l'Antichrist |
BoraBora a écrit :
Je réponds à ton post avant celui d'Herbert. Ce que tu énumères, c'est de l'érudition, de la culture confiture. Culture tricot, culture tour Effeil en allumettes, culture tuning pécé... culture naouak, surtout. La culture, c'est un tout, une passerelle. La définition que tu as toi-même choisie sur Wikipedia est :
Citation :
Au plan individuel, la culture est l’ensemble des connaissances acquises, l’instruction, le savoir d’un être humain.
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Trois remarques :
* Cette définition n'implique aucune réflexion ou compréhension, juste une accumulation. Si tu as lu l'Encyclopédie Universalis en entier et que tu as retenu ce que tu as lu, tu es le mec le plus cultivé de la planète ? De toute façon, le plus ignare aujourd'hui sait 10 000 fois plus de choses que n'importe qui il y a seulement 50 ans, puisqu'on est bombardé d'informations du matin au soir et qu'on nous prévient si un kangourou a pété en Australie ou si le character designer d'un jeu qui sortira dans trois ans a fini mardi à 19h de modéliser la chevelure du personnage de barbare, celui qui aura +5 END et +8 STR.
* Le "savoir" est pris dans le sens "ensemble des connaissances". L'emploi de l'expression "culture machin" pour désigner une matière très précise est assez récent et est une dérive du sens d'origine. Pour reprendre l'exemple ci-dessus, ma mère qui a tricoté toute sa vie et pourrait parler 2 plombes des différentes variétés de laine ou d'aiguilles n'irait pas dire qu'elle a une "culture tricot" ou qu'elle est "cultivée en tricot". Elle trouverait ça risible. Et elle aurait raison parce que ça le serait. Pour un exemple plus contemporain et plus H-FRien, on pourrait parler de "culture Lego".
* "L'ensemble des connaissances acquises", ça désigne aussi tout ce qui compose ton appartenance culturelle à une société donnée. Le fait que tu manges avec une fourchette ou que tu n'exhibes pas tes parties génitales en public, c'est aussi de la culture. Sauf que ce n'est clairement pas de ça dont tu veux parler dans ce topic.
Ce que je retiens de ton emploi du mot "cultivé" dans le sondage, c'est que n'importe quel type de connaissance est assimilable à de la culture. Donc tout est culture. Problème : si tout est culture, alors rien n'est culture. On est tous cultivés, supaÿr, on peut passer à autre chose.
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BoraBora a écrit :
Je posais une question. Pour moi, la culture n'est pas simplement l'érudition, c'est quelque chose qui fait partie d'un tout, et qui aide à se comprendre, à comprendre les autres. Donc oui, dans la forme de ton post, le sport peut être partie intégrante de la culture (mais pas une culture en soi, je sais, je radote).
Mais c'est le cas de tout. Ma petite nièce se cultive-t-elle en regardant la Star Ac' ? Je ne pense pas, non. Elle se divertit, c'est tout (c'est déjà pas mal, tu me diras). Mais si tu regardes la Star Ac' dans le cadre d'un désir de compréhension de l'évolution des tremplins de "découverte" depuis... mettons les nuits amateurs de l'Apollo à Harlem dans les années 20, et que ça t'aide à mieux cerner les différences sociologiques, économiques et culturelles intervenues depuis la création de ce type de spectacle, alors, oui, pourquoi ne pas rattacher ça à la culture. ![[:spamafoote] [:spamafoote]](https://forum-images.hardware.fr/images/perso/spamafoote.gif)
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Non, vous comprenez mal le problème (malgré quelques idées justes) ! vous ne savez pas, par manque de culture... justement, distinguer (pour faire comprendre les différences conceptuelles) et en même temps unifier (car la compréhension véritable suppose de s'élever à l'universalité des principes) les termes d'une question ! Je vais donc répéter (en partie) ce que j'ai déjà dit dans un autre topic sur un sujet similaire : la culture est fondamentalement le " milieu " où se réalise le processus par lequel un individu, ou un peuple, voire l’humanité toute entière, parvient à s’élever dans l’ordre de la spiritualité. La culture désigne donc l’ensemble des efforts consentis pour se rapprocher de la réalisation effective et concrète d’une dimension d’humanité et celle-ci nécessite l’union de l’instruction (ou érudition) et de l’éducation (ou compréhension, réflexion). La culture n'est ni l'une ni l'autre, mais la relation " dialectique " (il y a une tension permanente entre instruction et éducation) entre la perspective finie du point de vue, la particularité subjective finie de l’opinion (la culture est alors le résultat du processus de formation, elle est le produit sédimenté des oeuvres de l’esprit, c’est-à-dire un état : on parle alors " d'homme cultivé " ) et l’universalité de la vérité, irréductible à la réalité concrète des connaissances et des degrés de culture se succédant dans l'espace et le temps, mais qui pourtant trouve sa propre condition de possibilité dans ce milieu de culture déjà donné, dans l’extériorité de la culture, au sens anthropologique, avec ses connaissances singulières, ses oeuvres culturelles constituées. Fondamentalement, la culture est un " devenir-cultivé ", la capacité acquise de rendre sa nature apte à tout, de revenir à soi, mais pas comme si de rien n’était, dans une sorte de fermeture sur soi, mais, bien au contraire, en s’ouvrant à ce qui n’est pas soi et en acceptant le choc de la rencontre avec ce qui nous excède, ce que vous semblez justement incapable de faire si j'en juge au contenu de votre message... Comprenez que si la culture est un processus de spiritualisation, la formation de soi qui s’entend d’abord comme instruction, c’est-à-dire travail d’acquisition d’une culture selon ses règles propres, effort qui a le sens de l’ensemencement effectué en vue de la récolte, ne doit pas s’achever dans un résultat produit comme dans la visée technique d’un but (un emploi par exemple...) : les véritables et plus beaux " fruits " de la récolte procèdent du phénomène intérieur de développement de la forme, c’est-à-dire de la formation elle-même, qui reste donc sans cesse en progrès et en marche. La culture est l’appropriation totale de ce à quoi on se forme (instruction) et qui forme (tout ce qui provient de la société à l’intérieur de laquelle ce travail de culture peut prendre racine et se perpétuer) au point qu’elle devient à elle-même sa propre fin (et c’est en cela qu’elle est d’essence philosophique...) ouverte à l’infini sur la reconnaissance du génie des différentes cultures.
La " culture " est fondamentalement un travail de " formation de soi " (Bildung) : se cultiver, c'est nier sa nature animale, c'est-à-dire s’élever, du savoir particulier, au savoir universel, ce qui implique un dépassement de l’expérience immédiate, et une capacité à juger les relations et les objets constituant la réalité effective. Se cultiver signifie conférer à tout contenu la forme de l’universalité en produisant un effort de dégagement par rapport à la particularité du fait. Ce que Hegel appelle la culture " d’entendement " (cf. Encyclopédie des sciences philosophiques, La science de la logique, Add, § 80) consiste à introduire un ordre dans le chatoiement bigarrée du réel sensible, c’est-à-dire à dépasser la simple perception des objets dans leurs différences déterminées pour élever la pensée au concept. C’est bien cette compréhension des relations que les objets entretiennent les uns avec les autres qui ouvre l’esprit à l’universel, qui ne le borne plus à quelque chose de particulier, mais le rend, comme je le disais plus haut, " apte à tout ". La culture ne peut se limiter à tel ou tel objet, mais s’étend, se propage à l’ensemble des intérêts et des activités qui font la vie d’un homme : elle n’est pas seulement le produit sédimenté des oeuvres de l’esprit, c’est-à-dire un état, mais le devenir d’un processus en cours (toujours en marche) dont le résultat est la formation elle-même (les buts qu’elle poursuit lui sont intérieurs).
La condition d’une telle appropriation totale de la culture dans sa forme est, selon Hegel, un processus d’aliénation, c’est-à-dire de devenir-autre. La culture comme formation de soi est un processus d’" aliénation ", c’est-à-dire d’extériorisation et de réintégration de soi, rendu nécessaire par cette autre aliénation dont les individus sont victimes dans les systèmes établis de la culture économique et politique : devenu étranger à lui-même par les conditions de vie (on pense immédiatement à l’esclave déshumanisée, privé de son droit élémentaire, commun à tous les hommes, d’être maître de son destin, mais l’on pourrait aussi citer le cas, institué ou simplement toléré, de ces sous-citoyens au sein de nos démocraties libérales européennes, abandonnés, sans papiers, sans travail, sans domicile) ou de travail (l’exploitation dénoncée par Marx dans le cadre du mode de production capitaliste ou, d’une manière générale, l’accroissement des inégalités dans le monde de l’entreprise), qui lui sont imposées, c’est par un processus inverse, c’est-à-dire par un effort de décentrement, de dégagement par rapport à la perspective finie de son point de vue, en quoi consiste précisément la culture, que l’individu aliéné pourra récupérer cette possession de soi qu’est la liberté. En ce sens, c’est bien la culture qui fait de nous des égaux puisque même simplement pensé, l’état d’aliénation (la prise de conscience de la différence entre le fait et le droit, de la dérive, inhérente à la démocratie, vers des inégalités, nées d’une exigence d’égalité totale, absolue) peut se changer en autre chose, et préparer les conditions de sa propre négation : l’esclave qui se découvre soudainement esclave l’est déjà moins parce que dans cette distance avec lui-même qu’instaure sa conscience, se créer un espace de liberté, nourri par son désir, pas seulement rêveur et chimérique, mais actif qui débouche alors sur un projet de libération, qui se donne les moyens intellectuels de préparer sa libération effective future. La prise de conscience constitue en soi cette liberté intérieure qui est le commencement de la liberté au sens propre. C’est cette propriété de la culture qui explique le refus des régimes totalitaires d’offrir à ceux qu’ils exploitent l’éducation qui leur permettraient sans doute de prendre conscience de leur situation misérable. Le véritable esclavage est d’abord idéologique (le dominé l’est d’abord dans sa tête), et si la libération est souvent pensée comme un geste ample et simple, courageux mais tranchant, le grand refus qui, d’un coup, brise les chaînes, elle est en réalité et plus sûrement encore le travail lent et minutieux de détachement.
Ainsi, la culture qui consiste à se libérer de l’immédiateté du vécu repose nécessairement sur l’acquisition de la connaissance des principes fondamentaux et des points de vue universels (éducation), lesquels ne sont accessibles qu'à partir d'une instruction (l'acquisition d'un savoir) solide et différenciée.
Il est donc fondamental de ne pas tomber dans le piège du relativisme culturel (issu de l’ethnologie contemporaine), et sur ce point vous avez raison : la " culture confiture " est le danger permanent ! Il est important de comprendre qu’au-delà des modèles sociaux (le complexe de la Star-Ac) que prescrit chaque culture, il existe des idéaux de la civilisation qui s’imposent par leur universalité (et l’instruction, justement, en fait parti, c'est-à-dire le désir d’apprendre, exigence par laquelle une culture comme civilisation prend le risque de se confronter à l’altérité). La culture comme civilisation, au-delà d’un processus universel téléologiquement orienté vers sa fin, posée comme un idéal a-priori de l’humanité (cf. Hegel), est un idéal, un programme, une idée régulatrice au sens kantien, reposant sur la manifestation de certaines formes (de tous ordres : coutumières, religieuses, politiques, poétiques, linguistiques…), de certains traits distinctifs qui caractérisent un peuple, une nation, un pays, et en constituent le génie propre, mais en même temps peuvent nourrir une " civilisation mondiale ", un idéal de civilisation, synthèse d’une aspiration commune et de la diversification des cultures (cf. Lévi-Strauss).
Dans le processus de la culture, il n'y a donc pas une progression linéaire ou chronologique depuis l’instruction (" simple " réception, crois t-on, ou apprentissage de connaissances, c’est-à-dire d’objets culturels extérieurs à l’esprit) jusqu’à la culture comme idéal d’humanité, que traduit en français la notion de civilisation (Kultur), en passant par l'éducation, l'élévation à un savoir assimilé, intégré, c'est-à-dire purifié par la réflexion, raffiné pour présenter une dimension éthique. Comme civilisation, la notion de culture est liée à celle de progrès universel (celui de la raison elle-même présente, depuis la Renaissance et surtout à l’époque des Lumières, dans l’humanité toute entière et non plus réservée, comme dans la conception transmise de l’antiquité grecque et romaine au moyen-âge chrétien, aux seuls hommes libres), progrès qui, c'est là un aspect fondamental de la culture, ne s’accomplit pas seulement au sein d’un sujet par l’éducation. Selon la très judicieuse métaphore agricole (cf. Cicéron dans les Tusculanes), il s’agit de prendre soin de soi (se rendre un culte, ce que traduit le latin cultura), comme on cultive la terre sans violence pour la rendre féconde. Se cultiver est un processus intérieur et qualitatif de maturation intellectuelle et morale (la culture comme formation de soi par soi, chère à Hegel et que traduit le mot Bildung, formation qui implique toujours un travail de dépassement par la conscience des particularités culturelles, c’est-à-dire d’aliénation, d’extériorisation dans les œuvres de l’esprit, travail s’accomplissant fondamentalement dans l’élément, lui-même culturel, du langage exotérique, seul capable de penser l’universel), distinct de toute préoccupation utilitaire et mondaine (propre à la Zivilisation). Mais la culture est aussi un patrimoine universel, et concerne le développement de la nature humaine dans l’histoire (cf. Rousseau, Kant, Hegel). Cette notion de progrès, à la fois individuel et collectif, est totalement absente du terme allemand Zivilisation, entièrement voué à dénoncer l’enfermement de l’homme soi-disant " cultivé " dans un système mécanique conditionné par des lois strictes (gage de la stabilité nécessaire à l’exercice du pouvoir, politique ou religieux…), démocratiques, égalisatrices, niveleuses (cf. Nietzsche), favorisant la " tête bien pleine " (privilège de l'instruction scientifique...) contre la " tête bien faite ", inapte à renvoyer le sujet à son propre questionnement intérieur (le " connais toi toi-même " de la philosophie grecque), à faire de lui son propre maître, un homme libre (but suprême de toute éducation : cf. épicurisme, stoïcisme) et, au final, précipitant la décadence d’une culture au lieu de favoriser, comme dans toute civilisation véritable, l’apparition d’hommes d’exceptions porteurs d’avenir pour la culture... |