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Auteur Sujet :

Le libre-arbitre n'existe pas.

n°7442240
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 17-01-2006 à 03:35:25  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

push a écrit :

La plus simple ou la plus simpliste ?


 
La plus simple, au sens de la simplicité dans la théorie de l'information : celle qui est décrite avec le moins d'information. Le rasoir d'Ockham en somme.
 
 

push a écrit :

Et quitte à faire comme si, pour moi le choix le plus raisonnable, c'est de choisir la voie la plus constructive.


 
Tu peux élaborer cete notion de 'constructivité' ? j'ai bien peur d'être d'accord avec toi sur le fond, mais pas justement sur la conclusion...


Message édité par hephaestos le 17-01-2006 à 03:35:38
mood
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Posté le 17-01-2006 à 03:35:25  profilanswer
 

n°7442747
Bakk15
لا إله إلا الله محمد رسول الله
Posté le 17-01-2006 à 10:17:52  profilanswer
 

Le libre arbitre n'existe pas... tout cela basé sur un raisonnement... mais qui nous prouve que ton raisonnement n'est pas tronqué ou faux dès le départ ?
 
car si ton raisonnement est faux à la base, tu n'arrives jamais à une conlusion pausible.
 
 
Je n'ai pas ta faculté de raisonnement, donc je ne pourrais pas tenir un dialogue contre toi, j'en suis tout bonnement incapable.
mais je suis convaincu du contraire... je n'ai aucune preuve à te fournir.
 
Mais pour moi le libre arbitre est de croire en quelquechose ou pas... et ca tout le monde l'a.
 
tu crois à ton raisonnement ? moi pas... c'est pas ca le libre arbitre?

n°7443007
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 17-01-2006 à 10:58:41  profilanswer
 

Mon titre est volontairement raccoleur, mais dire que le libre arbitre n'existe pas est fonciérement idiot. Le libre arbitre existe de fait à partir du moment où, comme tu le dis, on peut croire en une chose ou en une autre, on peut faire des choix.
 
Le but du sujet est essentiellement de dissocier ce libre arbitre qui est un ressenti (j'aurais pu dire qui n'est qu'un ressenti, mais ç'aurait sans doute été mal compris) de l'objet de ce ressenti, à savoir la réalité du choix en question.
 
Car ce choix n'a de réalité que du point de vue de la créature sentante qui l'effectue, cette créature étant, jusqu'à preuve du contraire, entièrement incluse dans un univers matériel parfaitement déterministe.


Message édité par hephaestos le 17-01-2006 à 10:59:08
n°7443057
Bakk15
لا إله إلا الله محمد رسول الله
Posté le 17-01-2006 à 11:06:08  profilanswer
 

Comme je le ressentait, je peux pas suivre, car franchement j'ai pas compris... je viens de comprendre en outre, pourquoi j'ai pris 7 en philo au bac :)
 
 
pardon de poluer et pas pouvoir étailler la conversation :jap:

n°7443318
PrimaLiber​a
Posté le 17-01-2006 à 11:46:27  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

C'est juste une manière d'expliquer en quoi la raison n'est pas une croyance. Je ne crois pas que ce soit la vérité, je n'ai rien qui me permet de le dire ; simplement face à un choix, je dois choisir, je choisis donc l'hypothèse la plus simple.


Depuis quand choisir l'hypothèse la plus simple serait-il plus près de la liberté ou de la vérité que de choisir une hypothèse plus complexe ?
Et en quoi croire en la raison serait-il moins une croyance que d'autres postulats ?
La raison est, elle aussi, sujette à interprétation, et s’en tenir au simple constat " je raisonne donc je suis " = "une simple vérité suffisante pour vivre", ne permettra jamais de mettre tout le monde d’accord, étant tous de sensibilités différentes et s'agissant d'hypothèses purement théoriques.  
La raison est-elle une capacité innée permettant de connaître des vérités intuitives et a priori ou seulement un moyen d’accéder à des vérités déduites à posteriori, la vérité est-elle objective ou essentiellement subjective… l’empirisme n’aura jamais réponse à tout, et être trop "économe" en choisissant les chemins les plus courts ne permettra jamais de faire de bien grandes découvertes.  
Etre athée, positiviste ou évolutionniste : croyances au même titre que la croyance primitive "imaginaire" et intuitive à la création divine.


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Ensemble nous donnons un sens au monde
n°7443494
PrimaLiber​a
Posté le 17-01-2006 à 12:09:33  profilanswer
 

Bakk15 a écrit :

Le libre arbitre n'existe pas... tout cela basé sur un raisonnement... mais qui nous prouve que ton raisonnement n'est pas tronqué ou faux dès le départ ?
 
car si ton raisonnement est faux à la base, tu n'arrives jamais à une conlusion pausible.
 
 
Je n'ai pas ta faculté de raisonnement, donc je ne pourrais pas tenir un dialogue contre toi, j'en suis tout bonnement incapable.
mais je suis convaincu du contraire... je n'ai aucune preuve à te fournir.
 
Mais pour moi le libre arbitre est de croire en quelquechose ou pas... et ca tout le monde l'a.
 
tu crois à ton raisonnement ? moi pas... c'est pas ca le libre arbitre?


Pour parler de "libre arbitre" il faudrait d'abord préciser sur quel plan on se place : politique, psycho-sociologique, philosophique, métaphysique... ?  Faudrait peut-être pas confondre liberté et indépendance. Un individu peut-il être totalement libre dans la mesure où il est le produit d'un système extérieur à lui, dont il dépend ? Sa liberté peut-elle aspirer à une désaliénation totale du système dont il fait partie ? C'est pourquoi je crois qu'une liberté individuelle ne peut se concevoir en dehors des principes et règles que le système va être capable d'adopter pour les appliquer à l'ensemble de ses éléments. Devenir capable de s'assujettir à des règles contraignantes que l'on a soi-même édictées au sein d'un ensemble et acceptées sur la base d'une raison qui a su prendre conscience de l'autre, n'est-ce pas simplement cela acquérir un libre-arbitre ?


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Ensemble nous donnons un sens au monde
n°7443766
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 17-01-2006 à 12:48:13  profilanswer
 

PrimaLibera a écrit :

Depuis quand choisir l'hypothèse la plus simple serait-il plus près de la liberté ou de la vérité que de choisir une hypothèse plus complexe ?


 
Je ne vois pas ce que tu entends par 'plus prés de la liberté'.
 
Je n'ai pas dit que c'était plus prés de la vérité, je dis juste que la simplicité est le seul critère objectif à notre disposition, et que, comme il faut faire un choix (là dessus, il n'y a aucune alternative, le choix ultime étant celui d'être ou de ne pas être comme il a été mentionné plus haut, si l'on ne veut pas décider du bien et du mal), et comme on ne dispose d'aucun autre critère accessible à la raison, je choisis de l'utiliser.
 
 

PrimaLibera a écrit :

Et en quoi croire en la raison serait-il moins une croyance que d'autres postulats ?


 
Ca ne tient pas debout cette notion de 'croire en la raison'. La première chose qu'impose la raison, c'est le doute. Le doute sur tout, sauf sur une chose (dans mon cas en tout cas) : je pense, donc je suis. Ca ne me dit pas ce que je suis, mais au moins ça me dit que l'hypothèse la plus vraisemblable car la plus simple, à savoir rien n'est est fausse.  
 
Donc, voici où j'en suis :
 
J'ai une certitude : quelque chose est.
Je perçois des choses.
J'ai une obligation : faire au moins un choix. Si ce choix n'est pas de cesser d'être (me suicider pour ceux qui ne suivent pas...), j'en aurai d'autres à faire, constamment.
Faire un choix, cela signifie faire un jugement de valeur, c'est à dire définir ce qui est bien de ce qui est mal. Il me faut donc choisir une définition du bien et du mal. Cette définition doit nécessairement tenir compte du fait que quelque chose est, et être en accord avec ce que je perçois.
 
Partant de là, plusieurs alternatives s'offrent à moi. Certaines sont plus compliquées que d'autres. N'ayant pas d'autre critère de sélection, je choisis aveuglément la plus simple, et je fais mes choix en conséquent. Je suis prêt à tout moment, si les choix que j'ai fait dans le passé venaient à ne plus répondre aux critères imposés (essentiellement cela signifierait ici que je perçoie quelque chose qui entre en contradiction avec les hypothèses faites), à en changer aussi radicalement que nécessaire. C'est pas comme si j'avais le choix.

Message cité 1 fois
Message édité par hephaestos le 17-01-2006 à 14:44:41
n°7444454
xantox
Posté le 17-01-2006 à 14:13:16  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

hein, j'ai jamais lu Descartes...


C'est maintenant chose faite?  ;)
 

hephaestos a écrit :

La première chose qu'impose la raison, c'est le doute.


Message édité par xantox le 17-01-2006 à 14:27:29

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-- Parcours Etranges : Physique, Calcul, Philosophie
n°7448602
l'Antichri​st
Posté le 17-01-2006 à 21:56:38  profilanswer
 

Le libre-arbitre existe t-il ?
 
Si je suis libre, cela signifie que j’ai un pouvoir sur moi-même, que je peux me diriger en dehors de toute contrainte, agir sans être soumis à aucune nécessité étrangère à ma volonté. Si je suis libre, c’est parce que personne ne me contraint à vouloir que moi-même. En ce sens, je suis donc un libre-arbitre, c’est-à-dire un pouvoir de dire oui ou non : j’ai le pouvoir "d’agir ou de m’abstenir selon ce que mon esprit a choisi" (cf. J. Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, §. 27), c’est-à-dire de préférer une action tout en sachant que l’action contraire était en mon pouvoir. Dans le libre-arbitre, la volonté se constitue en véritable cause première, elle est une puissance absolue de commencement, qui échappe à toute détermination, y compris celle de l’indifférence telle qu’elle apparaît dans la célèbre histoire de l’âne de Buridan : contrairement à cet âne qui, ayant autant faim que soif, et placé à égale distance d’un seau d’eau et d’un seau d’avoine, c’est-à-dire vivant une situation d’égalité des forces attractives, restera immobile et finira par mourir, l’homme, lui, possède une liberté radicale, c’est-à-dire la capacité de se dégager du déterminisme strict imposé par le mouvement naturel (celui de l’instinct et des besoins). Plus fondamentalement encore, le libre-arbitre se distingue de cette "liberté d'indifférence", car il ne s’agit pas tant d’agir "sans raison" (c’est sur ce principe que se fonde la "liberté d’indifférence" ), mais d’agir "en dépit" de toute raison (et en présence d’autres raisons possibles d’action). Autrement dit, le libre-arbitre ne rejette pas la délibération (ce que fait l’indifférent puisque, par définition, il n’y a rien sur quoi il puisse délibérer, ce qui rend l’histoire de l’âne de Buridan trop simpliste pour qu’on l’applique aux actions humaines, à moins d’y voir justement l’effet de son ironie à l’égard de la liberté d’indifférence). Simplement, pose t-il que la conclusion de cette délibération n’est pas nécessairement déterminante pour la suite de l’action, quelle que soit la force de cette conclusion. Ainsi, être libre, posséder un pouvoir sur soi, c’est avoir une vision claire et distincte des différentes possibilités qui s’offrent à notre adhésion où à notre refus, tout en étant capable de résister à notre propre mouvement intérieur, à ce qui en nous (nature, essence, culture...) mais indépendamment de nous comme pure volonté, incline spontanément et irrésistiblement dans telle ou telle direction.
 
Le libre-arbitre s’oppose donc radicalement à l’intellectualisme moral chez un Thomas d’Aquin, par exemple. Selon ce dernier, en effet, est libre c’est-à-dire peut agir dans le sens contraire du bien, celui qui est ignorant, qui n’aperçoit pas les véritables moyens d’agir en vue du bien. Mais la liberté s’arrête t-elle là ou commence le bien ? L’être libre n’est-il pas au contraire celui qui, connaissant le bien, peut cependant vouloir le "mal", connaissant le vrai, peut cependant vouloir le faux ? La forme essentielle de la liberté consisterait à nier l’évidence en présence de l’évidence, à voir le meilleur sans le suivre, mieux même, à se détourner du bien sous le charme même de son attrait ! C'est bien ce que dit Descartes dans sa célèbre Lettre à Mesland du 9 février 1645 : "Car il nous est toujours permis de nous empêcher de poursuivre un bien qui nous est clairement connu, ou d’admettre une vérité évidente, pourvu seulement que nous pensions que c’est un bien de témoigner par là de notre libre arbitre." Nous pouvons nier l’évidence pour prouver notre liberté. Pour prouver la force et la puissance de ma liberté, je peux vouloir le faux en présence du vrai. Cette force semble sans doute dérisoire puisque je n’affirme pas le savoir et la science. La véritable force de la volonté apparaît quand celle-ci est éclairée et qu’elle confère une puissance à l’ensemble de mon être : je me sens plus fort quand je connais. Une volonté puissante comme celle de Dieu (où la force de décision et la force de création sont une : ce que Dieu veut, il le fait) ne saurait faire le mal puisqu’un Dieu trompeur est une contradiction dans les termes. La possibilité d’expérimenter une force libre de ma volonté en niant l’évidence est une expérience-limite à laquelle il faut préférer l’adhésion éclairée (celle qui force la connaissance comme on force le respect) aux vérités éternelles. Cependant, cette expérience-limite d’une force d’opposition au vrai pour prouver que je suis libre (c’est-à-dire que je suis fort) est possible en droit. Sans elle ma volonté aurait une faiblesse fondamentale qui ferait de l’homme un automate. Prouver cette force de la volonté, c’est donc prouver la puissance constitutive de mon être. Cette possibilité de nier le vrai et le bien en leur présence manifeste donc la force de la volonté.
 
Le libre-arbitre est donc à entendre d'abord au sens d’une force de réaction ou d’opposition. Par mes actions volontaires, je peux m’opposer à une vision fataliste des événements, aux prescriptions de la nature et même au vrai et au bien. La volonté tire sa force de sa capacité à s’opposer à ce qui s’impose à nous. Le destin, la nature, la vérité ou le bien peuvent essayer de nous contraindre, il n’empêche que notre volonté (en tant que faculté refusant la soumission) peut refuser ce qui cherche à la commander. Cette liberté de s’opposer est donc le nerf de la liberté.
 
Mais cette force de la volonté est-elle vraiment la preuve que nous sommes libres ? L’acte libre est l’acte accompli sans motif autre que le pur vouloir. Mais cela indique t-il pour autant que notre volonté soit vraiment la cause du choix que nous avons fait ? Si le libre-arbitre repose sur la connaissance des possibles contradictoires, est-il vrai de dire que nous connaissons tous les possibles au moment du choix ? Au contraire, n’y a-t-il pas toujours de "bonnes raisons" (des mobiles profonds) qui nous font agir, que nous ignorons souvent ou que nous confondons avec notre liberté, mais qui n’en sont pas moins de véritables déterminations ?
 
En effet, que peut bien signifier une volonté privée des lumières de la raison ? La difficulté que pose la liberté entendue au sens de libre-arbitre, c’est-à-dire une liberté apparemment sans contrainte, est la difficulté liée à l’existence d’une volonté brute, entièrement détachée de toute raison déterminante. Livrée à elle-même, c’est-à-dire sans le concours de l’entendement, sans l’autorité de ce principe directeur, de cette puissance législatrice universelle, capable d’éclairer l’action, de délibérer en fonction de l’idéal du bien afin d’orienter l’action dans la voie du meilleur, la volonté ne veut rien. Tout se passe comme si la volonté seule ne pouvait viser aucune fin, ou pire ne savait ce qu’elle voulait. Prisonnière de son propre dynamisme intérieur, de son unité indivisible qui la fait être tout entière à la fois, sans réserve et sans prudence, ignorante de ce qui la motive réellement, la volonté ne peut se décider que "pour" le mal c’est-à-dire contre le bien qu’elle connaît et qui s’impose à elle par son évidence. Mais une telle opposition n’a rien d’irrationnel : elle ne fait que masquer un choix déjà déterminé, bien avant le moment de la délibération. Le véritable moteur de l’action, la véritable cause du choix n’est donc pas le libre-arbitre mais une spontanéité irréfléchie, une sensibilité, un désir plus originaire que tout le reste qui commande l’entendement, qui le meut afin que celui-ci fournisse les moyens de réaliser la fin projetée et la justification qui pourra lui donner un sens. Au fond le libre-arbitre, ne désigne rien de plus que la décision vide qui instaure la continuité des moments successifs d’une délibération dans le temps. Le mouvement initial, le "choix" de départ, équivaut à une résolution sans délibération où peuvent s’exprimer nos tendances les plus intimes, mais qui n’a qu’un rapport assez éloigné avec une véritable maîtrise de soi. Nous en trouvons la preuve dans la mauvaise conscience qui accompagne parfois l’exécution du choix initial : l’homme soumis à une spontanéité irréfléchie paraît, en effet, résolu si l’on coupe entre le moment du choix, où il se laisse vaincre par une passion présente qu’il confond avec l’exercice de son libre-arbitre, et la durée de l’exécution où il soutient vigoureusement son choix. Mais sitôt qu’on rétablit la continuité dans le temps, l’irrésolution apparaît, puisque la faiblesse du choix initial, son caractère aliénant, se perpétue à travers son opiniâtreté. Dans le remous du temps, le choix et la vigueur avec lesquels la volonté soutient, devient équivalent au temps mort d’une délibération sans décision. La spontanéité manifeste finalement bien plus notre dépendance vis-à-vis des passions que la toute puissance de notre volonté. Nous expérimentons, alors, combien notre volonté est faible et vacillante face à tous les mobiles passionnels dont la spontanéité, justement, nous attache d’autant plus qu’elle paraît mieux nous représenter.
 
D'ailleurs, comment comprendre que cette prétendue force de la volonté, dont nous avons parlé plus haut, laisse ouverte la possibilité de succomber au mal sous la forme de mauvaises actions ? Quelle est au fond la nature de la force au sein de la volonté ? Si la volonté est libre, alors la force qu’elle détient peut-elle être contrôlée ? Le soupçon de l’incontrôlabilité de cette force révèle ici le danger d’une volonté capable de faire n’importe quoi. En ce sens, la volonté n'est-elle pas faible ? Un homme qui fait une mauvaise action a-t-il une volonté faible (structurellement) ou affaiblie (conjecturalement) ?
 
Ou bien la volonté est parfaite et nous ne pouvons pas comprendre comment nous pouvons vouloir des actions mauvaises, ou bien nous acceptons la possibilité de volontés mauvaises mais cela engage une conception de la volonté qui ouvre le possible de la faiblesse ou du défaut de force. Ce problème est au coeur du christianisme. En commettant le péché, Adam a-t-il connu un état de sa volonté qu’on peut relier à une "faiblesse" ? Certes Adam ne voulait pas son malheur mais il voulait avoir le bonheur de savoir. Il voulait cueillir le fruit de l’arbre de la sagesse. Mais l’aurait-il fait si sa volonté n’avait pas été affaiblie par une puissance du mal dont il n’était pas maître et représentée par le serpent ? Est-ce à dire que la force de la volonté en ce sens qu’elle se détermine vers telle ou telle voie peut être affaiblie par un agent extérieur ? Il y a pourtant une contradiction à penser que Dieu, infiniment bon, puisse permettre le mal. Mais il le permet par le biais d’une entité capable d’affaiblir la volonté. Celle-ci n’a pas une force absolue puisqu’elle peut être séduite et détournée du bien. A propos de la transmission du péché commis par Adam et Eve, Pascal écrit : "Rien ne nous heurte plus que cette doctrine, et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes… L’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme." (cf. Pensées, 434, édition Brunschvicg). Pourquoi l’homme est-il condamné à cause de la volonté affaiblie d’Adam et d’Eve ? Ce problème est au coeur de la pensée de Pascal. Celui-ci montre en effet l'irrationalité que l’homme soit puni dans l’au-delà du péché qu’il n’a pas la force, sans le secours de la grâce, de combattre, et cependant qu’il est considéré avoir commis volontairement et sciemment pour mériter un châtiment éternel. Ce paradoxe est visible et lisible à un autre niveau : celui de nos jugements moraux et de la pratique du droit. On juge et on punit d’autant plus sévèrement le mal qu’on l'estime volontaire, alors que le mal est la marque de la faiblesse de la volonté. Il y aurait comme une contradiction fondamentale à juger un homme "méchant" parce qu’il a manqué de volonté pour faire le bien, et à considérer qu’il a commis le mal librement et qu’il mérite pour cela une punition.
 
L’expérience de l’homme montre au moins autant la force de la volonté, c’est-à-dire sa puissance et son intensité, que sa faiblesse. La faiblesse de la volonté peut s'envisager comme un défaut de sa force. La volonté peut être affaiblie mais cela correspond à un défaut dans son déroulement. Or ne pouvons-nous pas penser la faiblesse comme constitutive de la volonté, ce qui remettrait en question une dotation de la force à la faculté que nous appelons "volonté" ? La force de la volonté apparaît alors comme une illusion à laquelle nous tenons. C’est ce que montre la figure d’Ulysse au cours de l’épisode des sirènes. Ulysse est parcouru de deux mouvements contradictoires : d’une part le désir lancinant d’entendre les sirènes est incoercible, d’autre part la volonté de ne pas céder. Mais Ulysse sait que sa volonté n’est pas assez forte pour vaincre par elle-même le désir. C’est pourquoi la raison doit aider la volonté : après l’étude rationnelle de la situation, Ulysse demande à ses compagnons de l’attacher avec des cordes matérielles. Autrement dit, les liens de la volonté ne suffisent pas et ne sont pas assez puissants. C’est pourquoi l’usage de la raison fait prévoir la nécessité d’être attaché au mât. Il sait donc que le chant des sirènes le conduirait à sa perdition. Or il désire ce chant c’est-à-dire qu’il ne veut pas ne pas l’entendre. Tiré entre deux aspirations contraires (vouloir un chant qui mène à la mort et vouloir rester en vie), les cordes réelles paraissent plus fiables que les cordes de la volonté. Il y aurait ici comme une tension entre le désir et la volonté dont le premier sortirait vainqueur si la seconde était laissée à elle-même. Le désir apparaît comme ce qui meut Ulysse. Or ce qu’il désire, c’est se repaître de ce désir d’entendre les sirènes. Il désire se perdre dans le chant mais il ne le veut pas. Cette non-volonté est gouvernée par le désir affirmatif de jouir à l’infini de son désir. Pour en jouir le plus possible, il ne faut pas y succomber. Mais pour cela la volonté n’est pas assez forte quand elle est dans le feu de l’action. Elle ne peut s’organiser qu’avant la bataille : quand ma volonté n’est pas obscurcie ou affaiblie par mon désir, je peux être fort et décider d’un plan (être attaché au mât) pour résister. La force de la volonté viendrait alors d’autre chose qu’elle, c’est-à-dire de la raison qui peut prévoir la future faiblesse de la volonté. C’est donc qu’elle existe. Cela ne constitue-t-il pas l’expérience sous une forme approchante de notre vie quotidienne ? Ulysse prévoit la faiblesse (le défaut de la force) de sa volonté. C’est-à-dire que nous pouvons connaître en nous deux directions volontaires contradictoires suivant que nous sommes dans une position post-désirante ou dans une position désirante. Cela pose un problème au niveau du rôle de notre raison. Cette dernière peut prévoir que la volonté sera faible et organiser un plan pour pallier cette défaillance. Autrement dit, la raison peut aider la volonté à se prémunir de l’écoute du désir mais au moment où le désir se fait entendre (le chant des sirènes) alors la volonté n’est d’aucune aide. Les cordes de la volonté ne peuvent remplacer les cordes matérielles quand nous sommes jetés dans le feu de l’action et dans la chaleur du désir.
 
Cet exemple nous permet de préciser le sens véritable (à la fois positif et négatif, c’est-à-dire essentiellement ambivalent) de ce libre-arbitre constitutif de notre être.
 
En effet, la réalité première est la réalité concrète de l’homme en situation cherchant par la conscience à maîtriser son rapport au monde, à se le représenter afin de donner un sens à son existence. Or, cette quête d’un sens prend d’abord la forme d’une entreprise de justification de ce qui est c’est-à-dire des pesanteurs et des limites qui nous faut souffrir. La condition première de l’homme en situation est celle d’une aliénation radicale : son pouvoir d’initiative, sa capacité à dépasser le donné, bref son libre-arbitre, s’inscrivent dans les limites d’un vécu où s’affirment des modes de représentations (valorisations subjectives, autorité d’un savoir historiquement déterminé, références à l’expérience individuelle, poids du conditionnement éducatif, etc...) qui, loin d’offrir les conditions d’une réappropriation critique et objective de ce qui l’entoure et le détermine, participent au contraire à son aliénation idéologique. Autrement dit, les représentations par lesquelles l’homme vit son rapport avec les réalités concrètes qui conditionnent son existence, révèlent bien son libre-arbitre qui lui permet de relativiser son propre vécu, de se mettre à distance de lui, de le transcender pour le juger et s’il le faut pour le transformer. Mais ce pouvoir n’est pas absolu : loin d’être neutres et inertes, les représentations s’imposent à leur tour au sujet. Ainsi, la volonté affirme-t-elle ou nie-t-elle à raison des représentations qui se produisent en elle, par la seule puissance d’affirmation qu’elles comportent, ce qui ne peut que nuire gravement au libre exercice du jugement. Et la première démarche de la raison humaine n’est pas de proposer une explication objective du vécu mais de découvrir la raison des choses, de relier les phénomènes ou les événements à une finalité qui pourra justifier ce qui autrement rendrait l’existence insupportable (cf. Les obstacles épistémologiques chez Bachelard, les diverses idéologies dénoncées par Marx sur le plan économique et social, par Freud sur le plan psychologique, la critique kantienne de l’illusion métaphysique, etc...).
 
A l’origine, nous ne sommes donc pas libres car la liberté n’est pas donnée : elle n’est pas un pouvoir autonome par rapport à l’entendement et à ses représentations communes. La volonté est d’abord passion (elle exprime l’extériorité) et non action (pure causalité). La contrainte réside dans le donné. La liberté consiste à dépasser celui-ci. Afin de retrouver un pouvoir sur nous-mêmes, il faut donc dépasser le libre-arbitre et affirmer que la liberté se trouve dans notre capacité de résistance face à toutes les forces extérieures qui nous contrôlent de l’intérieure, face à toutes les déterminations d’origine culturelle qui nous font croire à la valeur de prétendus comportements traditionnels fondés sur la nature alors qu’au contraire elles masquent notre véritable nature.
 
Pour avoir la maîtrise de soi (être à soi-même son propre maître signifiant à la fois être sous la contrainte et être libre puisque c’est s’obéir), pour réellement diriger son jugement et son action, il faut se réapproprier son vécu. Or, seule une démarche réflexive capable de problématiser les représentations ordinaires, d’élaborer de manière critique les cadres psychologiques et affectifs de notre existence, les valeurs idéologiques transformées en dogmes ou en traditions, est en mesure d’assurer notre autonomie et donc la maîtrise de nos choix existentiels. Sur ce plan, le jeu dialectique des questions et des réponses chez Platon illustre la nécessité, pour qui veut accéder à l’intelligible, de dialoguer avec soi-même, de s’éveiller à la prise de conscience de l’illusion pour s’éveiller ensuite à l’amour du vrai pour se dépasser en lui. De même, chez Descartes, nous devenons libres à travers l’exercice d’un doute volontaire à la fois universel, hyperbolique et radical. Un tel doute est un acte de liberté parce qu’il est forcé, parce qu’il exprime une volonté ferme et constante de sortir de l’incertitude. Il est le modèle universel de la réflexion critique, seule capable d’élucider les multiples illusions qui transforment notre pouvoir d’agir (notre libre-arbitre) en aveuglement et impuissance. Le libre-arbitre devient alors une vertu négative qui intervient comme un moment primordial dans le parcours méthodique et raisonné vers le vrai et le bien. Le libre-arbitre exprime maintenant une décision volontaire et délibérée qui donne tout son prix à notre action puisqu’elle marque notre rupture avec un mal, certes volontaire (car résultant d’un entraînement et d’un endurcissement à des actes qui en leur début étaient volontaires) mais figé maintenant dans la nécessité par la difficulté, voire l’impossibilité qui est la nôtre, de modifier à volonté notre conduite. Etre libre dans la contrainte, ce n’est pas tant refuser volontairement un bien que nous connaissons et qui de fait pèse de toute sa positivité sur notre décision finale, mais c’est trouver la force et les raisons de désobéir au mouvement purement mécanique par lequel on croit choisir librement (puisque conditionné par notre passé) de suivre une détermination ancrée dans les habitudes de notre vie antérieure. En tant que puissance de négation, le libre-arbitre respecte à la fois notre nature réelle c’est-à-dire notre aspiration aux valeurs et le principe de la liberté c’est-à-dire la liberté de choix.
 
Une nouvelle question se pose : puis-je me forcer à être libre ? C’est en plaçant ma subjectivité au fondement de la force et au principe de ma liberté que je peux dépasser l’apparente contradiction qui m’empêche de me saisir en tant que "moi". En effet, si je réconcilie la contrainte et la liberté, je suis dans la plus haute forme de liberté. En quel sens ? En ce sens que je me contrains et non en ce sens que la liberté s’imposerait de l’extérieur et d’une manière automatique. Autrement dit, la véritable liberté ne consiste pas à reconnaître la voie du meilleur (parce que c’est le meilleur et qu’une autorité supérieure nous en imposerait le respect comme une norme sacrée), mais parce que cette reconnaissance suppose une rupture préalable et radicale avec tout ce qui ne relève pas des lois de notre esprit. Et en même temps parce qu’elle exprime, en nous, une tendance profonde où s’investit la totalité de notre personne.Précisons ces deux points.
 
Le premier est lié à Descartes dans la Quatrième Méditation où celui-ci montre que la liberté ne réside pas dans le pouvoir absolu de sa volonté, c’est-à-dire dans un libre-arbitre fondamental indépendant de tout motif. Elle réside au contraire dans l’intelligence de l’entendement capable d’éclairer la volonté et d’orienter le jugement et l’action. Le libre arbitre est "le plus bas degré de la liberté" (cf. Méditations métaphysiques, IV, § 9). Pour avoir la maîtrise de soi, il n’est pas nécessaire que notre volonté puisse se porter indifféremment à l’un des partis possibles mais, tout au contraire, plus nous nous sentons orientés vers l’un des deux (soit par la connaissance évidente que nous avons du vrai et du bien qui s’y trouvent, soit parce que Dieu dispose ainsi l’intérieur de notre volonté) plus nous choisissons librement. Et ni la grâce divine, ni la connaissance naturelle ne diminuent ma volonté, mais l’augmentent plutôt et la fortifient par le fait même que mon indifférence ou mon indécision se trouvent diminuées. Au contraire, si  je ne suis pas entraîné vers un côté plutôt qu’un autre, si je suis indécis, tout cela fait la preuve, non pas de la toute-puissance de ma volonté (qui pourrait choisir en toute connaissance de cause) mais d’un défaut de connaissance de mon entendement (qui hésite justement parce qu’il ne sait pas). Autrement dit, je suis libre quand je me contrains en ayant des raisons d’agir, lorsque je sais ce que je vais faire et comment le faire, étant entendu que ma raison éclaire mon choix d’une lumière si vive que je ne peux plus douter de mon action, celle-ci s’imposant d’elle-même par l’évidence qu’elle renferme.
 
L’acte libre, qui n’obéit à aucune contrainte extérieure, est donc l’acte le plus profondément motivé parce qu’en lui je fais ce que je veux. Mais il ne s’agit pas là de l’affirmation d’une volonté toute pure ignorante de ce qui la motive réellement. L’exemple de l’acte gratuit révèle trop bien l’illusion que masque une telle liberté : l’acte gratuit se présente comme un choix délibéré et prétend manifester mon libre arbitre, le pouvoir absolu que j’aurai sur moi-même et sur les événements qui jalonnent mon existence. En fait, il est déterminé par des mobiles inconscients et donne plutôt la preuve de ma soumission à des forces qui agissent sur ma volonté et que celle-ci peut d’autant moins maîtriser qu’elles lui sont inconnues. Focalisé sur l’analyse abstraite d’un état virtuel accessible directement à la conscience par une expérience interne en dehors de toute situation concrète, le libre arbitre oublie que la liberté doit déboucher sur une action efficace c’est-à-dire satisfaisante, une action dans laquelle nous puissions nous reconnaître (et c’est pourquoi nous y adhérons infailliblement). Or, précisément, l’évidence rationnelle qui détermine le mouvement volontaire du désir selon les deux axes du possible et du souhaitable (cf. Descartes, Troisième partie du Discours de la méthode) ne nous est pas étrangère. Elle est au contraire l’expérience la plus intime puisqu’elle se confond avec la vivacité et la clarté de ce qui m’apparaît comme étant à moi, comme étant moi-même concentré dans l’objet de ma représentation.
 
Le problème est celui de la subjectivité : qui me force à être libre ? Est-ce une force transcendante à ma subjectivité qui peut être facteur de liberté ? Ou bien est-ce une partie de moi qui peut contraindre la totalité de ce que je suis et me faire accéder à la liberté ? Ainsi la vraie liberté pourrait-elle se définir comme l’obéissance aux règles de l’esprit sans que cette obéissance ne contredise le principe même de la liberté c’est-à-dire la possibilité de choix, puisque ces règles ne sont rien d’autre que les effets de notre liberté : se posséder, c’est retrouver son autonomie par rapport au monde, c’est-à-dire pouvoir s’en détacher en l’inventant. C’est revenir à soi, à ce à quoi nous aspirons réellement, au-delà ou en deçà de toutes les fins pragmatiques ou sociales (cf. Epicurisme et Stoïcisme).
 
Autrement dit, je suis libre quand j’exprime ce que je suis. Or je suis action, projet existentiel, liberté créatrice. Cette réalité s’exprime sous la forme de la représentation de l’absolu, de l’inconditionné, de ce qui n’est pas ou pas encore mais auquel nous aspirons afin d’échapper à la précarité d’une condition et d’un savoir toujours en devenir. Dans l’optique sartrienne, la liberté est transcendance : elle est l’acte même de créer des valeurs c’est-à-dire de "poser un état idéal des choses comme pur néant présent et de poser la situation actuelle comme néant par rapport à cet état de choses" (cf. L’être et le néant). Autrement dit, c’est parce que l’homme est capable de se représenter ce qui n’est pas qu’il peut prendre l’initiative de dépassement ou de transformation critique de la réalité donnée. Le "néant" conditionne la libération effective car il est l’idéal absent du monde et qu’il faut viser, le projet que l’homme se donne, la valeur qu’il invente pour dépasser son existence présente et lui donner, effectivement, un sens. Ainsi pouvons-nous comprendre que "nous sommes condamnés à être libre" parce que nous sommes des êtres en situation.
 
Le choix est donc inéluctable mais il ne faut pas le concevoir comme un choix entre deux termes d’un dilemme, entre des possibles donnés d’avance. La liberté est invention et création. Elle est toujours une solution originale apportée aux problèmes posée par la situation où je me trouve.
 
le problème a donc peut-être été mal posé dès le départ. Quand on fait de la liberté éclairée la ratification d’une conclusion de l’entendement, ou quand on en fait une auto-affirmation abstraite, on fait dans les deux cas comme si les choix possibles préexistaient à l’acte de choisir. C’est l’erreur commune aux partisans du choix rationnel et aux adeptes de la liberté-refus. Dans les deux cas, on fait de l’entendement (de l’intelligence) une faculté autonome, qui examine des objets, des choix possibles, pour choisir le meilleur ou, par bravade, le pire. Or, ce n’est pas ainsi que les choses se passent, à part dans des cas très simples (choisir un pull-over dans un magasin). La vraie liberté, la liberté qui parfois nous angoisse, c’est quand on ne sait même pas ce qu’il y a à choisir, quand l’objet doit moins être choisi qu’être créé. La vraie liberté est celle de l’artiste, qui ne choisit pas mais qui crée. La vraie liberté est création. Et d’ailleurs, même le cas simple du choix d’un pull-over n’est peut-être pas si simple que cela : choisir un vêtement, c’est choisir une certaine image de soi (image sociale, image sexuelle et érotique, etc...). Parfois on n’ose pas acheter un vêtement dont le rapport qualité/prix nous convient et qui nous plaît beaucoup par lui-même, mais parce qu’on n’oserait pas le porter : manque de liberté par rapport à soi-même et aux autres. La vraie liberté est toujours choix de soi par soi, création du sens de sa propre vie. Plus la décision que nous prenons est importante, plus nous constatons que nous seul pouvons la prendre, ce qui prouve bien que le poids des raisons n’a ici rien d’objectif (je ne peux confier à autrui les décisions fondamentales de mon existence). Si la liberté ne peut être déléguée, c’est précisément que son exercice est personnel et subjectif, au meilleur sens du terme. C’est précisément ce que veut nous montrer Henri Bergson.
 
La pensée de Bergson s’articule autour de quelques thèses fondamentales situées dans le chapitre III de l’Essai sur les données immédiates de la conscience ("De l’organisation des états de conscience. La liberté" ). Bergson se livre à une critique radicale de toute théorie du choix rationnel (même si cette expression n’existe pas encore à cette époque). Nous pesons, dit-on souvent, les raisons ou les motifs. Mais de quel poids pèsent ces raisons et ces motifs, sinon du poids que nous leur donnons nous-mêmes ? On fait comme si les possibles entre lesquels nous hésitons avaient un poids objectif, comme si c’était des objets empiriques que l’on pouvait comparer : bref, illusion ou mauvaise foi. L’idée de possible est un leurre, contre lequel Bergson polémiquera toute sa vie. Donner de la consistance au possible, c’est penser le futur sur le modèle du passé, c’est nier la puissance créatrice du temps. Personne ne sait ce qui est possible, mais une fois que quelque chose a eu lieu on dit "c’était donc possible", et on pense que c’était possible de toute éternité. Erreur ! Dans les choses humaines, ce qui est possible est ce qui a été fait. Ainsi, Hamlet n’était pas "possible" avant que Shakespeare ne l’écrive ; et personne ne peut dire aujourd’hui quelles sont les oeuvres théâtrales ou musicales "possibles" dans 10 ou 50 ans. Pour le savoir, il faut les faire. Dire donc qu’on choisit entre des possibles, c’est se tromper gravement. Si le possible précédait vraiment le réel, alors le temps serait aboli (tout serait "écrit" dans le possible, le temps ne serait plus que l’espace logique de la réalisation du programme).
 
Le futur n’est pas "devant moi" comme une maison est à cent mètres devant moi. On emploie très souvent des métaphores spatiales pour penser la liberté (on dit qu’on est "à la croisée des chemins", qu’on "prend une route", etc...). Mais le temps vrai (la durée, dit Bergson) est tout autre chose que l’espace. L’espace est étendu devant moi, homogène et découpable à l’infini. Le temps n’est pas étendu devant moi (il se crée au fur et à mesure qu’il passe), il est hétérogène (toute minute est différente de celle qui la précède, ne serait-ce que parce que j’ai le souvenir d’avoir vécu cette minute précédente), il n’est pas découpable à l’infini (il y a des unités naturelles de temps, qui correspondent au rythme naturel de notre existence physique, sensorielle, amoureuse, etc...). On le voit très bien dans l’expérience du temps musical : on ne peut pas couper une mélodie en deux sans la détruire ; et si on répète, dans une oeuvre classique ou en jazz, une mélodie ou un thème, la seconde occurrence ne "sonnera" pas comme la première, précisément parce qu’on a le souvenir de l’avoir déjà entendue.
 
La vraie liberté est création, et il faut distinguer créer et fabriquer. Fabriquer, c’est faire du neuf avec du vieux, c’est réorganiser des éléments déjà disponibles. Créer, c’est faire émerger de l’imprévisible. C’est un grand thème bergsonien : l’acte libre, l’oeuvre neuve ne peuvent jamais être prévus. L’exercice de la liberté nous surprend toujours, c’est presque un signe tangible de la liberté que d’être surpris par elle.
 
Mais imprévisibilité ne veut pas dire arbitraire. Il y a une logique de la vie, qui fait que ma décision d’aujourd’hui s’inscrit dans une certaine continuité avec mon passé. Mais cette continuité n’est pas de nature intellectuelle : personne (pas même moi) ne peut déduire mon futur de mon présent et de mon passé, comme s’il en était la suite logique. Cette continuité est de nature vivante. "C’est de l’âme entière, en effet, que la décision libre émane ; et l’acte sera d’autant plus libre que la série dynamique à laquelle il se rattache tendra davantage à s’identifier avec le moi fondamental" (cf. Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 125-126). Le moi fondamental est plus profond que le "moi social" que l’éducation et la société tendent à construire par-dessus. Parfois le moi profond se révolte contre le moi social ; en ce sens, Bergson a raison de dire que, pour comprendre les actions libres, il ne faut pas se tourner vers les actions insignifiantes de la vie quotidienne, mais vers les décisions qui engagent tout le sens de notre vie (cf. Ibidem. p. 128). Il y a une logique de la liberté, qui est la logique vivante de la vie, et qui est autre (et plus forte) que la logique des logiciens (que Bergson ne méprise pas le moins du monde, il faut le préciser).
 
La réalité de la liberté se trouve dans le présent, dans le "se faisant", dans l’action effective. Le mouvement n’est pas une chose, mais un dynamisme, que l’on ne peut pas comprendre de l’extérieur. Le présent véritable est hétérogène, différent en nature et en qualité du passé, du déjà vécu. Ainsi, "agir librement c’est reprendre possession de soi, c’est se replacer dans la pure durée" (cf. Idem p. 174-180).
 
La conception de la liberté qui se dégage de ces thèses est très originale. La liberté n’est pas d’abord une question de connaissance, d’entendement, de détermination du meilleur. La liberté est d’abord une poussée de la vie organique. Elle est d’abord une force de notre corps, comme de celui des animaux, elle est dans notre métabolisme (qui nous fait transformer la nourriture en notre chair), et dans les subtilités de ce métabolisme (le décalage nutrition/dépense d’énergie). La liberté est donc, en ce sens, coextensive à la vie, et l’homme doit être réinséré parmi les animaux et la nature entière. Mais, bien sûr, la liberté humaine est profondément transformée par l’intelligence pratique (fabrication d’outils) et théorique (invention des mathématiques, de la science). L’intelligence peut enrichir notre liberté, elle peut aussi l’appauvrir si elle nous fait vivre superficiellement, dans l’extériorité (vie purement sociale, vie écrasée par le regard des autres et le conformisme, vie mécanicisée ou aliénée). Il ne s’agit pas de plaider, de façon romantique, pour la profondeur de la vie spontanée contre les constructions artificielles de l’intelligence (ce thème, louche et dangereux, n’est pas du tout celui de Bergson, qui est un ami de la science, des mathématiques, de la connaissance objective) ; il s’agit de ne pas couper la liberté humaine de ses racines corporelles et vivantes. L’homme libre est celui qui sait penser mais aussi sentir et créer : l’artiste réconcilie dans son travail créatif l’intelligence et la sensibilité profonde, il est, en ce sens, un bon modèle de la liberté selon Bergson.


Message édité par l'Antichrist le 18-01-2006 à 14:13:54
n°7451523
klaffh
Posté le 18-01-2006 à 07:10:40  profilanswer
 

l'Antichrist, Un insomniaque.  :lol:  
 
je prendrais le temps de te lire mais plus tard.


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... Ah bonne entendeur salut. Klaffh OUTILS, kel nom de cake !!! ...
mood
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Posté le 18-01-2006 à 07:10:40  profilanswer
 

n°7451540
l'Antichri​st
Posté le 18-01-2006 à 07:34:04  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

C'est juste une manière d'expliquer en quoi la raison n'est pas une croyance...


 
Oh, que tout cela est vite dit !!!
 
Réfléchissons au phénomène de la croyance afin de montrer qu’attribuer une croyance, ce n’est jamais trouver quelque chose à l’intérieur de la tête de celui qui croit. Raison et croyance procèdent du même champ de présence, du même circuit intentionnel : on nous donne des raisons d'agir, comme nous nous en donnons. En effet, expliquer une action, lui conférer un sens, c’est attribuer des croyances. Nous allons donc aller, non pas de la croyance à l’action, mais de l’action aux croyances. La progression est simple :
- rôle des croyances dans l’explication de l’action.
- statut des croyances par rapport à l’action.
- nature des croyances.
 
Expliquer une action, c’est toujours attribuer des croyances à un agent. On peut dire qu’agir intentionnellement est toujours agir pour des raisons ; en effet, c’est toujours agir dans l’intention d’atteindre ou d’obtenir quelque chose. Quand j’agis intentionnellement, c’est toujours parce que je désire, ou plus généralement que j’ai une pro-attitude, c’est à dire une attitude positive susceptible de motiver mon action envers la chose ou l’état de choses qu’est censé me procurer cette action. C’est l’idée d’Aristote selon laquelle le point de départ de l’action est une chose voulue : autrement dit, seul le désir peut constituer un moteur suffisant pour mettre en mouvement l’animal, homme y compris. Si par exemple je vais au tabac pour acheter des cigarettes, alors que je ne fume pas et que je n’ai aucune envie de commencer, ce que je fais est incompréhensible et irrationnel. A moins que je rende service à un voisin, auquel cas c’est encore à une attitude positive que l’on a affaire : je désire rendre service à mon voisin, donc je vais lui acheter des cigarettes. Sans cela l’action paraît insensée : suis-je sous hypnose ? Sujet à un délire ? Dans ce cas je n’agis pas intentionnellement. Expliquer une action, c’est donc attribuer un désir à l’agent.
 
Ce désir pour lequel j’agis est ma raison d’agir, en tant qu’il explique mon acte, lui donne un sens, livre son pourquoi, bref le rationalise : "pourquoi va-tu au tabac ?" "pour acheter des cigarettes, parce que j’ai envie de fumer". Cette raison peut être fournie aussi bien par l’agent que par un tiers : "il va au tabac acheter des cigarettes, parce qu’il a envie de fumer". Donc, à chaque fois que l’on a affaire à une action intentionnelle il est question du désir de l’agent qui a motivé cette action. Cette attribution n’a pas besoin d’être explicite : dés qu’on est face à une action intentionnelle on suppose toujours immédiatement qu’il y a une pro-attitude à son principe. Pour l’agent, on va supposer que lui sait ce qu’il veut. La coïncidence entre action intentionnelle et désir semble encore plus immédiate pour l’agent. Donc expliquer une action intentionnelle, c’est la rationaliser en attribuant un désir à l’agent.
 
Que viennent faire les croyances là dedans ? Pour les désirs, on comprend bien l’idée que donner un sens à une action intentionnelle, c’est poser un désir à son principe. Pour les croyances, le fait qu’elles expliquent l’action semble moins évident. Pourtant c’est assez simple.
 
J’ai envie de fumer, et je n’ai plus de cigarettes. Mais si je crois que le tabac est fermé, je ne sortirai pas de chez moi. Si je crois qu’il n’y a as de tabac du tout dans cette ville, et que je n’ai pas de voiture, je ne sortirai pas non plus. Autre cas, plus étrange : si je crois que je suis paralysé, sous l’effet par exemple d’une drogue hallucinogène quelconque, je ne sortirai pas non plus. D’ailleurs je ne bougerai pas du tout. Voilà tout simplement pourquoi les croyances sont nécessaires pour expliquer une action.
 
Si j'emploie le concept de croyance, et pas de "savoir", c’est tout simplement parce que les "savoirs" dont il est question dans l’action sont avant tout inductifs, fondés sur l’observation de cas répétés et sur des prédiction consécutives. Aucune loi ne me dit que les tabacs sont toujours fermés le dimanche. Simplement, j’ai constaté que c’était tout le temps le cas, et qu’un petit écriteau sur la porte notait : "ouvert du Lundi au Samedi", ce qui m’encourage fortement à croire que le tabac n’est pas ouvert le Dimanche. Le concept de croyance est donc plus approprié que celui de savoir.
 
Pour donner sens à une action, autrement dit, pour expliquer comment j’ai pu faire quelque chose, il faut donc non seulement penser que je désire une chose ou état de choses, mais il faut aussi penser que je crois que l’action que j’ai l’intention d’entreprendre puisse me procurer cette chose ou faire advenir cet état. Je ne peux pas avoir l’intention d’agir pour faire advenir un état de choses impossible si je crois qu’il est effectivement impossible. D’un autre côté, je peux avoir l’intention d’agir pour faire advenir quelque chose d’impossible si je crois cela possible, même si la réalisation de mon intention sera un échec. Agir intentionnellement, c’est toujours agir avec une intention, et avoir une intention c’est toujours avoir l’intention de réaliser cette intention. En ce sens, l’intention, c’est l’action. Quand j’agis intentionnellement je dois donc croire que ce que je fais peut m’apporter ce que je désire, et les autres doivent penser que je crois effectivement cela pour comprendre mon action. Ce qui veut dire que pour comprendre mon action, les autres doivent toujours l’expliquer en m’attribuant des désirs et des croyances. On a affaire à ce que Von Wright nomme explication par compréhension.
 
On peut dire qu’il y a deux types de croyances présentes dans l’action : premièrement orientées vers l’agent : pour comprendre une action, il faut penser que l’agent croit qu’il a le pouvoir d’agir. Capacité d’agir en général, il doit croire en son efficace, c’est à dire encore d’une part dans le pouvoir de son corps et de ses mouvements sur le monde, mais aussi que le cours des choses est indéterminé. Il doit aussi croire en son pouvoir d’agir dans cette situation : croire que rien ne l’en empêche, que les obstacles soient intérieurs ou extérieurs. Deuxièmement, sont en jeu des croyances instrumentales tournées vers le monde : l’agent doit croire que les moyens de se procurer ou de faire advenir ce qu’il désire sont disponibles, mais aussi que ce qu’il fait ou a l’intention de faire est un moyen adéquat pour parvenir à ce qu’il désire. On voit facilement que les deux orientations de croyances se chevauchent, parce que l’agent est toujours immergé dans le monde. D’autre part, il faut remarquer que des croyances suffisent pour nous pousser à agir, et que l’on a pas besoin de savoir ; si c’était le cas, on n’agirait pas beaucoup. Bien sur, ces croyances peuvent être vraies ou fausses : si elles sont fausses, j’ai l’intention de faire X, mais je ne peux réaliser cette intention, je ne peux pas agir.
 
Ainsi un désir, s’il peut et doit expliquer une action, ne le fait qu’associé à un tel ensemble de croyances. Elles sont donc à part entière des raisons d’agir. Dans son essai Actions, Raisons, et causes, Davidson explique que l’on peut analyser l’intention avec laquelle une action est faite, c’est à dire expliquer cette action en termes d’une raison primaire. La raison primaire est la cause de l’action, en un sens assez complexe pour Davidson ; je n’aborderai pas la question épineuse de savoir si les raisons sont des causes ici. Disons simplement que la raison primaire possède deux caractéristiques, d’une part une pro-attitude et d’autre part une croyance associée. Cette croyance est d’ordre instrumentale : c’est la croyance selon laquelle l’action A appartient au type d’actions visé par ma pro-attitude ; ce qui revient à dire que c’est une croyance selon laquelle A est un moyen adéquat de me procurer l’objet de mon désir, puisque le type d’actions visé par la pro-attitude est le type d’action susceptibles de me procurer l’objet de mon désir. Les raisons d’agir font donc toujours référence à deux éléments essentiels, dont des croyances.
 
Davidson fait l’économie du pluriel pour les croyances quant aux raisons primaires ; pour une bonne raison d’ailleurs, de raisonnement pratique. Il n’empêche que lorsque l’on explique une action, ou que l’on agit pour des raisons, ce sont des croyances qui entrent en jeu. Sans s'étendre trop sur le sujet, on peut dire que les croyances fonctionnent en réseaux : si j’achète un paquet de cigarettes, parce que j’ai envie de fumer, je crois que cette action est un moyen adéquat pour la fin désirée, je crois que je peux  fumer, dans tous les sens possibles de "pouvoir" ; mais un grand nombre d’autres croyances sont aussi supposées. Avoir l’intention d’acheter un paquet de cigarettes suppose la maîtrise du réseau conceptuel qui s’attache au  paquet de cigarettes, à savoir les concepts de tabac, d’argent, de paquet, de cigarettes, etc..., et à chacun de ces concepts des croyances sont associées. Par exemple, pour l’argent, je crois qu’on est passé à l’euro le premier Janvier 2002, qu’un petit billet bleu est un billet de cinq euros, etc... Jusqu’où va ce réseau ? Il se ramifie, chaque croyance supposant la possession d’autres croyances qui supposent la possession de certains concepts qui en retour amènent d’autres croyances, etc... Sans aller plus loin concernant ce point, on voit bien que comprendre une action intentionnelle, c’est l’expliquer, et que l’expliquer, c’est dire que l’agent avait agi en fonction de ses croyances.
 
Le rôle des croyances dans l’action est donc défini : les croyances sont des raisons d’agir, autrement dit ce qui est supposé mener l’agent à agir, et par là ce qui explique son action et lui confère un sens.
 
La deuxième question est celle du statut des croyances : l’examen du raisonnement pratique va y répondre.
 
Le raisonnement pratique se présente premièrement comme un modèle de l’action, qui permet d’expliquer comment des éléments hétérogènes (des désirs et des croyances) peuvent concourir à produire un seul acte. Chez Aristote, le raisonnement pratique constituait déjà un modèle permettant d’expliquer comment les différentes facultés pouvaient se combiner dans un même acte. Le raisonnement explique donc l’action en ordonnant les raisons d’agir justement sous la forme.
 
Sans entrer dans le détail, on peut dire qu’un raisonnement pratique "classique" a la forme suivante : une première prémisse, la majeure d’Aristote, qui pose la fin à réaliser ; elle représente la pro-attitude, parfois sous forme d’une caractéristique de désirabilité, c’est à dire un jugement énonçant quel trait de l’objet désiré est désirable. La mineure concerne les moyens de cette fin : c’est la prémisse de la croyance ; elle représente plus particulièrement les croyances instrumentales qui s’attachent directement à l’action, et qui permettrait de réaliser l’état de chose caractérisé comme désirable la conclusion du raisonnement étant une action, ou, de manière élargie, un jugement susceptible de représenter l’action (quelque chose comme "alors je vais faire cela" ou "alors je fais cela" ). On ajoute parfois une prémisse mineure concernant l’agent lui-même. Nous pouvons nous en passer pour notre examen. Voici un exemple d’Anscombe : imaginons un fermier, qui désire posséder un vache Jersey : la première prémisse du raisonnement se présentera sous la forme "un fermier qui possède une ferme comme la mienne se trouverait bien d’avoir une vache de telle et telle qualité". La seconde prémisse serait quelque chose dans le genre "une vache Jersey possède ces qualités", et la conclusion serait "il convient pour moi d’avoir une vache Jersey". Cette seconde prémisse peut être développée, sous forme de ce qu’Aristote nomme une délibération, c’est à dire un calcul sur les moyens pour conclure à l’action directement en mon pouvoir. Par exemple, à partir de "il convient pour moi d’avoir une vache Jersey", on pourrait avoir comme prémisses instrumentales supplémentaires : "acheter une vache Jersey me permettrait d’en posséder une", "aller au marché me permettrait d’acheter une vache Jersey", etc, etc... Evidemment, ceci est fastidieux, mais utile pour montrer que les prémisses mineures d’un raisonnement pratique concernent les croyances instrumentales attachées directement à l’action. On dit parfois que ce sont les prémisses de la perception, mais croyance est plus approprié, en ce sens que l’objet qui peut satisfaire mon désir peut ne pas être là, perçu, et pourtant être considéré comme l’objet propre à satisfaire ce désir. C’est bien ce qui se passe dans le cas de la vache Jersey. Ces prémisses de la croyance subsument un objet, un contexte particuliers, sous le caractère désirable, qui lui présente une forme universelle. En ce sens le raisonnement pratique se définit comme calcul de moyens en vue d’une fin, qui explique pourquoi l’agent fait X.
 
Le raisonnement pratique ne correspond pas à quelque chose de conscient. Je peux bien sûr délibérer, calculer pour atteindre mon but, mais pas sous cette forme. Il est absurde de la faire correspondre à des "processus mentaux effectifs" : les raisonnements pratiques développés paraîtraient souvent absurdes. L’intérêt du raisonnement pratique n’est pas de correspondre à des opérations mentales effectuées par le sujet, mais à modéliser ce qui explique la production d’une action à partir d’élément différents. En les mettant en ordre, il explique comment, à partir d’éléments hétérogènes comme des désirs et des croyances, on peut agir. Aristote est clair dans le mouvement des animaux : ce à quoi on a affaire dans le raisonnement pratique, c’est à quelque chose qui représente les mécanismes de l’action, dont les éléments sont figurés sous forme de pensées, comme si elles étaient effectivement des pensées présentes dans le raisonnement. En fait, il met au jour un ordre présent dans l’action, il l’explicite. Peut-on penser que ce modèle représenterait des processus implicites ?
 
On ne peut se passer facilement de ce modèle de l’action ; quand nous attribuons des raisons à un agent, nous les ordonnons d’une manière s’approchant d’une ébauche de ce modèle formel : "je voulais quelque chose de frais, ils avaient du soda au frigo, je suis allé me servir". Tout en semblant artificiel, le raisonnement pratique représente donc bien nos manières de rendre compte de la production d’une action. Par là il doit donc être susceptible d’être appliqué à toute action intentionnelle.
 
Mais il y a des cas d’actions intentionnelles très étranges : ce sont les cas d’acrasie, ou de faiblesse de la volonté. Selon la définition de Davidson, ce sont les cas où un agent agit intentionnellement contre son meilleur jugement : je juge que faire a est meilleur pour moi que de faire b, et pourtant je fais b. Face à l’axiome semblant indestructible affirmant que "l’homme agit toujours à la lumière de quelque bien qu’il imagine", les cas d’acrasie où l’on fait le "moins bon" semblent impossibles, et relever de la réponse de Socrate à Protagoras : ceux qui croient faire le mal en sachant où est le bien se trompent, ils n’y regardent pas d’assez près, et cela est impossible. Aristote, en opposition à cela, a pourtant considéré que ce type d’actions était possible, le livre VII de l’Ethique à Nicomaque étant attaché à l’examen de l’acrasie. Suivons Aristote : l’acrasie est possible, et même assez courante. Combien de fois, sachant où est le mieux, je fais autre chose ? Je reprends une cigarette tout en sachant très bien qu’après avoir toussé pendant une heure il est mieux pour moi de laisser ma gorge en paix, je sors parce qu’il fait beau dehors tout en sachant très bien qu’il vaudrait mieux travailler, je dis la vérité dans un cas où je sais qu’il vaudrait mieux mentir. La faiblesse de la volonté est quotidienne. Mais si l’acrasie peut être qualifiée d’action intentionnelle, alors il doit exister un raisonnement pratique qui l’explique.
 
Dans le mouvement des animaux, Aristote compare le raisonnement pratique à un syllogisme déductif ; ce point de vue est présent dans l’Ethique à Nicomaque. C’est de là que l’on tire l’appellation de "syllogisme pratique". Si le raisonnement pratique est comparable à un syllogisme déductif, cela veut dire que l’ordre présent dans l’action est un ordre logique, n’acceptant pas la contradiction. On aurait un désir et une croyances, qui en se combinant entraînerait l’action comme une conclusion nécessaire, produite par l’opération logique qu’est la déduction, et expliquerait une action en montrant cette opération logique. Mais entrons plutôt dans le détail de la forme du raisonnement pratique.
 
Si la conclusion du raisonnement doit être entraînée nécessairement par les prémisses, autrement dit si l’action découle directement de la combinaison d’un désir et d’une croyance, il faut que la première prémisse, celle du désir, porte une force pratique nécessaire pour pousser à la conclusion, car ce ne sont pas les prémisses de la croyance, dont le seul rôle est de subsumer la situation singulière sous le désir, qui s’exprime de manière générale (on dit "je désire une glace, une cigarette, une voiture". C’est à un type d’objets auquel on fait référence dans l’expression d’un désir). La première prémisse doit être oblative, c’est à dire exprimer directement la pro-attitude, pour avoir une force pratique : "je désire X" peut me pousser à conclure "alors je vais faire Y, moyen de X", mais ce n’est pas le cas pour "X est bon" : je peux juger que X est bon de manière détachée, sans m’impliquer aucunement pour me procurer ce X. Mais ce type de prémisses semble absurde, si elle doit nécessairement entraîner la conclusion. Admettons "je désire manger un bonbon", "ceci est un bonbon", conclusion : je mange ce bonbon. Mais s’il est empoisonné, je vais le manger quand même, parce que mon raisonnement me pousse à agir nécessairement. Ce qui est absurde. Un tel raisonnement avec une prémisse universelle catégorique me pousserait à faire des choses indésirables pour moi. De l’autre côté, la première prémisse ne peut être qu’universelle, catégorique, parce qu’il est impossible que je spécifie des conditions de mon désir : "je désire manger un bonbon, mais pas empoisonné, mais pas acide, mais pas gluant...". On peut aller à l’infini dans la stipulation de conditions. Quelle forme devrait donc avoir le raisonnement pratique ?
 
Un cas de faiblesse de la volonté est un cas de conflit moral, où l’option "la moins bonne" est choisie par l’agent. Pour rendre compte d’un cas d’acrasie, il faut donc considérer que le raisonnement pratique se présente comme une conjonction de deux raisonnements dont les majeures sont opposées. C’est une idée que Davidson tire de Thomas d’Aquin. On aurait, dans l’exemple donné, d’un côté : "le plaisir doit être poursuivi, cet acte est plaisant, donc il doit être poursuivi = je dois l’accomplir", et de l’autre "aucune fornication n’est licite, ceci est une fornication, cet acte n’est pas licite = je ne dois pas l’accomplir". Ici la conclusion n’est pas une action, mais quelque chose comme un jugement précédant l’action. Le problème étant que les deux conclusions sont clairement opposées, chacune contredisant la première prémisse du raisonnement qui lui fait face. C’est un gros problème : les deux prémisses sont vraies, le raisonnement est conduit logiquement, et pourtant il y a contradiction : c’est illogique, et va contre le principe de non contradiction et son application: une conclusion dérivée d’une prémisse vraie ne peut pas contredire une autre prémisse vraie.
 
Ce problème s’étend plus loin que le simple cas d’acrasie : il est valable pour tout conflit moral ; mais on a affaire à ce type de conflit quotidiennement. Toute action met en jeu des conflits entre motifs, des comparaisons entre pro-attitudes, et les croyances qui leur sont associées : désirs contre devoirs, désirs contre désirs, devoirs contre devoirs, désirs contre évaluations économiques...Toute action est la résultant du choix d’une ligne d’action entre des possibles, et en ce sens résulte d’un conflit. Donc ce type de raisonnement pratique ne rend compte d’aucune action.
 
Afin de régler ce problème, Davidson va faire appel à des jugements prima facie, c’est à dire "à première vue" : le jugement prima facie, c’est celui qui est émis indépendamment de la situation singulière et contextualisée. Par exemple "à première vue, il ne faut pas mentir" est un devoir prima facie, mais face à une situation où mentir sauvera un innocent, mon devoir immédiat, en situation, peut être de mentir, sans que pourtant il y a ait contradiction entre les deux devoirs. Pourquoi ? La première évaluation n’est pas catégorique, mais "à première vue", alors que la seconde l’est.
 
Davidson intègre cela dans le raisonnement pratique, en expliquant que les jugements prima facie sont en fait des énoncés fondés sur des probabilités, c’est à dire sur l’induction ; il s’inspire en cela de l’explication inductive statistique de Hempel. Le principe est simple : étant donné les informations qui sont à la disposition de l’agent, il est probable en première estimation que mentir soit mauvais, manger quelque chose de sucré soit désirable, etc... Mais ce type de jugements ne peut entrer en contradiction avec un autre jugement de même type.
 
On comprend bien que les jugements prima facie comme prémisses de raisonnements ne soient pas contradictoires, et que chaque conclusion ne contredit pas la prémisse opposée : la probabilité, l’induction, laisse place à un flottement qui était évacué par la forme déductive. Le prima facie ne fait que mettre en relation un jugement avec un ensemble de données, un corps de croyance relatif à cette caractéristique. On aurait, pour le cas de conflit moral, un raisonnement de ce type : en première prémisse un jugement mis en rapport avec un corps de données, comme mineure la croyance instrumentale ; un autre raisonnement ferait face à celui là, avec une première prémisse énonçant un jugement de désirabilité opposé mais pas contradictoire avec la prémisse du premier raisonnement, et encore la prémisse instrumentale. La conclusion résulterait d’une comparaison entre les deux.  
 
Mais on voit bien que cette conclusion est logiquement indépendante des prémisses, elle est seulement mise en relation avec elles : ce n’est pas à une déduction à laquelle on a affaire. En d’autre termes, un acrates peut bien juger que, prima facie, telle action envisageable est désirable sur la base des données dont il dispose, et agir autrement, sans être illogique. On peut expliquer son action.
 
Si l’action n’est pas conclusion du raisonnement, sur quoi s’enclenche-t-elle ? Sur un jugement catégorique, qui tranche et arrête le passage en revue des données et des lignes d’action possibles, en affirmant que tout bien considéré, je ferai a plutôt que b. Je peux en effet toujours trouver des raisons pour ou contre, qui donneront naissance à de nouvelles évaluations prima facie. Pour agir, il faut donc toujours arrêter de manière arbitraire le passage en revue des données disponibles, et ignorer des informations. L’action s’enclenche sur un jugement catégorique, que l’on peut considérer comme une décision pratique, qui est toujours au final une décision aveugle. Seule une telle interprétation de la nature du raisonnement pratique peut expliquer comment la faiblesse de la volonté, et en fait toute action, est possible.
 
Cela signifie que le raisonnement pratique n’a rien de logique. Ce qui veut dire par contrecoup que les raisons d’agir attribuées à l’agent, ne pouvant être représentées sous la forme de prémisses dont on déduirait l’action, ne participent pas d’un mécanisme de production de l’action. Elles sont attribuées a posteriori, mises en relation avec l’action pour l’expliquer en la justifiant ; elles permettent certes de rationaliser le jugement catégorique sur lequel s’enclenche l’action, mais pas de rendre compte de sa production. Fournir un modèle inductif du raisonnement pratique, c’est aller de l’acte à ses raisons, et non des raisons vers l’acte, non pas de la croyance à l’action, mais de l’action à la croyance.
 
Voilà le statut des croyances dans l’action : elles sont de l’ordre de rationalisations a posteriori, d’une perspective d’explication de l’acte, sans nous éclairer aucunement sur les mécanismes de sa production. Il y a un fossé entre l’action et les croyances. Ce qui signifie qu’attribuer des croyances pour expliquer une action, c’est une question d’interprétation.
 
Le problème, c’est qu’il semble que face à l’idée qu’expliquer une action en attribuant des croyances, c’est l’interpréter, on déclare une allergie. Comprendre une action ne semble pas quelque chose de subjectif, comme peut l’être une interprétation. Dans la plupart des cas simples, il s’avère en fait que la plupart des observateurs tendent à expliquer de la même manière et à attribuer les mêmes croyances à l’agent, et cette explication et attribution de croyance se recoupe avec celles de l’agent lui-même. Si j’explique une action, j’ai envie de penser que l’agent croit vraiment ce que je crois qu’il croit. Comment alors concilier interprétation et objectivité ?
 
La croyance possède une fonction explicative par rapport à l’action, mais aussi prédictive : si j’attribue à un agent tels croyances et tels désirs, je prévois qu’il sera enclin à faire telle action x ou y. Attribuer une croyance fait d'ailleurs partie de ce que Daniel Dennett nomme une "stratégie intentionnelle".
 
La stratégie intentionnelle est, comme son nom l’indique, une stratégie, c’est à dire un instrument, d’explication et de prédiction de l’action. Le raisonnement pratique, selon le modèle inductif, serait un cas de ce type de stratégie. Mettre au point une stratégie intentionnelle consiste premièrement à attribuer une rationalité à l’agent : c’est fondamental ; si je veux ne fut-ce que commencer à esquisser la moindre tentative d’explication ou de prédiction d’une action, je dois supposer que l’agent qui me fait face est rationnel, qu’il ne fait pas n’importe quoi. A partir de ce présupposé, qui constitue une condition de possibilité même de la stratégie, je vais attribuer à l’agent des croyances qu’il devrait avoir en fonction de sa situation et de ses désirs, et des désirs qu’il devrait avoir en fonction de ses croyances et de sa situation. Celui ou ce à quoi s’applique une telle stratégie est défini comme système intentionnel. C’est donc à une attribution de croyance normée selon un principe de rationalité à laquelle on a affaire. Selon Dennett, la définition d’un vrai croyant, de quelqu’un qui croit réellement quelque chose, est de pouvoir se voir attribuer une telle stratégie, qui le définit comme système intentionnel. De ce point de vue, la croyance serait comme un centre de gravité, ou un parallélogramme de forces : se référant non pas à un mécanismes interne de production de l’action, elles seraient les instruments d’un calcul explicatif et prédictif. De là, le problème surgit immédiatement : cette stratégie est justement un instrument. Qui marche très bien, pour les grenouilles comme pour les thermostats, les huîtres comme les humains (la grenouilles croit qu’il y a un prédateur derrière elle, alors elle saute à gauche, le thermostat croit qu’il fait plus froid dans la pièce alors il augmente la température). On peut très bien expliquer le comportement d’une huître en lui attribuant des croyances et des désirs. Mais on n’a pas envie de dire que l’huître agit intentionnellement, ni qu’elle croit quoique ce soit. Le problème de cette définition de ce qu’est un vrai croyant comme système intentionnel, et de la croyance comme fonction dans cette stratégie, est son instrumentalisme, déjà ouvert par la position du rôle de la croyance comme explication d’une action et de son statut comme rationalisation a posteriori : la croyance est uniquement un instrument, et croit celui pour qui il est pratique et utile de dire qu’il croit, afin d’expliquer et de prédire son comportement : tant que ça marche, c’est bon. Ce qui revient au final au même que l’interprétationnisme, position pour laquelle les croyances sont relatives au point de vue de l’interprète : on perd l’objectivité. Si on prend l’exemple des Martiens de Dennet, qu’il emprunte à Nozick, on comprend à quel point cela pose problème. Les Martiens en question seraient comme des démons de Laplace, capables de prévoir tout d’un point de vue physiques : ils expliqueraient la conduite humaine de ce seul point de vue, en laissant de côté tout aspect intentionnel qu’ils ne pourraient pas saisir chez les Humains. Cela voudrait alors dire que la perspective intentionnelle n’est qu’une perspective, relative uniquement à l’oeil du spectateur. On a pourtant envie de croire qu’il y a chez l’agent une réalité de ses croyances, qui nous empêche de tomber dans cet écueil : même si les croyances sont attribuées à posteriori, je peux vérifier si ce sont vraiment les croyances qui expliquent l’action en confrontant mes interprétations avec ce que l’agent a dans la tête, lui qui aurait sur ses croyances une autorité. En d’autres termes, on peux déterminer les conditions de vérité des phrases rapportant des contenus de croyances en se confrontant avec ce que l’agent a dans la tête. Mais l’agent n’a pas tant que cela d’autorité sur ce qu’il a dans la tête, et de plus il n’a pas grand chose dans la tête.
 
D’abord, de fait, il est difficile de mettre au point une quelconque procédure de vérification. Le plus simple serait de demander à l’agent. Mais il peut se mentir sur ses motifs, sur ses désirs : il préfère penser qu’il désirait X plutôt que Y, parce que Y n’est pas moral du tout. Ce qui veut dire que les croyances attachées à ce motif inauthentique le sont elles aussi, et que les croyances qui devraient expliquer vraiment l’action sont enfouies avec le motif véritable. De plus, il est bien des cas où je ne peux pas poser la question. Et comment faire pour les animaux et les bébés, qui eux ne peuvent clairement pas répondre, même sous la menace ? Pourtant beaucoup s’accorderaient pour dire que Bébé qui referme ses doigts sur un cube pour le lancer ensuite sur le chien croyait que le cube allait atterrir sur le chien, avait envie de lancer le cube, etc... Beaucoup de monde expliquerait donc l’action de Bébé : Bébé n’est pas une huître, et il est plus difficile de lui refuser des croyances.
 
Peut-être n’a-t-on pas besoin de procédure de vérification : la seule observation des mouvements corporels de l’agent nous livrerait ses croyances. Malheureusement, ça ne marche pas. Prenons un exemple de Von Wright : je suis en position d’observateur, face à un homme devant une armoire qui tient dans une main une clé, et de l’autre saisit la serrure de l’armoire. Il bouge la clé. A partir de cette simple observation, il m’est impossible de dire ce qu’il fait : il peut être aussi bien en train d’essayer d’ouvrir l’armoire, que de tester sa clé pour voir si ce n’est pas celle du garage, ou tout simplement de la remettre parce qu’elle était tombée. Rien dans ses mouvements ne me permet d’identifier l’action qu'il est en train de faire. A fortiori pas de l’expliquer non plus : les mouvements corporels sont en fait muets, et ne peuvent être considérés comme livrant une explication de l’action.
 
En fait, l’agent lui-même n’est pas mieux loti que l’observateur quant à ses croyances : il s’attribue des croyances a posteriori, il met lui aussi en place une procédure d’interprétation de ses propres actions : car quant il donne ou se donne ses raisons, le fossé entre les raisons et l’action qu’on a décelé dans le raisonnement pratique est aussi valable pour lui : il s’attribue ses raisons a posteriori, il ne fait pas appel à quelque chose qu’il a et aurait eu dans la tête dans l’action. Comme le dit Daniel Dennett, nous sommes en fait tous des auto-psychologues invétérés, virtuoses de l’auto-interprétation. Dennett cite le cas de pathologies où l’on a affaire à des auto-interprétations qui sont de pures affabulations ; il ne s’agit pas dans ces pathologies de capacités nouvellement acquises, mais de la mise au jour de nos capacités habituelles, d’une "façon de réagir qui se révèle en ces occasions".
 
Dans tous les cas, ce n’est pas seulement en fait mais aussi en droit qu’une procédure de vérification fondée sur la comparaison avec les croyances qu’on attribue à un agent et celles qu’il a "vraiment". Car aux attributions de croyances s’applique un principe d’indétermination de traduction, qui se mue ici en indétermination de l’interprétation, qui revient à affirmer que le contenu de nos croyances est indéterminé. L’indétermination de la traduction peut s’expliquer en deux mots en disant que deux manuels de traduction d’une langue donnée pourraient être radicalement différents, sans qu’aucune donnée nous permette de trancher en faveur d’un des deux manuels. Appliquée à l’action, cela veut dire que deux interprétations du point de vue intentionnel pourraient être à égalité, sans qu’il y ait un fait déterminant pouvant fixer ce que le système intentionnel, le croyant, croit réellement. En suivant Quine, on peut dire que se demander ce que X croit réellement est une question qui n’a pas de sens, car le contenu de cette croyance est indéterminé de fait, et indéterminable.
 
Disons que X est une grenouille. J’essaie d’attraper X, j’arrive derrière elle, et elle fait un bon à gauche pour m’échapper : elle croyait que j’arrivais derrière elle, elle avait une intention de m’échapper, et elle a sauté à gauche parce qu’elle croyait pouvoir s’en sortir par là. Mais quel est le contenu de la croyance "la grenouille croyait que j’étais derrière elle" ? Est-ce une croyance qu’il y a un prédateur derrière elle, ou plus vaguement une chose à éviter derrière elle ? En sautant à gauche, croyait-elle que sauter à gauche lui permettrait de s’en sortir ? ou simplement qu’aller par là était plus prudent ? La grenouille maîtrise-t-elle le concept de gauche, de prudence, de prédateur, qui lui permettraient d’avoir de telles croyances ? On va dire que ceci est valable pour les grenouilles, mais pas pour nous. Pourtant, nous ne sommes pas logés à meilleure enseigne que les grenouilles : peut-on déterminer le contenu exact de ma croyance quant une ombre se profile dans mon champ de vision ? Est-ce que ce que je crois vraiment, c’est qu’un homme menaçant approche ? Ou que quelque chose de pas clair à l’air de m’en vouloir ? Ou simplement qu’il y a une ombre dans mon champ de vision ? Mon problème est le même que celui de la grenouille. C’est pour cela que la question "qu’est-ce que X croit réellement" n’a pas plus de sens pour une grenouille que pour moi, parce que le contenu de mes croyances est indéterminé, et indéterminable.
 
Mais dire que mes croyances n’ont pas de contenu déterminé, c’est dire que rien ne correspond à l’expression de croyance nominale alléguée comme raison d’agir "X croit que p" dans l’esprit de l’agent : amusez vous à chercher ce que l’agent croit, p, ça risque d’être long...
 
Il n’y a donc pas en droit de procédure de vérification de nos attributions de croyance, parce que se demander ce que X croit réellement n’a pas de sens : les croyances en jeu dans l’action ne sont pas dans la tête de celui qui croit.
 
On retombe malheureusement sur le même problème : les croyances ne seraient que relatives à une interprétation ou à une stratégie, ce qui revient au même : elles ne correspondent à rien d’objectif. Ne correspondant pas à la réalité d’états mentaux découverte mais à une réalité produit même de l’interprétation. Certes, les croyances ne correspondent à rien de réel dans l’esprit, à rien dans sa machinerie interne qui mènerait à l’action, elles n’appartiennent pas à l’ameublement du monde. Mais elles font pourtant partie de structures objectives. Que l’interprétation ait un caractère indéterminé ne veut pas dire qu’il n’y a rien à interpréter.
 
Attribuer des croyances à un agent, c’est toujours le faire sur un présupposé préalable de rationalité : pour pouvoir expliquer la conduite d’un agent, la rationaliser, je dois penser qu’elle a du sens, qu’elle est rationalisable. Ce principe de rationalité est un principe de charité interprétative : charité parce que je lui attribue une rationalité, non pas décelée de fait, vérifiée, mais idéale, et que je le fais a priori. Charité parce qu’il m’est impossible, si je veux comprendre autrui, de supposer qu’il n’est pas rationnel : c’est comme si je lui faisais don de la rationalité. Mais à la base de toute interprétation, je suppose que l’autre est comme moi, qu’il entretient une communauté avec moi, qui fait que je peux le comprendre. Ce principe d’interprétation est donc double : je suppose que l’autre est rationnel, je suppose qu’il entretient une communauté avec moi, mais par là même je m’attribue cette rationalité idéale : je suis loti à la même enseigne qu’autrui, parce que c’est la condition de possibilité de toutes explication et compréhension d’une conduite.
 
A partir de là, les croyances que l’on attribue à un agent sont non pas celles qu’il a en fait, mais celles qu’il devrait avoir, selon cet idéal de rationalité, et le contexte dans lequel l’action à interpréter s’inscrit. Les croyances se présentent donc comme des hypothèses d’interprétation, mais dans ce cadre de rationalité idéale. C’est pour cela que, tout en étant relative à un point de vue, à un interprète, à une perspective intentionnelle, les croyances attribuées et auto-attribuées appartiennent à une structure objective : elles s’inscrivent en effet dans le cadre d’une communauté posée avant toute interprétation, dans un cadre public, c’est à dire intersubjectif, qui fonde le schème normatif dont on peut dire maintenant que les croyances sont des concepts. Ainsi, tout en étant des concepts interprétatifs, la réalité des croyances ne se réduit pas à de simples hypothèses subjectives. Elles s’inscrivent dans le cadre de structures qui sont discernables certes d’un certain point de vue, mais qui sont pourtant là, présentes de manière objective, en attendant d’être discernées par les interprètes singuliers qui, à travers la communauté rationnelle posée au principe, s’y réfèrent toujours. Magicpanda, en bon sociologue pourrait vous en parler mieux que moi...


Message édité par l'Antichrist le 18-01-2006 à 14:42:55
n°7452050
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 18-01-2006 à 10:41:07  profilanswer
 

Mais mais mais...
 
Des phrases simples ; des idées claires et détaillées ; des exemples parlants ; une touche d'humour ; au moins deux fautes d'orthographes ; des mises en gras qui ne saccadent pas le texte (mais qui mettent parfois en exergue les fautes d'orthographe :o)... et, cerise sur le gateau, Dennett cité par deux fois.
 
Je ne sais pas si c'est pour moi que tu fais tout ça, en tout cas je te remercie trés sincérement.  :D  
 
 
 
Est-ce que tu serais d'accord pour affirmer que le libre-arbitre est une croyance ?

n°7452143
Ache
immatriculé-conception
Posté le 18-01-2006 à 10:55:55  profilanswer
 

Spoiler :

Je l'attendais cette réponse.


Moi j'dis que toute cette débauche de philosophie analytique ne fait que cacher l'urgent besoin de considérer nos intentions, d'abord comme des "élans moteur dans un corps en constant devenir", c'est à dire vivant, en tension - avant qu'elles (les intentions) ne soient "passibles de logistification", qui serait alors justement ce besoin de justification a posteriori - ou plutôt, un besoin rationnel de rendre nos intentions intelligibles (la raison objective fonde l'intelligibilité).

Message cité 1 fois
Message édité par Ache le 18-01-2006 à 10:59:32

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Parcours étrange
n°7452161
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 18-01-2006 à 10:58:20  profilanswer
 

Ah mince, vous etes pas dans le même camp sur ce coup... j'aurais du m'en douter, moi qui m'étais mis à espérer une touche de consensus... :/

n°7452196
klaffh
Posté le 18-01-2006 à 11:01:49  profilanswer
 

:pt1cable:   L’Antichrist, lit peut être l’un de ceux qui a prétendu l’être avant toi (Nietzsche) :pt1cable:
 
Concernant, l’histoire de l’âne de Buridan, pour en avoir eu un.
Je peux t’affirmer qu’elle savaiit sans débrouiller. (Animal bien moins con que la plus part des « gens » et qui sait qu’en sa dernière heure sonne.)
 
Maintenant être libérer de : « l’instinct et des besoins » je suis pas sur. (Thanatos nous tiens)
 
Et quand tu vois comment les gens se comportent dans les transports en commun, se comportant pire que des Hyènes lorgnant un bout de gras, pour une place.
 
Et même s’il diffère selon les ethnies, le processus de deuil nous est commun à bcp d’animaux et comment quasi immuablement par le déni.
 
Certes Descartes avec son : « cogito ergo sum » avait l’impression d’exister puisqu’il pensait, mais à ma connaissance, il n’a jamais été sur de sous quel forme.
 
Freud le rejoints à mon sens quant il disait, a peut de chose près : « ne sommes nous pas les pantins de force obscure. »  
 
 Les deux n’accordaient pas grand crédit à leurs sens.
 
D’autre part bcp de personnes sont prévisible, il suffit de comprendre le conditionnement dont ils sont victimes. (Contribution à la reproduction des schémas familiaux ou de leurs inverse.)
Le moi est souvent trop présent chez l’individu, contraignant autrui à faire ce que bon leur semble et sans tenir compte de ce que l’autre veut.
 
A mon sens, tout à chacun se doit de dire ce qu’il pense être préférable (et non pas pour lui mais pour l’autre et cela t’en que possible sous la forme que l’autre est près à entendre), mais si le choix d’un proche et de ce jeter dans un mur (façon de parler) la seul chose à faire c’est de l’aider à aller dans le mur.(Tant qu’on n’a pas compris ses erreurs, on ne peut savoir ou comprendre ce que l’autre avait pour nous. Qui peut nous reprocher de les avoir aider à faire ce qu’il voulait (hormis les personnes de mauvaises fois, mais tout le monde pourras reprocher de les avoir contraint à faire ce qu’il ne voulait pas.))
Mais dans les deux cas c’est très difficile, savoir se qu’on veut et plus dur encore que de savoir ce qu’on ne veut pas.
 
Bien souvent, les personnes interrogeaient ne savent  pas pourquoi elles sont agit ainsi.
Peut-être répondaient t’elles à un désir qui c’est effacé aussi tôt que l’objet fut possédé, ainsi que l’intérêt pour ce dernier un fois en leur possession.
 
Savoir apprécier ce qu’on a n’est pas, n’est pas acquis à tout le monde, et le transfert de l’accessibilité au bonheur ce fait souvent pas une possessions matériel, voir corporel réduisant la personne du désir à l’objet.
Flattant l’ego de la personne désirer puisque ce sentant vivre par ce biais.
 
Les dialogues entre gens sont trop souvent que 2 monologues prenant naissance à la suite d’une terme évocateur et déclanchant émis par le tiers. (Écouter et entendre son bien distinct)
Et bcp, on toujours plus de malheur, ou plus de ceci ou que cela qu’on leur rapport.
 
D’autre trouve rieur, qu’une personne ait des blocages par des éléments lier à la petite enfance. Parce que pour eux étant donné qu’on était petit ça n’a pas d’importance à cette période.
Pourtant au sait aujourd’hui, qu’un personnalité se forge de quelques mois avant la naissance à 6 voir 7 ans.
 
La grosse erreur est de vouloir sortir l’homme du règne animal (Notion territorial, hiérarchique …) qui n’a pas sa place dans l’humanité.
 
L’exemple du tabac est mauvais, c’est une drogue.
 
Pour infos classification des drogues (Sources CNRS)
 
1) Héroïne, cocaïne suivi de très près par l’alcool
2) Extasie, hallucinogène, tabac …
3) Catégorie créer pour le Cannabis
 
D’ailleurs pour la 3) c’est la substance qui sera à la basse de la médecine de demain. (Cf. Drogues Et Cerveau, Docs diffusé sur ARTE) déjà utilisé en médecine aujourd’hui au niveau international et européen sauf en France, pour contrer les effets secondaire de la tri thérapie et traitement contre le cancer…
 
Ce substitut même à d’autre médicament pour certain traitement.
 
Si tu prends croyance dans les domaines scientifique et religieux.
 
Science : loi vrai puisque démontrable dans un repère donné et normé.
Religion : foi abstraction de la raison.
 
La science, quelque soit ça tendances (archéologie, génétique …) avère une infime partie des texte et en réfute la majorité.
Les dogmes en place ne se prive pas de mettre sous celé les infos les compromettant.
D’ailleurs une religion est une secte qui a réussi.
 
Seul le bouddhisme est une religion sans dieux (comme on l’entend dans les révélé)
Et qui enseigne de rompre avec les désirs pour atteindre le nirvana et ainsi cassé le principe des réincarnations, principe avéré pour la matière. « Rien ne se crée, rien se détruit tout ce transforme. »
 
Maintenant, l’action chez bcp de gens se passe de réflexion. Faisant plus appel au sens qui du domaine de l’inné que de l’acquis pour répondre au mieux à un désir immédiat sans prendre en contre le long terme.
D’ailleurs proposé une solution raisonnée dans cette situation et souvent lier au refus de celle-la.
Qui après réflexion son accepté (ou regretté de n’avoir été suivie), ou naisse soit disant après une réflexion sans se rendre compte qu’une graine avait été planté.
 
Rare son ceux qui savent tirer profils de l’expérience d’autrui.
 
Pur évité de me répéter, mon précédent poste est en page 10.


Message édité par klaffh le 18-01-2006 à 11:05:56

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... Ah bonne entendeur salut. Klaffh OUTILS, kel nom de cake !!! ...
n°7452666
Ache
immatriculé-conception
Posté le 18-01-2006 à 11:53:57  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

Ah mince, vous etes pas dans le même camp sur ce coup... j'aurais du m'en douter, moi qui m'étais mis à espérer une touche de consensus...


Je n'ai malheureusement pas le temps de développer, mais j'aimerais t'indiquer au moins sommairement un cadre prétendant orienter un "modèle", même simpliste (ambitieux !) :
 

  • Il y a d'abord du vivant et une logique du vivant (citée plus haut avec Bergson). Le vivant possède un temps propre : il est en constant devenir, une autopoïèse (cf. Varela). Le vivant possède un conatus : un désir intrinsèque, en constante "évaluation", qui se sert de la "puissance disponible" pour exister au mieux. Ainsi, la norme-même du vivant est en renouvellement permanent. (De plus, l'Antichrist nous a promis une présentation de Michel Henry ! ...)


  • L'Homme, qui est un vivant et d'abord un vivant (donc avec un conatus, désirant, situé, fragile, ...), possède un corps - ou même, il est ce corps. Ce corps, avant d'être objet déterminé par une connaissance objective, est d'abord un corps phénoménal pourvu de "projets moteur" et de "résidus sensoriels et kinesthésiques" (cf. Merleau-Ponty). Ce corps n'est pas détaché du monde - il est intimement intriqué (couplage structurel dirait Varela) avec son milieu, et son sens se rapporte au milieu. Et s'il y a effectivité, plus tard, de la connaissance objective, c'est parce que "nous vivons dans un monde dont nous portons avec nous les structures" (...). Autrement dit, la raison déterminante permet de créer pour le rendre lisible un certain ordre que constitue le sujet et son monde. Nous serions d'abord pli du tissu du monde, et ensuite, l'émergence de capacités d'objectivation, capable de déterminer des objets, est corrélée au fait que nous porterions en nous la dynamique de ce tissu.
  • Ce corps vivant, qui est un "Je peux", possède aussi (merci Bourdieu !!) un habitus : l'habitus, c'est la foire aux synapses. Il est corrélé au désir d'exister plus et mieux (le conatus), et, en tant que rhizome, il n'est jamais volonté pure. Qu'en tout esprit que je suis, je n'ai jamais commencé absolument. Il y a un monde qui fuse à travers moi - et je peux alors, et seulement alors, me saisir de cet arc pour m'orienter, "autant que faire se peut".


Aussi, il me paraît insensé de prétendre "expliquer", affirmer ou infirmer une liberté sans une connaissance de la structure de la conscience incarnée. - Mais tout cela est assez sommaire et demande à être développé !

Message cité 1 fois
Message édité par Ache le 18-01-2006 à 12:15:54

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Parcours étrange
n°7453047
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 18-01-2006 à 12:38:42  profilanswer
 

Je ne comprends toujours pas, ce language n'est pas le mien. C'est gentil de faire l'effort quand même.
 
Je me demande si je ne suis pas en réalité en train de te demander de faire de la philosophie analytique, ce à quoi tu es radicalement opposé... ?
 
Ce que tu nommes philosophie analytique, n'est-ce pas justement cette volonté de clarifier le language qui, si je te suis, mène irrémédiablement à la dénaturation du propos 'qui compte', qui n'est pas accessible de cette manière... ?

Message cité 1 fois
Message édité par hephaestos le 18-01-2006 à 12:39:44
n°7453056
Abstro
Posté le 18-01-2006 à 12:40:02  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

Je ne comprends toujours pas, ce language n'est pas le mien. C'est gentil de faire l'effort quand même.
 
Je me demande si ce n'est pas que je te demande de faire de la philosophie analytique, ce à quoi tu es radicalement opposé... ?
 
Ce que tu nommes philosophie analytique, n'est-ce pas justement cette volonté de clarifier le language qui, si je te suis, mène irrémédiablement à la dénaturation du propos 'qui compte', qui n'est pas accessible de cette manière... ?


Tu parles des citations ?

n°7453072
l'Antichri​st
Posté le 18-01-2006 à 12:42:46  profilanswer
 

Ache a écrit :

Spoiler :

Je l'attendais cette réponse.


Moi j'dis que toute cette débauche de philosophie analytique ne fait que cacher l'urgent besoin de considérer nos intentions, d'abord comme des "élans moteur dans un corps en constant devenir", c'est à dire vivant, en tension - avant qu'elles (les intentions) ne soient "passibles de logistification", qui serait alors justement ce besoin de justification a posteriori - ou plutôt, un besoin rationnel de rendre nos intentions intelligibles (la raison objective fonde l'intelligibilité).


 
Bravo Ache, vous ne vous êtes pas laissé prendre au piège de mon joli discours. C'est un devoir de travailler à comprendre ce que l'on cherche à combattre, même s'il faut y consacrer du temps et de l'énergie... Vos deux dernières réponses me font bien plaisir par la lucidité dont elles témoignent ! Michel Henry, vite...

n°7453165
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 18-01-2006 à 12:56:05  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Bravo Ache, vous ne vous êtes pas laissé prendre au piège de mon joli discours. C'est un devoir de travailler à comprendre ce que l'on cherche à combattre, même s'il faut y consacrer du temps et de l'énergie... Vos deux dernières réponses me font bien plaisir par la lucidité dont elles témoignent ! Michel Henry, vite...


 
Ah ben si, vous êtes dans le même camp en fait. J'aurais dû m'en douter ! :)
 
Toujours est-il que oui, en effet pour combattre il faut d’abords comprendre (com-prendre :o), et aller chercher les gens où ils sont.  Je comprends tout à fait que l’on n’ait pas le temps ou l’énergie de ‘venir me chercher’ ; ce qui m’offense/me vexe/m’indigne c’est qu’on m’en veuille de ne pas venir tout seul.

n°7459521
l'Antichri​st
Posté le 19-01-2006 à 06:57:42  profilanswer
 

Faisons une dernière fois plaisir à Hephaestos en creusant un peu cette question du libre-arbitre compris comme pouvoir de la volonté. Liberté = volonté. "Est-ce que tu serais d'accord pour affirmer que le libre-arbitre est une croyance ?" Dans le cadre de la philosophie analytique, la réponse est oui puisque celle-ci considère justement la volonté comme un mythe.
 
Pour comprendre ce jugement, il convient de rappeler le contexte dans lequel se développe la philosophie analytique. Celle-ci dépend d'une tradition issue de Frege. Celui-ci établit en effet une différence entre la forme grammaticale des énoncés et la forme logique de ceux-ci. Certaines propositions semblent identiques mais ce n’est pas le cas. Le problème est celui des inférences non-valides. La forme logique est le rôle que jouent les énoncés dans les inférences. Considérons les deux syllogismes qui suivent. Le premier contient une inférence valide, pas l’autre.
 
Premier exemple :
P1 : Un homme est l’auteur de son destin.  
P2 : Oedipe est un homme.  
--------
P3 : Oedipe est l’auteur de son destin.
 
Second exemple :
P1 : Un homme est l’auteur d’Oedipe-Roi.
P2 : Oedipe est un homme.
---------
P3 : Oedipe est l’auteur d’Oedipe-Roi.
 
La logique permet de comprendre pourquoi des inférences sont ou ne sont pas valides. Russell thématise cette distinction et tente ainsi de résoudre les problèmes de la philosophie notamment dans ses  Conférences sur l’atomisme logique. Pour Russell les formes grammaticales sont trompeuses. La logique, en nous donnant la forme logique des énoncés, permet de résoudre les problèmes de la philosophie.
 
Wittgenstein à son tour hérite de la distinction frégéenne. Dans les Investigations philosophiques, il la retravaille. Pour lui, la solution ne passe pas par la création d’une langue idéale. Pourquoi ? Parce que des concepts comme "volonté" sont trop complexes pour la logique. La distinction entre forme grammaticale et forme logique devient une différence entre la grammaire superficielle des concepts et une grammaire profonde. Pour résoudre les problèmes de la philosophie, il faut correctement reconstituer la grammaire. Prenons un exemple typique : le "Je" se comprend comme "Il". Dans cette confusion on produit des problèmes philosophiques. Par paresse mentale, on calque "Je" sur "Il". Donc on crée un "moi", un monstre, une chimère. Mais la philosophie analytique montre que "Je" est un indexical dégénéré car il ne fait que placer le locuteur dans son propre discours.
 
Le programme de la philosophie analytique est ainsi décrit par Quine : au lieu de parler des choses elles-mêmes, il faut faire un détour par le langage. On ne va donc pas parler de "la volonté" mais on va traiter les problèmes du "volontaire" et de l’ "intention". A partir de cette analyse, les problèmes se dissipent. Le problème de savoir ce qu’est la volonté n’est pas de décrire si c’est une force, une faculté, une entité mais quelle est le sens du mot "volonté". C’est à une telle analyse que se livre Wittgenstein, Ryle et Kenny qui leur permet effectivement d'évacuer le concept de libre-arbitre en montrant que celui-ci n'a pas de sens. Nous allons voir comment.
 
Procédons d'abord à un détour par une histoire de la philosophie.
 
Le concept de "volonté" n’existe pas chez les Grecs. Il y a du volontaire mais pas de volonté. La volonté et la volition apparaissent chez Descartes. La "volonté" est un terme technique et philosophique et n’est pas banal comme l'est le terme "volontaire". Dans quel contexte le concept de volonté apparaît-il ? Il s’agit d’un concept inventé par Descartes pour répondre à la question suivante : qu’est-ce qui distinguent les actes involontaires des actes volontaires ? La question va prendre sens dans un contexte mécaniste : tous les phénomènes s’expliquent par des lois et plus précisément toutes les lois expliquent le mouvement des figures. Pour Descartes, tous les mouvements doivent s’expliquer de la même manière car ils sont tous des mouvements des corps.
 
Chez Descartes, on rencontre un premier problème qui est celui de la compatibilité de deux langages, à savoir le langage des sciences et le langage de l’action. Comment rendre compte de certains mouvements de notre corps ? Par une explication causale : je lève le bras par la tension des muscles et des nerfs. Quand j'adopte le point de vue des sciences, je replace le mouvement corporel au sein d’une chaîne causale. Mais si je prends le point de vue de l’action, je parle d’intention, de délibération. Comment rendre compte du fait que nos mouvements naturels sont des mouvements d’intention ?
 
Dans la philosophie classique, deux épisodes sont distingués : un épisode intérieur (volition) et un épisode extérieur (mouvement du corps). Qu’est-ce qui distingue "le bras se lève" de "je lève mon bras" ? Pour Descartes, si je retire le fait que mon bras se lève, alors il reste un épisode intérieur (ma volition). Entre ces deux épisodes, il y a une relation causale. C’est l’article 1 des Passions de l’âme. L’action volontaire est l’action du corps causée par un mouvement de l’âme qui est une volition.
 
Mais une remarque s'impose : Descartes produit une étrange théorie. Les actions volontaires ne sont pas des mouvements corporels tout simples mais reproduisent le schéma des mouvements. Un événement cause un autre événement. Mais Descartes veut quand même distinguer les actions volontaires des actions involontaires. Or, il dit qu’un événement psychique cause un événement corporel. La thèse de Descartes est donc para-mécanique. Il utilise le langage mécanique pour rendre compte de l’acte volontaire. Donc l’acte volontaire a une cause ontologiquement originale.
 
Une autre remarque s'impose à un niveau plus profond : quelles sont les conséquences de cette thèse para-mécanique ?
 
1) Il y a deux épisodes (un mental et un psychique). Pour Descartes, les phénomènes psychiques sont accessibles par introspection. La connaissance que j’ai de mes volitions est une connaissance par introspection. C’est l’idée d’un théâtre intérieur. L’action volontaire rend compte du sentiment du moi. Quand je lève ma main, c’est moi qui lève ma main. Ce n’est pas une partie de moi, c’est moi. C’est moi qui cause cela. Ce moi est ce moi comme quelque chose, comme substance.
2) La volonté est médiatrice. C’est la volonté qui garantit l’efficacité de mon action sur le monde et sur moi-même. C’est l’interface psychique/physique et même inter-psychique (je compte car je veux compter). La volonté est médiatrice entre moi et le monde et même entre moi et moi-même.
 
La question se porte alors sur les volitions. Que sont-elles ? La volonté est une faculté de l’âme. Mais les volitions sont-elles des actions (choix fait par Descartes) ou des états ? Veux-je des volitions ou sont-elles des choses qui m’arrivent ? Cette thèse est commune à la conception empiriste et à la conception transcendantaliste.
 
On a donc le schéma suivant : les volitions sont causes des mouvements corporels. Mais d’où viennent les volitions ? Pour les empiristes, les volitions ne sont pas hors du monde. Ce sont des événements qui se placent dans une chaîne causale infinie. Les volitions nous échoient. Pour les transcendantalistes (Kant), il y a une rupture dans les chaînes causales. La volition fait débuter une chaîne causale. Ce que je fais est ce qui est causé par une volition. Les volitions sont donc des actions. Elles sont une capacité assez mystérieuse à développer une chaîne causale.
 
Hume et Kant acceptent la thèse para-mécanique de Descartes : deux épisodes sont reliés entre eux. Les deux variantes répondent à un problème de compatibilisme qui n’est pas résolu. Il s’agit du compatibilisme des deux langages : celui des causes et celui des actions. Ce problème n’est pas résolu par Descartes car la question se pose de savoir comment un mouvement corporel peut être vu comme une action volontaire et comme un mouvement du corps. Pour répondre à cela, la glande pinéale est convoquée. Mais cette réponse n’est pas convaincante  pour rendre compte de la relation de deux entités hétérogènes. Pourquoi la glande pinéale a-t-elle un mouvement indéterminé ? Mais il y a surtout le problème du compatibilisme entre la liberté et le déterminisme. C'est ce point qui nous intéresse. Il est en relation avec le fait que les volitions sont des actions particulières et des états mentaux.
 
Abordons d'abord le problème sous l’angle empiriste. Il dépend de moi de lever mon bras mais cela ne dépend pas de moi de vouloir lever mon bras. Les volitions sont des états mentaux qui ont une certaine intensité. Hume distingue des degrés de force et d’intensité. Cela se caractérise par un sentiment d’effort. Quand je lève mon bras, j’ai le sentiment que je fais un effort. L’empirisme n’a pas de problème avec la liberté puisqu’elle n’existe pas. La science ne s’adresse qu’à la matière et la liberté n’existe pas. Elle est une illusion. Ce qui distingue une action volontaire d’un mouvement corporel, c’est son circuit causal original.
 
Mais l’empirisme est dans ce schéma : un événement mental cause un événement physique. Il est donc dans le même cadre d’analyse que Descartes.
 
Qu'en est-il de la position transcendantaliste ? Kant veut sauver la liberté de la volonté. Il veut mettre la volonté hors de la pensée. Il la met hors de l’espace et du temps, c’est-à-dire hors du déterminisme psychologique. Ainsi peut-on lire dans la Critique de la raison pure la distinction dans le moi entre son caractère empirique et son caractère intelligible. Le moi a un caractère empirique comme le montrent les empiristes : c’est la faculté inférieure de désirer. Kant admet le déterminisme et accepte l’empirisme. Quant au caractère intelligible, c’est la faculté supérieure qui a un pouvoir. Elle est "causalité intelligible", c'est-à-dire qu'elle est la capacité à commencer une chaîne causale. Il faut supposer une relation entre le caractère empirique et le caractère intelligible. La moralité exige cette articulation : nous devons supposer que le caractère intelligible s’exprime dans l’ordre phénoménal par le caractère empirique.
 
Kant reprend l’analyse para-mécanique et accepte l’analyse empiriste. Il transpose cette explication dans le monde nouménal. Une action s’explique en deux épisodes. Par une causalité étrange. L’action volontaire : elle est un état mental particulier qui, ou bien est cause d’un mouvement corporel, ou bien est cause de la volonté libre.
 
Tout cela subit une critique de la part de Wittgenstein, de Ryle et de Kenny. Ils s’intéressent non à la volition mais au schéma par lequel Descartes rend compte de la volition. Celui-ci est un non-sens, à commencer par la distinction entre un élément intérieur privé et un élément extérieur public. Ce qui induit Descartes en erreur, c’est la forme grammaticale : Je/lève mon bras. Cette image suggérée par la grammaire est fausse. Elle engendre des monstres.
 
Premier point : la conception empiriste est déficiente : § 611 des Investigations philosophiques. Quand on dit que la volition est un événement psychique, c’est-à-dire quelque chose qu’on expérimente, on entre dans des difficultés théoriques. Le vouloir est donc une expérience. Quand j’agis volontairement, j'éprouve des sensations d’effort. Mais Wittgenstein montre que les sensations d’efforts ne servent à rien dans l’identification d’un acte volontaire. Il y en a mais leur rôle est contingent. Je peux avoir des sensations cénesthésiques sans agir. Mais je ne dirais pas que j’agis. Je peux imaginer des sensations d’effort sans causation du mouvement corporel. On retrouve ici la position de Malebranche : s'il y a une relation causale, il n’est pas suffisant d’avoir une sensation d’effort pour une action volontaire (c’est l’occasionalisme). De plus, je ne peux me fonder sur les sensations d’effort pour m’attribuer une action volontaire et encore moins à autrui. Car si les volitions sont des expériences accessibles par introspection, comment parler d’actions volontaires à propos d’autrui ?
 
Second point : la position kantienne est critiquée au §. 613 des IP à travers la conception du "vouloir vouloir". Dans cette thèse, la volonté cause la volonté. Kant assimile ici volonté et désir. Le désir est alors un élément psychique que l’on cause. Or, vouloir n’est ni quelque chose qui nous arrive ni quelque chose que nous voulons. Pourquoi ? Car le lien entre volonté et action volontaire n’est pas causal mais logique. C’est le nerf du §. 618. Cela est absurde parce que dans une telle conception on ne peut expliquer des choses très simples. On peut essayer de pousser la table mais on ne peut pas essayer de vouloir ! Si je veux, je veux. Dans la conception para-mécanique, on ne rend pas compte de cela. A la limite, il pourrait y avoir des mouvements volontaires sans volition.
 
Résumons. Contre les empiristes on peut dire que la notion d’effort est contingente dans l’explication de la volonté. On peut avoir une sensation de volonté sans volonté (courant électrique dans le bras par exemple). La sensation d’effort n’est même pas suffisante car je n’ai pas besoin de connaître la sensation d’effort : je peux demander à quelqu’un, sa réponse est une action. Le problème est donc le suivant : si les volitions étaient accessibles par introspection, comment sais-je que moi-même j’agis volontairement ? Je n’ai pas besoin de sensation volontaire : qu’est-ce qui me prouve que cela est ? Le rôle de la sensation d’effort est contingent. Elle ne sert pas à identifier la notion de volontaire. Contre les transcendantalistes, on peut critiquer leur rejet de la volonté au-delà de l’expérience. La volonté est ce pouvoir de commencer la chaîne causale. Le problème de l’argument réside  en ceci : qu’en est-il des volitions elles-mêmes ? Sont-ce des événements qui nous arrivent (nous n’en sommes pas responsables) ou sont-elles volontaires (donc nos volitions sont causées par d’autres volitions et ce, à l’infini ; et donc nous pourrions vouloir ce que nous ne voulons pas) ? Entre la volonté 2 et la volonté 1, il pourrait y avoir un écart : je veux quelque chose que je ne veux pas. On comprendrait mal en outre la notion d’ "essayer" : essayer, c’est déjà agir. Or quand je veux, je veux. Toutes ces conceptions se trompent parce qu’elles acceptent un présupposé para-mécanique.
 
Pour attaquer ces conceptions, il faut attaquer le schéma para-mécanique. Il a pour conséquence de faire en sorte que je ne suis pas responsable de ce que je fais. C’est le savoir étrange de ces deux conceptions : d’un point de vue para-mécanique, nous ne pouvons pas rendre compte de nos propres actions volontaires. Pourquoi ? On ne peut pas savoir que tel mouvement est causé par tel mouvement, seulement par l’observation. C’est l’étrangeté relevée par Anscombe dans L’intention : notre savoir serait un savoir par observation. Or le savoir de notre action est un savoir-faire : lever le bras. Pas de savoir théorique de "lever le bras". La position para-mécanique est intellectualiste : je dois connaître la volition pour agir.
 
Les critiques de Wittgenstein sont systématisées par Ryle dans Le concept d’esprit. La théorie para-mécanique est un exemple du mythe cartésien du fantôme dans la machine. Descartes conçoit que les concepts psychologiques ne fonctionnent pas comme des concepts physiques mais les calquent en disant qu’ils sont originaux d’un point de vue ontologique. D’où une erreur de catégorie. Descartes crée donc des mythes : le mythe de l’intériorité et le mythe des volitions. Si les volitions sont des états mentaux authentiques, alors on doit pouvoir les décrire. Donc on doit pouvoir répondre aux questions de leur intensité, de leurs qualités, etc... On devrait posséder des prédicats. Or, on ne peut pas dire combien de temps dure une volition (contrairement à une sensation). De quoi se souvient-on quand on se souvient d’une volition ? On ne se souvient pas d’un élément psychique mais seulement qu’on a réalisé un acte (la levée du bras).
 
La volition ne décrit rien : on n’a pas de prédicats pour la décrire. En outre, c’est une entité inutile. Ryle reprend l’argumentation : pas besoin de volonté pour rendre compte de la responsabilité. La volition est causée ou non causée. Dans les deux cas, on n’a pas de responsabilité (régression à l’infini). Je peux donc vouloir ce que je ne veux pas et ne pas vouloir ce que je veux. La volition finit toujours par être un événement dont on n’est pas responsable. La relation entre la volonté et le volontaire n’est pas causale mais logique disent Ryle et Kenny. Donc une action est volontaire quand elle n’est pas causée par une volition.
 
Le problème est donc le suivant : comment rendre compte du volontaire sans la volonté ? L’échec du para-mécanisme a des conséquences funestes : l’impossibilité de fonder notre pratique du blâme et de la louange dans une théorie mécaniste. Dans quelles circonstances disons-nous que nous sommes responsables ? Le problème s’inverse : il faut définir le volontaire pour dire de quelqu’un qu’il est responsable. Pour clarifier le problème, deux oeuvres d’Austin sont intéressantes : Plaidoyer pour les excuses et Trois manières de renverser l’encre. Il propose un retour à Aristote et à l'Ethique à Nicomaque. Il distingue trois critères de l’action volontaire. C’est l’action faite par ignorance, ou bien par contrainte ou bien sous la menace. L’involontaire se dit en plusieurs sens. Nous voyons qu’Aristote fournit des critères mais pas une théorie. C’est pourquoi une même activité peut être jugée volontaire ou involontaire suivant le point de vue.
 
Mais la caractérisation d’Aristote est insuffisante : il n’explique pas ce que veut dire "contrainte". Qu’est-ce qu’une action qui a son principe hors de nous ? Est-ce hors de notre corps ? Et le problème du réflexe ? Pour affiner tout cela, il faut des distinctions.
 
Première distinction : le mouvement volontaire est un mouvement fait pour lui-même tandis que l’action intentionnelle est un mouvement fait pour réaliser une certaine fin.
 
Seconde distinction : la poiesis est une action transitive : c’est une action qui aboutit à une oeuvre extérieure à l’artisan et qui subsiste après l’action. C’est une action régie par le schéma moyen–fins. La praxis est une action qui ne produit rien d’extérieur à elle-même.
 
Ryle approfondit ces distinctions. Wittgenstein fournit quant à lui une approche de l’acte volontaire : un mouvement volontaire est susceptible d’être ordonné. On peut donc décider de la faire ou pas. C’est un mouvement dont on est responsable et dont on a un savoir-faire. Ce qui fait qu’une action est volontaire ? Deux choses : nous avons un savoir-faire et nous exerçons cette compétence. L’action volontaire est donc le libre exercice d’un savoir-faire. Je ne suis pas responsable de ce que je ne sais pas faire. C’est pourquoi le concept de responsabilité n’est pas celui de blâme. Je peux mal ou bien exercer ma compétence. D’où la notion de choix, la capacité de choisir. Cela ne fait pas appel ou référence à une théorie causale. Le problème est donc de savoir ce que signifie "être libre d’exercer une compétence" ? Quand on a une compétence, on est libre ou non de l’exercer. Comment peut-on déterminer qu’un mouvement est dans le pouvoir de quelqu’un ? Pour introduire un élément de réponse, il faut la notion de "raison d’agir". D'où mon long post sur la croyance dans l'action chez Davidson. C’est cela qui permet d’introduire la différence entre un mouvement volontaire et une action intentionnelle. Il existe des mouvements volontaires non intentionnels.
 
Pour comprendre cela, il faut comprendre le critère qui permet de reconnaître une action volontaire. Une action volontaire est une action qu’on peut ordonner. Si je lève le bras après un ordre, c’est volontaire. Mais j’aurais pu ne pas satisfaire l’ordre si j’avais jugé meilleur de ne pas le faire. Mouvement volontaire : "si j’avais eu une bonne raison de ne pas le faire, je ne l’aurais pas fait". Un mouvement involontaire est un mouvement imperméable à toutes nos raisons. Un mouvement involontaire s’explique donc de manière causale : le réflexe, le frisson. Je n’ai donc pas besoin d’intention pour en rendre compte. Le problème est alors le suivant : quand dit-on de quelqu’un qu’il a le libre exercice de sa compétence ? Quand agit-on selon des raisons ? D'autre part, le mouvement volontaire est une action intentionnelle dégénérée. D’où deux actions volontaires : une action volontaire d’une part (la fin est extérieure à l’action elle-même) et une action volontaire intentionnelle d’autre part (si la fin de cette action est l’action elle-même).
 
L’action intransitive se résume ainsi :
P1 : Je désire danser.  
P2 : Je sais danser.
------------
P3 : Je danse.
 
Le désir ne porte pas ici sur un état mais sur l’action elle-même. Je sais danser : le moyen porte donc sur le savoir-faire. La réalisation de l’action est la fin elle-même.
 
L’action transitive et intentionnelle se résume ainsi :
P1 : Je désire aérer la pièce.  
P2 : Je crois qu’ouvrir la fenêtre est un bon moyen.  
-----------
P3 : J’ouvre la fenêtre.
 
Ici l’action est le résultat (et non la conséquence) d’une raison pratique où la première prémisse est un désir et la seconde le moyen jugé bon pour la réaliser (pour le détail de l'analyse, voir mon post précédent).
 
Pour identifier une action volontaire, il suffit de donner une raison à l’agent de changer son action. Identifier un mouvement volontaire, c’est voir la raison intentionnelle qui pourrait le neutraliser.  
 
Donc être responsable, c’est être responsable de l’exercice de nos compétences. On ne peut reprocher ou féliciter que si on juge que l’agent aurait pu faire autrement. Mais alors qu’est-ce qu’une action intentionnelle ? Le point de départ des philosophies classiques est, comme nous l’avons vu, la distinction dans le volontaire entre deux épisodes : un épisode psychologique puis un événement physique. "Je/lève le bras" fait entrer dans une distinction entre l’intérieur et l’extérieur. Mais on a alors deux composants ontologiques. Ces deux épisodes sont deux pôles de la description de l’action : le mouvement lui-même et "l’intériorité" comme structure dans laquelle s’insère la chaîne causale. Quelles sont mes raisons d’agir ? Quelles sont mes intentions ?
 
Pour le comprendre, il faut mettre en place une notion dérivée d’Aristote non thématisée par lui : le syllogisme pratique. Il désigne le raisonnement pratique par lequel on rend compte des actions intentionnelles.
 
P1 : J’ai faim.  
P2 : Voici une pomme.  
-------------
P3 : Je mange la pomme.
 
La conclusion est la suite nécessaire !
 
P1 porte sur un principe d’action (un désir, une obligation). Cela est critiqué par Davidson : si on a seulement un principe d’action, on n’explique pas l’action. Là, on explique un désir au sens de moteur. P2 exprime une croyance sur les moyens d’accomplir ce désir. Cela permet de décrire des mouvements corporels. Une même action peut être décrite de différentes façons suivant les intentions auxquelles on se réfère (cf. Von Wright, Understanding and Explaining).
 
Prenons l’exemple de la fenêtre. J’ouvre la fenêtre pour aérer la pièce et les personnes qui s’y trouvent tombent malades et meurent. On décrit alors les choses comme un physicien. Or, avec la notion d’intention apparaît une distinction : je voulais ouvrir mais je ne voulais pas tuer. On a donc un second sens du concept de responsabilité qui s’ajoute à celui du libre exercice d’une compétence : je suis responsable de ce que je fais intentionnellement. Nous décrivons ce dont nous sommes responsables. La responsabilité n’a pas de sens sans l’intentionnalité mais pas sans la liberté (lire Minority Report de Philip K. Dick). La véritable question n’est pas celle de la liberté mais de l’intentionnalité. Les individus font-ils des crimes intentionnels ou pas ?
 
Dans un monde fataliste, où la chaîne causale a elle-même une cause, rendre la justice n’aurait aucun sens. Je serai destiné à  être assassin ou pas, à être jugé ou pas… Mais dans le cas d’un monde déterministe, le fait de rendre la justice a un sens. Même si mon acte a une cause, il n’est pas relié in fine à une cause qui est cause de la chaîne causale (comme dans le fatalisme). Donc même si mon acte est déterminé, on peut me juger puisqu’on va s’interroger, non sur la volonté ou sur la liberté, mais seulement sur le fait de savoir si mon action était volontaire. Suis-je un assassin si j’ai tué sous la contrainte ? C’est ce problème qui intéresse le juge et non le problème de savoir si ma volonté est libre. Cela résout (définitivement ?) le problème du libre-arbitre.

Message cité 1 fois
Message édité par l'Antichrist le 19-01-2006 à 16:02:57
n°7459828
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 19-01-2006 à 09:55:50  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Faisons une dernière fois plaisir à Hephaestos en creusant un peu cette question du libre-arbitre compris comme pouvoir de la volonté. Liberté = volonté. "Est-ce que tu serais d'accord pour affirmer que le libre-arbitre est une croyance ?" Dans le cadre de la philosophie analytique, la réponse est oui puisque celle-ci considère justement la volonté comme un mythe.


 
Je préfèrais le terme de croyance tel que vous le définissez plus haut, car il n'a pas le caractère insignifiant du mot mythe, ou du mot illusion que l'on m'a reproché à juste titre d'utiliser dans le premier message.
 
Le libre-arbitre, il me semble, est une expérience innée que chacun fait, inaliénable au même titre que tous les sentiments humains.
 
 

l'Antichrist a écrit :

Abordons d'abord le problème sous l’angle empiriste. Il dépend de moi de lever mon bras mais cela ne dépend pas de moi de vouloir lever mon bras. Les volitions sont des états mentaux qui ont une certaine intensité. Hume distingue des degrés de force et d’intensité. Cela se caractérise par un sentiment d’effort. Quand je lève mon bras, j’ai le sentiment que je fais un effort. L’empirisme n’a pas de problème avec la liberté puisqu’elle n’existe pas. La science ne s’adresse qu’à la matière et la liberté n’existe pas. Elle est une illusion. Ce qui distingue une action volontaire d’un mouvement corporel, c’est son circuit causal original.


 
 
Est-ce que la partie en gras est ce que vous pensez, ou ce que, d'aprés vous, les empiristes affirment ?  
Ce qui est certain c'est que c'est un non-sens. Une chose ne peut pas ne pas exister tout en étant (même une illusion).
 

l'Antichrist a écrit :

Dans un monde fataliste, où la chaîne causale a elle-même une cause, rendre la justice n’aurait aucun sens. Je serai destiné à  être assassin ou pas, à être jugé ou pas… Mais dans le cas d’un monde déterministe, le fait de rendre la justice a un sens. Même si mon acte a une cause, il n’est pas relié in fine à une cause qui est cause de la chaîne causale (comme dans le fatalisme). Donc même si mon acte est déterminé, on peut me juger puisqu’on va s’interroger, non sur la volonté ou sur la liberté, mais seulement sur le fait de savoir si mon action était volontaire. Suis-je un assassin si j’ai tué sous la contrainte ? C’est ce problème qui intéresse le juge et non le problème de savoir si ma volonté est libre. Cela résout (définitivement ?) le problème du libre-arbitre.


 
J'avoue ne pas avoir saisi la différence que vous faites entre un monde fataliste est un monde déterministe. En quoi, dans un monde déterministe, l'acte n'est pas relié à une cause in fine ?


Message édité par hephaestos le 19-01-2006 à 10:00:06
n°7461386
PrimaLiber​a
Posté le 19-01-2006 à 14:19:22  profilanswer
 

En tout cas bravo Antichrist et merci de nous avoir concocté ces réponses aussi claires et si savamment étayées, et tout cela sans la moindre prétention dans le ton. Cela devient si rare de nos jours de rencontrer des intervenants aussi cultivés. Je vais prendre le temps de relire ces longues réponses plus en détail, mais en attendant sachez que bien que silencieux, de nombreux lecteurs (j'en suis sûre) apprécient.    :jap:   :love:


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Ensemble nous donnons un sens au monde
n°7461991
Quentinou
DS Lite user
Posté le 19-01-2006 à 15:43:45  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

La question étant récurrente dans les discussions auxquelles je participe, je lui consacre un sujet bien à elle.
 
Tout est dit dans le titre : le libre-arbitre n'existe pas. Pour être plus précis, je devrais dire qu'en l'état actuel de nos connaissanc, nous n'avons aucune raison de croire dans le libre-arbitre. Le monde dans lequel nous vivons, et en particulier notre conscience, nos décisions, nos sentiments, sont déterministes, c'est à dire qu'il est (en théorie) possible de prévoir ce que pensera Richard Dubois demain soir à 19h46, de même qu'il est possible (en théorie) de prédire, à partir de la configuration actuelle de l'univers (ou, plus simplement, de notre planète et de ce qui y demeure), qui se présentera aux présidentielles de 2007, et combien chacun de candidats récolteront de voix.
 
Pourquoi affirmè-je cela ? Essentiellement, parce que je suis matérialiste (comme le sont l'essentiel des philosophes depuis un certain temps), c'est à dire que je crois qu'il n'existe pas autre chose que l'univers tel que nous le connaissons qui interragisse avec lui. En particulier, l'âme ou la conscience de chacun d'entre nous ne peut qu'être la cause d'objets matériel. Vraisemblablement, le cerveau serait fortement impliqué dans la chose en question. Ainsi, le cerveau, qui n'est constitué que de matière connue, est le lieu de constantes interactions entre ses constituants, interactions qui obéissent toutes aux lois déterministes de la physique, produisant l'expérience de la conscience. Mon but ici n'est pas d'expliquer comment ce qui semble être un miracle peut se produire, la fois parce que je n'en ai pas la compétence, et que cela nécessite un effort intellectuel certain : c'est loin d'être naturel. Pour cette question en particulier, je vous enjoins à lire l'excellentConscience expliquée de Daniel Dennett (Consciousness Explained en VO).
 
Pourquoi ressentons nous le libre-arbitre ?
 
Pour la même raison que l'on est conscient, que l'on sent la douleur ou le plaisir : l'impression de libre-arbitre est un élément fonctionel de notre être. Sans cette impression, nous ne pourrions pas prendre de décision. En effet, prendre une décision nécessite de se projeter dans l'avenir, de prévoir les différentes possibilités (c'est là que le libre arbitre nous apparait) et aprés uniquement pouvons-nous choisir la décision qui est la meilleure. Un cerveau capable de prédire l'avenir tel qu'il sera ne sert à rien. Ce qui est utile, c'est un cerveau qui calcule ce qui pourrait être, mais cette potentialité n'existe jamais ailleurs que dans notre esprit.
 
Et la physique quantique, hein, tu oublies la physique quantique ?
 
La physique quantique n'a rien à faire dans cette discussion. Du moins, l'aspect non déterministe de la physique quantique. En effet, la physique quantique n'est pas déterministe, du moins elle ne l'est pas à des échelle de temps trés court et pour un faible nombre de particules élémentaires.
 
Revenons à la fonction de notre cerveau, seuil de nos prises de décisions. Dire que le libre-arbitre réside dans la physique quantique revient à dire que certaines prises de décisions (l'activations de potentiels d'actions neuronaux) dépendent de la mise en rout ou non d'un processus quantique aléatoire. Cela voudrait dire que la décision elle-même est prise de manière aléatoire.
 
Laquelle des deux créatures a le plus de chances de survivres (et de se reproduire) : celle qui rend ses décisions ultimement de manière aléatoire, ou celle qui utilise un critère concret pour trancher ? la réponse me semble évidente, il n'y a toujours qu'une et une seule 'bonne' décision, il n'y a donc aucune raison pour que l'évolution naturelle produise un cerveau qui soit à la merci des phénomènes quantiques non déterministes.
 
Mais peut-elle s'en affranchir ? Mille fois oui. Dans chacun de nos neurones, il y a de nombreux mécanismes de régulations qui permettent de stabiliser tous les mécanisme qui y ont lieu, afin que le comportement de chacun des neurones ne soit pas affecté outre mesure par le bruit thermique, ce bruit étant bien plus important que le bruit généré par les phénomènes quantiques aléatoires. Pour faire cela, rien de bien compliqué : imaginons que le déclenchement d'un potentiel d'action dépende d'une réaction chimique, qui se produit avec une probabilité p. Ce qu'il suffit de faire pour s'affranchir de cette proba, c'est mettre en parallèle 10, 100, 1000 molécules qui sont chacune susceptibles de réagir. Le tout, c'est de ne pas dépendre d'une seule particule élémentaire. Sachant qu'il y a, à vue de nez, 10 000 000 000 000 (dix mille milliard ou 10^13) atomes dans un neurone, il y a de la marge...
 
 
Mais mais mais, comment on fait si on n'est plus libre ???  :ouch:  :cry:
 
Ca c'est la vrai raison qui me fait écrire ce sujet, car j'aimerais que le déterminisme ne soit pas vu comme une idée dangereuse, mais comme l'évidence qu'elle est dans l'état actuel de nos connaissances.
 
Qu'est-ce que ça change que le libre-arbitre n'ait pas de réalité extérieure à notre esprit, à notre expérience (à notre phénoménologie, diront certains...) ? Pas grand chose. Comment est-ce que cela pourrait changer quelque chose puisque, par définition, le déterminisme est inéluctable ? Essentiellement, cela veut dire que l'on accepte que la conscience, la liberté, le bonheur et toutes ces choses essentielles n'existent qu'en tant qu'objets de pensée, ce sont des illusions en ceci qu'elles sont subordonnées à la matière dont ils sont hôtes. Mais puisque l'on n'a rien d'autre que ces illusions, puisqu'on ne peut rien avoir d'autre, nous n'avons rien d'autre à faire qu'à la vivre pleinement, en connaissance de cause. Ceux qui voudraient justifier leur cynisme par le déterminisme sont les pires des hypocrites, le fait de vivre dans un monde sans libre-arbitre ne justifie rien du tout. Au plus, cela implique qu'il n'existe pas de responsabilité, et par conséquent qu'il n'existe pas de coupable. Le déterminisme, c'est la tolérance absolue.
 
Pour autant, même dans un monde déterministe, il est nécessaire de punir ceux qui commettent des actes mauvais afin tout simplement de dissuader ces derniers. La punition n'a pas pour objet de rendre la justice, elle est un mal nécessaire. Il peut même être utile de faire croire aux gens qu'ils seront récompensés plus tard, mais je dois reconnaitre qu'un monde sans libre-arbitre ne laisse que peu de place à un Dieu qui voudrait punir les méchants et récompenser les gentils, cela n'aurait aucun sens.


 
 
Je n'ai pas lu toutes les réponses mais je voudrais te soumettre deux points de vues.
 
1) Les sciences naturelles elles-mêmes soulignent les limites de toute conception déterministe, même en environnement contrôlé et connu. Cela s'appelle la théorie du Chaos, dont Gleick a fait une présentation assez accessible publiée en livre de poche ou qqchose comme ça. La théorie du chaos montre notamment que le réel est trop complexe pour être appréhendé en fonction de nos catégories mathématiques, scientifiques, et que nos capacités cognitives ne permettent pas d'envisager une explication finalisée de celui-ci. Tu me diras qu'en théorie, cependant, cela reste possible, il "suffirait" que nos théories augmentent en qualité, et avec le temps, on arrivera.
 
2) Je ne suis cependant pas certain que l'incertitude liée à l'observation soit la seule forme d'incertitude qui interdise de penser le déterminisme. Il y a une autre forme d'incertitude qui se nomme indécidabilité et qui, dans tout modèle FORMEL que ce soit (donc en théorie un modèle parfait), ne permet pas de lever l'incertitude sur les résultats. Gödel a formulé un théorème l'expliquant, et je ne me risquerait pas à le présenter n'étant pas qualifié pourn le faire. La communauté scientifique en reconnaît cependant la pertinence...
 
Cette indécidable se retrouve à d'autres niveaux : sa fonction est donc bien de montrer que, matérialiste ou non, en possession de connaissances parfaites ou non, on ne peut pas anticiper sur les "outputs" d'un système en connaissant les "inputs".
Je m'explique par un exemple : une autre forme d'indécidabilité est l'impossibilité d'avoir accès à l'intentionalité des individus. Quand on discute avec quelqu'un, même si on suppose en théorie le partage d'un vocabulaire non-ambigü et commun, on ne peut jamais savoir si l'autre a compris la même chose que nous, et si c'est le cas, pour les mêmes raisons. Un individu lui-même ne peut pas être certain d'avoir effectué une action pour les raisons qu'il pense être à l'origine de cette action. Suis-je en train d'écrire cet article par défi, par intérêt, par imitation de modèles intellectuels, par ennui? Je ne peux isoler la cause, juste supposer une probabilité pour l'une d'entre elles ou leur conjugaison.
 
La question du libre arbitre, en bref donc, ne saurait je pense se résumer à la question de savoir si l'on se situe dans un cadre matériellement déterministe. L'idée que le cerveau est constitué de connections neuronales, animé de chimie etc. n'a aucune importance. Aucun cadre matériel et déterministe ne SUFFIT à expliquer les résultats, outputs, de systèmes parfaits. L'indéterminé subsiste dans tout système formel. Il ne sera jamais suffisant de dire que la connection X neuronale a mené à l'action de lever le bras au temps T : on accède au "comment" de l'action mais jamais au "pourquoi".  
 
Ce qui me pousse à penser que la conscience est un absolu, pas un relatif.
 
Par ailleurs j'aimerais relever une contradiction à la fin de ton post dans la phrase : "Pour autant, même dans un monde déterministe, il est nécessaire de punir ceux qui commettent des actes mauvais afin tout simplement de dissuader ces derniers".  
Il ne peut pas être "nécessaire" de punir dans un cadre déterministe. Le fait que l'on doive dissuader présuppose le libre arbitre de ceux qui agissent mal. Dans un cadre totalement déterministe, la nécessité d'entreprendre une action ne peut se justifier parce que cela place une justification extérieure à cette action, tandis que le déterminisme présuppose une autojustification continuelle de l'action.


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http://www.dsinbruxelles.be
n°7462196
xantox
Posté le 19-01-2006 à 16:15:14  profilanswer
 

Quentinou a écrit :

Je n'ai pas lu toutes les réponses mais je voudrais te soumettre deux points de vues.
 
1) Les sciences naturelles elles-mêmes soulignent les limites de toute conception déterministe, même en environnement contrôlé et connu. Cela s'appelle la théorie du Chaos..
 
2) Je ne suis cependant pas certain que l'incertitude liée à l'observation soit la seule forme d'incertitude qui interdise de penser le déterminisme. Il y a une autre forme d'incertitude qui se nomme indécidabilité et qui..
 
La question du libre arbitre, en bref donc, ne saurait je pense se résumer à la question de savoir si l'on se situe dans un cadre matériellement déterministe..


 
Tu confonds le concept de déterminisme d'un système physique avec celui de la connaissance parfaite d'un état du système. Il est utile de disposer d'une définition :
 
Est dit déterministe, un système qui, pour chaque état possible, peut assumer un et un seul état conséquent (que le temps soit discret, ou continu), et qui donc, pour un état initial donné, assumera invariablement le même état final.
 
Est dit stochastique, un système qui pour chaque état possible, peut assumer plusieurs états conséquents, selon une certaine distribution de probabilités.
 
L'"indéterminisme" peut correspondre soit à une vision stochastique de l'évolution d'un système (mécanique quantique, lorsque le système est caractérisé par ses observables), soit (cas limite) à une vision non physique d'a-causalité (pour un état, le système peut assumer avec equiprobabilité tous les états conséquents possibles).

Message cité 2 fois
Message édité par xantox le 19-01-2006 à 16:16:10

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-- Parcours Etranges : Physique, Calcul, Philosophie
n°7462318
Quentinou
DS Lite user
Posté le 19-01-2006 à 16:31:42  profilanswer
 

xantox a écrit :

Tu confonds le concept de déterminisme d'un système physique avec celui de la connaissance parfaite d'un état du système. Il est utile de disposer d'une définition :
 
Est dit déterministe, un système qui, pour chaque état possible, peut assumer un et un seul état conséquent (que le temps soit discret, ou continu), et qui donc, pour un état initial donné, assumera invariablement le même état final.
 
Est dit stochastique, un système qui pour chaque état possible, peut assumer plusieurs états conséquents, selon une certaine distribution de probabilités.
 
L'"indéterminisme" peut correspondre soit à une vision stochastique de l'évolution d'un système (mécanique quantique, lorsque le système est caractérisé par ses observables), soit (cas limite) à une vision non physique d'a-causalité (pour un état, le système peut assumer avec equiprobabilité tous les états conséquents possibles).


 
Tu as raison, je n'ai pas proposé de définition du déterminisme et j'amalgame la distinction que tu fais dans ce que je dis.
 
Si je retraduis mon hypothèse en fonction de ce que tu précises, ce que je dis est qu'on ne peut jamais être certain ni de posséder la connaissance complète et nécessaire à une description ultime du système et que, même si idéalement c'était le cas cela ne suffirait pas à produire un output valide. C'était là une critique du déterminisme selon ta définition.
 
Je pense également que la vision stochastique tombe sous ce cas : on ne peut jamais savoir si toutes les probabilités ont été envisagées, et même si c'était idéalement le cas, on ne pourrait expliquer ce qui a permi la détermination de l'une plutôt que l'autre.
 
La connaissance parfaite, factuelle ou probabiliste, ne donne pas accès à l'intentionnalité. Voilà ce que j'entendais affirmer.


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n°7462332
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 19-01-2006 à 16:33:47  profilanswer
 

Quentinou a écrit :

Par ailleurs j'aimerais relever une contradiction à la fin de ton post dans la phrase : "Pour autant, même dans un monde déterministe, il est nécessaire de punir ceux qui commettent des actes mauvais afin tout simplement de dissuader ces derniers".  
Il ne peut pas être "nécessaire" de punir dans un cadre déterministe. Le fait que l'on doive dissuader présuppose le libre arbitre de ceux qui agissent mal. Dans un cadre totalement déterministe, la nécessité d'entreprendre une action ne peut se justifier parce que cela place une justification extérieure à cette action, tandis que le déterminisme présuppose une autojustification continuelle de l'action.


 
Il y a une nécessité matérielle, (physique), qui est celle d'agir, de croire (cf l'avant-dernier message de l'antichrist) et de faire des choix en tant qu'êtres pensants.
 
La nécessité dont je parle est une nécessité morale qui s'inscrit dans le cadre du libre-arbitre justement, qui, si tu m'as suivi, existe bel et bien. C'est une évidence qui s'impose du fait que punir permet de maximiser le bonheur des hommes.
 
Le mot était sans doute mal choisi...


Message édité par hephaestos le 19-01-2006 à 16:34:02
n°7462441
tomlameche
Et pourquoi pas ?
Posté le 19-01-2006 à 16:51:29  profilanswer
 

PrimaLibera a écrit :

En tout cas bravo Antichrist et merci de nous avoir concocté ces réponses aussi claires et si savamment étayées, et tout cela sans la moindre prétention dans le ton. Cela devient si rare de nos jours de rencontrer des intervenants aussi cultivés. Je vais prendre le temps de relire ces longues réponses plus en détail, mais en attendant sachez que bien que silencieux, de nombreux lecteurs (j'en suis sûre) apprécient.    :jap:   :love:


+1  :jap:  
Pis merci aussi bien sûr à hephaestos et xantox un bien bon topic ma foi, on s'y sent un peu petit, mais finalement enrichi de ces réflexions.


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n°7462533
xantox
Posté le 19-01-2006 à 17:02:11  profilanswer
 

Quentinou a écrit :

ce que je dis est qu'on ne peut jamais être certain ni de posséder la connaissance complète et nécessaire à une description ultime du système


Certes, mais inductivement on peut observer que la description permet de prédire correctement l'évolution du système.
 

Quentinou a écrit :

et que, même si idéalement c'était le cas cela ne suffirait pas à produire un output valide.


Je suis en désaccord, pour quelle raison cela ne suffirait pas?
 

Quentinou a écrit :

Je pense également que la vision stochastique tombe sous ce cas : on ne peut jamais savoir si toutes les probabilités ont été envisagées,


Même argument que plus haut,
 

Quentinou a écrit :

et même si c'était idéalement le cas, on ne pourrait expliquer ce qui a permi la détermination de l'une plutôt que l'autre.


Si on pouvait l'expliquer, ce ne serait plus stochastique.


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-- Parcours Etranges : Physique, Calcul, Philosophie
n°7466648
Ache
immatriculé-conception
Posté le 20-01-2006 à 01:24:17  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

... C'est un devoir de travailler à comprendre ce que l'on cherche à combattre, même s'il faut y consacrer du temps et de l'énergie...


Voilà, une fois de plus, nous avons compris que le "silence des organes" est toujours aussi assourdissant. C'est pour cela que le discours ne suffit pas et ne suffira pas : s'il s'agit de l'Homme en lui-même, si la question est celle de l'Homme en lui-même, il ne suffit plus de révéler par le discours l'impensé de la pensée objective. La pensée objective fait de l'Homme une image irréelle et elle est définitivement opaque à elle-même (et c'est bien normal, elle parle d'objets...). La démarche qui veut "ruiner les théories de la pensée objective en les exposant dans leurs principaux mouvements, en suivant leurs argumentations pour être en mesure de les critiquer de l'intérieur, de les pousser jusqu'à leurs conséquences ultimes et révéler ainsi leurs points d’achoppement" est inopérante. Elle ne prêche que les convaincus et échouera constamment à descendre la pensée de surface. Si le problème est celui de l'Homme en lui-même, il ne faut plus chercher à adhérer à la pensée objective pour tenter ensuite de la confondre. Emprunter la pensée objective pour ensuite la confondre et la dé-constituer n'est pas une démarche - mais une utopie. Ce n'est plus le discours objectif qu'il faut confondre sur le terrain de l'Homme : cela est vain et ses voix sont manifestement impénétrables... Ce n'est plus le discours objectif qu'il faut confondre, mais ce sont les réalisations faisant sa fortune qu'il faut dépasser : il ne faut plus chercher à replier dans le langage le flux structurel de la conscience incarnée, mais chercher à le déplier dans une matérialisation sous nos yeux. Il faut devenir marionnettiste et créer l'apparaître ! Il faut saisir le mouvement du rhizome depuis l'intérieur pour le faire corps ! Il faut créer "l'arc intentionnel" le faire advenir pour qu'il s'anime à la première personne ! Démiurge car autrement, je ne vois pas comment "combattre".
 


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Parcours étrange
n°7466767
Ryan
Foupoudav
Posté le 20-01-2006 à 01:43:10  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

C'est juste une manière d'expliquer en quoi la raison n'est pas une croyance. Je ne crois pas que ce soit la vérité, je n'ai rien qui me permet de le dire ; simplement face à un choix, je dois choisir, je choisis donc l'hypothèse la plus simple.


 
Le simple fait de conceptualiser la réalité même c'est s'en éloigner, parce que tu y ajoute une couche, nous ne sommes plus en contact avec elle. Entre décrire l'odeur du jasmin, conceptualiser cette odeur et l'expérience directe de la senteur, il y a un gouffre énorme.  
 
Ce que je veux exprimer par là c'est que le libre arbitre, des gens le ressente dans leur chair grâce à l'expérience directe, ils parviennent à ressentir leur divinité intérieure comme je l'ai appellé, sans avoir besoin de débattre dessus, ils savent, au dela de tout débat..
 


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"Nothing ever happens to the knowing with which all experience is known"
n°7467332
xantox
Posté le 20-01-2006 à 03:09:44  profilanswer
 

Ache a écrit :

il ne suffit plus de révéler par le discours l'impensé de la pensée objective


 
A ce sujet, et après les arguments évoqués aux pages précédentes sur l'hypothétique "observateur objectif", il serait utile d'approfondir,
 

  • qu'est-ce que la "pensée objective",  
  • qu'est-ce qu'elle est censée apporter, et qu'est-ce qu'elle apporte, et
  • en quoi cela se revèle insuffisant.

Message cité 1 fois
Message édité par xantox le 21-01-2006 à 21:04:35

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-- Parcours Etranges : Physique, Calcul, Philosophie
n°7467535
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 20-01-2006 à 07:45:07  profilanswer
 

Ryan a écrit :

Le simple fait de conceptualiser la réalité même c'est s'en éloigner, parce que tu y ajoute une couche, nous ne sommes plus en contact avec elle. Entre décrire l'odeur du jasmin, conceptualiser cette odeur et l'expérience directe de la senteur, il y a un gouffre énorme.  
 
Ce que je veux exprimer par là c'est que le libre arbitre, des gens le ressente dans leur chair grâce à l'expérience directe, ils parviennent à ressentir leur divinité intérieure comme je l'ai appellé, sans avoir besoin de débattre dessus, ils savent, au dela de tout débat..


 
Et je te rappelle que je suis un être humain, conscient, et que moi aussi je sais... et moi non plus je n'ai pas besoin de débattre sur l'existence de mon libre-arbitre. Ce qui m'importe en revanche, c'est comment faire intervenir ce savoir ainsi que tous les savoirs que j'expérimente (parmi lesquels l'odeur d'une fleur de jasmin) dans mes prises de décisions.


Message édité par hephaestos le 20-01-2006 à 07:45:35
n°7467540
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 20-01-2006 à 07:53:12  profilanswer
 

Ache a écrit :

Voilà, une fois de plus, nous avons compris que le "silence des organes" est toujours aussi assourdissant. C'est pour cela que le discours ne suffit pas et ne suffira pas : s'il s'agit de l'Homme en lui-même, si la question est celle de l'Homme en lui-même, il ne suffit plus de révéler par le discours l'impensé de la pensée objective. La pensée objective fait de l'Homme une image irréelle et elle est définitivement opaque à elle-même (et c'est bien normal, elle parle d'objets...).


 
La pensée objective ça n'existe pas. Il y a une pensée qui se veut objective, dans un souci de coïncidence avec l'univers matériel. Cette démarche est vaine pour penser l'homme, j'en suis moi aussi convaincu, car l'homme qui compte n'est pas l'homme matériel, il est celui qui sent.
 
Néanmoins, il existe une démarche visant à tirer le plus d'informations utiles possible du fonctionnement de l'homme (celui qui compte), c'est celle décrite par Dennett comme étant l'hétérophénoménologie, et à propos de laquelle j'ai à ce jour toujours échoué à saisir la différence avec la phénoménologie tout court. M'enfin, je finirai par lire Merleau-Ponty, peut-être qu'alors je comprendrai...

n°7467550
l'Antichri​st
Posté le 20-01-2006 à 08:04:56  profilanswer
 

Ache a écrit :

Voilà, une fois de plus, nous avons compris que le "silence des organes" est toujours aussi assourdissant. C'est pour cela que le discours ne suffit pas et ne suffira pas : s'il s'agit de l'Homme en lui-même, si la question est celle de l'Homme en lui-même, il ne suffit plus de révéler par le discours l'impensé de la pensée objective. La pensée objective fait de l'Homme une image irréelle et elle est définitivement opaque à elle-même (et c'est bien normal, elle parle d'objets...). La démarche qui veut "ruiner les théories de la pensée objective en les exposant dans leurs principaux mouvements, en suivant leurs argumentations pour être en mesure de les critiquer de l'intérieur, de les pousser jusqu'à leurs conséquences ultimes et révéler ainsi leurs points d’achoppement" est inopérante. Elle ne prêche que les convaincus et échouera constamment à descendre la pensée de surface. Si le problème est celui de l'Homme en lui-même, il ne faut plus chercher à adhérer à la pensée objective pour tenter ensuite de la confondre. Emprunter la pensée objective pour ensuite la confondre et la dé-constituer n'est pas une démarche - mais une utopie. Ce n'est plus le discours objectif qu'il faut confondre sur le terrain de l'Homme : cela est vain et ses voix sont manifestement impénétrables... Ce n'est plus le discours objectif qu'il faut confondre, mais ce sont les réalisations faisant sa fortune qu'il faut dépasser : il ne faut plus chercher à replier dans le langage le flux structurel de la conscience incarnée, mais chercher à le déplier dans une matérialisation sous nos yeux. Il faut devenir marionnettiste et créer l'apparaître ! Il faut saisir le mouvement du rhizome depuis l'intérieur pour le faire corps ! Il faut créer "l'arc intentionnel" le faire advenir pour qu'il s'anime à la première personne ! Démiurge car autrement, je ne vois pas comment "combattre".


 
Une fois de plus, vous avez compris ! Cependant, si le salut se trouve dans la rupture, vous verrez que même dans la pensée de Michel Henry, la "réduction radicalisée" peut aussi se faire a posteriori (comme chez Spinoza d'ailleurs...). Bien sûr, ce qui est originaire se révèle exclusivement par soi, sans aucun intermédiaire, sans aucune médiation, et donc, notamment, sans les efforts du phénoménologue. Comme si le "sentiment de l'existence" (à développer, car dit comme cela, bien des confusions sont possibles...) devait attendre la phénoménologie pour être éprouvé et donc devenir effectif ! Mais, dans L'essence de la manifestation, la première approche de l'immanence se fait pourtant médiatement au terme de la réduction de la transcendance. Cette procédure n'est que transitoire et a pour but de montrer que les propriétés de l'immanence se présente comme l'antithèse de celles de la transcendance : il s'agit dans un premier temps d'inventer les lois éidétiques en s'appuyant sur l'exclusion de la transcendance, en la concevant comme son contraire. Michel Henry va même jusqu'a remonter dans un processus continu vers une "cause première", sous-entendu : parce qu'il faut bien s'arrêter. Mais tout ceci ne vise qu'a satisfaire les exigences de la pensée, elle ne donne effectivement rien à voir. Les monstration a posteriori de l'immanence aident à une commpréhension facile et rapide de ce que vise Michel Henry. Elles jouent le rôle de monstration "ad hominem", pour ceux qui, pour reprendre Spinoza, "ont l'habitude de considérer seulement les choses qui découlent de causes extérieures" (cf. Ethique, I, prop. XI, scol. : a causis externis fluunt). Les auteurs que visent Michel Henry : Kant, Husserl, Heidegger..., ne produisent que des "démonstrations" a posteriori, c'est-à-dire des manifestations a posteriori - constituées - qui, par difinition, ne peuvent donner en personne une révélation originaire ! Autrement dit, vous devez comprendre la nécessité pour un penseur, non pas seulement de comprendre les auteurs qui l'ont précédé, mais surtout de déterminer sa propre méthode. Car, s'il s'agit, comme vous l'avez dit, de se déprendre de toute philosophie "exclusivement conditionnée par les préoccupations d'une problématique de l'objet" (cf. Essence de la manifestation, p. 56), d'abandonner "le principe des principes" de la phénoménologie intentionnelle qui consiste à "prendre l'objet pour guide" afin de remonter vers le fondement à partir des phénomènes, si la réduction n'est plus un "faire voir", si elle est l'exclusion de l'intuition, de la pensée et même de la raison, si toutes initiatives doivent être rejetées, vous comprenez alors la difficulté : comment la phénoménologie matérielle est-elle possible ? C'est-à-dire, comment se faire comprendre ? Nous allons bientôt nous installer dans cette épreuve de la Vie... Mais, vous devez comprendre aussi dès maintenant que ces références culturelles, qu'il s'agit de mettre entre parenthèses, sont une manière pour la vie de s'affirmer elle-même comme praxis, de s'édifier, dans l'affirmation de soi, à travers des oeuvres culturelles. Interroger ces oeuvres, qui sont le dépôt ou l'expression de la vie, ce n'est donc pas, comprenez le vraiment, éclairer telle ou telle tradition selon des convictions personnelles, c'est surtout retrouver la vie qui, à travers des pratiques culturelles, à cherché à jouir davantage de soi ou plutôt, devrai-je dire, à se nier elle-même...

n°7467764
caroll
Posté le 20-01-2006 à 09:42:15  profilanswer
 

+ 2  :)

n°7467814
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 20-01-2006 à 09:52:06  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

comment la phénoménologie matérielle est-elle possible ?


 
Si on m'avait dit il y a six mois que je serais bientôt impatient de votre prochain message, j'aurais ri.

n°7468793
Quentinou
DS Lite user
Posté le 20-01-2006 à 12:06:24  profilanswer
 

xantox a écrit :

Certes, mais inductivement on peut observer que la description permet de prédire correctement l'évolution du système.
 
 
Je suis en désaccord, pour quelle raison cela ne suffirait pas?
 
 
Même argument que plus haut,
 
 
Si on pouvait l'expliquer, ce ne serait plus stochastique.


 
Merci de ta réponse.
En fait je réalise, il est vrai que j'ai sûrement mélangé ou pas assez développé les deux pans de mon argument.
En fait, j'hésite encore sur quelles sont les critiques les plus pertinentes des conceptions formalistes, que le formalisme inclue une indétermination ou pas.
 
Je pense que je peux résumer pourquoi je dis que "idéalement" aucun formalisme ne peut mener à un output valide comme ceci :  
 
Tout langage formel est un langage qui en formalise un autre.
Cependant, ça reste un langage. Il a idéalement besoin d'un autre langage formel qui puisse le rendre moins ambigü.
Un "langage 0", absolu, qui n'a besoin d'aucun autre langage pour être signifiant, pour être lu.
 
On essaye donc toujours d'épuiser les significations d'un langage par un autre langage jusqu'à obtenir un langage "0", racine.
Mais Gödel montre que même un langage 0 est ambigü.  
La théorie du chaos montre que même des systèmes parfaits incluent des variations.
Etc.
 
Alors oui, par induction, on trouve des preuves de prévisions correctes par des systèmes, c'est vrai. Si je ne me trompe c'est un argument en faveur des réalistes scientifiques qui pensent que la science est un outil d'exploration valide du réel et qu'elle en fait une description correcte, "ontologique" comme on dit en philo.  
 
Cependant les inductions présentent toujours des systèmes pour lesquels peuvent intervenir des exceptions. Même si concrètement 100% des observations confirment la robustesse du système, nous restons liés aux observation : ce n'est pas parce qu'un phénomène allant à l'encontre du système n'a pas été observé qu'il n'existe pas. (Tout comme ne pas observer de cancers dans une population ne signifie pas qu'il n'y en a pas). L'induction est donc fortement lié au paradigme, aux modèles dominants du moment et nous sommes donc tributaires d'un "filtre" sur nos observations concernant les systèmes scientifiques que nous avons construits.
 
Comme je le disais, je en suis ceci dit pas du tout un scientifique en sciences naturelles, dont je serai très heureux d'entendre les arguments contraires montrant que d'un système parfait on peut déduire des outputs valides dans l'absolu.


---------------
http://www.dsinbruxelles.be
n°7469132
xantox
Posté le 20-01-2006 à 13:02:23  profilanswer
 

Quentinou a écrit :

Tout langage formel est un langage qui en formalise un autre. [..] La théorie du chaos montre que même des systèmes parfaits incluent des variations. [..]


Cela n'est pas tout à fait pertinent, tout d'abord un système formel est celui dont on connaît formellement l'état et cela, de manière parfaite, et il est donc possible de déterminer parfaitement son évolution, bien qu'il ne soit pas possible de répondre à toutes questions concernant ce système (ces questions n'étant pas celle de déterminer son évolution). La théorie du chaos étudie des sytèmes dont la sensibilité aux conditions initiales est telle, que la connaissance imparfaite de l'état du système introduit un erreur divergent sur la prévision, mais ces systèmes sont déterministes.
 

Quentinou a écrit :

Si je ne me trompe c'est un argument en faveur des réalistes scientifiques qui pensent que la science est un outil d'exploration valide du réel et qu'elle en fait une description correcte, "ontologique" comme on dit en philo.


La connaissance scientifique n'est pas à mon sens très différente, sur un plan ontologique, de la connaissance ordinaire (apprendre à marcher, à éviter des obstacles, à ne plus toucher le feu après s'y être brulé une fois, etc).


Message édité par xantox le 20-01-2006 à 18:27:27

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-- Parcours Etranges : Physique, Calcul, Philosophie
n°7478340
Ache
immatriculé-conception
Posté le 21-01-2006 à 19:04:49  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

... Néanmoins, il existe une démarche visant à tirer le plus d'informations utiles possible du fonctionnement de l'homme (celui qui compte), c'est celle décrite par Dennett comme étant l'hétérophénoménologie, et à propos de laquelle j'ai à ce jour toujours échoué à saisir la différence avec la phénoménologie tout court. M'enfin, je finirai par lire Merleau-Ponty, peut-être qu'alors je comprendrai...


Toujours rapidement, voici un article à propos de Dennett, une lecture politique de Dennett. Pour me répéter, mais autrement, et de manière simpliste, ce que je signifiais dans ce post, c'est que les connaissances telles que celles fournies par Dennett ou tout autre scientifique véritable ne sont en aucun cas bêtement évitées - bien au contraire ! Ce qu'il faut comprendre de la phénoménologie contemporaine, matérielle, "telles que nous la désirerions" (!), est qu'elle est la seule discipline qui fournit et explique justement ce que n'explique pas la connaissance objective !!! Car, toute opération de l'entendement objectif (qui cherche l'intelligibilité), puisqu'elle détermine ses objets sous conditions aprioriques (transcendantales)(lors de l'observation et de la mesure notamment), par intuition et/ou par formalisme, ce plan-même où se déroulent les opérations transcendantales demeure obscur et inexpliqué. Toutes les philosophies "objectivantes" contiennent un moment inexpliqué qui se déroulerait quelque part, on ne sait trop où... (en fait on le sait : c'est à cause de la séparation corps/esprit...). En revanche, dès qu'on re-tourne l'analyse vers soi, vers le corps-propre, vers le corps vivant, on apprend que c'est parce que nous avons un corps que nous pouvons penser ! Dire que le corps possède des projet moteurs et des résidus sensoriels et kinesthésiques, c'est dire que le corps perçoit d'abord le monde par "attouchement", en le sentant en son sein, et ensuite, que le rhizome (réseau) sensori-moteur qui porte ces projets et ces résidus contient comme une promesse d'une connaissance objective, comme si le corps, puisque portant en lui la structure du tissu du monde (c'est la thèse), permet ensuite de l'exprimer par relevé, par "virtualité". C'est très brièvement dit, mais cette méthode est la seule qui permette - justement - de donner une effectivité à la connaissance objective car elle l'inscrit dans le monde phénoménal. Mais puisque les circonvolutions du corps phénoménal s'activent et s'affectent en-deça d'un quelconque relevé objectif, il y a besoin de fonder une ontologie du corps-propre, de l'ego fondamental. Ensuite, on verra qu'il faut "pousser" encore plus loin en réduisant toute distance qui nous sépare "transcendantalement" des phénomènes qui se manifestent par la conscience - que la démarche de connaissance étudie par le "comment ?" - pour retrouver le fondement du corps dans un strict plan d'immanence, qui se révélerait non pas par contre-point grâce à une cause extérieure, par une distance phénoménologique qui nous en séparerait et qui en ferait un sujet comme objet - mais un corps (un ego ?) qui, "par immanence stricte", se révèle à lui-même, "tout seul", par auto-affection, comme pathos fondamental, comme Soi. Que le sens intime du soi est de s'affecter soi-même, et que la distance est une abstraction (d'où la distinction, par exemple, entre le "vu" et le "voir" ). Et nous verrons qu'en définitive, ce qui s'auto-révèle tout seul, que cette "chose" qui n'est rien d'autre que ce qui s'auto-révèle sans distance phénoménologique par rapport à "un autre chose" (un objet fondé notamment), sans cause extérieure, mais par une cause immanente (dans le monde phénoménal) est justement la Vie, une vie phénoménologique. Le corps-propre est un corps vivant. (N'y a-t-il alors de pensée "concevable" que dans un corps vivant ? C'est ma question...). Mais tout ceci n'est qu'un brouillon jeté et simpliste...

Message cité 4 fois
Message édité par Ache le 22-01-2006 à 01:41:08

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Parcours étrange
n°7478897
Ache
immatriculé-conception
Posté le 21-01-2006 à 20:51:08  profilanswer
 

Ache a écrit :

... Dire que le corps possède des projet moteurs et des résidus sensoriels et kinesthésiques, c'est dire que le corps perçoit d'abord le monde par "attouchement", en le sentant en son sein, et ensuite, que le rhizome (réseau) sensori-moteur qui porte ces projets et ces résidus contient comme une promesse d'une connaissance objective, comme si le corps, puisque portant en lui la structure du tissu du monde (c'est la thèse), permet ensuite de l'exprimer par relevé, par "virtualité". C'est très brièvement dit, mais cette méthode est la seule qui permette - justement - de donner une effectivité à la connaissance objective car elle l'inscrit dans le monde phénoménal...


... Et l'Art consisterait justement en l'expression de l'inscription phénoménale. La travail artistique serait alors comme une "connaissance du corps phénoménal". L'intention artistique serait la saisie et la prise de conscience du tissu phénoménal plié en nous. Il ne serait alors pas étonnant d'apprendre que l'Art est le témoin de passage de l'Homme - le scientifique lui-même en fait l'indice d'Homo Sapiens. Il n'y a pas besoin de phénoménologue pour révéler le sentiment intriqué de l'existence - l'artiste le fait depuis 35000 ans (en gros) ! L'objet d'Art est alors moins un objet qu'une "excroissance corporelle et kinesthésique".  
 
Ouais.
 


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