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Analyse technique, analyse fondamentale, Que choisir =>
Qu'est-ce que l'Analyse Technique ? D'où ça vient ? Comment ça marche ? Pourquoi ça ne marche pas ? Comment peut-on expliquer qu'une aussi invraisemblable collection d'incohérences ai pu devenir l'alpha et l'omega de la pensée boursière ?
Quelque part dans le beau pays de Bourse, le voyageur ne peut manquer de passer par la Fourche du Destin. De ce fatal embranchement partent deux chemins bien différents. L'un d'eux serpente parmi ronces et cailloux, au flanc de collines abruptes et de précipices dangereux, et mène au vert comté, riche d'or, de vin et de femmes, c'est la route de l'Analyse Fondamentale. L'autre route, plus engageante, est bien droite et douce au pied du voyageur, qui sans effort ni méfiance arpente ses pavés lisses et sa pente avenante. Il ne s'aperçoit que trop tard qu'elle mène, hélas, au sombre marigot de Ruyn, que les indigènes nomment le Noir-Cacounet. Telle est la traîtreuse voie de l'Analyse Technique.
Vaste amas de disciplines confuses autant que diverses, l'Analyse Technique n'a d'analyse que le nom, et consiste en un ramassis de jargons obscurs maniés par des sots à l'attention des ânes. Ces différentes méthodes divergent dans leurs résultats, et pire que tout, usant d'une même méthode, un analyste peut prédire d'un titre qu'il va monter tandis que son voisin sera tout aussi catégorique sur le fait qu'il va descendre.
Soyons plus précis, et quelle est la différence entre les deux méthodes d'analyse ? L'Analyse Fondamentale n'est autre que la façon naturelle de faire de la bourse, celle qu'un candide adopterait spontanément, à son plus grand profit. Il s'agit de considérer l'entreprise auquel le titre se rattache, l'évolution de ses recettes, ses dépenses, ses dettes, les perspectives de son marché, la qualité de ses dirigeants et de ses employés, son avance technologique, la solvabilité de ses clients, la fiabilité de ses fournisseurs, l'intérêt des divers actionnaires et créanciers de l'affaire, etc... Ainsi avisé, le spéculateur peut à loisir juger de la valeur de l'entreprise et, voyant par ailleurs le cours de bourse, déterminer si sa valorisation par le marché reflète ses qualités. Qu'y a-t-il de plus normal que cela ? Peut-on imaginer qu'une autre façon d'aborder la bourse puisse exister ?
Eh bien, il y en a une, qui est l'analyse technique. Celui qui s'y livre se fait appeler " chartiste ", et ce n'est pas là un titre de gloire, croyez m'en. Le chartiste n'a aucune considération pour ce que le titre représente. Il n'a que faire des bilans, des données économiques, des taux d'intérêts ni des grands flux qui agitent l'océan des richesses humaines. Le chartiste ne considère qu'une chose et une seule : le graphe (c'est pourquoi l'AT est aussi appelée Analyse Graphique). D'après la théorie, la simple lecture d'un graphe boursier, n'importe lequel, permet de prédire le comportement futur d'un titre ou d'un indice. Il suffirait donc de savoir lire le graphe pour amasser les profits. N'est-ce pas merveilleux ?
Trouvez sur une plage des Caraïbes un vieux rentier allongé sur un transat, un cocktail à la main, aux côtés d'une beauté vénale des îles, un de ceux qui ont fait fortune à la bourse. Immanquablement, c'est en épluchant les bilans et en discutant avec des patrons qu'il a prospéré, et non en s'usant les yeux sur d'obscurs gribouillis pour en tirer des thèmes astraux. Voilà l'exemple d'un honnête homme qui à justement gagné, laissons-le donc à ses cocotiers.
Le fondement théorique de l'Analyse Technique, car il y en a un, réside dans la psychologie du marché. La masse des investisseurs, prise dans sa globalité, serait semblable à une créature réagissant toujours de la même manière aux mêmes stimuli. Ainsi, l'étude des stimuli passés, et la manière dont l'animal-marché a répondu, permettrait de faire de justes prévisions.
Cette conception est fausse pour plusieurs raisons. En premier lieu, on présuppose que la composition sociologique du marché est la même partout, à toutes les époques, sur tous les titres. Un peu de bon sens permet d'estimer que c'est faux. Ainsi, le marché des obligations est essentiellement fréquenté par des professionnels, les particuliers n'étant qu'une infime minorité à le comprendre. En revanche, le marché des warrants est exclusivement réservé aux particuliers, les professionnels l'évitant pour la peste (car ils savent que c'est un attrape-gogos, mais c'est un autre débat). Au sein du marché des actions, point n'est besoin de sortir de l'ENA pour comprendre que la clientèle s'agitant autour de France Telecom n'est pas la même que celle d'Air Liquide, qui n'a rien à voir avec celle d'Eurotunnel, qui n'est pas celle de Genset. Pourquoi des masses composées d'individus différents (dont beaucoup ne sont d'ailleurs pas des individus, mais des fonds d'investissemetents), devraient-ils se comporter à l'identique ? Il faut être un ignorant pour prétendre que le marché des devises est équivalent à celui des matières premières agricoles ou des options sur actions. Et que dire du problème de la liquidité ? Tandis qu'on négocie sans problème des dizaines de millions de titres Alcatel dans la journée, on dépasse rarement les cinq-cent actions échangées sur Aviation Latécoère. Si des règles quelconques régissent la première, quel être sensé imaginera qu'elles régissent pareillement la deuxième ?
Mais au fait, quelles sont donc ces règles qui me semblent si peu fiables ? Chaussons donc nos scaphandres et nos ceintures plombées, il est temps de plonger parmi les troubles vases et les collantes sargasses du royaume d'Absurdie.
Les niais chartistes parlent fréquemment des gaps. Qu'est-ce que c'est que ces objets là ? Il s'agit, en bon français, de plages de cours non traitées. Par exemple, si le cours d'une action monte pour finir un soir, au plus haut, à 10 euros, puis le lendemain on ouvre à 10,30 pour repartir de plus belle à la hausse, on dit qu'il y a un gap entre 10 et 10,30 euros.
Admettons, personne ne le contestera. Un être normalement constitué observera cette bizarrerie d'un oeil bovin, se félicitant de la bonne santé de ce titre, a fortiori s'il est actionnaire. Mais pour un chartiste, attention ! Un gap doit TOUJOURS être comblé. Dans le cas qui nous intéresse, le fakir de pacotille prédira avec un superbe aplomb que le cours de l'action reviendra tôt ou tard balayer la zone. Donc, nécessairement, le cours va baisser. Pourquoi ? Parce qu'il y a un gap. Et alors ?
Et puis, il y a les moyennes mobiles. Que sont-ce ? Considérons un graphe boursier. Les cours étant erratiques comme je l'ai signalé plus haut, on peut légitimement se demander si, à un instant donné, l'action est au-dessus ou au-dessous de son cours moyen. Seulement voilà, qui dit cours moyen dit calcul de moyenne sur plusieurs jours consécutifs. Combien de jours ? Bon, allez, disons 50. On obtient un certain chiffre, et on déduit que notre action est plus ou moins valorisée que d'habitude. Poursuivons notre étude, comment évolue-t-elle, cette moyenne à cinquante jours ? C'est que si on l'avait calculée hier, on aurait obtenu une valeur un peu différente, et la veille, encore différente, etc... Ainsi, on trace une courbe, que l'on appelle moyenne mobile à cinquante jours (cinquante jours où la bourse était ouverte, s'entend), ou plus simplement, MM50. Cette courbe donne un aperçu lissé de l'évolution du cours décalé d'environ 25 jours dans le passé. De la MM50, le chartiste ne tire rien en soi, ce qu'il guette, ce sont les croisements. Eh oui, car selon que le cours croise sa MM50, c'est un signe encourageant à l'achat ou à la vente. Pourquoi ? Là encore, mystère. Il semble que dans leurs esprits simples, ces signes aident à identifier une tendance. Et puis, pourquoi cinquante ? Certes, il y a aussi des zozos pour suivre la MM10, la MM20, la MM100, voire la MM200. Mais pourquoi pas la MM163, la MM82, la MM16, la MM40 ? Quelle compulsion les pousse à juger pertinentes les moyennes qui tombent rond et pas les autres ? Mais tenez vous bien, le plus risible dans cette affaire, c'est que le signal perçu n'est pas celui qu'on croit. En effet, selon la légende en vigueur, c'est quand le cours passe SOUS la moyenne mobile qu'il faut vendre, et quand il passe AU-DESSUS qu'il convient d'acheter. Oui, vous avez bien lu, je ne me suis pas trompé de sens ! Cette étonnante religion commande aux croyants d'acheter plus cher que la moyenne et de vendre moins cher. Faut-il donc être ballot pour se comporter de la sorte... N'importe quel débile moyen, pour peu qu'il ai l'usage de la parole et qu'il saisisse la notion d'argent, comprend sans qu'on ai besoin de le lui expliquer que pour prospérer dans un commerce quelconque, la bonne attitude consiste à acheter bas pour vendre haut. Eh bien, croyez-le ou non, mais les suiveurs de moyennes mobiles sont persuadés du contraire, et resteront indécrottablement rétifs à tout argument inverse ! Pas du tout, ces pauvres égarés constituent, d'après mon expérience personnelle, la majorité des boursicoteurs. Nous marchons sur la tête.
A mettre dans le même sac, les mystérieuses bandes de Bollinger (dites bol sup et bol inf), qui semblent être une version plus compliquée (donc sensément plus efficaces) de la moyenne mobile, et qui fonctionnent (si l'on considère que le but est de se ruiner à poursuivre des chimères, on peut dire qu'elles fonctionnent) d'une manière un peu différente : c'est en observant le resserrement desdites bandes que l'on peut prédire une prochaine inversion de tendance. Il paraît que ça a un rapport avec la variance statistique des cours...
Alors bien sûr, on vous montrera des piles d'exemples frappants où l'AT, ça marche, et avec une étonnante précision. Mais c'est a posteriori. C'est que, comme je viens de le souligner, des méthodes d'Analyse Technique, il y en a des tas. Observez une évolution quelconque dans un cours, vous trouverez sans peine, avec un peu d'habitude, de nombreux signes qui l'annonçaient, tout simplement parce que ces méthodes ont la manie de se contredire, et que c'est bien le diiable si on n'en trouve pas une pour tomber dans le vrai. Quand Météo France annonce qu'il va faire beau à moins qu'il ne fasse mauvais, il n'y a pas à s'extasier devant le fait que le lendemain, la prévision s'avère juste. Le problème, c'est que cette information n'est d'aucune utilité pratique pour choisir de prendre ou non un parapluie.
Alors, que conclure de ce bref, mais déjà trop long, voyage au pays des fous ?
En premier lieu que si tant d'idiots du village s'y ébattent et y lâchent leur argent à pleines poignées, il serait dommage de ne pas profiter de l'aubaine pour en ramasser quelques miettes. Ensuite, il faut se pénétrer de l'idée qu'aucune méthode ne permet de prédire l'évolution des cours de la bourse. Il n'y en a pas. Il n'y en a jamais eu. Et on peut raisonnablement supposer qu'il n'y en aura jamais, car plus ça va, plus la bourse devient une chose compliquée, ce qui la rend d'autant plus imprévisible. Je conçois, pour avoir été moi-même tenté par le même penchant, qu'on puisse vouloir lire dans les courbes ce que l'avenir nous réserve. C'est humain. Oubliez logarithmes et intégrales, équations différentielles et tangentes biscornues, quelques règles simples et de bon sens suffisent à profiter de la croisière là où d'autres éventrent leurs PEA sur les cruels écueils du mensonge et de la déraison.
Diversifier ses placements. Garder à l'esprit que le but du jeu est d'acheter bon marché et de vendre cher. Investir avec son argent, sans chercher à emprunter. Patienter quand c'est nécessaire, se presser quand il le faut. Lire parfois la presse financière. Faire le contraire de ce qu'elle préconise.
Et toujours garder à portée de main une lourde batte de base-ball, afin d'accueillir dignement les chartistes de passage qui frapperaient à votre porte.
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