre. Comme par un fait exprès, la torchère au-dessus de lui était vide. Puis Aarel cessa de faire écran contre la lumière, et il put enfin distinguer ses traits.
 C’était bien Betingel, il n’y avait pas à se tromper là-dessus. Pas de tresses, mais toujours elle. Et ses yeux étaient si grands et si humides qu’il se sentit mal à l’aise rien que de les regarder.
 " Ecoute… " fit-il. " Je… "
 " Je n’arrive pas à y croire ! " faisait-elle en même temps. " Un barde à Longue-Rivière, et toi qui arrives le même soir ! Quelle coïncidence, c’est fabuleux ! "
 Ses souvenirs étaient vraiment confus. La dernière fois qu’il l’avait vue, elle s’était montrée si insupportable et agressive avec lui qu’il s’était vu contraint de lui rafraîchir les idées. Etait-ce vraiment Betingel qui se blotissait maintenant contre lui ? Alors que tant de villageois se trouvaient autour ? Il se dégagea doucement, et s’assit sur le sol, les jambes pendantes par dessus la balustrade.
 " C’est vraiment gentil de ta part de nous avoir trouvé ces places " fit-il en souriant de manière distante. C’était vrai. C’était parfait.
 
 De là où il était perché, il pouvait embrasser toute la salle commune. De nombreuses torches se consumaient aux murs. Les tables étaient toutes remplies, et Erhmar, sa femme et son apprenti avaient fort à faire pour servir tout le monde, malgré tout ce qu’ils avaient pu cuisiner et préparer durant l’après-midi en prévision de la soirée. Tout un coin de l’auberge avait été libéré de ses tables et, malgré l’affluence, personne ne se risquait dans cet espace libre. C’était la scène, et le barde n’allait pas tarder. Il réalisa soudain que Betingel n’avait cessé de lui parler. Se sentant coupable, il reporta son attention sur elle.
 " …de ma vie ", disait-elle en ce moment même avec un sourire espiègle. " Et pourtant je suis déjà allée à Trabor, une fois, avec mon père. Tu connais Trabor ? "
 " De nom " fit-il dans un vain effort pour s’intéresser à autre chose que les dais de couleurs que l’on était en train de placer sur la scène. " De nom. Tu dis que tu y es allée ? A quoi est-ce que cela ressemble ? " A gauche de lui, les yeux rivés sur la salle, Aarel grignotait un morceau de pain en évitant soigneusement de glisser un regard vers eux.  
 " Oh, eh bien, à une ville je suppose " expliqua Betingel avec complaisance. " Il y a du monde, beaucoup de monde. Chaque rue est remplie d’au moins autant de personnes que ceux qui s’entassent ici ce soir, tu sais, et il y a des centaines de rues ! Et des ruelles, avec des pavés dorés, et des gens en habits de soie, et des chevaux partout, et… "
 
 Mahlin suspectait qu’une grande partie de cela était exagéré, mais il finit tout de même par s’intéresser à la description qu’elle faisait. Non, ce n’était pas Shani, et son discours était la plupart du temps fatigant pour ce qu’il avait pu en juger, mais cela ne le dispensait pas de se montrer courtois et agréable… quitte à la replonger dans la rivière si jamais elle se montrait trop insupportable.
 Le brouhaha dans la salle avait subtilement changé. Les gens avaient cessé de discuter d’eux, de leurs enfants, de leur ferme, de leur vie, pour attendre dans l’expectative. Des cris s’élevaient en de nombreux endroits, réclamant le barde.
 Et les torches furent soufflées par un vent mystérieux. Et le barde vint.
 " Aaaaaaaah ! "
 
 Ce fut d’abord une forme sombre sur la scène, grande et dégingandée, qui se découpait uniquement par la grâce de la lueur lunaire. Puis les torches autour de lui se rallumèrent, et il apparut enfin clairement. Un homme de haute taille, aux cheveux longs et fins, rassemblés en un catogan comme celui de Mahlin. Il portait une tunique multicolore, qui semblait briller malgré le manque de lumière. Sa cape traînait sur le sol, et chacun de ses mouvements la faisait voler. Elle accrochait les regards, cette cape, si sobre et pourtant si lumineuse. Le silence se fit progressivement dans la salle. Bientôt, on n’entendit plus qu’un ou deux éclats de voix, puis plus rien. L’assistance retenait son souffle. Mahlin grogna lorsque Betingel, fascinée, lui planta ses ongles dans le gras du bras.
 Le barde se dressa, les yeux inquisiteurs. Un geste, et une harpe se matérialisa dans ses mains. Il y eut des " aaah " et " oooh " dans la salle. Si Mahlin n’avait pas été posté en altitude, lui non plus n’aurait pas vu le geste fluide qu’avait eu l’artiste pour sortir l’instrument de sous sa cape. Et la musique s’éleva.
 
 Quelques notes sonnèrent, douces et tranquilles, hypnotiques. Puis les notes devinrent accords, et les accords se fondirent en une mélodie, une mélodie apaisante, et triste.
 " Je chante. " fit le barde d’une voix monocorde. " Je chante pour les héros d’un autre temps. Je chante leurs victoires et leur défaites, le poids de la trahison et le choc de l’acier. " Lentement, sa voix s’anima. " Je chante l’héroisme des guerriers et les pouvoirs des mages. Je chante les armées en marche, la fatigue et la peur. Je chante les combats qui furent livrés, je chante les morts et les vivants, ceux qui tombèrent et furent oubliés, ceux dont le nom résonne encore, ceux qui sauvèrent le monde et ceux qui voulurent le condamner. Je chante la Guerre des Dix Mois et l’Apocalypse évité. "
 La voix était désormais chargée de passion alors que des yeux fiévreux parcouraient la salle. Personne ne bougeait, personne ne parlait.
 " Je chante Brajan De’Stil et ses pouvoirs fabuleux, je chante la gloire du héros tombé. Ecoutez, et réjouissez-vous, car Brajan combattit, et Brajan gagna. Je chante les mages à ses côtés." La musique s’arrêta une fraction de seconde, pour reprendre avec plus d’entrain. Le récit commençait réellement. Tout le monde, dans la salle, connaissait l’issue de la Guerre, et les exploits des Mages. C’était quelque chose que l’on racontait aux enfants au coin des veillées, les yeux dans le vague et le sourire aux lèvres. C’était une histoire que tous ici avaient entendu. Mais ce n’était pas la même chose. Non, pas la même chose.
 " … et le soleil roulait sur ce champ qu’on appellerait plus tard la Plaine de la Victoire. Les soldats, réunis autour du conseil des Mages, n’avaient pas encore conquis ce nom au fil de leur lame. Le vent se levait du sud, et il sentait la mort. Tous ici savaient qu’ils allaient confronter un Mal plus profond que ce qu’ils avaient jamais vu. Les visages étaient durcis par la tension. Tous des braves, tous des héros. Aucun ne fit demi-tour, et aucun ne fuit lorsque le contact se fit. Le Maudit guidait lui-même ses légions, et sa force était sans limites. Avec lui venaient les Ombres, avec lui venaient les démons, avec lui venait la mort. Elle était là, perchée sur son épaule, tant il avait appris à la domestiquer. Elle astiquait sa faux, et elle riait, car sa moisson serait bonne. Et les guerriers virent sa faux, et ils l’affrontèrent sans ciller, car ils savaient qu’ils n’avaient pas le choix. Et derrière ces guerriers, il y avait les mages. Le conseil des mages, sa gloire et sa grandeur. Brajan De’Stil, qui jamais n’hésita et jamais ne s’adoucit, et qui donna sa vie pour la terre que nous possédons. Horemon le rouge, dont le rire était aussi puissant que ses pouvoirs, et dont le poing toujours défia la faucheuse. Teklan le jaune, sa force et sa vaillance, et la lumière qu’il apporta dans tous les cœurs. Rhodaz le bleu, qui fit se lever la mère de toutes les tempêtes, pour balayer le champ de bataille et le purifier de ses scories, pour disperser l’armée du Ténébreux aux quatre vents. Et Polis, et Mathiez, et Jin, et Topaze, à la beauté sans égale. Et tous se lançaient à corps perdu dans le combat, car eux aussi savaient que cette bataille serait la dernière. Et le Maudit les railla, le Maudit les moqua, le Maudit contra leurs pouvoirs avec les siens, car telle était sa puissance que rien ne pouvait l’inquiéter. Le Maudit piétina leur vaillance, s’abreuva de leur désespoir, et toujours son pouvoir grandissait. "
 
 Il y eut des gémissements dans la salle. De toutes parts, les gens se mettaient à pleurer. Quelques rudes fermiers au visage austère se retrouvaient à gémir devant la vision d’apocalypse que le barde dépeignait. Les enfants, sur les genoux de leurs parents, se cachaient la tête dans les mains, et leurs pleurs résonnaient dans la salle. Tout le monde savait comment l’histoire se terminait, mais il était difficile de faire la part des choses alors que le barde recréait tout cela devant eux. Mahlin se surprit à trembler devant l’évocation si réaliste du Déchu. Betingel s’était à un moment ou à un autre blottie contre lui, et il ne l’avait pas repoussée. Elle serrait sa main fermement dans la sienne, une petite main blanche de gamine terrorisée. Quel âge avait-elle ? Pas plus de dix-sept ans, certainement. Il se sentit un peu coupable, puis sursauta lorsque la voix du barde prit de nouveau de l’ampleur.
 " Les épées gisaient sur le sol, les casques et les cuirasses étaient brisées. Les cadavres jonchaient la plaine, et la Mort riait de plus belle, car elle savait comment tout cela allait finir. Mathiez était tombé au milieu des flammes qu’il n’avait cessé de créer. De Polis la Sage, il ne restait plus que des cendres fumantes, et cendres également devinrent les plantes qu’elle chérissait. Horemon l’invincible tomba à son tour, après que mille coups aient écorché son corps d’acier jusqu’à le dépecer vivant. Et Teklan, et Jin, et Topaze, dont la beauté venait d’entrer dans la légende, et dont les illusions ne furent d’aucun effet contre Celui Qui ne Rêvait Pas. Tous, ils tombèrent, car tous, ils se battirent jusqu’au bout. Amis, ne pleurez pas leur mort, car c’est ainsi qu’ils l’ont voulu, et ainsi sera révérée leur mémoire. Et Brajan De’Stil se trouva face à face avec le Déchu."
 " Il va le battre ! Il va le battre " chuchota Betingel, toute excitée. Mahlin lui sourit. Aarel, dans l’ombre, arborait un rictus de loup, et ne cessait de caresser sa hache. Nul doute que s’il avait été là, aux côtés de Brajan, celui-ci n’aurait pas eu à se sacrifier.
 " Le silence était total. Les combats cessèrent, car il est dit que la Mort cessa sa moisson, cessa de faire ce qu’elle faisait de toute éternité, pour regarder le combat. Et seule elle savait qui elle allait emporter dans son royaume, où il n’y a plus guerre ni bataille, rien que le néant et le froid. "
 
 " Brajan va gagner ! " hurla quelqu’un dans la salle. Des cris d’approbation lui répondirent de toute part, puis se calmèrent alors que tous se penchaient en avant pour entendre la suite.
 " Le combat fit rage durant huit jours et neuf nuits " continua le barde, perdu dans sa musique. " Car si la Vie peut chasser les Ténèbres, celles-ci peuvent corrompre toute chose. Les sortilèges les plus puissants jamais crées furent lancés cette semaine là, et jamais l’énergie ne semblait leur manquer. Leurs coups étaient de plus en plus puissants, et leurs boucliers faiblissaient au fil des jours. Le premier jour de leur affrontement vit la mort de tous les êtres qui combattaient sous une bannière ou une autre. Et, alors que la Mort regardait le combat, ainsi regardèrent toutes ces âmes, qui attendaient d’être conduites dans l’au-delà. "
 La musique s’arrêta. Le silence dura pendant près d’une minute, puis les spectateurs s’ébrouèrent de toute part. Cela ne pouvait pas être fini, pas comme ça, pas maintenant. Betingel ouvrit des grands yeux interrogateurs, et Mahlin ne put que hausser les épaules, frustré. Puis il sursauta lorsque un grand crépitement se fit entendre, comme si un éclair s’était abattu sur l’auberge. Et la musique reprit, forte, forte, puissante !
 " Et Brajan hurla son désespoir de se faire inexorablement repousser, et son bouclier finit par voler en éclats. Et le Maudit clama sa victoire en réunissant toutes ses forces. Les ténèbres se concentrèrent entre ses mains, et la lumière fut absorbée de toutes parts. Cette attaque signait la fin de Brajan, la fin des huit royaumes, l’ Apocalypse. Et l’attaque fusa, et toute vie disparut sur la trajectoire de cette boule de ténèbres, tant puissante était son pouvoir." Une pause, courte, très courte, dans la musique. " Mais Brajan n’était pas là. Brajan n’était plus là. De ses dernières forces, agonisant déjà, il avait utilisé sa dernière carte. L’énergie noire, si noire, ne traversa qu’une illusion, et le Déchu hurla sa rage. Et Brajan sourit, car il sut qu’il pouvait gagner. Pour cela il s’était sacrifié, et avait sacrifié ses pouvoirs. L’énergie blanche qu’il avait utilisée jusque là, dans laquelle il avait puisé durant huit jours et neuf nuits, se dissocia, et les sept couleurs rayonnèrent en lui. Déjà il s’était inconsciemment servi du Violet pour créer une image de lui. Et dans cette semi-conscience, il appela les autres Couleurs. Et la Terre se souleva, et les Cieux s’ouvrirent, et la Foudre tomba. Et l’Eau se mit à bouillonner en lui, et le Feu jaillit de sa main pour terrasser le Ténébreux. Et, sous une aube écarlate, Brajan frappa. " La musique cessa d’un seul coup, après avoir atteint des sommets. " La Mort se retira, emportant avec elle Brajan et Hermon, au nom désormais maudit. Devant un tel tribut, elle négligea les âmes des morts qui avaient assisté au combat, et ceux-ci se répandirent de par le monde pour propager la nouvelle. La nouvelle de la Dernière Bataille, et de la Victoire. " Le barde laissa retomber sa voix. " De la Victoire. Ainsi on m’a rapporté l’histoire, et ainsi je vous la transmets. Ainsi elle se transmettra, et jamais ils ne seront oubliés. Brajan,  Jin, Maerthe, Polis, Teklan, Rhodaz, Horemon, Topaze à la beauté éternelle. Brajan. Dans la Plaine de la Victoire ils reposent, et nul autre endroit ne leur aurait convenu. "
 Il se tut, pour de bon cette fois. Mais, à la différence de ses autres interruptions, personne ne bougea ni ne parla durant un certain temps. Il ne fallait surtout pas briser la magie. Le Ténébreux était vaincu. L’histoire était terminée, et le monde était sauvé.
 
 Quelque part, au fond de la salle, à droite, un timide applaudissement retentit. Un autre lui fit écho, puis un autre. Quand Mahlin retrouva assez d’énergie pour frapper dans ses mains, c’était un véritable tonnerre d’applaudissements qui déferlait sur la salle. Tous, ils applaudissaient. Ils criaient et ils hurlaient, les parents, les enfants, les garçons et les filles, tous payaient leur tribut en applaudissant. Le barde s’inclina une fois, deux fois. Même à cette distance, Mahlin pouvait remarquer la sueur qui lui coulait sur le front. Il avait les yeux dans le vague, et l’air perdu, comme s’il avait lui aussi vécu l’histoire qu’il racontait, et replongeait brutalement dans la réalité.
 Les cris et les applaudissements ne se calmèrent pas avant un bon moment, et Mahlin n’était pas le dernier à hurler. A côté de lui, Aarel s’époumonait. Betingel n’applaudissait pas, car cela l’aurait obligée à lâcher le pourpoint de Mahlin ; mais elle criait comme les autres. Jusqu’au moment oà l’aubergiste, suant et soufflant, s’introduisit sur la scène, à côté du barde, mains levées pour réclamer le silence.
 " Du calme, du calme ! Je vous demande un peu de calme, s’il vous plaît ! " Le tumulte diminua progressivement, jusqu’à cesser complètement. Les yeux brillaient dans l’obscurité. " Permettez-moi de vous présenter Maître Sheez, qui a fait un long chemin pour venir jouer dans nos régions. Malgré son talent certain, il a choisi une vie hasardeuse pour distraire les villages les plus reculés, et je crois que nous lui devons une ovation ! " Les gens hurlèrent et piétinèrent, et des vivats s’élevèrent de toute part. " Je crois qu’il n’y a pas besoin de parler plus avant, vous avez tous entendus la Geste des Mages. " Il fronça un sourcil de manière comique. " Que les enfers m’engloutissent, mais je n’aurais jamais imaginé que tout cela se soit passé ainsi. Quelle bataille, mes amis, quelle bataille ! " Il y eut des rires dans la salle. " Mais je vois que je vous dérange, ce que vous voulez, c’est le barde, pas mes radotages – que vous avez d’ailleurs amplement le temps d’apprécier lorsque vous venez boire ici ! " D’autres rires. " Sur ce, je vais vous demander de bien vouloir quitter mon auberge et d’investir les rues ! Ce soir, vous allez danser, je vous le promets ! Et n’oubliez pas, lorsque vous vous sentez fatigués, de venir prendre un verre de vin dans mon auberge ! Le meilleur vin de la région ! " Huées. " Place à la danse ! " Cris.
 
 Mahlin poussa un léger soupir. Il aurait bien aimé que le barde enchaîne sur une autre histoire. Il y en avait tant à raconter. La Geste des Compagnons, le Bastion des Ames, les Prouesses du Roi des Saules… Tant de contes et de légendes qu’il avait lues avec passion dans les lourds grimoirs de maître Khorr, et qui pouvaient prendre vie sous ses yeux, pour peu que l’homme, en bas, sur la scène, s’en donnât la peine.  
 " C’était si merveilleux… " murmura Betingel, collé à lui, les yeux dans le vague. Il faillit bondir de côté. Il avait presque oublié sa présence, tout au spectacle. " Tu viens danser ? "
 " Danser ? Je… je ne sais pas. Je n’ai jamais été un très bon danseur… "
 " Je t’apprendrai ! Allez, viens ! " Elle se leva d’un bond, et s’étira en gémissant. " Par les Couleurs, combien de temps sommes-nous restés là ? Je me sens toute engourdie ! "
 Mahlin se leva, lui aussi, et grimaça. Il avait des fourmis dans les jambes.
 " Je ne sais pas, mais plus de deux heures, je dirais. Je crois bien que j’ai perdu la notion du temps… "
 " Raison de plus pour danser, tu vas voir, je saurai bien te réveiller ! "
 Elle lui saisit le bras d’une main autoritaire, et l’entraîna au bas de l’escalier, dont les marches avaient été désertées entre temps. En quelques minutes, l’auberge s’était vidée, comme par magie. On entendait au dehors le son du luth et du pipeau et, guidant la musique, la voix profonde du barde. Des rires et des encouragements fusaient de partout. Dans la salle commune de l’auberge, il n’y avait plus qu’Erhman et son épouse, occupés à restaurer hâtivement un semblant d’ordre. Dame Maud écarquilla les yeux en les voyant.
 
 " Eh bien eh bien, vous êtes encore là ? Dépêchez-vous, ce serait tout de même dommage de rater le bal, surtout un bal comme celui-là ! Ah, si j’avais votre âge, vous pouvez parier que j’y serais en ce moment, en train de faire tourner ma jupe sur La Fille du Cordonnier. Mais oui, j’ai été jeune moi aussi, vous savez ? "
 " Vous avez besoin d’aide, peut-être ? " demanda poliment Mahlin, appréhendant déjà les premiers pas de danse. Erhman releva la tête et le regarda comme s’il le voyait pour la première fois.
 " De l’aide ? Cette nuit ? Mais la nuit est à vous, jeunes gens, allez-y ! Oubliez-nous, nous nous débrouillerons bien tout seul, allez. Notre apprenti est parti danser, ce n’est pas pour que nous embauchions d’autres bras. Allez, allez, déguerpissez ! " Il agita son torchon comme pour chasser des mouches..
 " Tu vois bien, qu’ils n’ont pas besoin de nous " fit Betingel, contrariée. " Il fut un temps où tu étais plus empressé… "
 " Je suis poli, c’est tout ! " protesta Mahlin, mais déjà il se faisait entraîner vers la porte. Il haussa les épaules et lança un regard impuissant à l’aubergiste.
 " Les femmes… " répondit celui-ci en riant. Puis son rire mourut alors que la porte s’ouvrait et qu’une cape blanche se déployait dans l’entrebaillement de la porte. Betingel poussa un petit cri et se réfugia derrière le dos de Mahlin. Le jeune homme fronça les sourcils.
 " C’est une belle nuit, aubergiste " constata le Chasseur en rentrant. " Une nuit de fête et de noce. Je suis surpris de voir un barde dans un village aussi reculé. " L’homme en robe violette entra sans un bruit derrière lui et, sans un regard pour la salle commune, monta l’escalier.  
 Derrière lui, les visages toujours aussi fermés, arrivaient les autres. Sur un signe de l’homme en blanc, ils s’inclinèrent devant l’aubergiste et montèrent dans leurs chambres. Le parquet craqua et gémit sous le martèlement de sept paires de bottes.
 " Le bonsoir à vous, messire " fit dame Maud en s’inclinant, voyant que son mari n’avait pas l’intention d’entamer la conversation. En fait, il paraissait très occuper à nettoyer une table dans les moindres recoins. " C’est effectivement nuit de fête. Pourquoi ne prendriez vous pas une coupe de notre excellent vin ? Je suis sûr que vous mourez d’envie de vous joindre aux farandoles ! " Son sourire paraissait forcé, mais elle alla néanmoins chercher un cruchon sur une des tables, et commença à remplir un gobelet. Le Chasseur la regarda faire, puis secoua la tête.
 " Pas de vin, merci. Je monte me coucher. Nous avons besoin de dormir. J’espère que votre… fête ne se prolongera pas trop tard, le bruit est insupportable. " Le sourire de dame Maud se figea. " Une région intéressante que la vôtre, aubergiste. De nombreux potentiels, et de nombreuses surprises. "
 
 Mahlin sursauta. Avaient-ils attrappé Pietr ? Erhman affirmait pourtant que nul ne pouvait trouver ce dernier s’il cherchait à passer inaperçu. Et s’ils l’avaient trouvé, que lui avaient-ils fait ? Visiblement, le petit homme rondouillard n’était pas avec eux.
 La même interrogation dut se faire jour dans l’esprit de l’aubergiste, car celui-ci cessa de s’intéresser à sa table pour croiser le regard du Chasseur.
 " Oh ? Vous avez trouvé l’alchimiste ? " fit-il d’une voix traînante. " Félicitations. "
 L’homme en blanc le regarda un instant, le visage de pierre.
 " Non, nous ne l’avons pas trouvé. Mais qui se soucie d’un alchimiste raté ? Non, nous avons trouvé bien mieux. " Il eut l’air d’hésiter un instant, et son regard se posa sur les deux jeunes gens, près de la porte. " Bien mieux. Sur ce, je vais me coucher. Bonne nuit. Demain sera une rude journée. "
 Sans un mot de plus il fit demi-tour, ignorant les regards meurtriers que lui lançaient le couple d’aubergistes. On entendit ses bottes claquer sur les marches, puis une porte s’ouvrit et se referma. Et ce fut le silence.
 " Quel odieux bonhomme " grinça dame Maud entre ses dents. " Je ne sais pas ce qui me retient de les jeter dehors à coups de pieds dans le derrière, tous autant qu’ils sont ! Et pourtant, les Couleurs savent que je ne suis pas une femme violente. " Elle disait cela, et elle faisait craquer ses jointures avec colère.
 " Ils ne cherchent qu’à se faire remarquer " temporisa Erhman avec un soupir. " Mieux vaut ne faire semblant de rien, et attendre qu’ils partent. Deux jours, ils ont dit. Pas plus. Tu pourras tenir ? " Il eut un tendre sourire pour son épouse, et elle le lui rendit.
 " Deux jours. Pas plus. Je vais essayer. " Son regard erra dans la pièce, sans but, puis se fixa sur les jeunes gens. Son visage se décomposa. " Oh, mes pauvres enfants, comme je m’en veux que vous ayez vu cela ! Ces odieux mages ! Il faudrait les brûler, tous autant qu’ils sont, voilà ce que je dis ! Mais ils sont couchés, maintenant, et la nuit ne fait que commencer ! "
 
 Betingel resta un instant serrée contre Mahlin, puis elle se secoua.
 " Vous avez raison ! Viens, Mahlin ! Montre-moi un peu si tu es un si mauvais danseur ! "
 Son éclat de rire se perdit dans la musique qui résonnait dehors. Partout, les gens dansaient et riaient. Le barde était invisible, avalé par la foule, mais sa musique résonnait toujours, avalant les autres instruments, guidant la mesure, rajoutant une part de rêve aux mélodies les plus ordinaires. En ce moment, les musiciens jouaient Une femme de plus pour le fermier Galowin, et le rythme endiablé parut faire son effet sur Betingel. Sans hésiter, elle prit sa place dans les lignes qui se formaient, et Mahlin se retrouva, il ne savait comment, devant elle.  
 " J’adore cette chanson ! " hurla-t-elle pour se faire entendre, riant tout en parlant. Ses cheveux volaient en tous sens alors qu’elle bondissait au rythme de la musique, et Mahlin ne pouvait qu’admirer. Il se savait incapable de la suivre, et aurait en temps normal choisi une cavalière qui l’eût fait moins remarquer. Ou bien Shani. Mais il n’avait pas vraiment le choix. Et il commença à trouver les pas.
 " Voilà, très bien ! Mais dis-moi, on dirait que tu as fait cela toute ta vie ! " railla-t-elle alors qu’il trébuchait.
 " Je t’avais prévenu… "
 " Je plaisantais ! Tu es mon danseur préféré ! "
 La musique s’élevait et retombait alors que la voix grave, quelque part derrière ce mur de corps en sueur, continuait à relater les tribulations du fermier Galowin et les colères de son épouse.
Elle était blonde et avait un mari
Mais elle lui plut, il lui sourit
 Et le soir, quand la lumière faiblit,
Quand la lune cache les ébats interdits,
 Elle le rejoignit dans le foin de l’étable à vaches,  
 La troisième femme du fermier Galowin !

 Pauvre fermier Galowin, avec toutes ses femmes. Mahlin était bien en peine de se débrouiller avec une seule, qui lui tourbillonnait présentement dans les doigts, corrigeant avec adresse ses écarts de rythme. La musique était prenante, la voix était captivante, et il dansait sous les étoiles. Où diable était Shani ?
 Et il riait de leurs discours,
" L’amour n’est qu’un poison amer "
 Et comme le fermier Galowin
 Les hommes changent de cavalières !

 Batingel lui lança un regard pétillant, et ils furent séparés alors que tous les hommes bougeaient d’un rang vers la droite, se trouvant à danser avec une nouvelle fille. Mahlin faisait désormais face à une jeune demoiselle en robe de soirée bleue, et certainement chère. Une fille de marchand, certainement. Elle le bouscula en dansant, riant des erreurs qu’il faisait comme des siennes propres. Un roulement de tambour, et il changea de nouveau de cavalière.
…A votre place et sous la lune
 Que ferait ce cher Galowin ?

 Rien, il ne ferait rien avec celle-ci, en tout cas, constata Mahlin en étreignant celle qui dansait avec lui désormais. La quarantaine passée, elle riait fort et sentait la sueur. Il ne fut que trop soulagé de changer de nouveau au couplet suivant. Et Shani se retrouva dans ses bras.
 Et qui pourrait lui reprocher
 De les avoir toutes embrassées
 Agé mais en bonne santé
 C’est notre fermier Galowin !

 " Je ne t’ai pas vu de la soirée " constata Mahlin avec un sourire espiègle. " A croire que tu te cachais ? "
 Elle lui écrasa le pied avec une douceur sadique.
 " J’écoutais le barde, comme tout le monde. Quelqu’un m’avait réservé une chaise, n’est-ce pas gentil ? "
 Il la fit tournoyer autour de lui d’une pression de la main, puis la rattrappa de justesse et se lança à son tour dans un mouvement qu’il espérait fluide
 " Oui, moi aussi j’ai pu trouver un endroit agréable. Et je n’imaginais pas les bardes comme ça. "
 Tout pour détourner la conversation de Toni Broadhelm et Betingel. La musique s’arrêta sur une dernière note triomphale, alors que le fermier se mariait pour de bon mais continuait de consoler ses autres femmes. Tout le monde applaudit, essoufflé. Les couples séparés se reformaient lentement, alors qu’une vielle commençait à jouer une mélodie douce. Dieu du Foyer, si seulement Betingel voulait bien traîner un moment de plus à le chercher !
 " C’est une nuit féérique " commenca-t-il, se sentant un peu maladroit, alors que Shani, après avoir promené son regard dans la foule comme pour chercher quelqu’un, se tournait de nouveau vers lui. " Profitons-en. Demain, nous rentrons chez maître Khorr "
 " Oui. C’est la première fois que nous arrivons à Longue-Rivière en pleine fête. Je dois dire que c’est agréable ! "
 Elle se laissa enlacer au rythme de la musique, distante et pourtant si présente. Pendant un moment, ils ne parlèrent pas. Ces chansons ne durent jamais assez, et la vielle se tut finalement, dans une atmosphère de calme surprise.
 " Mahlin ! Où est-ce que tu étais ? "  
 Betingel se matérialisa soudain devant lui, cheveux en bataille, toute excitée, martelant sa poitrine de ses petits poings.
 " Tu devrais avoir honte de me laisser comme cela à la merci de tous ces hommes ! Tu n’as donc aucune fierté ? Viens ! "
 Elle ne jeta d’abord qu’un bref regard à Shani, puis la toisa de nouveau, suspicieuse.
 " Tu permets que je te l’emprunte ? " Hochement de tête. " Merci. "
 La musique devenait de plus en plus douce, et Mahlin se retrouva séparé de Shani, la tête de Betingel sur l’épaule. Shani lui lança un regard noir, puis elle se détourna. Et étouffa de justesse un cri de surprise alors qu’il venait vers elle.
 Il était grand, et paraissait un peu perdu. La capuche qui avait jusqu’alors recouvert son visage était repoussée en arrière, découvrant des traits d’une beauté stupéfiante. Une beauté sereine qui n’appartenait qu’aux héros statufiés. Non, quelle statue pouvait bien retranscrire une telle… une telle splendeur ? Reprends-toi, ma fille. Elle tenta de détourner les yeux, mais c’était au-dessus de ses forces. Sa démarche féline était hypnotisante. Il avait de longs cheveux blonds, fins, libres, qui lui donnaient un air androgyne. Mais sa beauté n’en était que plus frappante Et il marchait droit sur elle !
 " Bonsoir… m’accordez-vous cette danse ? "
 Les yeux de Mahlin lui sortaient la tête. Que faisait ce Chasseur ici, alors que les autres étaient couchés ? Et avec Shani ? Comme si Toni ne suffisait pas. Refuse, ma grande. Refuse !
 " Avec plaisir " répondit-elle. Son sourire était hésitant. Elle avait légèrement rougi et jamais elle n’avait été plus belle que sous cet éclairage diffus. Le mage s’inclina avec grâce et lui prit la main pour l’attirer à lui. Ils commencèrent à danser. Il dansait bien.
 " Comment vous appelez-vous ? " demanda Shani à un moment
 " Dous " fut la réponse.
 A la fin de la chanson, la musique baissa puis s’arrêta, et ils se séparèrent. Sans prendre garde au bras de Betingel, Mahlin tapota l’épaule du mage.
 " Excusez-moi de vous déranger, mais que faites-vous ici ? Je croyais que vous deviez dormir avec les autres, en prévision d’une dure journée ? " A peine avait-il parlé qu’il se rendit compte combien il devait paraître impoli. Mais il ne se sentait pas de bonne humeur. Et la beauté aristocratique de l’homme le frappait comme un soufflet.
 Dous ne parut pas offensé. Il lissa les pans de sa toge d’une main tranquille.
 " Je ne fais pas partie des Chasseurs, je me suis simplement joint à eux ; il se trouvait que je passais par là. Donc, je ne réponds aux ordres de personne. Les autres se prennent bien trop au sérieux, mais cela fait bien longtemps que je n’ai pas participé à une fête ou un bal. " Il hocha la tête, pensif. " Oui, bien trop longtemps. Ca me manquait. J’espère que vous ne voyez pas d’inconvénients à ce que je me joigne ainsi à vous ? "
 " Non, aucun " firent Shani et Batingel de concert alors que Mahlin avait encore la bouche ouverte, sur quoi Betingel ajouta d’un ton de conspiratrice : " nous ferions mieux de les laisser seuls, ne crois tu pas Mahlin ? Allez, viens ! " Elle aussi était restée bouche bée devant le visage du mage, mais celui-ci ne lui accorda pas même un regard.  
 La danse suivante commençait, et il ne prêta que peu d’attention aux pas, les yeux fixés sur Dous.  
 " …cela doit être un travail passionnant " disait Shani.
 " Oui, c’est ce que la plupart des gens disent. Mais je dois dire que je le trouve ennuyeux par moments. La discipline est bien trop sévère, et on se demande parfois pourquoi il nous faut traquer avec tant d’acharnements de pauvres herboristes qui n’ont jamais fait de mal à personne. Prenez ce Pietr, par exemple. Quel mal peut-il faire ? Les gens parlent plus facilement devant moi que devant les autres, vous savez. Je ne sais pas pourquoi. Mais d’après ce que j’en ai appris, cet homme ne ferait pas de mal à une mouche, et ses remèdes sont même parfois efficaces " Il gloussa " C’est rare, de nos jours. Et pourtant, notre travail est de le chasser et de le traîner de force à l’Université, ou de le faire passer en jugement. Non, je ne dirais pas que c’est passionnant. "
 Ils dansèrent un moment en silence. La musique devint plus forte, et cacha la plupart de leur conversation. Mahlin se mordit les lèvres de frustration, entraînant insensiblement sa partenaire près du couple. Betingel riait et fredonnait au rythme de la musique. Un autre soir, il l’aurait trouvée attirante. Ce soir, il avait une furieuse envie de la noyer dans la fontaine du village. La musique se calma, et de nouveau il put distinguer leur discussion.
 " Nous risquons de nous attarder un peu dans le coin " racontait le mage.
 " Oh ? " demanda poliment Shani. " Mais vous disiez vous-même que cet alchimiste n’avait que peu d’importance ? Vous feriez mieux de le laisser exercer tranquillement, dans ce cas. Le village a besoin de lui, vous savez… "
 Dous hocha doucement la tête.
 " Il s’agit bien de cet alchimiste. Non, il y a un autre problème, par ici. La forêt… "
 Mahlin rata un pas de danse, et faillit tomber. Batingel lui sourit avec indulgence.
 " Un problème ? Dans la région ? Que les Couleurs me protègent, mais nous sommes aux extrêmes bordures de l’Empire, qui irait s’enterrer ici ? "
 
 Dous lui lança un regard acéré.
 " Vous parlez bien mal de votre village. Je l’aime beaucoup, pour ma part. J’aime son ambiance et ses sourires. Si vous allez un jour dans une grande ville, et la vie est ainsi faite que vous irez certainement, vous constaterez combien les sourires sont une denrée précieuse. Et, pour répondre à votre question, de nombreux opposants au Conseil des Mages, des rebelles, des hors-la-loi, se réfugient dans les endroits les plus inaccessibles. C’est justement le côté perdu de cette région qui en fait un endroit tout désigné pour de tels individus… "
 Son visage s’était fermé alors qu’il parlait. Il parut s’en rendre compte, et l’instant d’après il était de nouveau tout sourire.
 " Mais ne parlons pas de cela ici, nous sommes ici pour danser. Dansons ! "
 Shani rit et se mit à virevolter avec dextérité, mais ses lèvres restaient pincées, et un pli barrait son front. Elle finit par demander.
 " Que disiez-vous au sujet d’une forêt ? Vous voulez parler de la Forêt Hurlante ? "
 Dous inclina la tête.
 " La Forêt Hurlante ? Le nom est approprié… Oui, c’est bien de cette forêt donc je parle. Vous êtes vous déjà promené dedans ? Non ? C’est intéressant, vous savez. Il semblerait que quelqu’un maintienne cette forêt sous contrôle climatique. La température là-bas est bien plus douce qu’ici, et un vent tiède transporte les graines en tous sens pour aider la germination. "
 Il haussa les épaules.
 " Un mage vit sans aucun doute dans ces bois. Il est non autorisé. Demain, nous le débusquerons et nous le pendrons. "

n°3127991
Profil sup​primé
Posté le 03-07-2004 à 20:36:01  answer
 

Grenouille Bleue a écrit :

Oui, le début est moins glauque. Mais ne t'inquiètes pas, ça part bien assez tôt en live  :D  
 
Et voici le chapitre 3
 
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La nuit arriva dans l’effervescence générale. Tout le monde au village avait désormais appris l’arrivée du barde et, comme l’avait prévu Erhmar, le mot s’était répandu dans les villages voisins. On approchait de l’équinoxe de printemps, mais les nuits paraissaient encore longue à la campagne. Il y avait peu à faire, une fois le travail de la journée abattu. On discutait, on buvait, on se promenait. Souvent, on organisait des fêtes ou des bals. Mais rien de tout cela ne pouvait approcher la distraction que promettait un barde.
 Un barde ! Rien que le mot transportait quelque chose de magique, et on l’entendait rouler de chaumière en chaumière, alors que les ombres s’étendaient lentement sur la ville. Une à une, les chandelles s’allumèrent derrière les fenêtres, et les gens commencèrent à converger vers le Fil de l’Eau. Pas question de rester chez soi ce soir. Homme, femme, enfants, leurs yeux brillaient dans les lueurs des torches, et les rires résonnaient déjà dans la nuit. Quel spectacle cela serait ! Jamais un barde n’était venu dans la région depuis sept ans, clamaient les anciens. Sept ans ! Les enfants ouvraient des yeux ronds.
 
 Petit à petit, on voyait également affluer les charettes venues d’autres villages. Les gens y étaient entassés par groupe de six ou huit, et les chevaux essoufflés d’avoir été aussi poussés. De bons gros chevaux de labour, peu habitués au galop. On se saluait, on s’embrassait, on se retrouvait avec plaisir. Six heures de marches séparaient Longue-Rivière de Bois-Rouge, et cela seul rendait les rencontres assez rares pour être appréciées. Dans un roulement de sabots, quelques riches propriétaires arrivaient sur leurs montures. Eux aussi, malgré tout leur argent, se mêlaient avec plaisir à la foule et riaient de concert. Un barde ! Voilà une vraie distraction !
 Le village qui avait paru endormi pendant la nuit paraissait se réveiller au crépuscule. Les rues entraient en ébullition, et Mahlin avait bien du mal à se frayer un chemin dans la foule. Si seulement il avait eu les larges épaules d’Aarel, ou bien le sourire charmeur de Shani ! Mais, non, il écrasait des pieds à gauche et à droite en murmurant de vagues mots d’excuse, fendant la foule à la recherche de deux tresses. Deux tresses blondes, avec un nœud bleu, si sa mémoire était correcte. Un joli brin de fille, s’il avait pris la peine de la pousser dans le canal. Et il avait besoin de compagnie, de quelque chose pour lui faire oublier le sourire que Shani avait dédié à ce grand dadais de Toni Broadhelm. Non, vraiment, comment pouvait-elle lui sourire ainsi ? Elle devait pourtant se rendre compte qu’il n’était qu’un vulgaire charmeur au rictus trop carnassier.  
 
 Maugréant tout bas, il continua à marcher, esquissant un sourire poli dès lors qu’il croisait quelqu’un.
 " Ah, tu es là ! Viens vite, ça va commencer ! " Aarel apparut soudain à côté de lui et lui prit le bras. " La salle commune est déjà pleine à craquer, il faudra regarder de l’étage, j’ai réussi à trouver des places correctes, grâce à une certaine demoiselle que je ne nommerai pas. Mais dépêche-toi, ou je doute que Betingel patiente toute la soirée ! "
 Riant, moitié poussant moitié tirant, le colosse entraîna Mahlin en sens inverse, en direction de l’auberge. Là où Mahlin avait dû se faufiler, les larges épaules d’Aarel ouvraient un chemin sans aucune difficulté.
 " Betingel, tu dis ? "
 " Oui oui, c’est bien ce que je dis ! Mais je te préviens, elle n’a plus de tresses ! "
 Mahlin haussa les épaules, et dégagea son bras de la poigne de son ami.
 " Et tu dis qu’elle nous a trouvé des places ? "
 Aarel leva les yeux aux ciels.
 " Mais qu’est-ce que tu as, ce soir, à me faire répéter cent fois les mêmes choses ? Oui, oui, je te dis, mais dépêchons-nous, ou elle risque bien de changer d’avis. Et je veux voir ce barde, quoi que cela implique entre toi, et elle " Il riait ouvertement, maintenant.
 " Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? " grommela Mahlin. La foule était désormais assez dense pour que même Aarel ait à jouer des coudes. Lentement, péniblement, ils arrivèrent au pied de l’escalier qui montait à l’étage de l’auberge.Là encore, les gens se pressaient sur les marches, se dévissant le cou pour voir un spectacle qui n’avait pas encore commencé. Mahlin restait stupéfait devant cette foule. Comment un, voire deux villages, pouvaient-ils contenir autant de monde ?
 
 Enfin ils furent en haut. La vue de l’enfilement de chambre fit soudain hésiter Mahlin.
 " Et les Chasseurs ? Ils sont ici ? "
 Aarel secoua lentement la tête.
 " Non, ils ne sont pas encore rentrés. Je me demande si c’est bon signe ou non. Mais, crois-moi, ces gaillards ne sont pas du genre à lâcher prise s’ils ne font que renifler le début du commencement de l’odeur de Pietr. "
 " Oh, je veux bien te croire " acquiesca Mahlin en soupirant. Et puis toute pensée pour les Chasseurs disparut lorsqu’il reçut cent livres de fille dans le ventre.
 " Mahlin ! "
 Aarel hocha la tête avec componction.
 " Mahlin, je te présente Betingel. Betingel, voici Mahlin "
 " Je la connais " grogna le jeune homme, cherchant désespérément à voir quelque chose dans la semi-pénombre. Comme par un fait exprès, la torchère au-dessus de lui était vide. Puis Aarel cessa de faire écran contre la lumière, et il put enfin distinguer ses traits.
 C’était bien Betingel, il n’y avait pas à se tromper là-dessus. Pas de tresses, mais toujours elle. Et ses yeux étaient si grands et si humides qu’il se sentit mal à l’aise rien que de les regarder.
 " Ecoute… " fit-il. " Je… "
 " Je n’arrive pas à y croire ! " faisait-elle en même temps. " Un barde à Longue-Rivière, et toi qui arrives le même soir ! Quelle coïncidence, c’est fabuleux ! "
 Ses souvenirs étaient vraiment confus. La dernière fois qu’il l’avait vue, elle s’était montrée si insupportable et agressive avec lui qu’il s’était vu contraint de lui rafraîchir les idées. Etait-ce vraiment Betingel qui se blotissait maintenant contre lui ? Alors que tant de villageois se trouvaient autour ? Il se dégagea doucement, et s’assit sur le sol, les jambes pendantes par dessus la balustrade.
 " C’est vraiment gentil de ta part de nous avoir trouvé ces places " fit-il en souriant de manière distante. C’était vrai. C’était parfait.
 
 De là où il était perché, il pouvait embrasser toute la salle commune. De nombreuses torches se consumaient aux murs. Les tables étaient toutes remplies, et Erhmar, sa femme et son apprenti avaient fort à faire pour servir tout le monde, malgré tout ce qu’ils avaient pu cuisiner et préparer durant l’après-midi en prévision de la soirée. Tout un coin de l’auberge avait été libéré de ses tables et, malgré l’affluence, personne ne se risquait dans cet espace libre. C’était la scène, et le barde n’allait pas tarder. Il réalisa soudain que Betingel n’avait cessé de lui parler. Se sentant coupable, il reporta son attention sur elle.
 " …de ma vie ", disait-elle en ce moment même avec un sourire espiègle. " Et pourtant je suis déjà allée à Trabor, une fois, avec mon père. Tu connais Trabor ? "
 " De nom " fit-il dans un vain effort pour s’intéresser à autre chose que les dais de couleurs que l’on était en train de placer sur la scène. " De nom. Tu dis que tu y es allée ? A quoi est-ce que cela ressemble ? " A gauche de lui, les yeux rivés sur la salle, Aarel grignotait un morceau de pain en évitant soigneusement de glisser un regard vers eux.  
 " Oh, eh bien, à une ville je suppose " expliqua Betingel avec complaisance. " Il y a du monde, beaucoup de monde. Chaque rue est remplie d’au moins autant de personnes que ceux qui s’entassent ici ce soir, tu sais, et il y a des centaines de rues ! Et des ruelles, avec des pavés dorés, et des gens en habits de soie, et des chevaux partout, et… "
 
 Mahlin suspectait qu’une grande partie de cela était exagéré, mais il finit tout de même par s’intéresser à la description qu’elle faisait. Non, ce n’était pas Shani, et son discours était la plupart du temps fatigant pour ce qu’il avait pu en juger, mais cela ne le dispensait pas de se montrer courtois et agréable… quitte à la replonger dans la rivière si jamais elle se montrait trop insupportable.
 Le brouhaha dans la salle avait subtilement changé. Les gens avaient cessé de discuter d’eux, de leurs enfants, de leur ferme, de leur vie, pour attendre dans l’expectative. Des cris s’élevaient en de nombreux endroits, réclamant le barde.
 Et les torches furent soufflées par un vent mystérieux. Et le barde vint.
 " Aaaaaaaah ! "
 
 Ce fut d’abord une forme sombre sur la scène, grande et dégingandée, qui se découpait uniquement par la grâce de la lueur lunaire. Puis les torches autour de lui se rallumèrent, et il apparut enfin clairement. Un homme de haute taille, aux cheveux longs et fins, rassemblés en un catogan comme celui de Mahlin. Il portait une tunique multicolore, qui semblait briller malgré le manque de lumière. Sa cape traînait sur le sol, et chacun de ses mouvements la faisait voler. Elle accrochait les regards, cette cape, si sobre et pourtant si lumineuse. Le silence se fit progressivement dans la salle. Bientôt, on n’entendit plus qu’un ou deux éclats de voix, puis plus rien. L’assistance retenait son souffle. Mahlin grogna lorsque Betingel, fascinée, lui planta ses ongles dans le gras du bras.
 Le barde se dressa, les yeux inquisiteurs. Un geste, et une harpe se matérialisa dans ses mains. Il y eut des " aaah " et " oooh " dans la salle. Si Mahlin n’avait pas été posté en altitude, lui non plus n’aurait pas vu le geste fluide qu’avait eu l’artiste pour sortir l’instrument de sous sa cape. Et la musique s’éleva.
 
 Quelques notes sonnèrent, douces et tranquilles, hypnotiques. Puis les notes devinrent accords, et les accords se fondirent en une mélodie, une mélodie apaisante, et triste.
 " Je chante. " fit le barde d’une voix monocorde. " Je chante pour les héros d’un autre temps. Je chante leurs victoires et leur défaites, le poids de la trahison et le choc de l’acier. " Lentement, sa voix s’anima. " Je chante l’héroisme des guerriers et les pouvoirs des mages. Je chante les armées en marche, la fatigue et la peur. Je chante les combats qui furent livrés, je chante les morts et les vivants, ceux qui tombèrent et furent oubliés, ceux dont le nom résonne encore, ceux qui sauvèrent le monde et ceux qui voulurent le condamner. Je chante la Guerre des Dix Mois et l’Apocalypse évité. "
 La voix était désormais chargée de passion alors que des yeux fiévreux parcouraient la salle. Personne ne bougeait, personne ne parlait.
 " Je chante Brajan De’Stil et ses pouvoirs fabuleux, je chante la gloire du héros tombé. Ecoutez, et réjouissez-vous, car Brajan combattit, et Brajan gagna. Je chante les mages à ses côtés." La musique s’arrêta une fraction de seconde, pour reprendre avec plus d’entrain. Le récit commençait réellement. Tout le monde, dans la salle, connaissait l’issue de la Guerre, et les exploits des Mages. C’était quelque chose que l’on racontait aux enfants au coin des veillées, les yeux dans le vague et le sourire aux lèvres. C’était une histoire que tous ici avaient entendu. Mais ce n’était pas la même chose. Non, pas la même chose.
 " … et le soleil roulait sur ce champ qu’on appellerait plus tard la Plaine de la Victoire. Les soldats, réunis autour du conseil des Mages, n’avaient pas encore conquis ce nom au fil de leur lame. Le vent se levait du sud, et il sentait la mort. Tous ici savaient qu’ils allaient confronter un Mal plus profond que ce qu’ils avaient jamais vu. Les visages étaient durcis par la tension. Tous des braves, tous des héros. Aucun ne fit demi-tour, et aucun ne fuit lorsque le contact se fit. Le Maudit guidait lui-même ses légions, et sa force était sans limites. Avec lui venaient les Ombres, avec lui venaient les démons, avec lui venait la mort. Elle était là, perchée sur son épaule, tant il avait appris à la domestiquer. Elle astiquait sa faux, et elle riait, car sa moisson serait bonne. Et les guerriers virent sa faux, et ils l’affrontèrent sans ciller, car ils savaient qu’ils n’avaient pas le choix. Et derrière ces guerriers, il y avait les mages. Le conseil des mages, sa gloire et sa grandeur. Brajan De’Stil, qui jamais n’hésita et jamais ne s’adoucit, et qui donna sa vie pour la terre que nous possédons. Horemon le rouge, dont le rire était aussi puissant que ses pouvoirs, et dont le poing toujours défia la faucheuse. Teklan le jaune, sa force et sa vaillance, et la lumière qu’il apporta dans tous les cœurs. Rhodaz le bleu, qui fit se lever la mère de toutes les tempêtes, pour balayer le champ de bataille et le purifier de ses scories, pour disperser l’armée du Ténébreux aux quatre vents. Et Polis, et Mathiez, et Jin, et Topaze, à la beauté sans égale. Et tous se lançaient à corps perdu dans le combat, car eux aussi savaient que cette bataille serait la dernière. Et le Maudit les railla, le Maudit les moqua, le Maudit contra leurs pouvoirs avec les siens, car telle était sa puissance que rien ne pouvait l’inquiéter. Le Maudit piétina leur vaillance, s’abreuva de leur désespoir, et toujours son pouvoir grandissait. "
 
 Il y eut des gémissements dans la salle. De toutes parts, les gens se mettaient à pleurer. Quelques rudes fermiers au visage austère se retrouvaient à gémir devant la vision d’apocalypse que le barde dépeignait. Les enfants, sur les genoux de leurs parents, se cachaient la tête dans les mains, et leurs pleurs résonnaient dans la salle. Tout le monde savait comment l’histoire se terminait, mais il était difficile de faire la part des choses alors que le barde recréait tout cela devant eux. Mahlin se surprit à trembler devant l’évocation si réaliste du Déchu. Betingel s’était à un moment ou à un autre blottie contre lui, et il ne l’avait pas repoussée. Elle serrait sa main fermement dans la sienne, une petite main blanche de gamine terrorisée. Quel âge avait-elle ? Pas plus de dix-sept ans, certainement. Il se sentit un peu coupable, puis sursauta lorsque la voix du barde prit de nouveau de l’ampleur.
 " Les épées gisaient sur le sol, les casques et les cuirasses étaient brisées. Les cadavres jonchaient la plaine, et la Mort riait de plus belle, car elle savait comment tout cela allait finir. Mathiez était tombé au milieu des flammes qu’il n’avait cessé de créer. De Polis la Sage, il ne restait plus que des cendres fumantes, et cendres également devinrent les plantes qu’elle chérissait. Horemon l’invincible tomba à son tour, après que mille coups aient écorché son corps d’acier jusqu’à le dépecer vivant. Et Teklan, et Jin, et Topaze, dont la beauté venait d’entrer dans la légende, et dont les illusions ne furent d’aucun effet contre Celui Qui ne Rêvait Pas. Tous, ils tombèrent, car tous, ils se battirent jusqu’au bout. Amis, ne pleurez pas leur mort, car c’est ainsi qu’ils l’ont voulu, et ainsi sera révérée leur mémoire. Et Brajan De’Stil se trouva face à face avec le Déchu."
 " Il va le battre ! Il va le battre " chuchota Betingel, toute excitée. Mahlin lui sourit. Aarel, dans l’ombre, arborait un rictus de loup, et ne cessait de caresser sa hache. Nul doute que s’il avait été là, aux côtés de Brajan, celui-ci n’aurait pas eu à se sacrifier.
 " Le silence était total. Les combats cessèrent, car il est dit que la Mort cessa sa moisson, cessa de faire ce qu’elle faisait de toute éternité, pour regarder le combat. Et seule elle savait qui elle allait emporter dans son royaume, où il n’y a plus guerre ni bataille, rien que le néant et le froid. "
 
 " Brajan va gagner ! " hurla quelqu’un dans la salle. Des cris d’approbation lui répondirent de toute part, puis se calmèrent alors que tous se penchaient en avant pour entendre la suite.
 " Le combat fit rage durant huit jours et neuf nuits " continua le barde, perdu dans sa musique. " Car si la Vie peut chasser les Ténèbres, celles-ci peuvent corrompre toute chose. Les sortilèges les plus puissants jamais crées furent lancés cette semaine là, et jamais l’énergie ne semblait leur manquer. Leurs coups étaient de plus en plus puissants, et leurs boucliers faiblissaient au fil des jours. Le premier jour de leur affrontement vit la mort de tous les êtres qui combattaient sous une bannière ou une autre. Et, alors que la Mort regardait le combat, ainsi regardèrent toutes ces âmes, qui attendaient d’être conduites dans l’au-delà. "
 La musique s’arrêta. Le silence dura pendant près d’une minute, puis les spectateurs s’ébrouèrent de toute part. Cela ne pouvait pas être fini, pas comme ça, pas maintenant. Betingel ouvrit des grands yeux interrogateurs, et Mahlin ne put que hausser les épaules, frustré. Puis il sursauta lorsque un grand crépitement se fit entendre, comme si un éclair s’était abattu sur l’auberge. Et la musique reprit, forte, forte, puissante !
 " Et Brajan hurla son désespoir de se faire inexorablement repousser, et son bouclier finit par voler en éclats. Et le Maudit clama sa victoire en réunissant toutes ses forces. Les ténèbres se concentrèrent entre ses mains, et la lumière fut absorbée de toutes parts. Cette attaque signait la fin de Brajan, la fin des huit royaumes, l’ Apocalypse. Et l’attaque fusa, et toute vie disparut sur la trajectoire de cette boule de ténèbres, tant puissante était son pouvoir." Une pause, courte, très courte, dans la musique. " Mais Brajan n’était pas là. Brajan n’était plus là. De ses dernières forces, agonisant déjà, il avait utilisé sa dernière carte. L’énergie noire, si noire, ne traversa qu’une illusion, et le Déchu hurla sa rage. Et Brajan sourit, car il sut qu’il pouvait gagner. Pour cela il s’était sacrifié, et avait sacrifié ses pouvoirs. L’énergie blanche qu’il avait utilisée jusque là, dans laquelle il avait puisé durant huit jours et neuf nuits, se dissocia, et les sept couleurs rayonnèrent en lui. Déjà il s’était inconsciemment servi du Violet pour créer une image de lui. Et dans cette semi-conscience, il appela les autres Couleurs. Et la Terre se souleva, et les Cieux s’ouvrirent, et la Foudre tomba. Et l’Eau se mit à bouillonner en lui, et le Feu jaillit de sa main pour terrasser le Ténébreux. Et, sous une aube écarlate, Brajan frappa. " La musique cessa d’un seul coup, après avoir atteint des sommets. " La Mort se retira, emportant avec elle Brajan et Hermon, au nom désormais maudit. Devant un tel tribut, elle négligea les âmes des morts qui avaient assisté au combat, et ceux-ci se répandirent de par le monde pour propager la nouvelle. La nouvelle de la Dernière Bataille, et de la Victoire. " Le barde laissa retomber sa voix. " De la Victoire. Ainsi on m’a rapporté l’histoire, et ainsi je vous la transmets. Ainsi elle se transmettra, et jamais ils ne seront oubliés. Brajan,  Jin, Maerthe, Polis, Teklan, Rhodaz, Horemon, Topaze à la beauté éternelle. Brajan. Dans la Plaine de la Victoire ils reposent, et nul autre endroit ne leur aurait convenu. "
 Il se tut, pour de bon cette fois. Mais, à la différence de ses autres interruptions, personne ne bougea ni ne parla durant un certain temps. Il ne fallait surtout pas briser la magie. Le Ténébreux était vaincu. L’histoire était terminée, et le monde était sauvé.
 
 Quelque part, au fond de la salle, à droite, un timide applaudissement retentit. Un autre lui fit écho, puis un autre. Quand Mahlin retrouva assez d’énergie pour frapper dans ses mains, c’était un véritable tonnerre d’applaudissements qui déferlait sur la salle. Tous, ils applaudissaient. Ils criaient et ils hurlaient, les parents, les enfants, les garçons et les filles, tous payaient leur tribut en applaudissant. Le barde s’inclina une fois, deux fois. Même à cette distance, Mahlin pouvait remarquer la sueur qui lui coulait sur le front. Il avait les yeux dans le vague, et l’air perdu, comme s’il avait lui aussi vécu l’histoire qu’il racontait, et replongeait brutalement dans la réalité.
 Les cris et les applaudissements ne se calmèrent pas avant un bon moment, et Mahlin n’était pas le dernier à hurler. A côté de lui, Aarel s’époumonait. Betingel n’applaudissait pas, car cela l’aurait obligée à lâcher le pourpoint de Mahlin ; mais elle criait comme les autres. Jusqu’au moment oà l’aubergiste, suant et soufflant, s’introduisit sur la scène, à côté du barde, mains levées pour réclamer le silence.
 " Du calme, du calme ! Je vous demande un peu de calme, s’il vous plaît ! " Le tumulte diminua progressivement, jusqu’à cesser complètement. Les yeux brillaient dans l’obscurité. " Permettez-moi de vous présenter Maître Sheez, qui a fait un long chemin pour venir jouer dans nos régions. Malgré son talent certain, il a choisi une vie hasardeuse pour distraire les villages les plus reculés, et je crois que nous lui devons une ovation ! " Les gens hurlèrent et piétinèrent, et des vivats s’élevèrent de toute part. " Je crois qu’il n’y a pas besoin de parler plus avant, vous avez tous entendus la Geste des Mages. " Il fronça un sourcil de manière comique. " Que les enfers m’engloutissent, mais je n’aurais jamais imaginé que tout cela se soit passé ainsi. Quelle bataille, mes amis, quelle bataille ! " Il y eut des rires dans la salle. " Mais je vois que je vous dérange, ce que vous voulez, c’est le barde, pas mes radotages – que vous avez d’ailleurs amplement le temps d’apprécier lorsque vous venez boire ici ! " D’autres rires. " Sur ce, je vais vous demander de bien vouloir quitter mon auberge et d’investir les rues ! Ce soir, vous allez danser, je vous le promets ! Et n’oubliez pas, lorsque vous vous sentez fatigués, de venir prendre un verre de vin dans mon auberge ! Le meilleur vin de la région ! " Huées. " Place à la danse ! " Cris.
 
 Mahlin poussa un léger soupir. Il aurait bien aimé que le barde enchaîne sur une autre histoire. Il y en avait tant à raconter. La Geste des Compagnons, le Bastion des Ames, les Prouesses du Roi des Saules… Tant de contes et de légendes qu’il avait lues avec passion dans les lourds grimoirs de maître Khorr, et qui pouvaient prendre vie sous ses yeux, pour peu que l’homme, en bas, sur la scène, s’en donnât la peine.  
 " C’était si merveilleux… " murmura Betingel, collé à lui, les yeux dans le vague. Il faillit bondir de côté. Il avait presque oublié sa présence, tout au spectacle. " Tu viens danser ? "
 " Danser ? Je… je ne sais pas. Je n’ai jamais été un très bon danseur… "
 " Je t’apprendrai ! Allez, viens ! " Elle se leva d’un bond, et s’étira en gémissant. " Par les Couleurs, combien de temps sommes-nous restés là ? Je me sens toute engourdie ! "
 Mahlin se leva, lui aussi, et grimaça. Il avait des fourmis dans les jambes.
 " Je ne sais pas, mais plus de deux heures, je dirais. Je crois bien que j’ai perdu la notion du temps… "
 " Raison de plus pour danser, tu vas voir, je saurai bien te réveiller ! "
 Elle lui saisit le bras d’une main autoritaire, et l’entraîna au bas de l’escalier, dont les marches avaient été désertées entre temps. En quelques minutes, l’auberge s’était vidée, comme par magie. On entendait au dehors le son du luth et du pipeau et, guidant la musique, la voix profonde du barde. Des rires et des encouragements fusaient de partout. Dans la salle commune de l’auberge, il n’y avait plus qu’Erhman et son épouse, occupés à restaurer hâtivement un semblant d’ordre. Dame Maud écarquilla les yeux en les voyant.
 
 " Eh bien eh bien, vous êtes encore là ? Dépêchez-vous, ce serait tout de même dommage de rater le bal, surtout un bal comme celui-là ! Ah, si j’avais votre âge, vous pouvez parier que j’y serais en ce moment, en train de faire tourner ma jupe sur La Fille du Cordonnier. Mais oui, j’ai été jeune moi aussi, vous savez ? "
 " Vous avez besoin d’aide, peut-être ? " demanda poliment Mahlin, appréhendant déjà les premiers pas de danse. Erhman releva la tête et le regarda comme s’il le voyait pour la première fois.
 " De l’aide ? Cette nuit ? Mais la nuit est à vous, jeunes gens, allez-y ! Oubliez-nous, nous nous débrouillerons bien tout seul, allez. Notre apprenti est parti danser, ce n’est pas pour que nous embauchions d’autres bras. Allez, allez, déguerpissez ! " Il agita son torchon comme pour chasser des mouches..
 " Tu vois bien, qu’ils n’ont pas besoin de nous " fit Betingel, contrariée. " Il fut un temps où tu étais plus empressé… "
 " Je suis poli, c’est tout ! " protesta Mahlin, mais déjà il se faisait entraîner vers la porte. Il haussa les épaules et lança un regard impuissant à l’aubergiste.
 " Les femmes… " répondit celui-ci en riant. Puis son rire mourut alors que la porte s’ouvrait et qu’une cape blanche se déployait dans l’entrebaillement de la porte. Betingel poussa un petit cri et se réfugia derrière le dos de Mahlin. Le jeune homme fronça les sourcils.
 " C’est une belle nuit, aubergiste " constata le Chasseur en rentrant. " Une nuit de fête et de noce. Je suis surpris de voir un barde dans un village aussi reculé. " L’homme en robe violette entra sans un bruit derrière lui et, sans un regard pour la salle commune, monta l’escalier.  
 Derrière lui, les visages toujours aussi fermés, arrivaient les autres. Sur un signe de l’homme en blanc, ils s’inclinèrent devant l’aubergiste et montèrent dans leurs chambres. Le parquet craqua et gémit sous le martèlement de sept paires de bottes.
 " Le bonsoir à vous, messire " fit dame Maud en s’inclinant, voyant que son mari n’avait pas l’intention d’entamer la conversation. En fait, il paraissait très occuper à nettoyer une table dans les moindres recoins. " C’est effectivement nuit de fête. Pourquoi ne prendriez vous pas une coupe de notre excellent vin ? Je suis sûr que vous mourez d’envie de vous joindre aux farandoles ! " Son sourire paraissait forcé, mais elle alla néanmoins chercher un cruchon sur une des tables, et commença à remplir un gobelet. Le Chasseur la regarda faire, puis secoua la tête.
 " Pas de vin, merci. Je monte me coucher. Nous avons besoin de dormir. J’espère que votre… fête ne se prolongera pas trop tard, le bruit est insupportable. " Le sourire de dame Maud se figea. " Une région intéressante que la vôtre, aubergiste. De nombreux potentiels, et de nombreuses surprises. "
 
 Mahlin sursauta. Avaient-ils attrappé Pietr ? Erhman affirmait pourtant que nul ne pouvait trouver ce dernier s’il cherchait à passer inaperçu. Et s’ils l’avaient trouvé, que lui avaient-ils fait ? Visiblement, le petit homme rondouillard n’était pas avec eux.
 La même interrogation dut se faire jour dans l’esprit de l’aubergiste, car celui-ci cessa de s’intéresser à sa table pour croiser le regard du Chasseur.
 " Oh ? Vous avez trouvé l’alchimiste ? " fit-il d’une voix traînante. " Félicitations. "
 L’homme en blanc le regarda un instant, le visage de pierre.
 " Non, nous ne l’avons pas trouvé. Mais qui se soucie d’un alchimiste raté ? Non, nous avons trouvé bien mieux. " Il eut l’air d’hésiter un instant, et son regard se posa sur les deux jeunes gens, près de la porte. " Bien mieux. Sur ce, je vais me coucher. Bonne nuit. Demain sera une rude journée. "
 Sans un mot de plus il fit demi-tour, ignorant les regards meurtriers que lui lançaient le couple d’aubergistes. On entendit ses bottes claquer sur les marches, puis une porte s’ouvrit et se referma. Et ce fut le silence.
 " Quel odieux bonhomme " grinça dame Maud entre ses dents. " Je ne sais pas ce qui me retient de les jeter dehors à coups de pieds dans le derrière, tous autant qu’ils sont ! Et pourtant, les Couleurs savent que je ne suis pas une femme violente. " Elle disait cela, et elle faisait craquer ses jointures avec colère.
 " Ils ne cherchent qu’à se faire remarquer " temporisa Erhman avec un soupir. " Mieux vaut ne faire semblant de rien, et attendre qu’ils partent. Deux jours, ils ont dit. Pas plus. Tu pourras tenir ? " Il eut un tendre sourire pour son épouse, et elle le lui rendit.
 " Deux jours. Pas plus. Je vais essayer. " Son regard erra dans la pièce, sans but, puis se fixa sur les jeunes gens. Son visage se décomposa. " Oh, mes pauvres enfants, comme je m’en veux que vous ayez vu cela ! Ces odieux mages ! Il faudrait les brûler, tous autant qu’ils sont, voilà ce que je dis ! Mais ils sont couchés, maintenant, et la nuit ne fait que commencer ! "
 
 Betingel resta un instant serrée contre Mahlin, puis elle se secoua.
 " Vous avez raison ! Viens, Mahlin ! Montre-moi un peu si tu es un si mauvais danseur ! "
 Son éclat de rire se perdit dans la musique qui résonnait dehors. Partout, les gens dansaient et riaient. Le barde était invisible, avalé par la foule, mais sa musique résonnait toujours, avalant les autres instruments, guidant la mesure, rajoutant une part de rêve aux mélodies les plus ordinaires. En ce moment, les musiciens jouaient Une femme de plus pour le fermier Galowin, et le rythme endiablé parut faire son effet sur Betingel. Sans hésiter, elle prit sa place dans les lignes qui se formaient, et Mahlin se retrouva, il ne savait comment, devant elle.  
 " J’adore cette chanson ! " hurla-t-elle pour se faire entendre, riant tout en parlant. Ses cheveux volaient en tous sens alors qu’elle bondissait au rythme de la musique, et Mahlin ne pouvait qu’admirer. Il se savait incapable de la suivre, et aurait en temps normal choisi une cavalière qui l’eût fait moins remarquer. Ou bien Shani. Mais il n’avait pas vraiment le choix. Et il commença à trouver les pas.
 " Voilà, très bien ! Mais dis-moi, on dirait que tu as fait cela toute ta vie ! " railla-t-elle alors qu’il trébuchait.
 " Je t’avais prévenu… "
 " Je plaisantais ! Tu es mon danseur préféré ! "
 La musique s’élevait et retombait alors que la voix grave, quelque part derrière ce mur de corps en sueur, continuait à relater les tribulations du fermier Galowin et les colères de son épouse.
Elle était blonde et avait un mari
Mais elle lui plut, il lui sourit
 Et le soir, quand la lumière faiblit,
Quand la lune cache les ébats interdits,
 Elle le rejoignit dans le foin de l’étable à vaches,  
 La troisième femme du fermier Galowin !

 Pauvre fermier Galowin, avec toutes ses femmes. Mahlin était bien en peine de se débrouiller avec une seule, qui lui tourbillonnait présentement dans les doigts, corrigeant avec adresse ses écarts de rythme. La musique était prenante, la voix était captivante, et il dansait sous les étoiles. Où diable était Shani ?
 Et il riait de leurs discours,
" L’amour n’est qu’un poison amer "
 Et comme le fermier Galowin
 Les hommes changent de cavalières !

 Batingel lui lança un regard pétillant, et ils furent séparés alors que tous les hommes bougeaient d’un rang vers la droite, se trouvant à danser avec une nouvelle fille. Mahlin faisait désormais face à une jeune demoiselle en robe de soirée bleue, et certainement chère. Une fille de marchand, certainement. Elle le bouscula en dansant, riant des erreurs qu’il faisait comme des siennes propres. Un roulement de tambour, et il changea de nouveau de cavalière.
…A votre place et sous la lune
 Que ferait ce cher Galowin ?

 Rien, il ne ferait rien avec celle-ci, en tout cas, constata Mahlin en étreignant celle qui dansait avec lui désormais. La quarantaine passée, elle riait fort et sentait la sueur. Il ne fut que trop soulagé de changer de nouveau au couplet suivant. Et Shani se retrouva dans ses bras.
 Et qui pourrait lui reprocher
 De les avoir toutes embrassées
 Agé mais en bonne santé
 C’est notre fermier Galowin !

 " Je ne t’ai pas vu de la soirée " constata Mahlin avec un sourire espiègle. " A croire que tu te cachais ? "
 Elle lui écrasa le pied avec une douceur sadique.
 " J’écoutais le barde, comme tout le monde. Quelqu’un m’avait réservé une chaise, n’est-ce pas gentil ? "
 Il la fit tournoyer autour de lui d’une pression de la main, puis la rattrappa de justesse et se lança à son tour dans un mouvement qu’il espérait fluide
 " Oui, moi aussi j’ai pu trouver un endroit agréable. Et je n’imaginais pas les bardes comme ça. "
 Tout pour détourner la conversation de Toni Broadhelm et Betingel. La musique s’arrêta sur une dernière note triomphale, alors que le fermier se mariait pour de bon mais continuait de consoler ses autres femmes. Tout le monde applaudit, essoufflé. Les couples séparés se reformaient lentement, alors qu’une vielle commençait à jouer une mélodie douce. Dieu du Foyer, si seulement Betingel voulait bien traîner un moment de plus à le chercher !
 " C’est une nuit féérique " commenca-t-il, se sentant un peu maladroit, alors que Shani, après avoir promené son regard dans la foule comme pour chercher quelqu’un, se tournait de nouveau vers lui. " Profitons-en. Demain, nous rentrons chez maître Khorr "
 " Oui. C’est la première fois que nous arrivons à Longue-Rivière en pleine fête. Je dois dire que c’est agréable ! "
 Elle se laissa enlacer au rythme de la musique, distante et pourtant si présente. Pendant un moment, ils ne parlèrent pas. Ces chansons ne durent jamais assez, et la vielle se tut finalement, dans une atmosphère de calme surprise.
 " Mahlin ! Où est-ce que tu étais ? "  
 Betingel se matérialisa soudain devant lui, cheveux en bataille, toute excitée, martelant sa poitrine de ses petits poings.
 " Tu devrais avoir honte de me laisser comme cela à la merci de tous ces hommes ! Tu n’as donc aucune fierté ? Viens ! "
 Elle ne jeta d’abord qu’un bref regard à Shani, puis la toisa de nouveau, suspicieuse.
 " Tu permets que je te l’emprunte ? " Hochement de tête. " Merci. "
 La musique devenait de plus en plus douce, et Mahlin se retrouva séparé de Shani, la tête de Betingel sur l’épaule. Shani lui lança un regard noir, puis elle se détourna. Et étouffa de justesse un cri de surprise alors qu’il venait vers elle.
 Il était grand, et paraissait un peu perdu. La capuche qui avait jusqu’alors recouvert son visage était repoussée en arrière, découvrant des traits d’une beauté stupéfiante. Une beauté sereine qui n’appartenait qu’aux héros statufiés. Non, quelle statue pouvait bien retranscrire une telle… une telle splendeur ? Reprends-toi, ma fille. Elle tenta de détourner les yeux, mais c’était au-dessus de ses forces. Sa démarche féline était hypnotisante. Il avait de longs cheveux blonds, fins, libres, qui lui donnaient un air androgyne. Mais sa beauté n’en était que plus frappante Et il marchait droit sur elle !
 " Bonsoir… m’accordez-vous cette danse ? "
 Les yeux de Mahlin lui sortaient la tête. Que faisait ce Chasseur ici, alors que les autres étaient couchés ? Et avec Shani ? Comme si Toni ne suffisait pas. Refuse, ma grande. Refuse !
 " Avec plaisir " répondit-elle. Son sourire était hésitant. Elle avait légèrement rougi et jamais elle n’avait été plus belle que sous cet éclairage diffus. Le mage s’inclina avec grâce et lui prit la main pour l’attirer à lui. Ils commencèrent à danser. Il dansait bien.
 " Comment vous appelez-vous ? " demanda Shani à un moment
 " Dous " fut la réponse.
 A la fin de la chanson, la musique baissa puis s’arrêta, et ils se séparèrent. Sans prendre garde au bras de Betingel, Mahlin tapota l’épaule du mage.
 " Excusez-moi de vous déranger, mais que faites-vous ici ? Je croyais que vous deviez dormir avec les autres, en prévision d’une dure journée ? " A peine avait-il parlé qu’il se rendit compte combien il devait paraître impoli. Mais il ne se sentait pas de bonne humeur. Et la beauté aristocratique de l’homme le frappait comme un soufflet.
 Dous ne parut pas offensé. Il lissa les pans de sa toge d’une main tranquille.
 " Je ne fais pas partie des Chasseurs, je me suis simplement joint à eux ; il se trouvait que je passais par là. Donc, je ne réponds aux ordres de personne. Les autres se prennent bien trop au sérieux, mais cela fait bien longtemps que je n’ai pas participé à une fête ou un bal. " Il hocha la tête, pensif. " Oui, bien trop longtemps. Ca me manquait. J’espère que vous ne voyez pas d’inconvénients à ce que je me joigne ainsi à vous ? "
 " Non, aucun " firent Shani et Batingel de concert alors que Mahlin avait encore la bouche ouverte, sur quoi Betingel ajouta d’un ton de conspiratrice : " nous ferions mieux de les laisser seuls, ne crois tu pas Mahlin ? Allez, viens ! " Elle aussi était restée bouche bée devant le visage du mage, mais celui-ci ne lui accorda pas même un regard.  
 La danse suivante commençait, et il ne prêta que peu d’attention aux pas, les yeux fixés sur Dous.  
 " …cela doit être un travail passionnant " disait Shani.
 " Oui, c’est ce que la plupart des gens disent. Mais je dois dire que je le trouve ennuyeux par moments. La discipline est bien trop sévère, et on se demande parfois pourquoi il nous faut traquer avec tant d’acharnements de pauvres herboristes qui n’ont jamais fait de mal à personne. Prenez ce Pietr, par exemple. Quel mal peut-il faire ? Les gens parlent plus facilement devant moi que devant les autres, vous savez. Je ne sais pas pourquoi. Mais d’après ce que j’en ai appris, cet homme ne ferait pas de mal à une mouche, et ses remèdes sont même parfois efficaces " Il gloussa " C’est rare, de nos jours. Et pourtant, notre travail est de le chasser et de le traîner de force à l’Université, ou de le faire passer en jugement. Non, je ne dirais pas que c’est passionnant. "
 Ils dansèrent un moment en silence. La musique devint plus forte, et cacha la plupart de leur conversation. Mahlin se mordit les lèvres de frustration, entraînant insensiblement sa partenaire près du couple. Betingel riait et fredonnait au rythme de la musique. Un autre soir, il l’aurait trouvée attirante. Ce soir, il avait une furieuse envie de la noyer dans la fontaine du village. La musique se calma, et de nouveau il put distinguer leur discussion.
 " Nous risquons de nous attarder un peu dans le coin " racontait le mage.
 " Oh ? " demanda poliment Shani. " Mais vous disiez vous-même que cet alchimiste n’avait que peu d’importance ? Vous feriez mieux de le laisser exercer tranquillement, dans ce cas. Le village a besoin de lui, vous savez… "
 Dous hocha doucement la tête.
 " Il s’agit bien de cet alchimiste. Non, il y a un autre problème, par ici. La forêt… "
 Mahlin rata un pas de danse, et faillit tomber. Batingel lui sourit avec indulgence.
 " Un problème ? Dans la région ? Que les Couleurs me protègent, mais nous sommes aux extrêmes bordures de l’Empire, qui irait s’enterrer ici ? "
 
 Dous lui lança un regard acéré.
 " Vous parlez bien mal de votre village. Je l’aime beaucoup, pour ma part. J’aime son ambiance et ses sourires. Si vous allez un jour dans une grande ville, et la vie est ainsi faite que vous irez certainement, vous constaterez combien les sourires sont une denrée précieuse. Et, pour répondre à votre question, de nombreux opposants au Conseil des Mages, des rebelles, des hors-la-loi, se réfugient dans les endroits les plus inaccessibles. C’est justement le côté perdu de cette région qui en fait un endroit tout désigné pour de tels individus… "
 Son visage s’était fermé alors qu’il parlait. Il parut s’en rendre compte, et l’instant d’après il était de nouveau tout sourire.
 " Mais ne parlons pas de cela ici, nous sommes ici pour danser. Dansons ! "
 Shani rit et se mit à virevolter avec dextérité, mais ses lèvres restaient pincées, et un pli barrait son front. Elle finit par demander.
 " Que disiez-vous au sujet d’une forêt ? Vous voulez parler de la Forêt Hurlante ? "
 Dous inclina la tête.
 " La Forêt Hurlante ? Le nom est approprié… Oui, c’est bien de cette forêt donc je parle. Vous êtes vous déjà promené dedans ? Non ? C’est intéressant, vous savez. Il semblerait que quelqu’un maintienne cette forêt sous contrôle climatique. La température là-bas est bien plus douce qu’ici, et un vent tiède transporte les graines en tous sens pour aider la germination. "
 Il haussa les épaules.
 " Un mage vit sans aucun doute dans ces bois. Il est non autorisé. Demain, nous le débusquerons et nous le pendrons. "
 
Ce chapitre est très bien, bien écrit !!  ;)  
T'as déjà tout écris?

n°3130330
yulara
Byte Hunter
Posté le 04-07-2004 à 11:43:27  profilanswer
 

oh petard ce que j'aime pas ces chasseurs!!!  
c'est vraiment frustrant d'etre obligé de s'arreter comme ça, je veux connaitre la suite :cry:
 
la suite :bounce: la suite :bounce:

n°3136653
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 05-07-2004 à 11:15:23  profilanswer
 

J’ai quelques questions au sujet du passé de nos trois héros. Barel leur a effacé la mémoire, soit. Mais qu’en est-il de leurs relations avec les villageois de Longue-Rivière ? Je suppose qu’ils ne sont pas originaires de ce village. Mais alors que savent d’eux les villageois ? Les trois héros amnésiques ont sûrement dû se présenter et s’inventer un passé pour répondre aux questions de leurs nouveaux voisins…
 
Les chasseurs sont depuis peu au village et ils sont déjà sur la piste de Barel. Pour moi c’est ok mais est-il vraisemblable que les villageois n’aient jamais découvert les anomalies climatiques de la Forêt Hurlante ? Car si j’ai bien compris ils ne se doutent pas de la véritable identité de Barel.
 
J’ai hâte de lire la suite. Je crois que ça va saigner dans pas longtemps  :fou:  

n°3136704
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 05-07-2004 à 11:24:09  profilanswer
 

La seule chose que savent les villageois, c'est qu'ils sont au service du Seigneur Barel - comme pages, comme serviteurs...
 
Pour la forêt, disons que c'est le domaine seigneurial, donc que les paysans n'ont pas forcément l'intention de s'y rendre. Mais c'est vrai qu'en y réfléchissant, ce n'est pas très discret ni même logique.

n°3136716
yulara
Byte Hunter
Posté le 05-07-2004 à 11:27:17  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

Pour la forêt, disons que c'est le domaine seigneurial, donc que les paysans n'ont pas forcément l'intention de s'y rendre. Mais c'est vrai qu'en y réfléchissant, ce n'est pas très discret ni même logique.


ben moi, ça m'a pas choqué. elle s'appelle la foret hurlante, j'ai du en déduire que les villageois la pensaient néfaste, et n'y mettaient pas les pieds... puis à priori, elle est quand meme loin du village...

n°3136759
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 05-07-2004 à 11:35:15  profilanswer
 

yulara a écrit :

ben moi, ça m'a pas choqué. elle s'appelle la foret hurlante, j'ai du en déduire que les villageois la pensaient néfaste, et n'y mettaient pas les pieds... puis à priori, elle est quand meme loin du village...


 
Ton idée mérite d'être creusée Yulara. Mais il ne m'a pas semblé que les villageois étaient spécialement perturbés de voir sortir de cette fameuse forêt trois gamins en costume de ville  :whistle: . Le nom de la forêt provient de ceci :

Citation :

Il y avait beaucoup de vent, comme toujours. Ce n’était pas pour rien que les villageois appelaient cet endroit  la forêt hurlante.

n°3136788
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 05-07-2004 à 11:40:13  profilanswer
 

Un chapitre un peu court, à retravailler ;)
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La musique jouait encore. Une mélodie lancinante, dont l’origine se perdait dans la nuit des temps. Les rescapés de la passe des Sh’run. Personne ne savait qui étaient ces Sh’run, ni où se trouvait leur passe, ni si elle existait encore. Mais, à travers les âges, la chanson avait survécu, comme le font les plus belles œuvres.
 Aussi magnifique et poignante fût la chanson, interprétée par le barde lui-même, Mehlin n’écoutait pas. Son cœur avait manqué un battement lorsque Dous avait parlé de capturer maître Khorr. Shani, toujours en train de danser, avait su garder un masque d’impassibilité, mais ses pas se faisaient hésitants, elle qui bougeait avec tant de grâce habituellement..
Le vent soufflant dans leurs cheveux
 Leur rappelait tous les défunts
 Des larmes brillaient dans les yeux,  
 Des rescapés de la passe des Sh’run
Il fallait faire quelque chose. Prévenir le maître, à tout le moins. Oh, il devait bien avoir son Sceau et ne devait pas vivre dans l’illégalité, au vu de l’assurance qu’il affichait en permanence, et du Pouvoir qu’il maniait avec tant d’aisance. Mais le prévenir tout de même. On ne savait jamais. Si seulement cette damnée musique voulait bien se terminer. Et où diable était Aarel ?
 " A quoi penses-tu ? " demande Betingel, mutine.
 Il baissa les yeux, surpris. Betingel ! Cela devait bien faire deux minutes qu’il dansait avec elle, et il venait seulement de se rendre compte de sa présence. Dieu du Foyer, mais il devait se montrer moins rêveur ! Du sang-froid, du tact, de la délicatesse. Surtout ne pas attirer l’attention.
 " Je reviens " fit-il en la plantant là.
 " Quoi ? " glapit-elle alors qu’il disparaissait dans la foule. Surtout ne pas se faire remarquer.  
Ils marchaient sans manger ni boire
 Ils avaient pour calmer leur faim
 Le goût amer de la victoire
 Les rescapés de la passe des Sh’run

 Aarel, Aarel. Où diable se cachait-il ? A bien y réfléchir, il avait disparu alors que les danses commençaient. Il n’avait jamais aimé les bals. Mais, que diable, un grand gaillard de près de deux mètres ne disparaissait pas comme cela !
 " Pardon " fit-il alors qu’il écrasait un pied. Le danseur lui jeta un regard venimeux.  
 Ne pas courir. Rester calme. Il ne peut pas savoir que tu es l’apprenti de maître Khorr. Aarel, par les deux-cent douze vents, montre ta stupide tête.
 " Où est Shani ? " demanda une voix à son oreille. Mahlin n’y prit pas garde, et continua à écarter la foule… une tunique rouge, que les Dieux me protègent, ca ne se cache pas, une tunique rouge… jusqu’au moment où on lui saisit le bras. Il se retourna d’un bloc.
 " Hey, du calme ! "
 Juste la personne qu’il aurait aimé éviter en ce moment. A vrai dire, la personne qu’il aurait aimé éviter pour la soirée, si c’était possible. Mais ca ne le semblait pas, de la manière dont Toni lui tenait le bras.
 " Tu vas répondre, oui ? Tu as vu Shani ? "
 Mahlin leva les yeux pour croiser le regard de la brute, et se demanda une fois encore ce que toutes les filles lui trouvaient. D’accord, son visage était celui d’un angelot, ses yeux étaient d’un bleu profond, ses cheveux blonds impeccablement coiffés. Et son père était le Bourgmestre de Longue-Rivière. Mais comment pouvaient-elles ne pas remarquer cette agressivité au fond des yeux, ce sourire prédateur, cette arrogance ?
 " Non, je ne l’ai pas vue. Laisse-moi partir. "
 " Menteur. Je sais que tu tournes autour de cette fille. Tu dois savoir où elle est . Dis-le moi. Tu ne t’interposeras pas entre elle et moi. "
 Mahlin soupira. Ce n’était vraiment pas le moment.
 " Ecoute, je n’ai pas le temps de régler cela. On verra plus tard. Si je te dis que je ne l’ai pas vue, c’est que c’est vrai. Lâche-moi, et cherche-là. Elle doit être en train de danser dans le coin. Pas avec toi " rajouta-t-il, venimeux.
 Toni lui tordit le bras. Il gémit.
Leurs pieds charriaient la poussière
 Ils avaient du sang sur les mains
 Ils revenaient après la guerre
 Les rescapés de la passe des Sh’run

 " Pas avec moi ? Comment sais-tu cela ? Tu vois bien que tu l’as vue ! "
 " Bon sang, Toni, c’est une fête ! Comment veux-tu qu’elle ne danse pas ? Elle est faite pour danser ! Et ce n’est pas en me déboîtant le bras que tu arriveras à quoi que ce soit avec elle. "
 " Maudite soit-elle. Elle m’a filé entre les doigts quand… peu importe, je la retrouverai. Vous restez coucher ici cette nuit, j’ai cru comprendre ? Il y a de la place chez moi. Pour elle. "
 Il lâcha Mehlin, qui se massa le bras en maugréant. Il aurait été plus sage de tenir sa langue, mais Toni l’aurait appris tôt ou tard s’il continuait à fouiner ainsi.
 " Non, nous partons tout de suite. Notre seigneur a besoin de nous au plus vite. "
 Le visage de Toni se crispa.
 " Hah ! Erhman m’a dit que vous restiez. Ne crois pas entraîner Shani dans tes manigances, petit crétin. Je te l’ai déjà dit, tu ne t’interposeras pas entre elle et moi. "
 " Mais elle ne veut pas de toi ! Va te faire pendre ! " gronda Mahlin en serrant les poings.
 Toni rejeta sa tête en arrière et éclata de rire.
 " Battons-nous pour elle, alors. Cela promet d’être intéressant. Et si romantique ! "
 Mahlin considéra la situation avec inquiétude. Il avait tout de même un don pour se mettre les gens à dos, quoi qu’il fasse. Toni, en face de lui, était un solide gaillard, endurci par les travaux des champs, et plus qu’un peu bagarreur. Il ne ferait pas le poids.
 " Eh bien, tu te dégonfles ? " ricana Toni.
 Une ombre s’intercala dans la ruelle. Une ombre de deux mètres, qui fit craquer ses jointures.
 " Moi, je me bats " fit une grosse voix.
 Toni regarda l’apparition, et se lécha les lèvres avec nervosité.
" Reste en dehors de ça, Aarel. "
" En dehors de quoi ? Qu'est-ce que tu disais tout à l'heure ? Ah, oui. Eh bien, tu te dégonfles ? "  
Toni resta un instant silencieux, puis tenta une nouvelle approche.
" Mon père… "
" …aura besoin d'aide pour recoller tes morceaux au bon endroit si tu continues tes bêtises. Maintenant, file ! "
Toni se fondit dans la foule avec une habileté qui forçait le respect.
Mais la fierté noya les plaies
Ils sourirent et la joie revint
Ils étaient vivants, ils étaient
Les rescapés de la passe des Sh’run

 Mahlin resta un instant silencieux, puis flanqua une bourrade dans les côtes du géant.
 " Aarel, on peut vraiment dire que tu arrives toujours à temps ! "
 " Mmm-mmh. J’aurais aimé qu’il reste. J’avais besoin de passer mon humeur sur quelqu’un. Ce prétentieux me paraissait tout indiqué. "
 " Son père nous aurait créé des ennuis… "
 " Bah, ce n’est qu’un Bourgmestre, il n’oserait pas prendre des mesures contre ceux qu'il croit être les serviteurs de… du Seigneur Barel Khorr "
 Il gloussa, mais Mahlin se frappa brusquement le front du plat de la main.  
 " Barel Khorr ! Aarel, il faut que nous trouvions vite Shani ! Nous devons partir tout de suite ! "
 Aarel leva un sourcil interrogateur.
 " Partir ? Où, quand, pourquoi ? Tu as encore embrassé la mauvaise personne ? "
 " Aaaah, que les vents emportent tes insinuations, si seulement c’était aussi simple ! "
 Et Mahlin de raconter rapidement les confidences du mage violet. Aarel siffla doucement entre ses dents.
 " En effet, du vilain en perspective. Enfin, d’une certaine manière, cela m’arrange de partir rapidement. Allons chercher Shani. "
 " Cela t’arrange ? Que… Au fait, qu’est-ce que tu as bien fait pendant que nous autres dansions ? "
 Le visage du colosse s’était assombri.
 " Je préfère ne pas en parler. "
 " Mais… "
 " Shani nous attend "
 Mahlin hocha finalement la tête, et se prépara à refaire en sens inverse le chemin qu’il avait déjà parcouru. Les derniers accords des Rescapés de la passe des Sh’run vibraient encore dans l’air, et les deux compagnons profitèrent du bref arrêt des danses pour se faufiler rapidement jusqu’à la jeune fille. Elle n’avait pas changé de place, et discutait en souriant avec le mage violet. Elle jouait admirablement la comédie mais, même à cette distance, même sous le faible éclairage, Mahlin pouvait remarquer la tension des épaules et la froideur de son expression. Dès qu’elle les vit, elle murmura quelque chose à son cavalier, et alla les rejoindre. Dous la regarda partir avec une expression indéchiffrable.
 " Que fait-on ? " demanda Mahlin une fois que la musique s’éleva de nouveau, dissimulant leurs paroles aux oreilles indiscrètes. Shani soupira.
 " Dieu du Foyer, comment ne pas se méfier d’un homme avec un tel visage ? " Elle écarquilla les yeux, puis se secoua, rougissant sous le faible éclairage. " Ainsi tu as entendu. Quand je t’ai vu planter là ta cavalière, je me suis dit que tu allais prévenir Aarel. J’ai occupé un peu ce Chasseur " elle sourit et agita joyeusement la main vers Dous, qui la regardait. L’homme lui répondit, et elle tourna la tête, et son sourire disparut. " …et j’ai dansé un peu plus avec lui, mais je n’ai rien appris d’autre. Enfin, rien d’importance. Mais ils partent demain à l’aube. "
 " C’est dans deux heures " grommela Aarel en regardant le ciel. " Dépêchons-nous. "
 Ils hochèrent la tête.
 " Shani, tu te sens en état de voyager de nuit, dans ce froid, à travers la forêt ? "
 On pouvait bien voir que la perspective ne l’enchantait pas, mais elle fit oui de la tête.
 " Nous n’avons pas le choix. Ooh, je n’aurais pas dû danser autant, je ne sens déjà plus mes pieds. Si seulement nous pouvions dormir, une heure ou deux… "
 " Non " fit Mahlin, crispé. " Il faut partir tout de suite, et même ainsi, il faudra se avancer rapidement. "
 " Nous avons un avantage sur eux, ils ne connaissent pas la forêt " observa Aarel, puis il fronça les sourcils. " Mais je doute que cela ralentisse un mage… "
 Tous acquiescèrent, l’air sombre.
 " Eh bien, je crois qu’il va nous falloir offrir nos adieux rapides à Erhman et Dame Maud " fit Shani en soupirant. " Et, Mehlian, essaie d’abréger les effusions avec Betingel. "
 Il grimaça.
 " Non, je préfère ne pas lui parler pour l’instant. La situation est déjà assez compliquée comme cela. Mais toi, et ton Toni ? "
 " Mon Toni, obéissant comme il est, doit encore être à m’attendre là où je lui ai dit, il y a une heure " fit-elle avec un rire clair. Aarel fit craquer ses doigts, la mine joviale, et elle cessa de rire. " Oh, je vois qu’il n’a pas obéi finalement " Elle rit de nouveau. " Allez, partons ! ". Dous les regarda partir, l’expression impénétrable. Il fit quelques pas dans leur direction, comme pour les rejoindre, mais quelques jeunes filles vinrent s’interposer, visages timides. Nulle ne le reconnaissait pour ce qu’il était, un mage, sans quoi même son visage n’aurait pu le sauver. Dous grimaça, mais la grimace se fondit en un sourire charmeur, et il arrêta d’avancer, adressant la parole à une des demoiselles. Mahlin laissa échapper un soupir de soulagement.  
 Ils passèrent à l’auberge en coup de vent. Personne n’était là ; il n’y avait aucun bruit. Visiblement, le couple avait décidé, une fois le ménage sommairement fait, de venir à la fête eux aussi. Il n’y avait pas de quoi les blâmer, mais il était hors de question de faire leurs adieux en plein milieu du bal. Tant pis si leur soudaine disparition au cœur de la nuit leur porterait préjudice plus tard. D’un commun accord, ils s’enfoncèrent dans la nuit.
 " J’ai pris un peu de saucisson, du pain et du fromage dans la cuisine " fit Mahlin. " J’espère qu’ils ne nous en tiendront pas rigueur. "
 " Non, non, tu as bien fait. Nos provisions de l’aller sont épuisées. Aah, par les vents, si seulement tu avais aussi pensé à attrapper quelques couvertures. Quel froid ! "
 " Cela cessera quand nous atteindrons la forêt, tu le sais bien ! Cesse de te plaindre, et avançons. "
 Evitant la fête, ils s’enfoncèrent aussitôt dans les champs..
 Ils avancèrent rapidement jusqu’à ce que les maisons derrière eux soient avalées par une colline, puis réapparaissent à la montée suivante. Le froid et l’urgence leur firent couvrir en une heure et demie ce qu’ils avaient mis deux heures à franchir la veille, malgré l’obscurité. Si tant est qu’on pût parler d’obscurité. Le ciel, alors qu’ils marchaient, ne cessait de pâlir. Des brassées d’étoile vacillaient puis disparaissaient à chaque minute. Lorsqu’ils atteignirent enfin la forêt, l’air commençait à s’embraser. C’était l’aube, et ils avaient mal aux pieds. Quelques pas dans la forêt, et cette chaleur si agréable ! Tous poussèrent un léger soupir, et les capes recouvertes de givre furent ôtées.
 " Bon " constata Shani, s’arrêtant pour reprendre son souffle, adossée à un arbre. " Si Dous n’a pas menti, les mages sont en train de partir en ce moment même. Ca nous donne entre une et deux heures d’avance, dans le meilleur des cas. Il faut qu’on y aille tout de suite. Mahlin, il te reste du fromage ? "
 " Un petit peu. Pas beaucoup. Mange vite, comme tu l’as dit, nous devons nous dépêcher "
 Shani hocha la tête. Elle fourra sans hésitation le morceau de fromage dans sa bouche, puis soudain poussa un petit cri étranglé. Les yeux lui sortaient de la tête. En une enjambée, Aarel fut à son côté.
 " Qu’est-ce que… respire, Shani, respire ! "
 Il lui tapa dans le dos, une tape brutale qui la fit hoqueter de plus belle. Ses yeux larmoyaient, mais elle parvint à articuler.
 " Pas… regardez ! "
 Elle montrait l’orée de la clairière. Les deux garçons suivirent son geste. Eux n’étaient pas en train de manger, mais cela ne les priva pas de s’étoufffer tout autant. Dans l’air transparent de l’aube, un portail scintillant venait de se matérialiser. Shani parvint à recracher son fromage.
 " Qu’est-ce que c’est que cela ? " demanda Aarel, éperdu.
 " Que les dieux me foudroient si je le sais… " murmura Mahlin. " Ca ne peut tout de même pas être… "
 Ca l’était. Une minute plus tard, alors qu’ils l’observaient sans bouger, le portail s’ouvrit dans un tintement de cloches. Un homme vêtu d’une toge blanche posa une botte immaculée dans la boue de la forêt. Derrière lui se profilaient d’autres silhouettes.
 " Par les enfers ! On n’avait pas prévu ça ! " siffla Shani. Toute faim oubliée, elle se lança ventre à terre sur le petit sentier de terre. " Nous n’avons plus qu’à courir ! "
 Les deux autres ne se le firent pas dire deux fois. Avant que la Porte n’ait disparu, tous étaient déjà loin à l’intérieur de la forêt, et continuaient à courir.
 Ils parvinrent à tenir ce rythme près de vingt minutes, mais cela faisait trop longtemps qu’ils ne s’étaient pas reposés, et leurs muscles ne répondaient plus. Aarel semblait capable de continuer encore longtemps, mais Mahlin suait sang et eau, et Shani ne valait guère mieux. Le colosse leur jeta un regard inquiet.
 " Vous pensez que vous pourrez suivre ? Nous n’avons pas le temps de faire une pause, le temps est trop précieux. "
 " Marcher, oui, je crois " fit Shani, massant ses pieds, reprenant son souffle. " Mais courir… je crois bien que non. Je n’en peux plus. " Des larmes de rage et d’impuissance brillaient dans ses yeux.
 " Je ne suis peut être qu’un… qu’un scribouillard après tout " exhala Mahlin, affalé contre un arbre. Sa respiration était sifflante. Shani vint le rejoindre.
 " Ne dis pas de bêtises. " Elle lui tapota l’épaule gentiment, comme à un animal blessé. Puis elle reporta son regard sur Aarel. " Tu dis que tu peux encore courir ? "
 " Oui " fit simplement celui-ci.
 " Alors cours. Préviens maître Khorr de ce qu’il se passe. Nous suivrons plus tard. C’est moins important. Mais il faut le prévenir ! "
 Aarel grimaça.
 " La forêt peut être dangereuse…qu’on n’ait pas croisé de loups ne signifie pas qu’il n’y en ait pas. Vous êtes sûrs que vous pouvez vous débrouiller seuls ? " Il parut se rendre compte de la maladresse de ce qu’il disait, mais c’était la simple vérité. Seule sa hache pourrait être d’une quelconque utilité si une menace se précisait.
 " Nous n’avons vraiment pas le choix " fit doucement Shani.  
 Le géant hocha la tête. Il leur lança un dernier regard puis, lentement, à contrecoeur, s’enfonça dans les bois. Une fois hors de vue, il se mit à courir.
 " Tu peux marcher ? " demanda Shani à Mahlin avec sollicitude.
 Le jeune homme lui lança un regard empreint de gratitude – et de honte.
 " Oui… oui, je crois que je peux. "
 " Alors allons-y. Marchons. Appuie-toi sur moi, si tu veux"
 Mahlin laissa échapper un juron.
 " C’est moi qui aurait dû dire ca ! "
 " Eh bien, c’est trop tard maintenant. Alors accepte mon épaule, espèce d’obstiné ! "
 Marcher était plus facile, bien plus facile. On pouvait aisément éviter les branches, au sol, et celles qui vous fouettaient le visage. On pouvait doser son effort. Une heure se passa sans qu’aucun des deux ne montre aucun signe de faiblesse. Puis il y eut une lumière violente, noire, juste devant eux.
 " Qu’est-ce que… " commença Shani.
 " Je ne sais pas "
 Mahlin sortit sa dague, conscient du ridicule de sa position, mais prêt à vendre chèrement sa vie.
 " Rengaine cette arme, tu serais capable de te faire mal " fit une voix tranquille.
 Shani en aurait pleuré de soulagement.
 " Maître Khorr ! "
 " Aarel vient de me prévenir. Il est en train de se reposer. Venez à moi. "
 La lumière décrut lentement, leur permettant d’apercevoir leur maître au centre de la sphère d’ombre. Il leur tendit les mains, et les deux jeunes gens s’approchèrent. La sphère disparut, et ils étaient dans le manoir. Aarel était assis sur une chaise, dans un coin, et bondit sur ses pieds lorsqu’ils arrivèrent. Puis il retomba ; il avait l’air exténué.
 C’était une grande pièce, la plus grande de la maison. Celle que Barel aimait appeler la Chambre d’Incantation, celle où il s’enfermait parfois, le soir, interdisant à ses disciples de le déranger. Mahlin s’était déjà introduit dans la salle lorsque Barel n’était pas là, car aucun loquet ne fermait la porte. Mais il n’y avait rien vu qui sortît de l’ordinaire. A part, bien sûr, le pentacle. Le gigantesque pentacle, avec des relents de sang séché, qui ornait le sol de la pièce et dans lequel ils venaient d’apparaître.
 " Le hasard fait parfois bien les choses " murmura Barel en les regardant. " Mais qui contrôle le hasard ? "
 La question était purement rhétorique, et il ne se formalisa pas lorsque ses disciples le regardèrent sans risquer de réponse.  
 " C’est une chance que je vous ai envoyé en ville ce jour ci. Je peux au moins me préparer à ce qui va arriver. "
 Shani hésita un instant, comme si elle voulait parler. Barel lui sourit.
 " Tu as une question à me poser ? Parle sans crainte. "
 Elle resta muette quelques secondes malgré la permission, puis rassembla son courage.
 " Maître Khorr, avez-vous un Sceau ? "
 Le mage fronça les sourcils. Il tendit sa main droite, à laquelle brillaient de nombreux anneaux. L’un deux, celui à son index, avait une forme particulière.
 " Oui, j’en ai un. Je le porte en permanence. Tu ne l’as jamais remarqué ? " Il haussa un sourcil. " Ou peut-être ne sais-tu pas à quoi ils ressemblent. C’est possible, c’est possible. J’aurasi dû vous en parler, je suppose. "
 " Le jour où vous nous apprendrez la magie, vous nous en parlerez " fit amèrement Mahlin. Ses yeux semblaient vouloir se fermer malgré sa volonté, et Barel le terrifiait bien moins alors que lui-même se sentait si fatigué. Mais le mage n’en prit pas ombrage.
 " Tu fais bien d’en parler, Mahlin. Demain, lorsque vous vous serez reposés, je commencerai votre apprentissage. Je n’ose pas attendre plus longtemps. Qui sait ce que… " Il ravala ses derniers mots avec une grimace. L’instant d’après, son visage était de nouveau lisse et d’un calme olympien. A la différence de ceux de ses disciples, qui venait de se décomposer.
 " Vous allez nous apprendre… " commença Aarel
 " Vous n’allez pas fuir ? " demandait Shani
 " Et les Chasseurs ? " s’inquiétait Mahlin.
 Un geste les réduisit tous au silence.
 " Non, je ne fuirai pas. Oui, je vous apprendrai la magie. Demain. Vous avez besoin d’avoir l’esprit clair pour cela. Quant aux Chasseurs… " Il eut un léger sourire. " Je leur réserve quelques surprises. Cette forêt a ses secrets. C’est un endroit dangereux pour ceux qui ne la connaissent pas. "
 " Vous n’allez tout de même pas… " fit Shani, mais encore une fois Mahlin parla en même temps qu’elle :  
 " Excusez-moi de douter de vous, maître, mais vous êtes seul, et ils sont… "
 Le sourire de Barel ne fit que s’agrandir.
 " Ces gens sont venus pour moi, et il serait malhonnête de ma part de ne pas leur offrir le spectacle qu’ils désirent. C’est un problème qui me concerne, et non vous. Aussi, je vous saurai gré d’oublier cette histoire de Chasseurs, et d’aller vous coucher. "
 " Mais… " fit Mahlin.
 " Ou peut-être dois-je reconsidérer ma décision de vous apprendre mon art ? Après tout, peut-être n’êtes-vous pas encore assez disciplinés ? "
 Les trois jeunes gens allèrent se coucher sans un bruit. Malgré leur excitation, ils s’endormirent aussitôt.  

n°3136899
Profil sup​primé
Posté le 05-07-2004 à 11:59:01  answer
 

Oui mais il est aussi bien que les précédents ;)

n°3138422
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 05-07-2004 à 15:05:24  profilanswer
 

J'ai eu un peu de mal avec certains effets spéciaux
 

Citation :

Puis il y eut une lumière violente, noire, juste devant eux... La lumière décrut lentement, leur permettant d’apercevoir leur maître au centre de la sphère d’ombre


 
De la lumière noire c'est un peu difficile à s'imaginer. Quant à l'ombre, n'oublions pas qu'on est au coeur d'une forêt et qu'il ne fait pas encore jour, donc ça me semble un peu difficile à discerner.
 
Tu ne perdrais rien à tout remplacer par des effets lumineux colorés. A moins que l'association noir-ombre/Barel est voulue...
 

n°3138453
Mr gonzo
Rock and Roll
Posté le 05-07-2004 à 15:07:39  profilanswer
 

Morpion Cosmique a écrit :

A moins que l'association noir-ombre/Barel soit voulue...

[:aztechxx]

n°3139548
yulara
Byte Hunter
Posté le 05-07-2004 à 16:55:45  profilanswer
 

han... barel c'est un sorcier noir? je pensais qu'il ferait parti des gentils moi... qu'il subissait l'oppression des chasseurs... mais du coup, s'il se sert de la magie noire, c'est normal qu'il soit pourchassé... et il aurait enlevé ses 3 apprentis? c'est pour ça qu'il aurait effacé leur souvenirs? han... je veux la suite! :cry:


Message édité par yulara le 05-07-2004 à 16:57:05
n°3140196
Damrod
Posté le 05-07-2004 à 18:16:52  profilanswer
 

la suite !!! :bounce: la suite!!! :bounce:

n°3140346
deidril
French Geek Society Member
Posté le 05-07-2004 à 18:42:27  profilanswer
 

La lecture est aisée comme à l'habitude.
Des virgules inutiles précèdent toujours certaines conjonction comme 'et'  :heink:  
 
Quelque chose qui me chiffonne :
 
Si c'est un roman sur l'apprentissage de la magie, j'aurais aimé découvrir une magie plus merveilleuse et mystérieuse. Lorsque les jeune gens sont téléportés dans la chambre du maître, la magie semble alors très triviale. Je pense que ca manque de grandeur ou de mise en scene à ce moment la...
 
Du point de vue de l'histoire, un personnage comme Dous qui chasse les magiciens et qui se confie à n'importe qui, même une 'bonne tête' est un fieffé imbécile. Obtenir ses révélations sous le coup de la boisson m'aurait semble naturel, mais la bof ...
 
La pendaison pour un mage me semble un peu trivial. J'ai du mal à imaginer un mage qui peut téléporter des gens se faire pendre.
 
Quelques précises techniques ou backgroundesque sur la magie pour argumenter certains choix ( comme la pendaison ) ca serait bien aussi :)
 
Voila, j'attend la SuitE  :bounce:  :bounce:


Message édité par deidril le 05-07-2004 à 18:43:38
n°3141196
docwario
Alea jacta est
Posté le 05-07-2004 à 21:10:49  profilanswer
 

perso, je pense que Dous est un manipulateur, et qu'il a devoiler ses informations pour connaitre la reaction des disciples.
 
Sinon, Barel est un Sorcier Vert non ? alors pourquoi utilisez de la magie "noire" ?

n°3143291
deidril
French Geek Society Member
Posté le 06-07-2004 à 09:19:59  profilanswer
 

DocWario a écrit :

perso, je pense que Dous est un manipulateur, et qu'il a devoiler ses informations pour connaitre la reaction des disciples.
 
Sinon, Barel est un Sorcier Vert non ? alors pourquoi utilisez de la magie "noire" ?


 
Si Dous est un manipulateur, dans ce cas j'aurais préféré une fin du style Dous les regarda partir. Les pieces se mettaient en place sur l'echiquier. Bientot il atteindrait le Roi. etc ... pour que l'on comprenne le personnage dans ce sens.
 
Je pense que le lecteur (moi en tout cas) a plus de plaisir a lire ses heros tomber dans le piege que de l'apprendre au moment crucial.


Message édité par deidril le 06-07-2004 à 09:20:45
n°3143478
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 06-07-2004 à 09:51:10  profilanswer
 

En tout cas, je suis assez content de voir qu'à la différence du premier livre, dont l'intrigue ne recelait pas particulièrement de surprises, celle-ci pose plus d'interrogations (à moins que ce ne soit pour me faire plaisir que vous jouiez le jeu :D).
 

n°3144359
Damrod
Posté le 06-07-2004 à 12:23:22  profilanswer
 

et pour resoudre ces interrogations il nous faut la suite :bounce:

n°3144910
yulara
Byte Hunter
Posté le 06-07-2004 à 13:49:06  profilanswer
 

pas mieux :o

n°3145038
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 06-07-2004 à 14:06:38  profilanswer
 

Viens de finir !
  Préfère ce livre l'autre. Comme tu dis, plus fantasy. Donc mieux.
  Histoire à l'air plus intriguante et intéréssante que l'autre.
  Il y a des phrases un peu mal formées. Je te dirais lesquelles plus tard.
  J'attend la suite !  [:rhetorie du chaos]  [:rhetorie du chaos]


Message édité par Orkin Marus le 06-07-2004 à 14:07:49
n°3146692
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 06-07-2004 à 16:41:09  profilanswer
 

Dans ce cas, voici le chapitre cinq...
Une chtite leçon de magie ?  :whistle:  
______________________________________________________________
 
Mahlin grogna. Un rayon de soleil jouait contre sa paupière. C’était irritant. Il se tourna dans l’autre sens, enfonçant la tête dans ses couvertures. Quelques minutes de sommeil de plus, par pitié…
 Mais le sommeil le fuyait. Exaspéré, il ouvrit les yeux, et fixa le plafond. Les lourdes pierres poussiéreuses lui rendirent son regard, impavides. Il y avait quelque chose. Cette journée était spéciale, les Couleurs seules savaient pourquoi. Oh, sa tête. Si seulement il pouvait se rappeler. C'était pourtant important – ça avait un rapport avec ce dont il rêvait depuis longtemps. Non ?
 L’instant d’après, il était débout et parfaitement éveillé. La magie ! Il allait apprendre la magie ! Ses yeux brillaient alors qu’il s’habillait rapidement. Ses habits de la veille étaient immettables, tant ils avaient souffert dans la forêt. Mais cette tunique, la noire, irait parfaitement à son teint. Elle lui donnait un air inquiétant qui lui plaisait beaucoup. Il l’avait achetée au marché de Bois-Rouge, il y avait… cela semblait remonter à des années !
 
 Quelques coups rapides frappés à sa porte, puis un silence. Cela ne pouvait être que Shani. Aarel ne prenait jamais la peine d’attendre une réponse, et le Maître ne frappait même pas. Mahlin enfila rapidement sa tunique.
 " Entre ! "
 C’était bien Shani. Elle avait les traits un peu pâles, mais son visage resplendissait.
 " Eh bien, regarde-moi cette mine chiffonnée ! Tu viens de te lever ? "
 " Ca se voit tant que ça ? " grommela-t-il.
 " On peut le dire, oui. Dépêche-toi, Aarel est déjà levé ! Va prendre un morceau de pain en cuisine, et retrouve-nous à la Chambre d’Incantations ! Je croyais que tu étais le plus impatient de nous tous, mais tu n’es qu’une marmotte !"
 Il grommela quelque chose d’inaudible, même pour lui, mais déjà elle était partie de son pas rapide. A défaut, il s’adressa à la porte.
 " Je préfère être une marmotte qu’une… qu’une… " Il chercha frénétiquement, puis abandonna avec un soupir. Il n’était de toute manière plus à portée d’oreille. Avec une lenteur délibérée, puis de plus en plus vite en pensant à ce que la journée lui réservait, il se lava, puis se dirigea vers la cuisine. Personne, évidemment. La pièce était froide, mais de la fumée s’élevait d’une assiette, sur la table. Il mangea le brouet sans rechigner, puis se hâta vers la Chambre d’Incantations. Un escalier, un autre, il y était. La porte était fermée, il frappa.
 " Tu es en retard " observa Barel tranquillement.
 
 Tous les meubles de la salle, armoires, chaises, tables, avaient été poussés de côté, contre le mur. Shani, Aarel et Barel étaient assis à même le sol dans l’espace ainsi dégagé, jambes croisées. Il y avait un air d’intense concentration dans la posture du sorcier, dans la manière dont il ne leva pas même les yeux pour l’accueillir. Mahlin se figea sur place.
 " Je suis désolé, je… " Puis il s’interrompit et fronça les sourcils. " Comment puis-je être en retard alors que vous n’avez pas donné d’heure ? "
 " Dès lors que des gens t’attendent, tu es en retard. Prends place avec les autres. "
 Mahlin chercha un instant à formuler une protestation, mais il y renonca bien vite et s’installa entre les deux autres, jambes croisées comme eux. Shani lui sourit, et il comprit qu’elle le remerciait de s’être tu. Il lui rendit son sourire, et Barel parla.
 " Bien. Maintenant que vous êtes tous ici, nous pouvons commencer. Ce soir, si tout se passe bien, vous pourrez utiliser la Magie. "
 Trois cris se firent entendre en même temps alors que tous cherchaient à parler. Mais cette fois-ci, la grosse voix d’Aarel ne parvint pas à prendre le dessus tant les autres tentaient de se faire entendre. Il fallut que Barel les regarde d’un œil sombre pour que le brouhaha s’apaise. Un seul regard, un seul œil, mais le silence revint.
 " A partir de maintenant " fit-il, " je veux le silence absolu, sauf lorsque je vous demanderai votre avis. C’est très important, il en dépend de tout votre apprentissage. Aussi, comprenez bien que je n’hésiterai pas à sévir, et je n’aurai aucune raison de me retenir. Vous êtes les premiers élèves que j’ai décidé de former, et je pense pouvoir faire de vous des mages puissants et respectés. Je ne laisserai pas votre indiscipline tout gâcher. C’est bien compris ? "
 
 Il attendit trois hochements de tête pour se détendre. La tension disparut de ses épaules, si tant est qu’un léopard puisse paraître détendu. Mahlin plissa les yeux. La métaphore était audacieuse, mais pertinente. Barel, ainsi ramassé sur lui-même, les yeux mi-clos, ressemblait à un félin au repos. Une panthère. Une panthère noire. Il cligna des yeux. Les habits verts que le maître portait en permanence, l’insigne de son ordre, avaient disparu aujourd’hui au profit d’une tunique aussi sombre que la sienne, et d’une cape d’un noir profond. La question lui brûla la langue ; mais le maître avait dit qu’aucun mot inutile ne devrait être prononcé, et il ne voulait pas se faire remarquer après son prétendu retard. Pas aujourd’hui.
 Barel les toisa lentement du regard. Aarel ne cilla pas, Shani sourit nerveusement, Mahlin baissa les yeux. Le sorcier secoua lentement la tête.
 " Bien. Comme je vous l’ai dit, savoir toucher la Magie est une entreprise dangereuse, mais rapide. Ce soir, vous en serez capable. Théoriquement, je dis bien théoriquement, vous serez alors des mages à part entière. " Il fit une pause, leur laissant assimiler ses paroles. Lorsqu’il reprit, sa voix était lasse. " Savoir maîtriser la Magie, c’est en revanche l’œuvre de toute une vie. Je sais que certaines choses sont au-dessus de mes capacités actuelles. Aucun mage n’est capable de tout faire, et très peu sont capables ne serait-ce que d’entrevoir cela. "
 " Mais les mages Blancs ? " demanda Mahlin.
 
 Au moment où les mots quittèrent ses lèvres, il comprit qu’il aurait dû se taire. Mais il ne réalisa la dimension de son erreur que lorsque Barel ferma les yeux. Une force invisible le projeta en arrière sans qu'il puisse réagir, et il heurta le mur avec une violence à couper le souffle. Il sentit une côte craquer sous l'impact. Un nuage de poussière et de gravats s’abattit sur lui alors qu’il retombait brutalement sur le sol. La respiration coupée, il suffoquait. Shani et Aarel se précipitèrent vers lui.
 " Vous deux ! Assis ! " gronda Barel.
 Ils se regardèrent. Shani se mordit la lèvre inférieure jusqu’à ce que le sang en coule. Mais elle reprit sa place, et Aarel fit de même. Mahlin gémissait sur le sol.
 " Ce n’était qu’une caresse en comparaison de ce que je peux vous faire subir et, je le répète, je n’hésiterai pas si vous m’interrompez encore. Le temps nous est compté. "
 Il regarda un instant les spasmes qui agitaient Mahlin et agita vaguement la main.
 " Répondons tout de même à sa question. Qu'en est-il des mages Blancs ? Vous avez certainement été élevés dans la croyance qu'en tant que dirigeants de l'Ordre, ce sont les plus puissants d'entre nous. Mais c'est faux. Ce sont les plus polyvalents, certes. Ils peuvent faire appel à toutes les Couleurs, certes. Mais ils n’arrivent en aucun cas au niveau d’un spécialiste. C’est d’ailleurs l’Ordre des Mages qui a créé cette histoire de Spécialisation. Il y a huit cent ans, tout les mages étaient des généralistes. Mais il y a tant à étudier dans les Couleurs que l’on ne peut atteindre un niveau de subtilité et de doigté satisfaisant dans une Couleur si l’on étudie le schema dans sa globalité. " Il hocha la tête pensivement. " J’espère que j’ai répondu à ta question, Mahlin. Tu as une côte cassée. La douleur doit être intolérable. Je te plains. "
 
 Mahlin ne répondit pas, trop occupé à hoqueter. Barel leva les yeux au ciel. En deux enjambées il fut devant le jeune garçon. Il se baissa, ferma les yeux, se releva et retourna s' asseoir.
 " Continuons. Mahlin, reprends ta place. Je viens de te soigner. La prochaine fois, je ne te casserai rien, mais tu souhaiteras que je le fasse. " Son regard étaient sombres et menaçants. " Bien. Venons-en au vif du sujet. Fermez tous les yeux. "
 Mahlin se releva, les yeux écarquillés. Il était pâle de souffrance et son pas était hésitant, mais il s’assit néanmoins, et il ferma les yeux, comme les autres venaient de le faire. La voix de Barel lui parvenait à travers un brouillard ouaté, irréel.
 " La Magie, " expliquait-il en ce moment, " est une affaire de concentration. Pour vos premiers pas, je vais vous aider. Gardez les yeux fermés quoi que vous ressentiez. " Il ne s’abaissa pas à répéter ses menaces pour quiconque désobéirait.
 Mahlin, les paupières baissées, sentait la douleur refluer. Il était toujours choqué, mais sa côte ne lui faisait plus mal. A vrai dire, c’était la seule partie de son corps qui ne l’élançait pas. Il était couvert de bleus et de contusions mais, visiblement, le maître ne s’était pas embarassé à soigner cela. Il se souvint amèrement qu’il avait pensé, deux jours avant, que Barel Khorr, malgré ses airs bourrus, n’avait jamais levé la main sur eux. Voilà qui était fait.  
 " Bien. Je commence "
 Soudain, il y eut une lumière aveuglante. Mahlin pouvait le sentir malgré ses yeux fermés. Aucune chaleur, mais une lumière éblouissante, si éblouissante qu’elle s’insinuait dans son obscurité personnelle et dévorait ses paupières, une lumière douloureuse d’en être intense.
 " Si vous ouvrez les yeux, vous deviendrez aveugles à vie " fit Barel tranquillement. " Même moi ne pourrai pas vous soigner. Je vous le déconseille donc. "
 Mahlin se battit contre la douleur. D’une certaine manière, les hématomes qui couvraient son corps l’aidaient à surmonter cette souffrance. Il sortait de bien pire. Mais la lumière ne baissait pas.
 " Voyez-vous un arc-en-ciel ? " demanda le mage.
 Le silence.
 " Vous avez le droit de parler " fit doucement Barel. " Répondez-moi. Voyez-vous un arc-en-ciel au fond de vos ténèbres ? "
 Toujours le silence. Puis, finalement, d’une voix hésitante, Shani fit : " Je crois… je crois que je le vois. "
 " Aarel ? Mahlin ? "
 De nouveau, le silence. Mahlin tâchait de se concentrer mais, non, le noir, toujours le noir.
 " Moi aussi… je le vois ! " fit Aarel, et sa voix était crispée.
 " Bien. Mahlin ? "
 
 Le jeune homme étouffa un sanglot. La lumière ne cessait d’augmenter, et avec lui l’obscurité et le vide qu’il ressentait. Pas le moindre arc-en-ciel à l’horizon. A quoi servait cet arc-en-ciel ? Etait-ce la source du pouvoir du mage ? Si tel était le cas… peut-être n’avait-il pas le potentiel ? Deux ans… deux ans de travaux ménagers et ennuyeux pour en arriver à… ça ? Des larmes de frustration coulèrent sur ses joues. Barel attendait patiemment.
 Une minute, puis deux, durent se passer ainsi. Ses sens exacerbés, il entendit les pieds des autres bouger nerveusement, grattant le parquet. Shani toussa, une petite toux sèche et nerveuse. Barel ne disait rien.
 " Je… je ne vois toujours rien " murmura Mahlin finalement, désespéré. La lumière était toujours là, sans quoi il aurait aussitôt ouvert ses yeux de frustration. Même ainsi, en sachant qu’il allait devenir aveugle, il faillit le faire. Mais Barel parla.
 " ‘Rien’. C’est un mot qui ne veut ‘rien’ dire. On voit toujours quelque chose, même quand cette chose est les ténèbres. On entend toujours quelque chose, quand bien même ce serait le silence. Ou bien es-tu un de ces fous qui croit le contraire ? " Il gloussa, lentement. " Décris-moi ce ‘rien’ que tu vois. "
 Mahlin refoula ses larmes. Pleurer n’arrangeait pas la situation. Il s'était déjà montré bien assez ridicule devant Shani pour aujourd'hui. Il renifla, puis s’éclaircit la voix. La douleur diminuait lentement, même si la lumière était toujours là. L’obscurité aussi.
 " Le noir… je ne vois que du noir… rien… pas de couleur… pas d’arc-en-ciel… simplement du noir… "
 Il avait toujours les yeux fermés, mais il sentit Barel se pencher vers lui. Il pouvait imaginer son regard posé sur lui.
 " Du noir ? Comment peux-tu encore voir du noir avec la lumière que tu reçois en ce moment ? "
 Il y avait désormais une note de surprise dans la voix du mage. Abruptement, la lumière augmenta. Mahlin entendit les gémissements de ses compagnons, mais le noir derrière ses paupières, après s’être dilué pendant une fraction de seconde, se réinstalla.
 " Je… je vois toujours du noir. "
 La lumière cessa.
 " Vous pouvez ouvrir les yeux. "
 
 Mahlin garda un instant les paupières closes. Il avait mal à la tête, mais il était peu indiqué de se plaindre. Maintenant que la lumière cessait, les ténèbres refluaient. C’était si étrange. L’impression de sortir la tête de l’eau. Il émit un petit cri étranglé, et ouvrit finalement les yeux, pour voir trois regards braqués sur lui. Aarel paraissait inquiet, et Shani compatissante. L’ordinaire impassibilité de Barel avait laissé place à un intérêt prononcé. Le silence se prolongea durant un moment, puis le mage parla. Sa voix était tendue.
 " Tu as une chance étonnante, mon garçon. " Mahlin sursauta. " Oui, une chance étonnante. Tout autre mage que moi t’aurait mis à mort sur le champ, comme on écrase un insecte nuisible. Je ne le ferai pas. "
 Le silence revint dès lors que l’écho des paroles moururent. Mahlin se trouvait en train de suffoquer. Ce n’est pas vrai ! Dieu du foyer, qu’est-ce que j’ai ? Qu’est-ce qui m’arrive ?
 " On dit toujours qu’il y a sept Couleurs, et le Blanc qui les englobe toutes. Cela fait huit écoles de magie. Mais le Noir est aussi une couleur. L’absence de Couleur est, en elle même, une Couleur."
 " La magie Noire " souffla Shani. Aarel s’agita, mal à l’aise.
 Je ne suis pas un démon. Pourquoi moi ?
 " Peut-être que je me trompe. Mais je ne t’aurais pas pris en apprentissage si je n’avais senti un Pouvoir en toi. Il n'y a donc aucune autre raison possible pour expliquer ton incapacité à voir les Couleurs. Mais ça voudrait dire…" Barel paraissait plus hésitant qu’il ne l’avait jamais été. " Essayons autre chose. Aarel, Shani, je reviendrai à vous dans une minute. Mahlin, ferme les yeux de nouveau. " Le garçon obéit. " La lumière ne va apparaître que pour toi seul. " De nouveau, cette sensation de plonger, et cette obscurité totale. " Tu vois toujours la même chose ? " Hochement de tête. " Bien. Détends-toi. " Mahlin déglutit, mais déjà il sentait quelque chose… pénétrer son esprit. Et soudain il plongea dans l’obscurité avec un hurlement de terreur.
 
 C’était une longue chute dans le néant au milieu des poussières d'étoiles. Barel affirmait que ‘rien’ n’existait pas, mais ce qu’il éprouvait en ce moment était plus proche du ‘rien’ que tout ce qu’il aurait pu imaginer. La lumière, derrière ses paupières, avait totalement disparu. Il n’entendait plus rien, il ne sentait plus rien. Il se sentait nu, et souillé, et fatigué, et désespéré, et mort.
 Et puis il vit une tache de lumière dans le lointain. Comme un marin dans la tempête, il s’accrocha désespérément à ce fanal, et avança vers elle, si lentement, si difficilement. Chacun de ses mouvements semblait lent et maladroit alors qu'il nageait dans le néant. Petit à petit, la tache de lumière grandissait, mais il n'aurait pu dire si cela faisait une seconde ou bien un siècle qu'il se concentrait. Cela n'avait aucune importance. La tache était un arc-en-ciel.
 Tout disparut en un tourbillon, et il ouvrit les yeux. Sa respiration était rauque ; il sentait son cœur battre rapidement, trop rapidement, dans sa poitrine. Il regarda autour de lui, les yeux vitreux. Il lui fallut un moment pour reprendre conscience de l’endroit où il était.
 " C’est bien ce que je pensais " fit Barel. Il se tapotait la lèvre de l’index, l’air perplexe. "Le destin contrôle tout… Qui contrôle le destin ? "
 Shani s’agenouilla à côté de Mahlin, l’air inquiète.
 " Tu saignes du nez. Attends ! "
 Progressivement, les sensations lui revenaient. Sa vision s’ajusta, et il sentit de nouveau le contact de ses vêtements sur sa peau. La douleur revint également. Et son nez le brûlait. Shani avait sorti un mouchoir d’une de ses poches ; elle essuya consciencieusement le sang qui coulait. Ses yeux étaient plissés.
 " Maître, que se passe-t-il ? " demanda finalement Aarel, outrepassant les ordres du sorcier. Barel n’y prit pas garde, occupé qu’il était à murmurer, l’air pensif. " Vous ne voulez pas dire que Mahlin est un nécromant, un sale sorcier Noir comme dans les histoires des bardes ? Pas lui ! Il ne peut pas devenir aussi cruel ! "
 
 Le mot fit sortir Barel Khorr de sa léthargie. Il se passa la main dans les cheveux.
 " Nécromant ? Cruel ? Tu emploies des mots dont tu ne connais pas même le sens. Je suis un mage… Vert. Penses-tu que je sois doux et bon, simplement car mes pouvoirs sont en relation avec la nature ? La magie verte est aussi destructive qu’une autre. Plus que certaines. Je peux soulever la terre, pétrifier les gens, faire pousser des abominations… que se passerait-il si je décidais de m’en servir pour mon intérêt personnel sans tenir compte de l’équilibre des Pouvoirs ? Oui, les mages Blancs ont des pouvoirs de guérison. Mais que se passe-t-il lorsqu'ils les utilisent sur des criminels ? Les Couleurs en elle-même n’ont aucune volonté propre, Aarel, ce ne sont que des outils. Tu es encore jeune, mais je suis un peu déçu par ta question. Tu devrais savoir qu’il n’y a pas de gentils et de méchants. Tout n’est pas aussi bien défini. Et, même s’il y en avait, je doute que les gentils s’habillent en blanc et les méchants en noir. "
 Aarel hocha lentement la tête. Les critiques glissaient toujours sur lui comme l’eau sur le métal, mais il commençait à comprendre.
 " Vous voulez dire que ce n’est pas le fait de maîtriser la magie noire qui corrompra Mahlin ? "
 " C’est cela. Certains pouvoirs sont destructeurs, d’autres non. Et même les pouvoirs de la première catégorie peuvent être utilisés dans un but de justice. Mais si la magie fait le mage, c’est aussi le mage qui fait la magie. " Il se tourna vers Mahlin. Le jeune homme, la tête dans ses mains, émettait de petits cris inarticulés.
 
 Non, il ne pouvait pas devenir un mage Noir. Il ne deviendrait pas une menace pour ses amis, pour, pour… pour Shani. Il allait reprendre sa vie d’avant, il y avait, oh, si longtemps, lorsqu’il s’était fait enlever par maître Khorr au sein même de… où était-ce ? Ses maudits souvenirs ! Il allait demander à récupérer sa mémoire, revoir le visage de sa mère. Il était sûr qu'ils étaient gentils et tendres avec lui. Des boulangers, ce serait parfait. On avait toujours besoin d'un mitron ! Dans la chaleur du four, il allait oublier ces deux années, oublier Aarel, oublier Shani, oublier la magie noire.  
Quelqu’un lui écarta les bras, et un regard sombre plongea dans le sien. Ses pensées s'éparpillèrent.
 " Mahlin " fit Barel, doucement. " Je comprends ce que tu ressens, je l’ai moi-même ressenti il y a… très longtemps. Mais, comme je l’ai dit, la magie en elle-même ne peut être maléfique. Nous avons peu de temps devant nous, et il nous faut l’occuper utilement. Tu auras l’occasion de réfléchir et de pleurer plus tard. Pour l’instant, je vais devoir reprendre l’entraînement où nous l’avons laissé. Vois le côté positif des choses, tu peux désormais voir l’Arc-En-Ciel. Même si c’est à travers les Ténèbres. "
 Mahlin entendit les hoquets de surprise de ses compagnons, et lui-même ne put retenir un mouvement de surprise malgré son abattement.
 " Vous.. vous avez utilisé la magie noire ? "
 Barel eut une légère grimace. Ses yeux, pour la première fois, paraissaient amusés
 " Disons que cela m’est arrivé. Oui, cela m’est arrivé. Autrefois. Récemment. Pourquoi se priver des capacités que les Dieux ont placé en nous ? Tu es capable de maîtriser les Ténèbres, et ce n’est pas donné à tout le monde. Regardez-moi. Pensez-vous vraiment que je sois un monstre de légende ? Pourtant, je peux vous affirmer que les Ténèbres sont en moi, prêts à être utilisés. " Il hésita un moment, puis ajouta : " La sphère que j’ai créée dans la forêt, et qui vous a transporté ici, hier… était issue du Noir. "
 
 Aarel cessa brusquement de respirer. Dieu du Foyer ! Quelle chance qu’il n’ait pas eu à l’utiliser ! Il ne voulait rien avoir à faire avec les Ténèbres, quoi qu’en dise le maître. Son regard s’adoucit en regardant son compagnon. Certains semblaient ne pas avoir le choix.
 " Je ne peux pas " murmura Mahlin, les poings crispés. " Je ne veux pas ".
 Barel haussa les épaules.
 " Je ne peux enseigner à quelqu’un qui tourne le dos à sa Couleur. Mais, à ta place, je suivrais tout de même l’apprentissage que je vais dispenser aujourd’hui. Cela ne t’engage à rien. Tu pourras voir par toi-même ce dont tu es capable. Et, si tu désires partir ce soir, je ne t’arrêterai pas. Je pourrai même te Transporter chez tes parents, si c’est ce que tu désires. Cela te va ? "
 "Mes… parents ?"
 Shani le regarda avec un encouragement dans les yeux. Aarel respirait la compassion. Au moins ne l'observaient-ils plus comme une bête curieuse. Il ne voulait pas être un phénomène de foire !
Mahlin renifla, puis marmonna un vague acquiescement. Il partirait ce soir. Cela ne l’engageait à rien. Le maître avait raison. On verrait bien.
 Par les fumées, il était un maudit mage Noir ! Comment allait-il pouvoir vivre avec cela ? Il ne se souvenait que trop bien du récit du barde, et des contes qu’il avait lus à la lueur des chandelles, ces deux dernières années. Le Déchu. Allait-il, lui aussi, briser le monde ? Il ne se souvenait pas d’une seule damnée histoire dans laquelle un mage noir faisait partie des héros.
 
 " Si cela peut te rassurer " fit Barel, " je ne t’apprendrai pas à te servir du Noir, seulement des autres Couleurs. Il faudra que tu le découvres par toi-même ; et si tu n’es pas curieux ou que l’idée te répugne, eh bien tu pourras te contenter du reste. Peut-être même choisir une université, qui sait ? Après tout, je suis désormais un mage Vert. Si j’en ai été capable, pourquoi pas toi ? La seule différence avec tes compagnons, c’est que tu ne percevras l’Arc-En-Ciel qu’à travers le Noir. C'est parfois un peu perturbant. Mais ce n’est pas gênant pour ce que je vous ferai faire aujourd’hui. " Sa voix claqua. " Allez, en position ! "
 Comme dans un rêve, Mahlin vit ses amis fermer les yeux. Après une brève hésitation, il fit de même. La lumière reparut, et avec elle les Ténèbres. Et la douleur.
 " Ce soir, vous n’aurez plus besoin de l’aide que je vous offre actuellement, et vous serez capables d’apercevoir les Couleurs sans l’aide de ma lumière. Pour l’instant, elle est nécessaire, alors je vous demande de souffrir en silence. " C’était redevenu le Barel sérieux et implacable. " Vous voyez tous l’Arc-En-Ciel ? "
 Les réponses vinrent plus rapidement que la première fois. Mahlin se noya de nouveau dans l’obscurité, puis reprit pied et nagea vers cette flamboyance, là-bas, si loin. Environné du Noir, il voyait la Lumière.
 " Remarquez que vous ne pouvez utiliser vos Pouvoirs sans puiser dans les Couleurs. Et que vous ne pouvez voir celles-ci sans fermer les yeux. Le temps qu’il faut pour atteindre cette plénitude dépendra de votre expérience, et de la quantité de Pouvoir que vous voulez utiliser. Certains mages peuvent lancer en un battement de paupières des rituels que les néophytes doivent préparer durant une minute, voire plus. Tout est une question d’expérience. Ce que je vous offre, ce n’est que la connaissance de vos aptitudes. Etes-vous prêts à continuer ? "
 
 Mahlin hocha la tête silencieusement, et les autres durent faire de même, car Barel se remit à parler.
 " Parfait. Shani, Aarel, voyez-vous une Couleur plus brillante que les autres ? " Des murmures négatifs lui répondirent. " Je m’en doutais. Vous découvrirez votre Affinité plus tard. Nous allons donc commencer par les bases les plus simples. Tout le monde voit la couleur Orange ? Nous allons laisser le Rouge de côté pour l’instant, vos corps risqueraient de ne pas pouvoir suivre la voie du Sang. Allons, je n’ai pas bien entendu. Vous voyez l’Orange ? Bien. Tendez-vous vers lui, et abandonnez le reste de l’Arc-en-Ciel ".
 " Comment ? " demanda Aarel. Il avait la voix tendue.
 " J’y suis ! " exulta soudain Shani. " Enfin… je crois… c’est une sensation… c’est…" Elle se tut.
 Mahlin luttait avec son propre Arc-en-Ciel. Les couleurs paraissaient un peu pâles, comme vues au travers d’une glace. Etait-ce la conséquence du Noir ? Son esprit se tendit. Tout, pour ne plus penser à cela. Il flottait dans cet espace irréel et, sans savoir vraiment ce qu’il faisait, il nagea, le mot était le plus proche de la sensation qu’il éprouvait, il nagea vers l’Orange.
 
 Les Couleurs grandirent, grandirent, jusqu’à pouvoir l’absorber tout entier. Il s’engloutit dans l’Orange. Et poussa un cri de surprise.
 L’obscurité avait disparu. Il sentait encore sa présence, comme un souffle contre sa nuque, mais il voyait désormais clairement. Il se tenait dans un espace vide, qui sentait le feu de bois. Des flammes léchaient ses jambes sans jamais le faire souffrir. Et maintenant, quoi ?
 " Je crois que j’y suis " fit-il, hésitant.
 " Moi aussi ! " Aarel criait presque. " Il y a des flammes partout ! C’est… "
 " Vous êtes dans l’Orange. Le Feu. "
 La voix de Barel, leurs voix, constituaient la seule passerelle vers le réel. Les mots parvenaient de loin, si loin, déformés.
 " Chaque Couleur détermine un type de magie. Le sang, le feu, la lumière, la nature, l’air, l’eau et l’esprit. Les ténèbres et la vie. Vous êtes au cœur du Feu. Revenez à moi. "
 Mahlin regarda autour de lui, désorienté. Revenir ? Comment ? Il sentait obscurément l’appel des Ténèbres, derrière lui. Mais, lorsqu’il se retourna, l’Orange le cernait encore. Comment partir ?
 " Ouvrez les yeux ! " gronda Barel. " Ne vous faites pas plus bêtes que vous êtes ".
 
 Ouvrir les yeux. Bien sûr. Mahlin ne se rendait pas compte de l’effort que cela représentait, avant. Il les ouvrait, le matin, lorsqu’il se réveillait. Reproduire le même geste. Jamais il n’avait eu autant de peine. Enfin, ils furent ouverts. Aarel les gardait encore clos, et Shani paraissait sur le point de vomir.
 " Aarel. Les yeux. Ouvre les. " fit Barel en se massant les tempes. Lui non plus ne semblait pas en grande forme. Aarel s’ébroua et obéit finalement. " Bien. Est-ce que vous sentez quelque chose ? Dites-moi vos impressions, sans rien me cacher. C’est important. "
 En feu. Mahlin se sentait en feu, débordant d’une énergie qui ne demandait qu’à se propager, une énergie capable de renverser des montagnes et de réveiller des volcans. Il le dit, riant, exultant. Ce fut un soulagement d’entendre Aarel et Shani renchérir derrière lui. Tous se sentaient emplis jusqu’à la douleur, jusqu’à l’extase, d’une puissance insolite et mystérieuse. Barel les écouta tous, puis sourit. Il produisit trois bougies. Il les installa, une devant chacun de ses apprentis.
 " Vous avez le Feu en vous. Canalisez-le. Allumez cette bougie. "
 " Comment ? " souffla Aarel.
 " Je ne peux vous guider plus, mais cette étape n’est pas compliquée. Regarde, Mahlin a déjà allumé la sienne. "
 C’était vrai. Du diable s’il savait comment il avait fait, mais sa chandelle brûlait désormais. La mèche se consumait lentement. Mais il se sentait vide, si vide. Ce Pouvoir qui lui semblait capable de remodeler le monde, voilà qu’il l’utilisait entièrement pour allumer une simple bougie ? Et cette sensation de vide… il résista à l’impulsion de refermer les yeux, de retrouver cette solitude, cette plénitude, cette douleur, cette joie. De la fumée s’élevait de la bougie d’Aarel. Un petit peu d’abord, comme une bouffée d’herbe à pipe, puis de plus en plus, et enfin la flamme apparut. Aarel avait les sourcils froncés. Il devait ressentir les mêmes émotions que celles que Mahlin venait de maîtriser. La chandelle de Shani restait éteinte. La jeune fille paraissait plus perplexe qu’autre chose.
 " Je ne comprends pas pourquoi… " commença-t-elle, sourcils froncés. Puis elle s’éclaira. " Ah, voilà ! " La mèche s’embrasa d’un coup. Shani souriait paisiblement, comme si elle venait de trouver la pièce manquante d’un puzzle.
 Tous regardèrent pendant un instant les trois bougies en train de se consumer.
 " C’est tout ? " finit par dire Mahlin, l’air un peu déçu.
 " Je pensais pouvoir embraser la forêt d’un seul mot " murmura Aarel.
 " Assécher les mers " murmura Shani.
 Barel les regarda avec un amusement non dissimulé.
 " Vous venez d’utiliser la première fois les Pouvoirs et, au lieu de vous féliciter de votre réussite, vous commencez à mettre en doute votre puissance ? Rappelez-vous tout de même qu’hier, vous ne pouviez faire cela. Cette flamme, elle vient de vous."
 Mahlin battit des paupières. C’était vrai. Où donc avait-il la tête, quelle était cette folie qui les prenait ? Il regarda avec un nouveau respect la chandelle à ses pieds. Il l’avait allumée. Par magie. Combien de temps avait-il attendu ce moment là ? Comment pouvait-il se permettre de le dénigrer ?
 " Vous avez appris les bases. Rechercher la Couleur, s’imprégner d’elle, puis la Canaliser. C’est ainsi que marche la Magie. "
 Dit comme ça, cela paraissait plutôt simple. Alors pourquoi étaient-ils tous en sueur ?
 " Maintenant, nous allons travailler un peu votre concentration, et vous apprendre une ou deux incantations aisées. " Aarel s’agita, mal à l’aise. Barel le regarda.  " Tu veux dire quelque chose ? "
 " Oui, je, ah, maître… je ne comprends pas à quoi servent les incantations dont vous parlez. "
 " Est-ce qu’elles ne servent qu’à impressionner ? " renchérit Mahlin. " Je veux dire, nous n’avons pas prononcé un mot, et pourtant la chandelle s’est allumée. "
 Barel rejeta la tête en arrière et rit.
 " Et vous vous contentez de cela ? Vous avez déjà oublié vos mines dépitées de tout à l’heure. Oh, je peux vous laisser dans la nature, maintenant. Vous êtes capables d’allumer des bougies, seuls. C’est magnifique. O combien grand est le pouvoir de la magie. " Il soupira, puis murmura quelque chose d’inaudible. Il hocha la tête avec satisfaction. " Je vais vous montrer. "
 
 Il ferma les yeux, puis les rouvrit. Il tendit la main vers le mur. Mahlin regardait avec attention, et il put voir l’air vibrer alors qu’un choc sourd ébranlait la pierre. Un peu de poussière s’éleva.
 " Regardez l’endroit que j’ai frappé " fit tranquillement Barel, " et dites-moi si vous voyez quelque chose. "
 Obéissant, Aarel se leva et alla inspecter la roche. Il secoua la tête.
 " Il n’y a aucune marque… "
 " Parfait. Maintenant, observez. "
 Barel referma les yeux. Lorsqu’il les ouvrit, il leva les bras au ciel et commença à incanter. Les mots, tout d’abord incompréhensibles, se chargèrent de sens au fur et à mesure qu’il parlait.
 " Shie’zar Belte’zar Metrede’zaar Qua ! Le Pacte Antique est dénoncé ! Les Démons sont emprisonnés dans le Bastion, et les larmes coulent sur la Pierre ! Nature, obéis à ton fils !"
 A peine eut-il fini de parler qu’il tendait de nouveau ses bras vers le mur. L’air ondula, et puis tout se passa trop vite pour que quiconque comprenne. Il y eut une explosion terrifiante, et une avalanche de gravats et de roche s’abattit sur eux. La fumée était partout, obscurcissant la vue, s’infiltrant dans le nez. Mahlin toussait ; il pouvait entendre les hoquets de Shani et d’Aarel, quelque part dans la pièce. Bonne nouvelle ; ils étaient en vie..
 Puis le vent se leva, et emporta la fumée, et les pierres, et la poussière. De nouveau ils purent voir. Ou constater l’absence de chose à voir. Le mur avait purement et simplement été volatilisé, et le soleil rentrait maintenant à flots par l’ouverture ménagée, jouant sur les vêtements sombres de Barel et de Mahlin, sur les cheveux sombres de Shani, sur l’air sombre d’Aarel. Quelqu’un éternua.
 " Avez-vous remarqué une différence entre les deux effets que j’ai provoqués ? " demanda Barel, toujours assis, d’un calme olympien. D’une main distraite, il brossa les restes de poussière qui entachaient sa cape. Trois paires d’yeux se tournèrent vers lui. " Ne vous inquiétez pas pour ce mur ; je ne l’aurais pas détruit si l’équilibre du manoir avait dépendu de lui. " Il grimaça ce qui pouvait passer pour un sourire. " Je pense qu’aucun parmi vous ne contestera que mon Pouvoir était bien plus efficace la seconde fois. Je me trompe ? "
 " C’était tellement plus puissant… " murmura Shani, qui s’époussetait nerveusement les cheveux. La fine couche grisée qui les recouvrait rendait sa beauté encore plus étonnante. Mahlin crut bon de tenir sa langue.
 
 Barel frappa le sol de sa main, irrité.
 " Pas plus puissant, non. Les deux Pouvoirs étaient exactement de la même force, à peu de choses près. J’espère que vous comprenez ce que cela veut dire ? "
 Ils comprenaient.
 " Ca veut dire que les incantations sont un catalyseur du Pouvoir. Ce ne sont pas les mots qui sont importants, mais les schemas d’esprit. Ils représentent la manière la plus efficace d’effectuer une action donnée. Cela veut dire que… "
 Abruptement, l’air se mit à vibrer de toutes parts, et huit silhouettes se matérialisèrent autour du pentacle. Barel se leva d’un bond, mais des chaînes luisantes, irréelles, magiques, venaient d’apparaître autour de lui, lui serrant les bras contre la poitrine.
 " Cela veut dire que leur leçon est terminée et que la tienne commence, Sorcier ! "

n°3147271
Damrod
Posté le 06-07-2004 à 17:25:02  profilanswer
 

j'aime bien ton approche de la magie.
et puis le fight Barel / Chasseurs va etre intéressant :bounce: alors la suite viiiiite !!! :bounce:

n°3147517
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 06-07-2004 à 17:48:31  profilanswer
 

Ah Depuis le début j'étais persuadé qu'il y aurait un truc avec un arc-en-ciel! Pas mal cette idée de Magie des couleurs. C'est la première fois que je rencontre cette association. Est-ce une idée originale ou bien tu l'as "empruntée" quelque part? :ange:  
 

Citation :

La porte était fermée, il frappa.  
" Tu es en retard " observa Barel tranquillement.  
 


La transition me semble trop brutale. Il frappe, il entre, son regard embrasse la pièce et son maître lui dit...
 

Citation :

" Bien. Maintenant que vous êtes tous ici, nous pouvons commencer. Ce soir, si tout se passe bien, vous pourrez utiliser la Magie. "  
Trois cris se firent entendre en même temps alors que tous cherchaient à parler. Mais cette fois-ci, la grosse voix d’Aarel ne parvint pas à prendre le dessus tant les autres tentaient de se faire entendre...


 
Je suppose que ce qui a causé l'émoi des trois héros c'est d'apprendre qu'ils pourraient très prochainemement être capable d'utiliser la magie. Ce ne serait pas inutile de préciser la cause de cette réaction.
 
 

Citation :

" La magie Noire " souffla Shani. Aarel s’agita, mal à l’aise.  
Je ne suis pas un démon. Pourquoi moi ?  


C'est Mahlin qui parle? On est dans sa tête?
 

Citation :

Tu devrais savoir qu’il n’y a pas de gentils et de méchants. Tout n’est pas aussi bien défini. Et, même s’il y en avait, je doute que les gentils s’habillent en blanc et les méchants en noir. "  


 
Je pense que tu devrais reprendre cette partie en lui donnant un ton, un sens plus profond. J'ai du mal à imaginer un personnage comme Barel parler de la nature humaine en des termes aussi simples et stéréotypés.
 
Sinon ce chapitre amène encore une foule de remarques et questions. Barel aurait donc pu leur enseigner la Magie dès leur premier jour au manoir? Quelle perte de temps alors car s'ils avaient pu commencer plus tôt ils auraient pu progresser dans la maîtrise des arts magiques.
 
Le Don est-il présent chez tout un chacun? Tout le monde peut-il apprendre et tout le monde peut-il à l'instar de Barel enseigner?
 
Excellent à bientôt pour la suite  ;) .
 
 

n°3147547
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 06-07-2004 à 17:53:27  profilanswer
 

Morpion Cosmique a écrit :

Ah Depuis le début j'étais persuadé qu'il y aurait un truc avec un arc-en-ciel! Pas mal cette idée de Magie des couleurs. C'est la première fois que je rencontre cette association. Est-ce une idée originale ou bien tu l'as "empruntée" quelque part? :ange:


 
Non, ça vient bien de moi - ou du moins, si quelqu'un l'a employé avant (ce n'est pas si original que ça), je ne suis pas au courant.
 

Morpion Cosmique a écrit :


 Barel aurait donc pu leur enseigner la Magie dès leur premier jour au manoir? Quelle perte de temps alors car s'ils avaient pu commencer plus tôt ils auraient pu progresser dans la maîtrise des arts magiques.


 
 :whistle:  
 

Morpion Cosmique a écrit :


Le Don est-il présent chez tout un chacun? Tout le monde peut-il apprendre et tout le monde peut-il à l'instar de Barel enseigner?


 
Non, et non ;)

n°3147620
docwario
Alea jacta est
Posté le 06-07-2004 à 18:01:39  profilanswer
 

Citation :


Mais le sommeil le fuyait. Exaspéré, il ouvrit les yeux, et fixa le plafond. Les lourdes pierres poussiéreuses lui rendirent son regard, impavides.


 
j'ai chercher la definition de "impavides" ->
 
Impavide : impossible à paver.
ex. Les rues de la capitale sont impavides.
 
[EDIT] Impavide : Qui ne se laisse pas ébranler par la peur.
 
C'est juste que ca donne une tournure bizarre a la phrase...
 
sinon, tres bien et vivement la suite


Message édité par docwario le 06-07-2004 à 18:14:52
n°3147967
yulara
Byte Hunter
Posté le 06-07-2004 à 18:40:56  profilanswer
 

ah je le savais que Barel etait un mage noir! par contre, s'il est devenu vert, et s'il n'utilise que de la magie verte, comment les chasseurs l'ont repéré? ça voudrait dire que les chasseurs sentent la couleur? dans ce cas, dans le village, ils ont du sentir le potentiel et la couleur des apprentis... donc ils savent que mahlin est noir...
ou alors Barel a utilisé de la magie noire, et c'est pour ça qu'ils l'ont démasqué. dans ce cas, ils savent pas que mahlin est noir...
t1 ce casse-tete grrr
 
de toute façon, je suppose que maintenant que les apprentis sont initiés, ils peuvent pas les laisser dans la nature, ce serait trop dangereux...
 
je veux la suite!!! j'aime pas pas savoir!!! :cry:
 
PS: perso, je suis pas d'accord avec les remarques de Morpion Cosmique, je préfères un bouquin qui a du rythme et qui laisse la place à l'imagination, plutot qu'une suite ininterrompue de descriptions ou d'explication... m'enfin ce n'est que mon avis

n°3151783
Morpion co​smique
acarien à cirer
Posté le 07-07-2004 à 11:17:37  profilanswer
 

Je voudrais embrayer sur cette intervention au sujet des chasseurs. Au chapitre 3 l'un d'eux déclarait:
 

Citation :

" La Forêt Hurlante ...Il semblerait que quelqu’un maintienne cette forêt sous contrôle climatique. La température là-bas est bien plus douce qu’ici, et un vent tiède transporte les graines en tous sens pour aider la germination. "  
Il haussa les épaules.  
" Un mage vit sans aucun doute dans ces bois. Il est non autorisé.


 
Les chasseurs traquent-ils Barel parcequ'il se sert de magie noire ou bien parcequ'il est un mage vert non autorisé? Ou pour poser la question plus simplement: qu'est-ce qu'un mage non autorisé?

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