Ache immatriculé-conception | xantox a écrit :
Cette position exprimait d'abord une réfutation de l'idée que le point de vue d'un "observateur objectif parfait", tel que décrit idéalement par Hephaestos dans les pages précédentes (c'est à dire, l'observateur idéal qui disposerait de la description physique de l'état de l'univers et de ses lois), serait nécessairement limité à témoigner de faits élémentaires, comme par exemple, de tas de particules. Au contraire, cet observateur, sans nul besoin de posséder une faculté de jugement, témoignerait nécessairement de structures relationnelles complexes, comme des objets macroscopiques ou des structures conscientes.
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xantox a écrit :
Le "corps" dont le dit observateur idéal serait témoin, ne serait pas celui dont nous sommes témoin, car nous ne pouvons qu'en avoir une représentation abstraite. Là où le premier verrait la totalité des faits qui sont notre subjectivité, le deuxième (imaginons qu'il soit un neurobiologiste) ne verrait qu'un cerveau, soit une matière molle et d'une certaine couleur, ou d'un certain poids, composée d'un certain nombre de neurones dotés de certaines caractéristiques etc., donc une vision immensement pauvre et abstraite de ce qui est (presque comme si l'on tentait de lire un livre en le pesant sur une balance). Alors que la subjectivité, c'est précisement ce qui est.
Cette discordance, due au caractère abstrait de toute auto-représentation, est à mon sens la seule origine de l'apparente dualité corps/esprit.
Donc, nous n'existons que par notre existence physique, par notre "corps physique", car celui-ci est, formellement, notre subjectivité, alors que ce que nous appelons ordinairement corps, ce qui se manifeste à la perception et à l'observation, est une représentation abstraite.
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Cette étude vers l'idée d'un observateur capable de témoigner de structures relationnelles distinctes, sur plusieurs niveaux de complexité et d'organisation est éventuellement intéressante (elle mènera en fait vers l'idée du... savant). Mais pour le moment, je propose de nous concentrer sur ce qui fait et sur ce qui constitue ce que nous appelons... l'Homme (tant qu'à faire).
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Ce qui est, crois-moi, profondément triste et navrant, est que nous (individus ayant accès à des bibliothèques) disposons déjà d'un attirail et d'un arsenal conceptuels, et d'outils de travail et de recherches d'une puissance insoupçonnée, mais qui sont tout bonnement ignorés par la majorité qui se dit intéressée par la "conscience", "l'intelligence", etc. ***
Considérons ta réponse, et considérons le moment où tu parles "d'auto-représentation abstraite du corps" : cette position est floue car :
- Si nous considérons Aibo, le robot (ou Cog, ou la Touareg de Stanford, ...) : nous pouvons parfaitement affirmer que cette machine dispose d'une représentation abstraite de son "corps" sous la forme d'une formalisation tri-dimensionnelle dans l'espace objectif, associée, toujours formellement, à des vecteurs de commande (forces, orientation, ...) qui définissent ses degrés de liberté (en associations avec ses "articulations" commandées) dans l'espace objectif représenté (en code binaire, en "mémoire" ), et qui va, "en fin de chaîne", et en vertu du principe-même de la machine de Turing ("boîte noire" ) aboutir à une "sortie motrice". Ce modèle est-il celui qui "comprend" le mieux notre "existence corporelle" ? ... (la réponse est non)
- Si nous considérons le corps d'autrui, humain, voire-même si nous considérons notre propre corps tel que nous voudrions le saisir intellectuellement, nous aboutissons ici encore à ce modèle de la représentation abstraite, c'est à dire, en définitive, à une description sous forme objective et formelle (ce que fait l'anatomie par exemple). Nous savons déjà (avec certitude !) que nous, via notre corps, existons réellement, que nous sommes au monde. Mais cette existence réelle et effective qui permet (sûrement) notre conscience s'explique-t-elle par ce modèle de la représentation abstraite ? En d'autres termes, ce que nous tenons pour le "moi du cogito", certitude absolu, est-il lui-même une représentation abstraite ("imaginaire" comme dit plus haut dans ce topic) ? Cette "auto-représentation flottante" est-elle suffisante pour asseoir notre présence au monde ? ... Non !!!
Si nous résumons, nous obtenons alors que la position que tu décris est une position purement intellectualiste : tout le sens que nous recherchons, c'est à dire toute l'effectivité réelle de notre présence et de notre situation ici et maintenant se fait, dans ta position, par le biais d'un pur "Je pense". Autrement dit, dans tout ce que tu as dit, je ne vois nulle part de corps : je ne vois que des relations abstraites et formelles (comme tu le dis toi-même en associant "subjectivité" et "formellement" )(ou alors tu n'as pas développé).
Ces relations formelles et objectives ont un immense mérite : elles permettent de rendre le monde intelligible ; elle permettent de rendre lisible un certain ordre du monde (à un certain niveau, à une certaine organisation/complexité, ...). Mais ce qui, peut-être, te paraît tomber sous le sens, n'acquière son sens que parce qu'il y a un sujet derrière qui fait la synthèse intellectuelle de ledit formalisme : encore une fois, nous nous retrouvons avec des relations abstraites qui nous rendent le monde intelligible, mais qui ne gagnent leur sens ("sémantique", dans ton langage) que parce qu'il y a toi qui les synthétises par un intellect, et même un intellect pur (ce n'est pas un compliment). Mais, mais, et on ne le répétera jamais assez, le sens ne naît pas d'un intellect pur : le sens naît de la rencontre entre un sujet (incarné, avec un corps) et le monde des phénomènes. Pour expliquer cela, prenons un exemple :
- On voudrait fabriquer un petit robot capable "d'apercevoir" la chute d'une pomme : la démarche classique en IA formelle consiste à le doter d'un système perceptif (caméra(s) par exemple) et d'un système de traitement de l'information. Un petit idéal dans cette démarche serait que le robot, ayant capté la chute de la pomme sur sa "rétine" (capteur CCD par exemple), en fasse ensuite un relevé ou une synthèse qui pourraient faire correspondre le mouvement perçu (translation suivant le temps) et sa formalisation en une "classe : chute" (suivant la vitesse, l'accélération, pour comparer ensuite à Ep=mgz, etc., en gros). Est-ce que l'amas de pixels en translation acquière un sens ? ...
- Maintenant, faisons une "expérience de pensée" qui introduit, véritablement, le corps comme noyau significatif indispensable : ce corps sera sensible, c'est à dire susceptible de changer sa configuration suivant son intrication avec le milieu. Concentrons-nous sur sa perception visuelle : il y a mouvement de contraste sur sa rétine qui est une impression de la chute de la pomme à l'extérieur. L'idée fondamentale est la suivante : ce corps ne percevra pas une chute parce qu'il aura fait une synthèse intellectuelle et formelle du changement perçu (en bonne logique objective), mais c'est comme s'il percevait la chute de la pomme en l'intégrant à ses propres circuits capables de le faire chuter lui-même ! Autrement dit, je sens une chute extérieure, parce que moi-même je suis en mesure de chuter. Et je perçois une chute (un sens donc) parce que mon rhizome sensori-moteur porte la stimulation et la fait adhérer à mon propre circuit moteur et sensitif qui est celui d'une (petite) chute de mon propre corps, "mon corps qui échoit" ! "mon corps qui s'effondre" ! (ou ma main, ou mon tronc, ... c'est juste une illustration de l'idée fondamentale). En d'autres termes, l'action précède la perception : nous sommes capables de percevoir parce que nous sommes d'abord un pouvoir d'agir.
Tirons quelques conséquences de cette idée fondamentale : plus haut, j'ai fait remarquer que le mot chute lui-même correspond à un sens. Eh bien, c'est cela le langage qui ne représente pas, mais qui est lui-même incarnation du sens. Évidemment, une majorité de mots, ou plutôt, une majorité de constructions font du langage une représentation intellectuelle, et c'est même grâce à cela qu'une communication "objective" est possible. Or, nous cherchons à comprendre, tant qu'à faire, la constitution elle-même de ce langage. Alors, en vertu de l'idée fondamentale esquissée plus haut, les mots ont un sens, parce que les mots sont d'abord le repli d'un principe corporel (moteur et sensitif).
Qu'avons-nous fait jusqu'à maintenant ? En somme, ce qui est présenté, c'est un nouveau sens au mot "sens". Cette authentique découverte de la phénoménologie du corps est possible grâce à la prise de conscience de la motricité comme fondement de l'intentionnalité. Avoir un corps, ce n'est pas en avoir une représentation abstraite, mais c'est avoir un pouvoir d'effectuation et de repli des sensations, pouvoirs et résidus sensoriels qui sont encartés (arc=tendu, moteur, sensible ; --> "arc intentionnel"=corps). Derrière, ou au-dessous du "Je pense", il y a un "Je peux". La certitude de mon cogito n'est pas flottante : le doute que le cogito me permet n'est effectif que parce qu'il y a un fond de facticité en dessous. Le "moi" n'est pas imaginaire : le moi est suspension sur le fond de ce qui m'est donné, c'est à dire des objets, via mon corps. Autrement dit : le cogito est certain, le cogito permet le doute, mais le doute ne m'est permis que parce déjà le monde m'est donné au préalable. Que le monde me soit donné, c'est cela le fond de facticité. Alors, quel est le nouveau sens au mot "sens" ? C'est l'adéquation entre ce qui m'est donné et ce qui est visé.
Toutes ces circonvolutions du corps et de ses affections se font dans le monde phénoménal. Le corps est d'abord un pli de principes moteur et sensoriels qui sont comme l'intuition du milieu dans lequel il se constitue. C'est cela vivre dans un monde dont nous portons avec nous les structures. C'est comme dire que la chute n'est perçue que parce que je suis moi-même un corps motile capable d'action encartée dans mon circuit sensori-moteur (la paralysie n'est pas une objection, car je parle d'abord d'encartage). Cette dialectique entre le sujet incarné et son monde est celle qui permettra, plus tard, à ce sujet de construire des relevés objectifs qui seront comme la transposition de ses affections en "formes désincarnées" (=objectives). Et nous pouvons aller plus loin en parlant d'une capacité d'extrapolation et de découverte émergente dans le déploiement de ces formes objectives. Mais ce serait une erreur grossière que de penser l'Homme sous forme objective, car c'est justement lui qui seulement leur offre l'effectivité, et il les précède ontologiquement. L'intellect formel est une capacité formidable pour comprendre l'au-dehors, pour ramener à soi le monde perçu (même lointain) et ainsi en faire une synthèse intellectuelle, une opération du "Je pense" (NDLR : cette opération est dite transcendantale). Mais moi, je suis d'abord mon corps : nous n'avons pas un corps comme Aibo a une patte - mais nous sommes notre corps. C'est ce point qu'il s'agit de "méditer" !! C'est pour cela que nous disons que penser est un acte et que penser se fait toujours à la première personne. Si nous établissons des relations formelles qui, par définition, se donnent à la troisième personne (c'est à dire indépendamment du sujet), elles désincarnent de facto ce qu'elles prétendent donner et comprendre. Cette démarche est intellectualiste dans la mesure où elle sépare la structure et le sens, la syntaxe et la sémantique, le substrat et la représentation. Elle permet de comprendre l'extériorité (le monde) car justement elle relève un calque qui vient ensuite se poser en union avec notre propre structure, et c'est seulement cette union constituée qui génère le sens. C'est pour cela qu'on dit que l'objectivité est constituée, car l'objectivité suppose un sujet, et en définitive, l'objet est le revers du sujet. Cette démarche permet de comprendre le monde, mais une fois appliquée à soi, elle engendre un dualisme désespérant. Je ne suis pas un esprit qui fait correspondre des émotions à des actions, ni des actions à des émotions, mais je suis le pouvoir-même de mon corps (oui c'est difficile à penser tellement nous sommes habitués à considérer uniquement les choses qui ont une cause extérieure ! ...). Ou mieux : je suis un corps et une conscience tel que ma conscience ne coïncide jamais avec mon corps lui-même : "la visée intentionnelle est toujours à faire". Le pouvoir d'intentionner fondé par ma motricité est toujours à recommencer et c'est cela même la "temporalisation du vécu". La structure de la conscience est fondamentalement une structure du temps. "Le corps est une coupe instantanée sur le devenir de la conscience".
Il faut penser le corps pour panser le monde ! ... Mais tu te doutes bien que tout ceci n'est qu'un jet rapide et simpliste !! ---------------
Parcours étrange
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