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Les années Jean Paul II
LEMONDE.FR | 15.10.03 | 19h13 ? MIS A JOUR LE 16.10.03 | 11h28
L'intégralité du débat avec Henri Tincq, journaliste au "Monde", le 15 octobre.
Delphine : Quelle a été l'évolution des dogmes de l'Eglise sous Jean Paul II ?
Henri Tincq : Les grands dogmes de l'Eglise, c'est-à-dire Dieu qui s'est fait homme à travers Jésus, le dogme de la Résurrection, de l'Ascension, le dogme de l'Assomption, montée de la Vierge Marie au ciel ; tous ces dogmes-là ont été maintenus très fermement. Les principales vérités de foi de l'Eglise ont été défendues par Jean Paul II contre des esprits qui sont de plus en plus sceptiques par rapport à ces dogmes.
Jules : Le pape est-il un homme politique selon vous ?
Henri Tincq : Non. C'est d'abord un homme spirituel. Je rappelle toujours dans mes articles qu'il prie trois heures par jour. Tous les voyages qu'il a faits à travers le monde, c'est pour évangéliser la planète. Les populations qu'il rencontre. Il défend l'Eglise catholique, ses vérités dont on vient de parler et son enseignement.
C'est d'abord un grand religieux, mais c'est vrai qu'il est en même temps chef d'un Etat, l'Etat de la cité du Vatican, créé en 1929 par les accords du Latran entre l'Italie et l'Eglise catholique. C'est un petit Etat, c'est le plus petit Etat du monde puisqu'il mesure 44 hectares. Mais l'autorité morale du pape quand il s'adresse aux milliards de catholiques à travers le monde et quand il s'adresse aux hommes de bonne volonté, fait de lui un véritable leader politique, même s'il ne dirige pas un parti, et même s'il ne dirige pas un grand Etat.
Delphine : Jean Paul II n'a-t-il pas tendance à mélanger politique et spiritualité ?
Henri Tincq : Oui, quand il prend des positions politiques, c'est toujours référé à un enseignement religieux, c'est toujours en relation avec l'Evangile, c'est-à-dire le message que Jésus-Christ est venu apporter sur la terre.
Prenons un exemple : quand il interdit l'avortement, quand il dit que les pays qui légalisent l'avortement sont des pays qui s'excluent de la loi de Dieu, c'est un discours politique, mais qui est fondé sur l'Evangile et même sur la Bible puisque la Bible interdit de tuer. Donc, Jean Paul II considère que l'avortement est un acte de mort, interdit par toutes les religions qui s'inspirent de la Bible, notamment le judaïsme et le christianisme. Il est vrai qu'on peut considérer qu'il mélange la politique et la religion, mais c'est une prise de position politique, morale, mais fondée, légitimée par des textes sacrés. Cela ne peut pas être autrement de la part d'un homme qui est un chef religieux avant tout, mais qui parle de la marche du monde, de la vie en société, et qui fonde toutes ses prises de position sur la lettre sacrée de l'Evangile.
Séverine : Quel a été, selon vous, le plus grand combat du pape ?
Henri Tincq : La lutte contre le communisme. On sait que le pape est né en Pologne, qu'il a passé toute son enfance, sa jeunesse et sa vie de prêtre et d'évêque en Pologne. Quand il a été élu pape il y a exactement 25 ans demain, le 16 octobre 1978, il était archevêque polonais. Et déjà quand il était archevêque polonais à Cracovie, il militait pour le rétablissement des grandes libertés, pour les droits de l'homme, pour le droit de vivre sa religion comme on l'entend et, déjà, ses prises de position pour la liberté étaient considérées comme des atteintes au pouvoir communiste de l'époque. Quand il est devenu pape, ce combat s'est amplifié.
L'un des tout premiers voyages qu'il a faits, c'était en Pologne, en 1979, au mois de juin. Il a recommencé en 1983, puis en 1987, c'est-à-dire dans des années où les ouvriers polonais, dans leur syndicat Solidarnosc, et où les intellectuels polonais se battaient aussi pour la liberté, et il est admis par tout le monde que les voyages que le pape Jean Paul II a faits en Pologne ont été un soutien aux forces critiques du régime communiste polonais et ont précipité la chute du régime. Pour les autres pays de l'Est communiste, la contagion des idées de liberté, de solidarité, de défense du droit de l'homme, de la dignité de chacun, n'a fait que se propager et a préparé le retour à la liberté de ces pays de l'Est en 1989 et en 1991, avec l'éclatement du bloc soviétique.
Mathieu : Alors, le pape, de gauche ou de droite ?
Henri Tincq : On considère toujours que le pape est de gauche lorsqu'il proclame les droits de l'homme à travers le monde. Lorsqu'il a contribué à déstabiliser les régimes communistes ou les régimes de dictature en Amérique latine. On considère qu'il est de droite quand il rappelle les grands principes de la morale conjugale, sexuelle, quand il se bat contre l'avortement, contre l'euthanasie, contre la contraception, contre le divorce.
Est-il de droite pour ce qui concerne la morale, et de gauche pour la politique ? Moi, je considère qu'il est d'abord pour l'homme, dans des situations où il est opprimé, comme en Pologne ou dans les dictatures ou dans les pays pauvres ; et il est du côté de l'homme quand il hésite face à la modernité et quand il doit faire face à des cas de conscience redoutables, comme toutes les questions liées au début et à la fin de la vie.
Cmoi : Comment expliquez-vous l'acharnement des médias contre les positions du pape sur la contraception (voir encore la BBC récemment) alors que le pape ne propose qu'un idéal que chacun est libre de suivre ?
Henri Tincq : Je suis tout à fait d'accord avec cette question. Je suis moi-même étonné de cet acharnement des médias. Le pape n'a jamais forcé quelqu'un à être catholique ou même à appliquer la morale catholique. Il rappelle des grands principes fondés sur la Bible. Il rappelle que donner la vie est un acte qui vient de Dieu. Et que l'on n'a pas le droit de contrarier le don de la vie par des moyens contraceptifs artificiels.
Mais il faut admettre que cet acharnement médiatique est dû à la très grande incompréhension de cette position dans l'opinion, y compris dans l'opinion catholique. Tous les sondages montrent que les couples catholiques eux-mêmes ne suivent pas ses principes. L'encyclique de 1968 publiée par le pape Paul VI sur la contraception, encyclique qui s'appelait Humanae Vitae, a suscité beaucoup de controverses à l'intérieur même de l'Eglise et beaucoup de départs de fidèles qui n'ont pas compris cette position. Cette position qui a été rappelée très largement pendant son pontificat par Jean Paul II
Delphine : Est-ce qu'une réforme sur la place de la femme dans l'Eglise ainsi que sur le contrôle des naissances serait bénéfique pour un grand nombre d'adeptes chrétiens ?
Henri Tincq : Oui, mais ce sont des réformes qui ne viendront jamais, qui ne seront jamais acceptées par un pape. Pour le contrôle des naissances, peut-être un jour un pape dira-t-il qu'une certaine forme de contrôle des naissances, avec des moyens artificiels, serait possible. Peut-être des évolutions seront-elles possibles sur cette question, surtout face au déséquilibre démographique extraordinaire de la planète.
En revanche, je ne vois pas d'évolution possible sur le rôle de la femme dans l'Eglise. Les femmes dans l'Eglise peuvent avoir beaucoup de responsabilités, mais elles ne peuvent pas être prêtre, ni évêque, et ne peuvent pas être pape, parce que le prêtre consacre l'eucharistie, tous les jours quand il dit la messe, parce qu'il renouvelle ainsi le geste du Christ avant sa mort, et comme le Christ était un homme, comme ses disciples étaient des hommes, seuls des hommes peuvent renouveler, 2 000 ans, après le geste du Christ de consécration de son dernier repas.
C'est un point très important pour comprendre l'impossibilité pour une femme de devenir prêtre. Je ne crois pas que ce point-là sera un jour soumis à révision.
Mais pour finir, ce n'est pas parce que l'Eglise changerait sa position sur le contrôle des naissances ou sur les femmes que cela ramènerait beaucoup de croyants au bercail et dans les églises. L'avenir de l'Eglise repose sur des questions de foi. Plus que sur des questions d'enseignement jugées un peu dogmatiques. L'Eglise serait plus populaire peut-être, elle ne serait pas pour autant sortie de ses difficultés.
Thomas : Pourquoi le pape s'oppose-t-il toujours au mariage des prêtres ?
Henri Tincq : Le pape Jean Paul II, comme ses prédécesseurs, s'est toujours opposé au mariage des prêtres. Parce qu'il considère que le prêtre doit être totalement libre dans l'exercice de ses fonctions sacrées. La Bible dit "soyez eunuque pour le royaume de Dieu". C'est une question de disponibilité totale pour Dieu, pour les hommes et les femmes, pour distribuer les sacrements, etc. Mais cette question se heurte à beaucoup de contestations dans l'Eglise elle-même, des secteurs entiers de l'Eglise ne comprennent pas pourquoi des hommes mariés ne peuvent pas devenir prêtre alors que des zones entières, par exemple en France, de la vie rurale, n'ont pas de prêtre.
Le mariage des prêtres ne serait pas la solution pour relancer les vocations. Il améliorerait peut-être quand même la situation. En toute hypothèse, il ne s'agirait pas de marier les prêtres existants déjà ordonnés, mais il s'agirait de laisser libre le candidat à la prêtrise d'être célibataire ou d'être marié. Cette question-là ne relève pas d'un dogme de l'Eglise, comme la question de l'interdiction pour la femme de consacrer l'eucharistie, mais est du domaine de la simple discipline de l'Eglise. Puisqu'il faut rappeler que les prêtres mariés étaient autorisés jusqu'au XIIe siècle. Et aujourd'hui encore, dans l'Eglise catholique, il y a des prêtres mariés. Ce sont des prêtres d'Eglise catholique de rite oriental, par exemple les maronites du Liban, et des prêtres catholiques mariés, des anglicans ou des protestants qui ont souhaité se convertir à l'Eglise catholique, qui restent prêtres et qui restent mariés.
Puisque l'Eglise ne peut pas revenir sur un sacrement comme celui du mariage.
Comme ce n'est qu'une question de discipline ecclésiastique, je pense, pour ma part, qu'un nouveau pape reviendra sur cette interdiction, évidemment en mettant beaucoup de conditions. De mon point de vue, ce sera l'une des réformes les plus importantes des prochains pontificats.
Quijote : Pourquoi Jean Paul II, qui paraît tout de même physiquement très atteint, grabataire me semble d'ailleurs le terme approprié, ne renonce-t-il pas ?
Lolo : La condition physique du pape n'est elle pas responsable elle-même de la mauvaise presse de l'Eglise a travers les médias ? Le pape ne devrait-il pas démissionner ?
Henri Tincq : Oui, le pape s'est souvent expliqué sur cette question. Il a estimé que sa mission lui vient de Dieu et que seul Dieu peut l'en priver. A plusieurs reprises, Jean Paul II a dit qu'il remettait sa mission entre les mains de Dieu. Il est vrai que la vieillesse du pape, son côté grabataire, nuit d'une certaine façon à l'image de l'Eglise. En même temps, beaucoup se souviennent de la jeunesse de l'Eglise qu'il a su incarner et qu'il a pu rassembler. Souvenez-vous du million de jeunes à Paris en 1997 ! Deux millions à Rome en 2000. Trois millions à Manille, en 1995. Donc, ce pape qui a mobilisé les jeunes à travers le monde, comme aucun chanteur de rock ne l'a jamais fait, ne peut pas être sérieusement pris pour un personnage archaïque et dépassé.
Si vous interrogez les gens autour de vous, par exemple les personnes âgées, les handicapés, les malades, ils vous diront qu'ils se sentent beaucoup plus proches du pape, dans un monde où l'on n'exalte que les valeurs de la jeunesse, de la beauté, de la très bonne santé, de la performance physique et de la séduction. Il peut y avoir des vieux papes qui ont rajeuni l'Eglise. Souvenons-nous de Jean XXIII, qui a été élu en 1958 à la tête de l'Eglise à l'âge de 77 ans et qui a provoqué le plus grand mouvement de réformes et de rajeunissement de l'Eglise de toute son histoire en convoquant le concile Vatican 2.
Dubuc : Quid de l'après-Jean Paul II ? Devons-nous attendre un renforcement des dogmes pour affirmer la position de l'Eglise catholique face aux autres religions ; allons-nous vers un renfermement sur soi ou une modernisation de l'Eglise ?
Henri Tincq : Je ne suis pas prophète. Je ne sais pas, et personne ne sait, qui sera le prochain pape. Encore moins quelle sera son orientation. Seulement, la "politique" de Jean Paul II sera poursuivie. Cela sera un règne de continuité. Je ne crois pas à un renforcement des dogmes, à un repli sur soi, mais à une réaffirmation de l'originalité du catholicisme par rapport aux autres religions, par rapport à l'islam en particulier. Cette réaffirmation a déjà très largement commencé dans un texte qui a provoqué beaucoup de controverses, publié en septembre 2000 par le cardinal Ratzinger qui s'appelait Dominus Jesus.
Dans ce texte, le cardinal réaffirmait la supériorité de la religion catholique sur toutes les autres religions. Je ne crois pas à beaucoup de changements sur cette ligne. En revanche, je crois à une papauté un peu plus "modeste", moins spectaculaire que celle de Jean Paul II et plus préoccupée de résoudre les graves crises internes à l'Eglise. Je crois à un pontificat de gestion, plus qu'à un pontificat de grandes missions.
Hafsia : Comment Karol Wojtyla s'est-il fait connaître et apprécier, puis Jean Paul II admirer ?
Henri Tincq : Karol Wojtyla s'est fait connaître surtout en Pologne. Il était assez inconnu en Occident avant qu'il soit élu pape. Il avait pourtant participé au concile Vatican 2. Il était assez proche de Paul VI. Et s'il a été élu pape, en octobre 1978, c'est parce que le conclave de l'époque ne parvenait pas à se mettre d'accord sur le nom d'un cardinal italien, comme le voulait la tradition. C'est ainsi qu'il a pu être élu, et ensuite reconnu. L'admiration est venue un peu plus tard, quand, jeune pape, élu à 58 ans, il a changé le fil de l'Eglise, il a commencé des voyages marathon, il a rassemblé les jeunes, il a propagé partout dans le monde le message des droits humains et il a continué à être un homme proche des autres hommes. Ne cachons pas son goût, par exemple, pour le ski ou la natation. C'est en allant à la rencontre des foules et des multitudes qu'il a été très médiatisé, très choyé et très admiré. L'attentat de 1981, dans lequel il a failli perdre la vie, a aussi beaucoup contribué à augmenter sa popularité.