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Les voyants sont au rouge, mais les statistiques sont muettes sur le sujet. Le seul distinguo autorisé par l'administration porte en effet sur la nationalité, et non sur l'origine. Chaque année, les étrangers représentent environ 20% des délinquants (1). Mais les chiffres masquent une réalité autrement plus dérangeante, plus difficile à cerner aussi. Longtemps, on a cherché à cacher, maladroitement, la surreprésentation des enfants de l'immigration, pourtant visible, au motif qu'ils sont d'abord des enfants de la France. Sous le gouvernement Jospin, des consignes non écrites ont même été passées aux services de communication de la police. «On nous demandait de ne citer aucun prénom, se souvient un communicant de l'époque. C'était considéré comme trop stigmatisant.»
Cependant, les policiers de terrain le constatent depuis des années. Et, aujourd'hui, ils s'inquiètent notamment de l'agressivité de jeunes Blacks, en échec scolaire, coupés de tous repères familiaux. «Les Noirs que nous interpellons se manifestent par une violence instantanée, constate un commissaire en poste dans une banlieue sensible. Ils sont fréquemment impliqués dans des vols à l'arraché ou des vols à la portière. Tandis que les Maghrébins, par exemple, sont plus structurés, autour des réseaux de drogue.» Les émeutes en banlieue, en novembre 2005, ont jeté à la face du monde l'image de jeunes Français d'origine étrangère, harcelant les forces de l'ordre et incendiant des voitures.
A quoi ressemblent les délinquants de tous les jours? Pour le savoir, il suffit de se plonger dans un fichier méconnu, baptisé «Canonge», qui comporte l'état civil, la photo et la description physique très détaillée des personnes «signalisées» lors de leur placement en garde à vue. Grâce à cette base de données présentée à la victime, celle-ci peut espérer identifier son agresseur. Or ce logiciel, réactualisé en 2003, retient aujourd'hui 12 «types» ethniques: blanc-caucasien, méditerranéen, gitan, moyen-oriental, nord-africain-maghrébin, asiatique-eurasien, amérindien, indien, métis-mulâtre, noir, polynésien, mélanésien.
Cet outil est à manier avec prudence. D'abord, parce que, même si le Canonge est légal, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) interdit d'exploiter ses renseignements à d'autres fins que celle de la recherche d'un auteur présumé. Ensuite, parce qu'il ne dit rien de la nationalité et de l'origine de l'individu - qui peut être français depuis plusieurs générations malgré un physique méditerranéen, par exemple. Enfin, parce que les mentions sont portées par l'officier de police, avec la part de subjectivité que cela suppose.
«Je vous avais prévenu: il y a peu de Gaulois!»
A Paris, le Canonge comprend environ 103 000 hommes, dont 37% de Blancs, 29% de Nord-Africains et 19% de Noirs. Pour l'anecdote, un seul Mélanésien est référencé. «Mes agresseurs avaient entre 18 et 20 ans. Plutôt grands, d'origine maghrébine: je n'avais pas d'autres indications à fournir à la police, se souvient une victime d'agression. J'ai été invité à les reconnaître dans le fichier. J'ai mis une bonne heure: il y avait plus de 2 000 photos.»
Cette proportion de Français d'origine étrangère est encore plus forte parmi les jeunes de certaines banlieues. Ainsi, dans cette commune du Val-d'Oise, où plus de 7 500 hommes âgés de 25 ans sont répertoriés dans le fichier Canonge, les Blancs représentent moins de 2%, de même que les Noirs, contre près de 45% pour les Nord-Africains, soit 3 200 individus. «Je vous avais prévenu: il y a peu de Gaulois!» indique un enquêteur. Dans un département de la grande couronne, comme la Seine-et-Marne, les Blancs constituent la moitié des suspects. Dans les départements ruraux, le taux est plus élevé.
La lecture des mains courantes des commissariats prouve cette répartition inégale. Ces outils recensent le tout-venant de la délinquance: des délits de fuite au vol à la roulotte, en passant par les troubles du voisinage. L'Express a pu en consulter deux, l'une dans un arrondissement chic de Paris, l'autre dans un secteur populaire. Elles ne se ressemblent pas.
«Pour un observatoire indépendant»
Daniel Vaillant, ancien ministre de l'Intérieur, sous Lionel Jospin, estime qu'un tel outil serait le seul moyen de lever le tabou sur l'origine des délinquants
Pensez-vous qu'il soit nécessaire de réformer les statistiques de la police afin d'y faire apparaître l'origine des délinquants?
Je crois que cette question pourrait être confiée à un observatoire indépendant qui recueillerait les données avec toute la confidentialité nécessaire. Il faudrait, bien sûr, l'accord et le contrôle de la Cnil. Cela serait, je pense, le seul moyen de lever un tabou sans pour autant faire de ces chiffres un objet de polémique.
Vous regrettez l'utilisation «politicienne» des chiffres de la délinquance
Oui. En France, on a pris la mauvaise habitude de se «bagarrer» sur ces chiffres qui reflètent plus le résultat du travail de la police que la réalité de la délinquance. On constate ainsi que, si les policiers «lèvent le pied», les statistiques s'améliorent, ce qui est l'inverse de l'objectif recherché. Et puis les chiffres eux-mêmes peuvent être contradictoires. Par exemple, nous avions, dans le Ier arrondissement de Paris, une montée des faits délictueux de 19% en juillet 2001, alors que le reste de la capitale était à la baisse. C'était, en fait, le résultat de la possibilité de déposer une plainte dans n'importe quel commissariat. Et, du coup, celui du Ier arrondissement récupérait tous les passagers du métro et du RER provenant de la station Châtelet-les Halles. Il faut donc se garder des interprétations hâtives. Plus largement, je crois que les républicains ne doivent pas instrumentaliser ces problèmes pour en espérer un gain politique. Il faut, au contraire, les traiter dans la continuité avec le maximum d'objectivité.
Dans le premier cas, les habitants se plaignent plus de cambriolages et de tapages nocturnes que d'agressions ou de trafics de drogue. La main courante mentionne bien un «indésirable» nord-africain, un SDF né au Nigeria et l'interpellation d'un voleur russe, mais peu d'incidents soulignent la problématique de l'immigration. Dans le second cas, en revanche, on note, d'abord, que les faits sont plus nombreux et plus graves: problèmes de rixes avec coups et blessures, de dégradations de biens, de menaces, de violences ou de consommation de stupéfiants, etc. On observe, ensuite, que 73% des auteurs recensés ont un nom à consonance étrangère. Extraits.
Dans la nuit, Houria est frappée par son frère Samir (2), mais les parents refusent qu'elle porte plainte. Le matin, la police arrête Abdoul pour «menaces de mort et dégradations légères de biens privés». Une heure plus tard, Saïd est interpellé pour avoir frappé et tenté d'étrangler son épouse. Dans l'après-midi, trois individus, Izamona, Kabeya, Ibrahima, sont évincés d'un hall d'immeuble. Ils auraient menacé, à plusieurs reprises, une résidente, qui «commencerait à avoir peur pour sa vie». Plus tard, Jérôme, lui, est interpellé pour usage illégal de produits stupéfiants. Pierre et Michel sont conduits au poste pour avoir insulté et violenté deux agents de la RATP dans le métro. Dans un autre secteur, une femme, victime d'un vol avec violence, est conduite à l'hôpital. Son agresseur est de «type nord-africain, portant des lunettes carrées, un blouson noir et des baskets». Utilisant un gaz lacrymogène, il lui a dérobé son porte-cartes et du liquide. La soirée se termine par de nombreux troubles de voisinage et des différends entre époux. Fait notable: la majorité des victimes semblent, également, issues de communautés étrangères. «C'est le reflet de la population de ces quartiers», explique un officier.
Au bout de la chaîne, l'administration pénitentiaire a depuis longtemps intégré l'aspect ethnique. Le visiteur qui, pour la première fois, pénètre dans une prison en région parisienne le voit immédiatement. Il découvre le vrai visage des détenus: blacks et beurs, à une écrasante majorité.
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