Citation :
Vingt ans après, les mots des livres réouverts (1), comme les paroles
recueillies auprès des survivants dans ce qui reste des camps de Sabra et
Chatila dégoulinent de sang. Le temps na rien lavé. Tout au long de mon
enquête, jai été tétanisé par ces récits qui charrient, enchevêtrés, enfants
égorgés ou empalés, ventres de femmes ouverts avec leurs foetus, têtes et
membres coupés à la hache, monceaux de cadavres... Jusquà la nausée.
Je ne suis pas entré dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila par la
porte principale, mais par un quartier insalubre, en périphérie, dans lequel
vivent les nouveaux arrivants, notamment dAsie. Je débouche sur la « grande
rue » qui reliait lhôpital Gaza - aujourdhui disparu - à lentrée principale
située près de lambassade du Koweït, au luxe aussi incongru que celui de la
nouvelle Cité sportive toute proche, où étaient regroupés et interrogés les
adultes palestiniens et libanais ayant échappé au massacre. Les gens sy
faufilent entre les boutiques, les étals de marchands de fruits, de CD, de
produits neufs et usagés, entre les voitures et les scooters...
Comment choisir entre tous les témoins directs ou indirects des massacres qui,
sans hausser la voix, font revivre pour moi les scènes dhorreur de la
mi-septembre 1982 ?
Mme Oum Chawki, 52 ans, a perdu dix-sept personnes de sa famille, dont un fils
de 12 ans et son mari. Elle habitait dans le quartier de Bir Hassan, près de
lambassade du Koweït. Après les massacres, elle sest installée, avec ses douze
enfants restants, dans la rue principale de Chatila. Elle vit au quatrième étage
dun bâtiment construit selon des règles darchitecture approximatives.
Lintérieur est propre, des bouquets de fleurs artificielles complètent les
couleurs des fauteuils et des reproductions collées ou accrochées au mur - Al
Qods (Jérusalem) et le drapeau du Hamas. Même si elle nappartient pas à cette
organisation : « Je nadhère à rien. Je ne mengagerai que lorsque je serais
sûre du résultat. » Et ses enfants ? « Je ne veux pas quils se sacrifient
pour rien, mais le jour où je serai sûre dassouvir ma vengeance, je les
encouragerai et je serai avec eux... »
Chaque jour et chaque nuit, elle revoit les images de cadavres, de gens mutilés,
de son fils et de son mari quelle na jamais revus et dont elle ne sait rien.
Les couleurs du salon narrivent pas à atténuer le noir de sa robe, de ses
cheveux et de ses yeux. Mme Oum Chawki ne sourit pas et senflamme sans élever
la voix quand elle revit la deuxième tragédie de sa famille (la première ayant
été le départ en 1948 de Tarshiha, un village près de Haïfa).
- On a frappé à la porte de la maison. Quelquun a dit : « Nous sommes
libanais, nous venons faire une perquisition pour chercher des armes... » Mon
mari a ouvert la porte, pas spécialement inquiet, car il nappartenait à aucune
organisation combattante. Il travaillait au club de golf, près de laéroport.
Mme Chawki parle ensuite des trois soldats israéliens et dun militaire des
Forces libanaises, les milices chrétiennes de droite, qui sont entrés dans la
maison, ont pris les bracelets de sa fille et arraché ses boucles doreille -
elle montre le lobe déchiré dune de ses oreilles - et les ont frappés.
Elle est certaine que ces soldats venaient dIsraël.
- Leurs uniformes étaient différents de ceux des Forces libanaises et ils ne
parlaient pas en arabe. Je ne sais pas si cétait de lhébreu, mais je suis sûre
que cétaient des Israéliens.
Ce nest pas impossible, car le quartier de Bir Hassan, hors du périmètre des
camps, était occupé par larmée israélienne. Comme dautres familles
palestiniennes, celle dOum Chawki avait été transportée à lintérieur des
camps.
- On nous a fait monter dans une camionnette, qui a roulé vers lentrée du camp
de Chatila. Les militaires ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Le
Libanais a pris les papiers de trois de nos cousins avant de les abattre devant
nous. Mon mari, mon fils et dautres cousins ont été emmenés par les Israéliens.
Les femmes et les enfants sont partis à pied vers la Cité sportive. Sur le bord
de la route, des femmes criaient, pleuraient, affirmant que tous les hommes
avaient été tués... Le soir, dans la pagaille, Mme Chawki sest enfuie avec ses
enfants vers le quartier de la caserne El Hélou. Au petit matin, elle a laissé
ses enfants dans une école avant de repartir à pied vers la Cité sportive pour
senquérir du sort de son mari et de son fils. Elle na pas pu parler à lun des
officiers israéliens présents. Elle a entendu des ordres donnés en arabe pour
que les hommes fassent tamponner leurs cartes didentité, et vu un camion
israélien plein dadultes et de jeunes gens. Une femme en sanglots, qui a perdu
toute sa famille, lui a montré lendroit où étaient déversés les cadavres. Les
deux femmes ont alors marché vers le quartier dOrsal et enjambé des morts
libanais, syriens et palestiniens. Mme Chawki dit en avoir vu des centaines.
Cest effectivement le quartier dOrsal qui a compté le plus de victimes.
- Ils étaient méconnaissables. Visages déformés, gonflés... Jai vu vingt-huit
corps dune même famille libanaise, dont deux femmes éventrées... Jessayais de
repérer les vêtements de mon fils et de mon mari. Jai cherché toute la journée.
Je suis revenue encore le lendemain... Je nai reconnu aucun cadavre de gens de
Bir Hassan.
Mme Chawki a vu des soldats libanais creuser des fosses pour y pousser les
cadavres... Elle na jamais retrouvé ceux de son mari et de son fils. Elle
aborde plus difficilement le cas de sa fille qui a été violée...
- Je pense à tout cela nuit et jour. Jai élevé seule mes enfants... Jai été
obligée de mendier. Je noublierai jamais. Je veux venger tout cela. Mon coeur
est comme la couleur de ma robe. Je transmettrai ce que jai vu à mes enfants, à
mes petits-enfants...
Sous les injures
Après avoir circulé dans un incroyable dédale de toutes petites ruelles, où
pendent partout des fils électriques, où courent au sol des canalisations deau,
jarrive enfin dans un local de trois ou quatre bureaux. Dans lun deux, tout
au fond, Mme Siham Balkis, présidente de lAssociation du retour, est assise,
droite, derrière un petit bureau. Egalement assis autour de la pièce, un
responsable palestinien et deux autres survivants. Mme Balkis, la quarantaine,
est une militante engagée et déterminée. Sa famille est originaire de Kabé, dans
la province dAkka, en Israël. Elle commence son récit recto tono.
- Le massacre a commencé le jeudi soir vers 17 h 30. Nous ny avons pas cru...
Nous sommes restés à lintérieur de notre maison jusquau samedi matin et
navons pas su grand-chose, sinon que, jeudi et vendredi, un petit groupe de
Palestiniens et de Libanais ont essayé de se défendre, mais ils nétaient pas
assez nombreux et navaient pas assez de munitions. Nous avons vu, la nuit, des
fusées éclairantes et entendu des coups de feu. Nous croyions que les Israéliens
voulaient seulement sen prendre aux combattants et trouver leurs armes... Quand
tout est redevenu calme, le samedi matin, nous sommes montés sur le balcon et
avons aperçu un groupe des Forces libanaises (FL) accompagné dun officier
israélien. Les Libanais nous ont crié de sortir. Ce que nous avons fait, sous
les injures. LIsraélien avait un talkie-walkie. Un des Libanais le lui a pris
et a dit : « Nous sommes arrivés à la fin de la zone cible. »
Mme Balkis est sûre quil sagissait dun Israélien car, dit-elle, il avait un
badge en hébreu et navait pas un visage darabe. Il parlait avec les Libanais
en français.
Avec dautres elle a été emmenée vers lhôpital Gaza. Leurs accompagnateurs ont
rassemblé les médecins étrangers et les gens qui sétaient abrités dans et
autour de lhôpital.
- Ils ont tué une dizaine de combattants. Ils ont repéré un jeune Palestinien
qui avait revêtu une blouse blanche au milieu des médecins et infirmiers et ils
lont tué. Quand tout le monde a été rassemblé - des centaines de personnes -,
nous sommes partis vers lambassade du Koweït. Il y avait beaucoup de cadavres
dans les rues. Des jeunes filles avec les poings liés. Des maisons détruites.
Des chars, probablement israéliens. Les restes dun bébé incrustés dans les
chenilles de lun dentre eux. Avant darriver à la Cité sportive, les hommes
ont été séparés. Des militaires demandaient aux jeunes gens de ramper. Ceux qui
rampaient bien étaient considérés comme des combattants et abattus par des
militaires des Forces libanaises. Les autres recevaient des coups de pied...
Jai vu Saad Haddad (2) avec dautres devant lambassade du Koweït. Puis, en
arrivant près de la Cité sportive, un grand nombre de soldats israéliens. Un
colonel israélien a dit que les femmes et les enfants pouvaient rentrer chez
eux. Plus tard, jai aperçu mon frère monter dans une Jeep alors que dautres
montaient dans des camions. Jai couru vers lui. En vain. Jai entendu un
officier dire en arabe : « On va vous livrer aux FL. Ils sauront mieux vous
faire parler que nous. »
Tous les témoins racontent grosso modo les mêmes histoires, les mêmes horreurs.
Jai ainsi rencontré Mme Kemla Mhanna, une épicière libanaise du quartier Orsal :
- Tous les gens de notre quartier qui sont restés ont été assassinés. En
majorité des Libanais. Quand je suis revenue, un monceau de corps étaient
empilés. A côté de chez moi, un Palestinien était accroché à un croc de boucher,
découpé en deux comme un mouton. Jai vu comment, dans la grande fosse, on a
déposé une première couche de cadavres sur laquelle on a étalé du sable, puis on
a remis une couche de cadavres et ainsi de suite... Jai vu aussi un autre
Libanais du quartier Orsal, Hamad Chamas, un des rares survivants du massacre de
ce quartier. Il était dans un abri quand sont arrivés deux Israéliens dans une
Jeep et sept ou huit soldats. Je suis sûre que ces soldats étaient israéliens
car il portaient des uniformes israéliens et ne parlaient pas un arabe correct.
Les soldats nous ont demandé de sortir de labri en nous injuriant. Ils mont
donné lordre de déposer lenfant que javais dans les bras et de me mettre en
rang avec les autres. Lun dentre eux, qui parlait bien arabe, a fouillé tout
le monde et a pris largent dun des hommes, puis ils ont tous tiré sur nous.
Jétais seulement blessée à la tête et à la cuisse, sous une pile de cadavres.
Il y a eu vingt-trois morts... Je me suis cachée dans un abri toute la nuit. Au
petit matin, il y avait une forte odeur de cadavres partout.
La loi de la mémoire
Rien de nouveau dans ces témoignages. Ils ressemblent à ceux que Mme Leïla
Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, une des premières à visiter
les camps après les massacres, a recueillis seule ou avec Jean Genet. Ils sont -
aux accidents de la mémoire près - également conformes à ceux des membres
(anglais, norvégiens, suédois, finlandais, allemands, irlandais et américains)
de léquipe médicale de lhôpital Gaza et à ceux quont enregistrés de nombreux
journalistes après les massacres.
Elias Khoury, écrivain libanais et homme de théâtre renommé (3), raconte avec
passion le combat impossible pour la mémoire du peuple palestinien en général et
pour les massacres de Sabra et Chatila en particulier.
- La loi de la mémoire ne fonctionne pas chez les Palestiniens, car les
massacres continuent : Deir Yassine, Qibya (4), Sabra et Chatila, et aujourdhui
Jénine. Il leur est impossible de regarder le passé puisque le passé, cest
encore le présent. Ils sont depuis 1948 dans un mécanisme infernal... Les
Palestiniens sont victimes de linstrumentalisation de la Shoah par le
gouvernement israélien. Les normes éthiques sarrêtent aux frontières dIsraël.
Dans ce contexte, lidée même de la tragédie de Sabra et Chatila devient
marginale...
Dautant quau Liban la question est taboue : le premier accusé était Elie
Hobeika (5), qui a été ministre du gouvernement...
- Les criminels ont pris le pouvoir après la guerre, poursuit Elias Khoury. De
plus, les Palestiniens sont devenus les boucs émissaires de la guerre au Liban
et ils sont régis dans ce pays par des lois qui nont rien à envier à celles de
Vichy à légard des juifs. Même les chiffres de morts et de disparus demeurent
dans le plus grand flou. Ils varient, selon les estimations, de 500 à 5 000. Une
historienne, Mme Bayan Hout, essaie depuis vingt ans de combler cette
lacune. Née à Jérusalem, où elle a vécu jusquà lâge de 9 ans, professeure à
luniversité de Beyrouth, cette Libanaise a fait un travail de fourmi auprès des
familles des victimes et disparus, analysé des centaines de questionnaires,
croisé les listes des organisations humanitaires, de la Croix-Rouge, essayé de
retrouver tous les cimetières... Elle est maintenant sûre de ses chiffres : 906
tués de 12 nationalités, dont la moitié de Palestiniens... et 484 disparus, dont
100 ont été sûrement enlevés. Soit un chiffre global de 1 490 victimes
identifiées.
Ces massacres et ces disparitions sinscrivent dans le contexte de la guerre
lancée par le gouvernement israélien le 6 juin 1982 pour obtenir la
neutralisation de lOrganisation de libération de la Palestine (OLP). Linvasion
du Liban a coûté la vie à plus de 12 000 civils, fait quelque 30 000 blessés et
a laissé 200 000 personnes sans abri.
Mi-juin 1982, les Israéliens ont commencé le siège de Beyrouth et encerclé les
15 000 combattants de lOLP et de ses alliés libanais et syriens. Le président
des Etats-Unis, M. Ronald Reagan, a envoyé, début juillet, M. Philip Habib -
assisté de M. Morris Draper - pour résoudre cette crise risquant dembraser le
Proche-Orient et de menacer les intérêts américains. Il savère rapidement que
le règlement de la crise passe par le départ des combattants palestiniens et de
M. Yasser Arafat de Beyrouth. Ce dernier est bientôt convaincu quil na pas
dautre solution.
Les négociations vont être compliquées parce que les Israéliens et les
Américains ne veulent pas discuter directement avec les Palestiniens (6) : Elias
Sarkis, le président chrétien du Liban, et son premier ministre sunnite, Chafiq
Wazzan, vont servir dintermédiaires. Parce que les Israéliens vont poursuivre
une pression militaire brutale et exiger de M. Arafat une reddition totale et
honteuse.
Celui-ci multiplie les offres et cherche à obtenir des garanties de sécurité
pour les familles palestiniennes qui resteront au Liban. Il craint les exactions
des soldats israéliens ou de leurs alliés phalangistes. Pour M. Arafat, ces
garanties ne peuvent être quaméricaines et internationales.
M. Habib obtient finalement lassurance du premier ministre israélien que ses
soldats nentreront pas dans Beyrouth-Ouest et ne sattaqueront pas aux
Palestiniens des camps ; lassurance du futur président libanais, Béchir
Gemayel, que les phalangistes ne bougeront pas ; lassurance du Pentagone que
les marines seront les garants ultimes de ces engagements. Fort de ces
promesses, le représentant de M. Reagan sengage par écrit sur la sécurité des
civils. Deux lettres sont ainsi adressées au premier ministre libanais. Cet
engagement américain se retrouvera dans la quatrième clause de laccord du
départ de lOLP, publié par les Etats-Unis le 20 août, cest-à-dire à la veille
de lembarquement des premiers combattants palestiniens (7).
Pourtant, M. Arafat est de plus en plus
inquiet du sort des civils palestiniens.
M. Habib (8) entreprend une nouvelle démarche auprès de Béchir Gemayel,
qui
renouvelle ses promesses. Il insiste sur le rôle de la force
multinationale
composée de 800 Français, 500 Italiens et 800 Américains. Le premier
contingent - français - arrive le 21 août et doit assurer lévacuation
et la collecte des
armes. Cette force doit rester une trentaine de jours, empêcher tout
dérapage et
protéger les familles palestiniennes. Finalement, M. Arafat accepte de
quitter
Beyrouth...
Mais personne ne respectera sa parole. A commencer par le gouvernement
américain. M. Caspar Weinberger, secrétaire à la défense, donnera lordre à ses
marines de quitter le Liban alors même que les milices chrétiennes prennent
position, le 3 septembre, dans le quartier Bir Hassan, en bordure des camps de
Sabra et Chatila. Le départ des Américains entraîne automatiquement celui des
Français et des Italiens. Le 10 septembre, le dernier soldat est parti de
Beyrouth, alors que M. Habib avait fondé son plan sur une évacuation entre le 21
et le 26 septembre.
Le 14 septembre, Bechir Gemayel, le nouveau président libanais porté au pouvoir
par les Israéliens, est assassiné. M. Ariel Sharon prend ce prétexte pour
envahir Beyrouth-Ouest, pour cerner les camps de Sabra et Chatila et encourager
les milices libanaises à les nettoyer.
Une « responsabilité personnelle »
A ce jour, une seule enquête officielle a été menée, celle de la commission
israélienne dirigée par Itzhak Kahane, le chef de la Cour suprême, rendue
publique en février 1983. Elle charge les phalangistes et, dans une moindre
mesure, M. Ariel Sharon. Le rapport parle dabord dune grave erreur de
celui-ci, qui na « pris aucune mesure pour surveiller et empêcher les
massacres ». Il se dit « perplexe » sur lattitude de M. Sharon qui na pas
prévenu Menahem Begin de sa décision de faire entrer les phalangistes dans les
camps. Pour finir, il lui reconnaît la « responsabilité de navoir pas ordonné
que les mesures adéquates soient prises pour empêcher déventuels massacres ».
M. Sharon porte une « responsabilité personnelle » et « doit en tirer les
conclusions personnelles ».
Les journaux israéliens ont publié - en 1994 notamment - de nombreux articles
confirmant et amplifiant ces conclusions. Ainsi, Amir Oren, à partir de
documents officiels, a, dans Davar du 1er juillet 1994, affirmé que les
massacres faisaient partie dun plan décidé entre M. Ariel Sharon et Béchir
Gemayel, qui utilisèrent les services secrets israéliens, dirigés alors par
Abraham Shalom, qui avait reçu lordre dexterminer tous les terroristes. Les
milices libanaises nétaient rien moins que des agents dans la ligne de
commandement qui conduisait, via les services, aux autorités israéliennes.
Lémission « Panorama », intitulée LAccusé, qui est passée sur la BBC le 17
juin 2001, a fait progresser la connaissance, notamment grâce au témoignage,
difficilement contestable, de M. Morris Draper, lassistant de M. Habib. Au
rappel des affirmations de M. Sharon quil ne pouvait prévoir ce qui est arrivé
dans les camps, M.Draper sest contenté de faire un bref commentaire :
« Complètement absurde. » Il a raconté sa rencontre, à Tel-Aviv, au ministère
de la défense, avec MM. Sharon et Yaron, son chef détat-major, le jeudi, alors
que les Israéliens étaient déjà entrés dans Beyrouth-Ouest malgré leur promesse.
M. Amos Yaron a justifié cette décision par la volonté dempêcher les
phalangistes de se retourner contre les Palestiniens après lassassinat du
président Béchir Gemayel. « Notre groupe dune vingtaine de personnes resta
silencieux. Ce fut un moment dramatique. » Précisant que les Etats-Unis avaient
refusé la proposition israélienne de déployer les phalangistes dans
Beyrouth-Ouest « parce que nous savions que ce serait un massacre si ces
gens-là entraient », il ajoute : « Il ne fait aucun doute que Sharon est
responsable [des massacres] ; cest le cas même si dautres Israéliens doivent
partager cette responsabilité. »
Lancien diplomate américain na pas été interrogé sur les responsabilités
américaines ni sur celles de lItalie et de la France, qui ont retiré leurs
soldats après le départ des marines...
Vingt ans après, les familles des victimes et des disparus des camps de Sabra et
Chatila ont droit à la vérité. Pour pouvoir faire enfin le deuil. Cela ne
concerne pas que les familles. Tout le monde a le droit de savoir pourquoi,
comment et qui a organisé et exécuté des actes dune telle sauvagerie.
Lire aussi :
La bataille de Bruxelles
Une troisième équipe
En trois mois...
(1) Les principaux livres sur les massacres de Sabra et Chatila consultés :
Rapport de la commission Kahane, Stock, 1983 ; Sabra et Chatila, enquête sur
un massacre, dAmnon Kapeliouk, Seuil, 1982 ; Israël, de la terreur au
massacre dEtat, dIlan Halevi, Papyrus, 1984 ; Genet à Chatila, textes
réunis par Jérôme Hankins, Babel, 1992 ; Opération boule de neige, de Shimon
Shiffer, J.-C.Lattès., 1984 ; Revue détudes palestiniennes, nos 6 et 8.
(2) Le patron de lArmée du Liban sud qui travaillait avec les Israéliens.
(3) Lire notamment Les Portes du soleil, publié par Le Monde diplomatique et
Actes Sud, qui raconte cinquante ans du drame palestinien. Sa pièce Les
Mémoires de Job a eu beaucoup de succès à Paris.
(4) Deir Yassine est un petit village situé à une dizaine de kilomètres de
Jérusalem, où ont été massacrés plus de cent villageois au printemps 1948. A
Qibya, en Cisjordanie, en octobre 1953, lors dopérations de représailles
dirigées par Ariel Sharon, larmée israélienne fit exploser quarante-cinq
maisons avec leurs habitants. Soixante-neuf personnes, pour moitié des femmes et
des enfants, périrent sous les décombres.
(5) Elie Hobeika est considéré comme le principal bourreau de Sabra et Chatila.
Il a été assassiné le 24 janvier 2002 à Beyrouth, alors quil sapprêtait à
venir témoigner à Bruxelles. Selon Me Chebli Mallat, lavocat libanais des
plaignants, ce ne sont pas les révélations de Hobeika qui étaient dangereuses
pour M. Sharon, mais sa simple venue à Bruxelles. Dès lors quil était devant le
tribunal et obligatoirement inculpé, le problème de la compétence du tribunal ne
se posait plus.
(6) Pourtant, des discussions directes mais discrètes existaient depuis des
années à Beyrouth entre des dirigeants palestiniens et lambassade américaine
ainsi quavec la CIA. En 1979, par exemple, M. Arafat a réussi à faire libérer
13 otages américains à Téhéran.
(7) In American Foreign Policy, Current Documents, 1982, département dEtat,
Washington. « Les Palestiniens non combattants, respectueux de la loi, restés à
Beyrouth, y compris les familles de ceux qui sont partis, seront soumis aux lois
et aux règlements libanais. Le gouvernement libanais et les Etats-Unis leur
apporteront les garanties de sécurité appropriées. (...) Les Etats-Unis
fourniront leurs garanties sur la base des assurances reçues des groupes
libanais avec lesquels ils sont en contact. »
(8) Sur lhistoire des négociations menées par M. Habib, lire Cursed is the
Peacemaker, de John Boykin, préfacé par George Shultz, alors secrétaire dEtat,
Applegate Press, Washington, 2002, et The Multinational Force in Beirut
1982-1984, sous la direction dAnthony McDermott et Kjell Skjelsbaek, Florida
International University, Miami, 1991.
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/09/PEAN/16863
|