Profil supprimé | langoisse a écrit :
Tiens Scipion8 , une question !
Pour les dettes irremboursables, bilans des Banques Centrales , Hyperinflation , toussa toussa ...
Vu que l'action semble coordonnée , quand elles auront au bilan toutes les dettes des Etats , penses tu qu'un reset général est possible
Cad la BCE efface les dettes Europe , la FED idem aux USA ...etc Tout le monde ensemble comme ça pas de fuite vers le Dollar ou autre.
Je sais pas si je suis clair , c'est pas mon job
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Question légitime. D'abord d'un point de vue purement théorique, on a le choix entre les scénarios suivants :
Scénario A (le scénario actuel) : la banque centrale accumule toujours plus de titres souverains via du QE ad infinitum. Via les coupons sur ces titres, ses revenus financiers augmentent : elle en reverse l'essentiel à l'Etat en fin d'année sous la forme de dividendes. La dette publique augmente massivement, mais reste soutenable par l'effet conjugué du QE et de taux ultra-bas, voire négatifs. Cela crée de fait une forte contrainte sur la politique monétaire : la banque centrale peut difficilement remonter ses taux ou arrêter le renouvellement de son portefeuille de QE, sous peine de mettre en péril la soutenabilité de la dette publique.
Scénario B : une fois la crise du COVID-19 terminée, on regarde la situation : on voit les flux financiers de l'Etat à la banque centrale (versement de coupons sur le portefeuille de QE) et de la banque centrale vers l'Etat (versement de dividendes sur les revenus du portefeuille de QE). On décide de faire un "netting" entre ces 2 flux, c'est-à-dire d'effacer une partie du portefeuille de QE pour que le flux net entre l'Etat et la banque centrale reste le même. Cela conduit à une baisse massive de la dette publique, et une moindre contrainte pour la banque centrale pour remonter ses taux ou arrêter le renouvellement de son portefeuille de QE si nécessaire.
Scénario C : sans parler d'effacement de dette, la banque centrale et l'Etat se mettent d'accord sur un rééchelonnement de cette dette, avec une baisse des coupons et un rallongement de la maturité. La dette publique (en % du PIB) reste la même, mais sa soutenabilité est bien meilleure grâce à des conditions financières plus favorables et un décalage dans le temps du remboursement du principal. L'UE, pour ses prêts à la Grèce, s'est fait une spécialité de ce type d'opérations. Avec mes collègues on en rigole, on appelle ça une conversion en "dette perpétuelle zéro-coupon" (aka un don).
Le problème, dans la zone euro, est que des opérations du type B ou C seraient illégales, car en violation de l'Article 123 du Traité interdisant le financement monétaire des Etats. La BCE (plus précisément l'Eurosystème) ne peut pas faire volontairement une perte sur des titres souverains de la zone euro, ce serait considéré comme un financement monétaire des Etats.
On peut néanmoins ébaucher différentes solutions :
a) Un mot clef est "volontairement" : si tous les Etats de la zone euro se mettaient d'accord et "forçaient" la BCE à cet effacement ou rééchelonnement de dette, la situation serait différente.
b) L'UE et ses sous-structures comme l'ESM (le Mécanisme de Stabilité Européen) n'ont pas les contraintes qu'a la BCE : imaginons que l'UE ou l'ESM rachètent à la BCE une partie de son portefeuille de QE : à l'instant t il n'y aurait pas de transfert net au profit ou au détriment de tel ou tel Etat, puisque l'UE, l'ESM et la BCE sont toutes les 3 des structures de mutualisation des moyens et de la dette (bon, pour l'UE, modulo les Etats UE hors zone euro). Mais la grande différence est que les scénarios B ou C (effacement ou rééchelonnement de dette), avec l'UE ou l'ESM, deviendraient possibles, alors qu'ils sont actuellement illégaux pour la BCE...
Evidemment, les Allemands seraient vent debout contre une telle mesure, car cet effacement ou rééchelonnement de dette récompenserait les Etats irresponsables (France, Italie, Espagne) et punirait les Etats vertueux (Allemagne). Dans le contexte d'une pandémie de COVID-19 très meurtrière, on pourrait néanmoins essayer de les attendrir. C'est une opportunité : never let a good crisis go to waste.
On pourrait aussi envisager différents schémas d'effacement / rééchelonnement de dette, plus ou moins acceptables pour les Allemands :
- par exemple un effacement proportionnellement identique pour tous les Etats de la zone euro, qui serait "juste" et cohérent avec la composition géographique du portefeuille de QE (qui suit la répartition du capital de la BCE)
- ou alors un effacement au-dessus de 100% (par exemple) de la dette publique, qui serait plus efficace en termes de soutenabilité de la dette mais bcp plus "injuste" du point de vue allemand
- ou des solutions intermédiaires
Une autre solution, beaucoup plus simple, serait de financer les dépenses liées à la lutte contre COVID-19 par des structures de mutualisation de la dette :
- budgets d'intervention de l'UE
- ESM (qui émet des obligations)
- coronabonds
La BCE pourrait alors intégrer les obligations ESM ou les coronabonds à son programme de QE et, qui sait, un jour procéder, sous condition d'un consensus politique, à un effacement ou rééchelonnement de cette dette. Cela serait beaucoup plus "clean", car cela séparerait clairement la "legacy debt" issue des politiques budgétaires irresponsables, depuis des décennies, en Italie, France, etc. de la dette "légitime" émise pour lutter contre le virus.
Bref, il y a des obstacles juridiques et un consensus politique dans la zone euro ne serait pas simple à trouver (mais plus simple si l'épidémie est très meurtrière), mais d'un point de vue technique ce n'est pas difficile d'élaborer des schémas qui fonctionnent.
En revanche, je ne crois pas à l'idée d'un "reset" mondial, car les situations budgétaires, l'importance des programmes de QE et les contraintes juridiques/politiques sont très variables d'un pays à l'autre. La BCE et la Fed communiquent entre elles très régulièrement, mais ce n'est pas à proprement parler une réponse "coordonnée" au COVID-19, car les contraintes sont très différentes. Un QE "all-you-can-eat" comme celui annoncé par la Fed aurait bcp de mal à passer à la BCE, par exemple.
Finalement, il faut noter que le Japon, malgré une dette publique énorme et un degré très élevé de monétisation de cette dette via une période très prolongée de QE, n'a jamais fait de reset. Ils doivent juger que les inconvénients excèdent les bénéfices. Et en général, ils ont raison. (Certes, il sont dans une situation particulière, avec une dette publique essentiellement détenue par les investisseurs nationaux.) |