xantox a écrit :
... Appliquer directement la logique a un contenu psychologique est alors un travail difficile et périlleux, notamment lorsque des "qualités" rentrent en jeu.
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Husserl "n'applique pas la logique a un contenu psychologique". Un "psychologisme logique", une "logique comme psychologie" ou un "logicisme psychologique" ne sont en rien l'affaire de la phénoménologie car, comme toute philosophie qui se respecte, elle ne fait pas de psychologie. Et encore moins une "psychologie introspective". La logique, loin d'être chez Husserl un donné premier, sera justement ce qu'il faudra fonder, entre autre fondations à travailler.
Husserl (1859-1938) est d'abord mathématicien. En tant que mathématicien, il est donc inscrit dans ce bouleversement de la seconde moitié du XIXème siècle, période qui durera encore plus tard et qui est appelée "la crise des fondements" (elle donnera les théories ensemblistes, le programme de Hilbert, de nouvelles axiomatiques, des logiques approfondies, etc.). Husserl se pose la question (vieille de 2000 ans) de la nature des idéalités mathématiques : idéelles ? réelles ? essentielles ? ... Sa thèse d'habilitation (1887) portera d'ailleurs sur le "concept du nombre". Husserl est donc sensibilisé à la logique et à ce que nous appellerons - dans son contexte - une problématique des essences. De plus, en tant que philosophe, ses problèmes sont larges et incluent aussi, et en fait surtout, la conscience (par exemple celle qui pense le "concept du nombre" ). A propos de la conscience, Husserl hérite de Brentano un élément qui deviendra crucial - celui qui énonce que la conscience est toujours conscience de quelque chose : c'est l'intentionnalité. Bref, dans ce bouillonnement entre la nature des idéalités et la conscience intentionnelle - toujours intentionnelle - qui les pense, se construit la "promesse husserlienne" (dois-je préciser que je résume abusivement ?). Et alors, le coup d'éclat : il faut cesser de chercher l'explication au sein de la pensée tautologisante. Il faut stopper les machines, suspendre les préjugés formels, pour retourner à la source de ce qui réifie les idéalités pensées. En d'autres termes, pour comprendre le formel, il faut se placer à la source de l'intentionnalité qui intentionne son objet pour ainsi lui apposer son sens. Or, quelle est la démarche naturelle des sciences (de la nature) qui usent du formalisme et qui conservent le voeu cartésien d'une mathesis universalis ? La démarche toute naturelle et galiléo-cartésienne est l'observation couplée au travail de l'intelligence formelle et intuitive. Qu'est-ce que cet a priori formel et intuitif ? Kant sera alors l'interlocuteur car il est à l'origine de l'élucidation des conditions de l'objet comme objet de connaissance vraie, conditions dites, donc, transcendantales et qui sont contenues dans le sujet lui-même. Et qu'est-ce que l'observation en dernière analyse ? Ce sont des données d'expérience. Nous avons donc d'un côté un sujet transcendantal (un physicien par exemple), et de l'autre, nous avons des données d'expérience. Notre désir est de comprendre la conscience - et nous voulons l'élucider pour dépasser toute dualité substantielle dont la "nature" nous serait inaccessible : Husserl va donc tenter de briser le dualisme sujet/objet. Où se produit la rencontre ? La rencontre qui provoque, et la réception du phénomène, et le travail de l'intelligence, est précisément la donation du monde. Toute la dialectique sujet/objet est un va-et-vient qui fuse à travers la donation de l'objet au sujet, et du sujet vers l'objet. Par quoi, où et comment se fait cette donation ? Elle se fait par l'expérience, c'est à dire la perception dans un monde "naïf", pré-objectif et antérieur à toute connaissance fondée objectivement : c'est le monde de la vie, le domaine anté-prédicatif. Husserl va fonder la phénoménologie comme savoir premier, comme science des sciences.
Ainsi s'institue la phénoménologie et la méthode phénoménologique : elle est le retour aux choses-même (le credo !) avant toute constitution intentionnelle par la conscience. Le sens commun et l'attitude "naturelle" considèrent l'objectivité comme une propriété en soi : il n'y a pas plus grande "cécité spirituelle" (expression de Husserl). L'objectivité, c'est à dire la capacité à aller vers l'objet de connaissance vraie de manière fondée et ainsi l'exhiber à tout regard n'est pas une "pétition de principe", mais une méthode fondée par la structure du sujet : c'est un mouvement de la conscience connaissante de telle manière que ce mouvement n'est possible à l'origine que parce que le sujet est doté de conditions aprioriques inscrites en lui : l'objectivité n'est pas quelque chose qui précède le sujet, ni quelque chose qui s'y oppose fondamentalement - mais elle est une condition de Connaissance fondée par le sujet lui-même. Aucune objectivité sans sujet transcendantal !!! Toute démarche qui affirme l'inverse et érige l'objectivité en principe premier est une démarche fondamentalement dualiste car elle pose un regard hors du monde point de vue de Dieu, qui serait l'oeuvre d'une conscience spontanée séparée du monde oubliant ainsi, par sédimentation culturelle, que l'objectivité est une méthode qui trouve ses conditions dans le sujet transcendantal. Toute démarche qui croit que l'objectivité est un principe fondateur en soi arrache l'intelligence de son lieu de déploiement qui ne peut être ailleurs que dans un être-au-monde - et non pas le fait d'un parallélisme suspect détaché de toute inhérence et de toute condition de possibilité. Il faut l'affirmer avec force : l'objectivité est toute entière inscrite dans un sujet. Et cela est un pas de géant vers l'exploration de l'Homme en lui-même. Quand le dictionnaire nous dit que "l'objectivité est ce qui est indépendant de l'esprit", il ne dit rien d'autre que la capacité du sujet à montrer un objet. Le non-sens total est de croire que des objets se montrent tout seul sans "quelque chose" disposé à recevoir et à porter leur manifestation et dans un effort réflexif. On dira que l'instrument de mesure atteste également des phénomènes du monde - c'est qu'on n'aura pas vu que l'instrument est phénomène parmi phénomènes, forme parmi formes, objet parmi objets : jamais un instrument n'a produit de discours. Ces phénomènes (naturels et instrumentaux) ne sont pas d'un même niveau d'organisation et de structure - mais nécessitent en dernière analyse une "réception intelligente". L'instrument n'est pas un "messager de Dieu lui-même" : il est l'extension du pouvoir de connaître. Il faut alors bien comprendre que "montrer" ne signifie pas interagir - mais il signifie la condition du discours et du pouvoir de connaître : quel fou peut affirmer qu'il y a connaissance objective sans discours, c'est à dire sans "des intelligences" ? C'est seulement parce qu'un sujet a émergé depuis une matérialité au monde que le discours peut porter sur un "avant sujet". Toute démarche qui affirme le contraire nie son travail, et en fait, tout son mérite - j'ai envie de dire : toute sa conscience. Elle nie également l'émergence elle-même d'un sujet-au-monde (ce qui serait un comble pour le défenseur de la biologie évolutionniste). C'est cette transposition depuis la matière-monde jusqu'aux univers de significations et d'intelligibilité qui est le coeur du problème. L'objectivité n'est pas le guide - c'est l'inscription depuis le monde qui en est un. Si et seulement si la question est celle de l'Homme en lui-même, le travail sera la révélation de cette levée, depuis le monde de la vie, jusqu'aux prédictions et prédications de l'intelligibilité. Un célèbre et grand monsieur s'étonnait du mystère de l'intelligibilité du monde : ce monsieur a peut-être manqué, et la biologie évolutionniste, et la phénoménologie du corps. Car c'est parce que mon corps se constitue dans "l'intuition du monde", comme repli d'une phénoménalité du monde, qu'il peut alors "comprendre" son monde. Quand le formaliste appose un discours formel sur les phénomènes du monde, et si ces formes coïncident avec la phénoménalité du monde, c'est parce que cette phénoménalité se manifeste elle-même sur ce "fameux" plan transcendantal porté par le corps-vivant et perceptif du sujet : la subjectivité transcendantale (celle d'un physicien par exemple) est convaincue de l'évidence de ses représentations car ces représentations se manifestent sur sa propre subjectivité comme si elle résonnait avec la phénoménalité du monde : c'est le pouvoir de l'intelligence à faire identité, et nous comprenons facilement tous les avantages d'une coïncidence et d'une apposition formelles pour les besoins du sujet vivant... D'ailleurs, cette capacité à reconnaître des formes est typiquement le travail intentionnel : la conscience intentionnelle se déploie sur le corps mais sans jamais coïncider avec le corps : la visée intentionnelle est toujours à faire, l'effort expressif est toujours à recommencer. Et c'est parce que l'intentionnalité se jette dans le monde qu'elle peut alors, et le voir, et y révéler les phénomènes, produisant alors du sens. A son tour, le sens n'est sens que parce qu'il se rapporte à soi, que parce que la pensée signifiante s'affecte elle-même sur la matérialité du soi vivant, un soi qui advient à lui-même constituant ainsi sa poussée vivante (le conatus). Nous sommes donc ici au-delà de Husserl : Merleau-Ponty (1908-1961) a montré (entre autres !) que l'intentionnalité trouve son fondement dans la motricité ; et Michel Henry (1922-2002) nous montre qu'il n'y a révélation du sens que parce qu'il y a une auto-affection du soi vivant par lui-même. C'est seulement la matérialité du soi vivant sur lequel se déploie l'effort intentionnel qui fondent l'union constitutive du sens et du sentiment d'existence, l'ego. Le travail à continuer est "maintenant" de décrire pleinement le fabuleux complexe rhizomatique qui constitue le flux de la conscience, qui est mouvement de transcendance, c'est à dire apposition du sens sur le dehors à partir de soi ; et décrire le soi vivant qui est un affectant qui s'affecte...
De quelle nature est le complexe intentionnel dont l'ingéniosité structurelle a été notée par Husserl ? Ce mouvement de transcendance (=la conscience) est l'activité du circuit sensori-moteur ainsi qu'associatif. Quelle est en fait la nature du travail apte à la révéler, même au millionième de sa complexité ? Cette activité est celle qui déploie la raison elle-même, raison qui est toujours transitive, processuelle, médiate. A mon sens, ce complexe est sans doute une forme mais une forme comme le serait une forme artistique - je veux dire irréductible, incompressible : elle ne supporterait aucune "généralisation" quant à ses assemblées pour pouvoir "s'exprimer", car c'est justement de son élémentarité et de sa "réticularité" dont émergent les généralisations... (curiosité : Andreï Kolmogorov définit justement la complexité par l'incompressibilité). D'ailleurs, s'il est possible d'exhiber une telle forme, ne devient-elle alors pas "objective" ? La réponse est affirmative si on considère que la monstration d'une oeuvre d'art est également un "donné pour tout observateur". La nuance est qu'il aura fallu user d'une méthode non objective pour produire un "objet" (ce qui serait une description du travail artistique...). Autrement dit, durant l'élucidation, il y aurait nécessité non pas d'une méthode formelle et acquise, en droit, par tout le monde - mais d'une "intuition des essences" (Husserl)... Et quelle est la nature du travail apte à révéler l'auto-affectivité matérielle du soi vivant et de la corporéité ? Car s'il est ramené à un genre de réseau idéel, il ne se fondera jamais lui-même car il demeurera transitif, renvoyant à chaque fois au noeud suivant dans un univers du discours... Il faudrait bien plutôt qu'il soit "pure verticalité" et toujours matérialisé individuellement dans la chair, in situ, c'est à dire un soi ipséisé ; il faudrait considérer la matière comme ontologie sans dédoublement, avant la réflexivité... Les questions fondamentales sont donc des questions de méthode...