(Nous allons digresser violemment. Mais non seulement je suis sûr qu'Hephaestos ne nous en voudra pas, mais en plus, comment déterminer notre liberté sans une claire compréhension de nous-même !)
xantox a écrit :
Un système physique est régi par des lois, les relations entre ses éléments et avec son environnement déterminent sa dynamique formelle, en disant ceci on a strictement tout dit pour les besoins d'une ontologie de l'esprit, il faut juste réveler tout ce que cela implique. "Etre matériels" ne signifie pas "être constitué par des atomes", comme dans un jeu de lego, cela n'a strictement aucun sens et ne dérive que d'une compréhension limitée de ce que la physique implique.
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Évidemment ! Et même, je n'entendais rien d'autre quand je parlais du "démiurge" ! Quand il s'agit d'expliquer un phénomène tel que celui, par exemple, de l'émergence d'une organisation nouvelle (en physique par exemple), on voudrait presque que l'interlocuteur témoigne d'une espèce d'imagination, ou plus exactement d'une capacité de conceptualisation qui permette, et seulement alors, de saisir la pleine mesure de la fécondité du processus. De même en biologie évolutionniste, quand il faut "remonter le film dans sa tête". Et s'agissant de la conscience incarnée, il est question, et plus que jamais, d'avoir "l'âme démiurge" ! Par précaution, évoquons peut-être une éventuelle trivialité cachée quelque part... mais c'est peu probable. Ou alors, il faudrait initier expressément une expérimentation nouvelle, au coeur et à travers le système physique pour constituer (engendrer ?) un quelconque "sentiment du soi" ! Un faire mumuse rhizomatique ! Seulement encore, ce n'est pas, comme tu dis, du mécano ! Il faut s'élever à penser la réalité non seulement des "pièces", mais aussi et surtout des interactions. Cela dit, si le problème est celui de la conscience incarnée, nous nous trouvons alors en face d'une singularité, et pas des moindres, qui est que la conscience réflexive n'est pas un... phénomène. Comme nous le dit l'Antichrist plus loin, la démarche de connaissance rationnelle qui s'interroge sur le "comment ?" prend l'objet pour guide et ainsi remonte au fondement qui est le sujet lui-même, et la conscience se trouve à la source d'un phénomène sans en être un. Développons cela :
xantox a écrit :
L'objectif est celui de définir une ontologie de l'esprit, et en vue d'aborder le problème corps/esprit.
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Le point de vue soutenu est que la conscience n'est pas un phénomène, un "observable" (tel que, par exemple, une explosion, une solidification, une émission de photon, etc.), mais la condition d'apparition d'un phénomène. Ce dernier se définit comme étant l'acte d'apparaître lui-même : le phénomène est manifestation, et il ne se manifeste que parce que la conscience conditionne son mode d'apparition. Techniquement, on dira que le plan où se déroulent les opérations de l'apparaître-à-la-conscience est un plan transcendantal, qui manifeste des objets transcendants. Un objet (un phénomène déterminé) est dit transcendant car sa cause est extérieure à lui-même. Quelle cause ? : être conscient d'un phénomène, être conscient d'une intrication de phénomènes, être conscient d'un monde phénoménal, c'est rapporter à soi le sens de ce qui se manifeste par la conscience de soi, c'est à dire être soi-même cause du sens de l'objet extérieur. Ainsi, dire que nous remontons au fondement en prenant l'objet pour guide signifie que le sens de l'apparaître (du phénomène) se trouve dans la structure du sujet lui-même, qui, en visant ses objets, y met son propre "voir". Donc, avoir un objet (de connaissance) requière un sujet conscient qui contient en lui la structure qui lui permet de l'appréhender. Observer un objet posé, c'est en fait le fonder soi-même par ses propres conditions aprioriques - et c'est cela-même l'objectivité, qui est capacité à déterminer des objets sous conditions aprioriques (d'intuition et/ou formelle) contenues dans le sujet lui-même (ce sujet connaissant et objectivant sera dit "sujet transcendantal" ). L'objet est alors le revers (partiel) du sujet. Or maintenant il faut aller en deçà de cette dichotomie sujet/objet pour comprendre la conscience incarnée, qui est justement la corrélation qui porte cette visée, cette intentionnalité fondée par le corps phénoménal capable de motricité, un corps phénoménal intimement intriqué avec le monde phénoménal. Nous commençons à voir : "condition d'apparition" signifie que ce que nous tenons pour un monde n'est monde que parce qu'il est fondé par une conscience qui le vise : le monde est apparaître, c'est à dire phénomène, et c'est la conscience qui permet l'apparaître. !Attention!, ce n'est pas un idéalisme (à la Berkeley) - c'est tout simplement la condition d'émergence d'un sens au monde, d'une raison d'être. C'est pour cela qu'on dit que la conscience n'est possible que parce qu'un monde lui est donné au préalable, mais que ce monde ne se soutient d'être que parce que la conscience y est déjà à l'oeuvre. La manifestation du phénomène (=pléonasme) est ce que la conscience étudie par le "comment ?", c'est la démarche de connaissance dont la méthode est de produire et de créer une lecture qui puisse donner raison aux modes d'apparition des phénomènes. Et retrouver le fondement en prenant le phénomène pour guide (ce que fait jusqu'ici le savant), c'est en fait retrouver dans l'objet la structure du sujet lui-même qui seulement permet l'intelligibilité. La conscience est une "machine à produire du sens" (Bel oxymore ! Et c'est toute la clé du problème ! ...). Résumons :
- Le phénomène est manifestation, il est l'acte d'apparaître lui-même ;
- La conscience est ce qui fonde et permet la manifestation du phénomène ;
- La conscience n'est pas un phénomène - mais le pouvoir de faire apparaître, suivant des modalités d'apparition (visuelle, tactile, ...) ;
- Le sens de l'objet apparu se trouve dans ce qui le fait apparaître (=le sujet conscient) : le fondement et la raison d'être de l'objet sont constitués par le sujet ;
- Par conséquent, tout objet est en définitive un objet de pensée, un apparaître. Aucun sens en dehors de celui de la conscience intentionnelle.
- Donc, la conscience n'est pas conscience de l'être lui-même, mais de son apparaître qui n'en est qu'un mode de manifestation. La conscience est point de visée qui recommence sans cesse : est elle temporalisation. (il n'y a pas de point de vue absolu, il n'y a pas de géométral qui subsume tous les points de vue. Il n'y a pas de point de vue de Dieu.)(Sur ce point, troublante rencontre : déjà Merleau-Ponty lui-même évoquait la relativité générale dans un de ses discours... xantox l'a aussi évoquée en page 9... à méditer !)
Ainsi, en ramenant à soi, en fondant la raison d'être de l'objet en "l'apposant" d'un sens, la conscience est alors un pour soi, un processus constituant ("apposition du sens" ) qui nous livre du constitué ("objet fondé car déjà visé au préalable" ). En étant un pour soi, on retrouve l'idée du vivant qui "a un monde à lui". Ce n'est jamais l'en soi qui est donné, mais n'est donné quoique ce soit qu'à un pour soi - c'est sa définition-même, une corrélation intime et une relation (couplage) qui est justement la conscience elle-même.
Dès lors, il s'agit désormais de comprendre la conscience comme l'acte qui fait apparaître l'extériorité (le monde, la distance) : autrement dit, ce que nous prenons pour l'au-dehors, ce qui nous apparaît comme étant le monde, "ce qui n'est pas notre oeuvre absolument", n'est rien d'autre que l'acte d'extériorisation lui-même, l'acte de la conscience. "Le monde perçu consciemment est précisément la mise en dehors de cet acte d'extériorisation". Cette description conceptuelle nous permet de nous approcher encore plus vers la compréhension du pour soi du vivant(conscient ?), qui distingue un non-soi, et pour qui il apparaît un monde, un dehors, et dont l'apparition depuis l'extérieur vers soi n'est rien d'autre que l'acte de la conscience qui s'extériorise lui-même. Ce cadre conceptuel est d'autant plus clairvoyant qu'il faut rappeler ici cette expérience fabuleuse devenue célèbre dans le milieu des sciences cognitives, et qui est de placer une grille de stimulateurs tactiles (petits plots par exemple) sur le dos ou le ventre d'un mal-voyant. Ensuite, quand on envoie des paysages visuels "pixélisés" par ces petits plots tactiles, sur le dos ou le ventre, et quand cette vague de stimulation tactile par la grille se met à défiler comme le ferait un paysage visuel, le mal-voyant, à partir d'un moment, cesse "de sentir sa peau" pour se mettre à voir quelque chose en face de lui !!! La stimulation tactile se présente alors comme une perception en face du mal-voyant, une perception au-dehors, l'apparition d'un monde visuel !!! Mais cela ne se produit que si la stimulation tactile se met à défiler comme des images, c'est à dire à avoir une structure de ce que le corps considère comme visuel. La sensation tactile est bien entendue déjà extériorisée, mais ce qui nous intéresse est cette "plateforme" qu'est la perception consciente qui se modalise en différentes extériorisations. Ce saut d'un mode d'apparition à un autre par modification de l'empreinte structurelle et temporelle perçue est... vertigineux. On rappellera ici aussi les analyses de Merleau-Ponty sur cette particularité qui est que la qualité (qualia) d'une perception n'est pas elle-même une substance mais une structure d'apparition (dans notre exemple, une structure visuelle est différente d'une structure tactile, la première "gagne l'extériorité visuelle", et la deuxième est précisément ce que nous appelons une... sensation. ("Nous arrivons à la sensation lorsque, réfléchissant sur nos perceptions, nous voulons exprimer quelles ne sont pas notre uvre absolument", PdP)).
C'est cela l'autre optique clairvoyante, présentée ici rapidement, et qu'il faut envisager sérieusement - et même d'urgence !
xantox a écrit :
Il me semble en conséquence qu'au lieu de chercher des différences là où il y en a pas, il serait productif d'aborder l'échange en positif et chercher les positions communes. C'est à mon sens ce qui est le plus courageux.
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Work in progress !
xantox a écrit :
Cela me paraît extremement imprécis. Toute représentation est un isomorphisme et peu importe si dans un domaine spatial ou temporel ou autre. Le robot dont tu faisais allusion a aussi dans les degrés de liberté de sa matière-énergie un "espace de chute", par sa capacité d'actualiser une dynamique (le "pouvoir d'agir" ).
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Non, il ne s'agit pas de délibérer sur l'imprécision ou pas. C'est un apport fondamental de la phénoménologie de la perception, dont n'est illustrée ici que le renversement de principe qu'il opère face aux dogmes qui traînent à propos de la perception dans la tradition IA classique (à l'époque, Merleau-Ponty aurait plutôt dit face à l'empirisme et/ou l'intellectualisme). L'erreur aveugle et partagée consiste à croire que percevoir n'est qu'imprimer une espèce de sensation pure (typiquement une caméra par exemple) : Grossière erreur !! Percevoir est un acte qui engage la structure du corps toute entière. La saisie et la "compréhension" de ce qui est perçu est déjà à l'oeuvre dans l'acte de percevoir ! Ce qui classiquement, en vertu de la chaîne causale de traitement de l'information, est tenu pour se dérouler ensuite, derrière, comme interprétation, comme synthèse formelle, et qui ferait naître le sens de la perception, est en fait déjà en circuit et promu par le sujet perceptif qui engage toute sa dynamique encartée au cours de la moindre perception (Sur ce point, d'autres rencontres possibles avec A. Damasio, dans Spinoza avait raison). De plus, il faut éviter de parler de représentation, car l'idée fondamentale exclut tout renvoi à un "calque intellectuel ou formel" : tout le mouvement de la perception est de n'apercevoir l'objet que parce qu'il est lui-même comme porté et véhiculé par le circuit sensori-moteur du corps. Merleau-Ponty va même jusqu'à en faire notre circuit d'existence.
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Parcours étrange