Quelques mots sur Lula, l'homme qui va affronter Bolsonaro aux élections présidentielles, au Brésil.

J’ai rencontré Lula en février 1990. Il venait de rater l’élection présidentielle. J’ai été frappé par son charisme. Il irradiait la détermination.
Qui est Lula, l’homme qui se présente aux élections présidentielles brésiliennes face au néo-fasciste Bolsonaro ?

C’est un gosse de la misère, devenu métallo, syndicaliste, puis leader d’une immense grève à Sào Paulo. Lula a échoué trois fois, puis il a été élu président du Brésil de 2003 à 2011. Il sort 30 millions de personnes de la misère grâce à des programmes sociaux efficaces. Notamment un salaire universel pour les plus pauvres. Ce n’est pas un dictateur. Il ne remet pas en cause l’économie de marché, permet même aux entreprises brésiliennes de connaitre un bond en avant pendant sa présidence grâce à une politique de redistribution (il sait que ça ne ruisselle pas très bien, l’économie). Il est une figure de la gauche latino-américaine mais à l’envers de tant d’autres, il ne touche pas à la liberté d’expression, à la presse libre et à la liberté d’entreprendre. Lula quitte la présidence, en 2011, avec un taux de satisfaction de 87%. Du jamais vu dans l’histoire du pays (et probablement de la planète). Il est littéralement adulé dans les favelas. Sa proximité physique avec les gens de condition modeste touche au religieux.

Mais sous sa présidence, la corruption, fléau de la politique brésilienne, ne cessera jamais. Y compris dans son propre parti. Les marchés publics sont toujours attribués avec des enveloppes en dessous de table. L’argent circulait avant son règne, il circulera pendant.
Lula aurait-il aussi augmenté sa fortune personnelle ?

Lula ne prête pas attention à l’information mais dès 2007, alors qu’il est encore président, se forme un groupe de travail discret de juristes américains du Department of Justice consacré au Brésil. Officiellement dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Dans un message à Washington, révélé par Le Monde, l’ambassadeur américain à Brasilia, Clifford Sobel explique vouloir créer un réseau d’experts locaux en mesure de défendre les intérêts américains « sans avoir l’air d’être des pions ». C’est le « Projeto Pontes ». Très vite, le projet va dériver vers la lutte anti-corruption. Les Américains ont identifié un groupe de magistrats brésiliens disposés à s’approprier les méthodes de travail américaines et à partager l’information de manière « informelle ». Parmi les stratégies enseignées : mener une campagne efficace contre la corruption doit s’incarner dans une offensive contre le « roi », un personnage symbolique qui cristallise la colère de la population. Il s’agit d’utiliser la puissance des médias. Et aussi un système de protection des repentis délateurs comme dans la lutte contre la mafia. Parmi ces magistrats brésiliens, un certain Sergio Moro. Mais pour l’instant, rien n’a commencé…
Lula est remplacé à la présidence par sa plus proche collaboratrice : Dilma Rousseff. Cette ancienne résistante contre la dictature devient la première femme à la tête de la république brésilienne. C’est pendant la présidence de Dilma que le juge Sergio Moro va déclencher une enquête anti-corruption massivement médiatisée : Lava-Jato. C’est la plus grande opération anti-corruption de l’histoire du pays. Entre 2014 et 2019, de nombreuses investigations impliquent une grande partie de la classe politique brésilienne. À l’origine de l’enquête, un système de pots-de-vin qui liait l’entreprise publique Petrobras et des groupes de BTP, des politiques, et des lobbyistes

Lula est accusé d’avoir accepté un appartement duplex de la part de l’entreprise OAS en échange de contrats publics. L’accusation repose sur une dénonciation individuelle, sans preuve matérielle. Dans un interrogatoire filmé, Lula exige du juge Moro le moindre document prouvant qu’il est propriétaire du fameux duplex. Celui-ci ne répond pas.
Le juge Moro fait écouter illégalement Lula et publie les écoutes. On y sent un homme aux abois tentant d’échapper à la prison en intégrant le gouvernement de Dilma Roussef. La manœuvre échoue. Il doit quitter le gouvernement. Sujet à nouveau à l’emprisonnement.
Le déferlement médiatique est hallucinant : TV Globo, les grands magazines, tous accablent Lula.
Une puissante opération de manipulation de la perception créée le sentiment dans le public que les preuves sont abondantes. Même en Europe, la presse sérieuse reprend la version officielle, sans trop la remettre en cause. Au Brésil, dans les grandes villes du sud-est, Rio, São Paulo, des manifestations massives, plutôt des classes moyennes supérieures blanches, déploient une haine phénoménale à son égard. Le « roi » est mort. Il est désormais représenté en costume de bagnard.

Le 12 juillet 2017, Lula est condamné par le juge Sergio Moro pour « corruption passive et blanchiment d’argent » à près de 10 années de prison. Son sort est scellé. Il finira ses jours en prison.
Peu de journalistes font état du fait que ces charges sont prononcées « pour des faits indéterminés ». L’argument est pourtant énoncé explicitement dans le document de 238 pages détaillant la décision de M. Moro. Dans les annexes de la condamnation, le magistrat précise qu’il n’a « jamais affirmé que les montants obtenus par l’entreprise OAS grâce aux contrats avec Petrobras ont été utilisés pour payer des avantages indus pour l’ancien président ».

De nouvelles élections présidentielles sont organisées en 2018. Surgit une figure nationale-populiste restée à la marge jusqu’alors : Jair Bolsonaro. Un ancien militaire exubérant, une sorte de Trump brésilien.
Bolsonaro est aidé par Steve Bannon, le machiavel qui a propulsé Trump au pouvoir. La méthode est la même. Des vagues de fake news sur les réseaux sociaux. Des boucles Whatsapp où l’on affirme que le candidat du PT, Fernando Haddad, d’origine libanaise, implémentera la chariah au Brésil s’il venait à être élu.
Bolsonaro gagne. Pour la première fois depuis très longtemps, l’extrême droite retourne au pouvoir au Brésil. Entre le Brésil de Bolsonaro et l’Amérique de Trump, les deux géants du continent américain, un axe se créée.
Sergio Moro, le juge qui a mené l’enquête contre Lula et l’a fait condamner, est nommé ministre de la justice par Bolsonaro.
En juin 2019, Rouge (Vermelho, en portugais) rentre en jeu, presque par accident. Rouge c’est le surnom d’un jeune hacker : Walter Delgatti. Il doit son surnom non pas à ses opinions politiques mais à la couleur de ses cheveux. Ce jeune rouquin, va changer le cours de l’histoire.
Rouge a pénétré les téléphones d’un magistrat qui l’incriminait dans une autre affaire, injustement d’après lui. Son affaire n’a rien à voir avec celle de Lula. Sauf que le juge hacké est en contact avec les magistrats ayant envoyé Lula en prison. En pénétrant leur groupe confidentiel Telegram, le hacker découvre leurs échanges, dans lesquels les magistrats reconnaissent que les preuves sont inexistantes et que, contre toutes les règles du droit, le juge collaborait secrètement avec le procureur. La partie était truquée. Scandalisé, Rouge confie ses documents à un site d’investigation, The Intercept dont le bureau de Rio est dirigé par Glenn Greenwald. Qui les publie.
Le monde découvre qu’il n’existait pas de preuves contre Lula et que celui-ci a été victime d’un coup d’état d’un genre nouveau : le Lawfare. Ou comment subvertir la loi et en faire une arme pour renverser ceux qui sont au pouvoir. On apprend aussi que des conseillers américains du Department Of Justice et du FBI ont accompagné discrètement toute l’opération. Le réseau judiciaire américano-brésilien a nourri toute l’opération Lava-Jato.
Le tribunal suprême ordonne la libération de Lula. Il sort blanchi de prison.

Depuis, il n’a cessé de faire le tour du pays. Et il se présente demain devant les électeurs brésiliens. Bolsonaro a déjà laissé entendre qu’il pourrait mener un coup d’état si les résultats lui sont défavorables.
Espérons que le monde ne détourne pas la tête de ce qui va se passer dans les jours qui viennent.

60% des votes ont été dépouillés. Il y a désormais moins d’un point d’écart entre Jair Bolsonaro (46%) & Lula Da Silva (45.2%).