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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
15.4 %
 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
 144 votes
10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°10423078
alcyon36
Posté le 19-01-2007 à 21:27:03  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
bcp trop d'aigruer ds ce dernier post....lol

mood
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Posté le 19-01-2007 à 21:27:03  profilanswer
 

n°10425445
Profil sup​primé
Posté le 20-01-2007 à 05:47:29  answer
 

Magicpanda a écrit :

sociologie c'est le meilleur voyons :p


Terme plus pompeux mais aussi plus court pour désigner la caféducommerçologie. :/
 
ah merde c'est saturday

n°10425469
Magicpanda
Pushing the envelope
Posté le 20-01-2007 à 07:00:51  profilanswer
 

alcyon36 a écrit :

un savant melange entre durkheim, xeber, elias et autres bourdieu...la plupart des cours dintro à la socio ou à lepistemo des sciences sociales repetent la meme rengaine.
honnetement, pour avoir un peu pratiqué la matiere, on s'essouffle vite...pas envi de faire mon leo strauss, mais c vrai k'à choisir je prefere la lecture des choses politiques d'aritstote que n'importe quel etude de socio politique;)
au passage profitons en pour relire un peu leo strauss..."l'homme et la cite" est plutot pas mal


 
 
si on ne confronte jamais les idées au réel, on reste dans le salon bourgeois ;)


---------------
" Quel est le but du capital ? Le but du capital c'est produire pour le capital. L'objectif, lui, est illimité. L'objectif du capital c'est produire pour produire." - Deleuze || André Gorz - Vers la société libérée
n°10425928
alcyon36
Posté le 20-01-2007 à 11:32:29  profilanswer
 

ha...confronter les idées au "reel"...ca faisait longtps;)
perso, pource que j'ai retiré de ma formation de "politiste", l'interet de la socio, c vraiment de mettre en place sa propre enquete, et c'est vrai que les etudes et recherches de terrains m'ont ete plus que formateur.
de là à parler de reel, ou de confrontation au reel...rire

n°10425956
neojousous
Posté le 20-01-2007 à 11:37:52  profilanswer
 

Quelqu'un serait motivé à faire de la philosophie de la drogue ? Approche phénomènologique pour les habitués par exemple. Ou sociologique.
 
"Bad boys, bad boys whatcha gonna do whatcha gonna do ?
When they come for you ?"

n°10426042
rahsaan
Posté le 20-01-2007 à 12:02:57  profilanswer
 

Les études d'ethnologies sur la drogue existent. Notamment pour mettre en doute l'idée que telle drogue provoque tel effet. Des approches sociologiques tendent à prouver que l'effet des drogues dépend grandement du contexte dans lequel elles sont consommées : en privé, en groupe ? lors d'une cérémonie "religieuse" ?... etc.

n°10426210
rahsaan
Posté le 20-01-2007 à 12:37:35  profilanswer
 

Bon, tiens, à titre de petit défi personnel, je vais essayer de m'attaquer au sujet : "Peut-on vouloir le mal ?", sujet sur lequel je n'ai, a priori, rien à dire. :D Ce sera juste un essai, au meilleur sens du terme : celui de Montaigne. S'essayer sur un sujet.  
 
Peut-on vouloir le mal ?
 
Remarquons que si la question était : "peut-on faire du mal ?", il n'y aurait aucun problème. C'est en effet évident que des gens font du mal à d'autres.  
Volontairement et involontairement, selon les cas.  
Mais la question n'est pas non plus : "peut-on vouloir du mal ?", car là encore, il est évident que oui. Il y a des gens qui veulent nuire à d'autres, qui veulent leur causer du tort. Par exemple, par vengeance ou bien dans un système de concurrence, où l'on gagne si l'autre perd.  
Alors, ici se pose une question, qui va nous faire approcher du sujet : si quelqu'un veut du mal à autrui, par vengeance, veut-il le mal pour le mal ? Non, il veut se venger. Il veut réparer le tort qu'il a subi.  
 
Si un patron veut couler son concurrent, est-ce pour le plaisir de nuire aux employés de l'entreprise rivale sur le même marché ? Non, c'est au contraire pour faire prospérer son affaire. Seulement, il ne peut y avoir qu'un seul gagnant. Mais chaque patron veut moins la ruine de l'autre que sa propre prospérité.  
 
Donc on ne veut pas, semble t-il, le mal pour le mal, mais, quand c'est nécessaire, le mal pour un bien. Autrement dit : si je dois causer du mal, c'est que j'estime en retirer un bien. Et même à la limite : si je cause du mal, c'est que j'estime encore que c'est bien.  
Nul ne fait le mal pour le mal, mais le mal pour le bien. Si l'on pouvait toujours éviter de faire le mal, tant mieux. Mais parfois, vouloir un bien implique de faire du mal.  
 
Admettons, provisoirement, que quelqu'un qui veut consciemment du mal à quelqu'un le fasse toujours en vue d'un bien. Même si j'en viens à tuer, c'est que j'estime que c'est un bien : je me fais justice contre un assassin, contre quelqu'un qui en veut à ma vie. Donc je ne voulais pas tuer pour tuer, mais tuer le méchant ou tuer pour rester en vie (et on peut estimer que la plupart des gens estiment que vivre est bien, sans quoi les taux de suicides à l'échelle mondiale seraient bien plus élevés).  
 
Mais le sujet n'est pas : "Peut-on vouloir du mal ?" mais "Peut-on vouloir le mal ?", ce qui est très différent. Puisque là, on se demande s'il peut exister une volonté véritablement diabolique qui voudrait le mal pour le mal. Pas simplement du mal à tout le monde, mais le mal pour le mal, sans raison.  
Haïr pour haïr, blesser pour blesser, tuer pour tuer.  
Autrement dit : peut-on vouloir le mal sans que ce soit en vue du bien ? Peut-on en venir à vouloir, consciemment, librement, le mal en tant que tel ?  
 
Ici apparaît le noeud du problème :  
On pourrait en effet presque définir le mal comme "ce que personne, à aucune condition, ne peut vouloir en tant que tel".  
Un mal qui serait, sous certaines conditions, même insensées ou rarissimes, désirable... ne serait plus le mal mais un mal relatif, un mal capable de faire le bien à d'autres points de vue.  
Donc vouloir le mal pourrait se traduire par : vouloir ce que personne ne peut vouloir à aucune condition.  
Autrement dit encore : vouloir ce qu'on ne peut vouloir. Vouloir un objet que personne ne peut vouloir. Vouloir ne pas vouloir.  
C'est pourquoi je parlais de volonté diabolique : le diable est, étymologiquement, celui qui divise ("diabolos" s'oppose à "symbolos", ce qui réunit). Donc une volonté diabolique est une volonté divisée en elle-même, qui veut, à parler strictement, l'impossible. Une volonté qui veut ce qui ne se veut pas, à aucun prix, le mal. Une volonté purement négative, une volonté qui toujours nie.  
 
On répondra que certaines personnes ont fait le mal et semblent l'avoir voulu. Mais il faut s'entendre sur le terme de "vouloir" : qu'elle l'aient fait, oui. Mais l'ont-elles voulu, consciemment, librement, délibérement ? Elles ont pu être trompées, victimes de leurs passions, d'une erreur monumentale de jugement, victimes de leur haine, de leur bêtise... Mais dans ce cas, au sens fort du terme, elles n'ont pas voulu le mal. Elles ont voulu ce qu'elles estimaient être bien en fonction de ce qu'elles étaient capables de juger.  
Mais elles n'ont pas aperçu le mal en tant que tel avant de le vouloir. Sans quoi elles auraient décidé que ce mal était bon à vouloir, donc que ce mal, par certains côtés, était un bien. Donc elles ont voulu un bien et pas le mal lui-même.  
Donc on ne veut jamais que le bien, ou disons le bien estimé le plus grand possible par rapport à une situation donnée, et cette volonté du bien peut entraîner de grands maux, mais jamais on ne veut le mal pour le mal. Un antisémite estime que tuer tous les Juifs est une bonne chose, un bourreau qu'il est bon que sa victime souffre...  
Mais dans ce cas, n'y a t-il pas quelque chose de diabolique dans la volonté, ou plutôt quelque chose de diabolique qui s'impose à la volonté : c'est qu'elle peut faire le mal quand bien même elle voulait le bien ? La volonté se méprenant sur elle-même, la volonté se trompant elle-même, et se représentant le bien pour mieux faire le mal ?...  
 
Suite à mon retour. :D
En attendant, si vous voulez poursuivre, reprendre, critiquer... :D


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10426724
alcyon36
Posté le 20-01-2007 à 14:12:25  profilanswer
 

pr la socio, il existe l'étude de Becker, devenu classique, sur la carrière des fumeurs de marijuana, dans "outsider" il me semble.

n°10427578
neojousous
Posté le 20-01-2007 à 16:17:21  profilanswer
 

Merci alcyon36, je vais voir si je peux trouver ça 1 de ces 4.
Rahsaan :
A propos de la volonté diabolique, dans le sens courant de vouloir le mal pour vouloir le mal je n'y crois pas. Mais dans le sens de vouloir le mal pour le mal, il me semble que c'est possible, justement dans le cas d'une volonté divisé. Je pense au pathologique, à celui qui souffre à tel point que la souffrance surpasse sa rationnalité, qui veut faire le mal pour le mal, sans savoir pourquoi. Il ne se rend pas compte qu'en voulant faire le mal pour le mal, il détourne sa douleur sur d'autres objets. Il veut le mal pour le mal, mais cette volonté n'est pas choisie, elle est l'inéluctable conséquence de son propre mal interne, d'une souffrance qui doit rayonner sur autrui, sous peine d'écraser son existence même.
Pour reprendre Aristote, le méchant c'est celui qui n'est pas en amitié avec lui-même (Ethique à Nicomaque, livre 9, j'ai été grandement impressionné par les propos d'Aristote, qui avec des mots simples, dit des choses impressionantes).
 
C'est l'une des idées que j'ai défendu à mon oral. Mon prof m'a fait remarquer que j'avais tendance à justifier les actions mauvaises. Et pour moi tout le problème est là : celui de la responsabilité. Le "méchant" est-il un salopard ou une victime ? Peut-être les deux...


Message édité par neojousous le 20-01-2007 à 16:27:05
n°10427674
neojousous
Posté le 20-01-2007 à 16:33:20  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Les études d'ethnologies sur la drogue existent. Notamment pour mettre en doute l'idée que telle drogue provoque tel effet. Des approches sociologiques tendent à prouver que l'effet des drogues dépend grandement du contexte dans lequel elles sont consommées : en privé, en groupe ? lors d'une cérémonie "religieuse" ?... etc.


 
Je préférerais quelque chose de plus "sentimental", "poétique", voir "mystique" (mais là j'ai peur de tomber sur tout un tas d'huluberlu qui vont sortir leurs théories ésotériques).
Personnellement la consommation de certaines drogues m'a permis d'avoir des pensées philosophiques que je n'aurai pas eu autrement. Je me rappelle d'une fois, à une soirée, ou je suis resté penser à toute vitesse sur le point de vue. J'arrivais à imaginer ce que chaque personne voyait, et je comparais le monde vu par chaque personne à une pièce de théâtre. Je me demandais, où se trouvait la réunion des gens, vu que chaque personne suivait une pièce de théâtre différente. Dans une sorte de lien inexprimable, présent en chacun de nous, une capacité naturelle à se connecter.

mood
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Posté le 20-01-2007 à 16:33:20  profilanswer
 

n°10432718
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 01:33:03  profilanswer
 

L'intersubjectivité, dirait Husserl. L'être-avec, dirait Heidegger, l'um-welt, le monde-ambiant. ;)

n°10432843
Profil sup​primé
Posté le 21-01-2007 à 01:51:47  answer
 

Lire " Histoire de la sexualité, tome 1 : La Volonté de savoir " est ce difficile pour un néophyte en philosophie ?

n°10434095
l'Antichri​st
Posté le 21-01-2007 à 10:21:09  profilanswer
 

Avant que je finisse par oublier complètement, voici une partie de la suite de ma réponse sur le problème de la quête du lieu original / originaire que l’on nomme « nature »... ou « dieu ».
 
Tout philosophe adresse au monde un questionnement logique, puisque son entreprise n’a d’autre but que de trouver du sens à ce qui, de prime abord, n’en a pas. C’est là l’attitude philosophique par excellence : aposté face à ce qui ne se donne pas à penser, le philosophe s’étonne : pourquoi de l’existence partout, à l’infini, de trop... ? C’est le propre de la conscience humaine que de susciter un processus de dépassement de la nature, que ce soit au nom même de celle-ci ou d’une autre, plus « artificieuse »... Dans cette interrogation d’une partie du réel sur le réel dans sa totalité, la conscience apparaît d’emblée comme un élément ambigu et paradoxal : elle s’offre à la fois comme signe tangible de notre appartenance au monde et aptitude symbolique à nous en abstraire, à nous en libérer par la culture. Celle-ci est notre mode d’être au monde. Elle constitue « un autre soleil », nous dit Héraclite. Elle est la reconnaissance de notre transcendance... Ainsi, le langage philosophique, comme tout langage, supprime le réel tout en le conservant : pour le philosophe de la phusis, la nature est une réalité seconde, idéelle et par là presque indicible. Elle est à la fois immédiate et insaisissable, parce que toujours déjà là. Force autonome, toujours silencieuse (car le sens est, par nature, silence et contestation de la parole), invisible et impensable (irreprésentable) dans son accomplissement, les caractères de la nature sont faits pour décevoir l’analyse philosophique. La nature est la figure assomptive de la vie : cette dimension symbolique s’entend précisément d’un rapport épiphanique (du grec : « epiphaneia », apparition) au sensible, au perçu, au pensé, au vécu. Au plein sens du mot, cela signifie la perpétuelle absence-présence du Vrai, de l’Idée incarnée dans les choses (Platon). Ainsi, la « Sinnbild » de la nature (littéralement : son « image-sens »), c’est la mise en apposition – dans le discours – du réel, son iconographie conceptuelle en quelque sorte. A sa façon, le symbole sanctifie le règne du « n’importe quoi », propre au réel informe, et le porte à dire l’essentiel ; « Sumbôlon » est donc cette quête infinie du Sens par l’indéfinie duplication des sens. Prenant ses distances avec les objets qui forment notre univers, la nature s’affirme d’emblée comme une Idée-vague, donc invulnérable. Et ce, dans toute l’acceptation du mot. D’un côté, parce qu’elle signifie un cadre référentiel où toute connaissance est appréhension d’un monde plein et foisonnant, mais limité au champ de l’expérience in medias res ; d’un autre côté, parce qu’elle indique aux hommes – par-delà leurs diversités contingentes – un absolu normatif, irradiant foyer où s’inscrit la racine des choses, ce qui fait que les choses sont. Ainsi, « nous sommes conservateurs et architectes de ce monde, continuellement ». Idée-vague, autrement dit : à la fois indéfinie et inévitable parure de l’Etre, la « nature » déferle sans cesse en nous, autour de nous et recouvre, par la magie de son concept, la mécanique vide de nos existences. Sans elle (car elle est : femme idéale ou déesse cachée, incarnation de la Vérité), la vie est sans style, rien qu'un mouvement qui court après sa forme sans la trouver. Avec elle, je n'existe plus nulle part, je suis enfin !
 
Bref, la nature s’offre, évidente et claire, au ciel de nos idées, mais, vivant paradoxe du réel, tantôt c’est un fabuleux trompe-l’œil esthétique, tantôt c’est une matière incompréhensible et inexplicable, dont l’insolite existence s’affirme poétiquement, en pulvérisant l’être-là de toute chose. On n’échappe donc pas à la nature, bien que personne ne puisse sans doute jamais savoir en quoi elle consiste absolument. Présente partout mais visible nulle part, elle n’« est » (et ne naît) qu’en qualité d’objet fantasmatique, comme une sorte de possible narratif émanant de notre personne métaphysique et / ou de notre intelligence métaphorique. Elle est une forme d’adaptation du réel par le langage, au-delà de toute présence (trop) manifeste. Ce langage de la nature traduit la nécessité intrinsèque pour l’homme de toujours se référer à une « illusion fondamentale » pour rendre les choses réelles plus intelligibles. Ce qui revient à rendre compte (conte ?) du réel tout en légitimant la présence en soi du surnaturel. Par un univers de fictions verbales, je règle logiquement (démarche conduite selon l’ordre des raisons, au nom d’un « logos » essentiel) mon appartenance au monde. D’où les preuves de l’existence de Dieu... Grâce à mon discours qui dit le double aspect des choses, je construis mon défi au réel, en une sorte de recul « néantisant ». Le concept émerge, comme une suspension (« Epochê ») métaphorique d’un « tas de choses ». Furieux paradoxe que cette magie du verbe : là où je pense, je ne suis pas !
 
Ainsi, ce n’est pas le sentiment de « perte » ou de « nostalgie », comme le « fantasme » d’un « âge d’or », qui anime d’abord la conscience humaine, mais tout au contraire le sentiment de l’absurde, du non-sens de notre condition. Face à cet état de non-sens, au manque de cohérence du réel, au sentiment de violence absurde qui en émane, ma conscience se révolte et affirme sa liberté. L’homme est un être « condamné au sens » et sa raison est, par elle-même, « une législation de la nature » (Kant) : en nous, le démon de la connaissance s’efforce de dévoiler de l’intention partout, au-delà, c’est-à-dire au nom de Dieu (Platon, Descartes, Kant, Rousseau...), comme en-deçà, c’est-à-dire au nom du hasard (Lucrèce, Nietzsche, Marx...), de la conscience. Face à la mise en perspective surréaliste du réel, la conscience philosophique se doit, en effet, de ne pas « perdre la raison » mais bien d’aimer tout ce que la raison nous fait perdre ! Alors l’esprit humain devient quête d’une authenticité primitive, recherche de la région originale-originaire de la réalité. L’ensemble des activités humaines nous révèle le statut éminemment ontologique de la « nature », où « la même chose se donne à penser et à être » (Parménide). Ces activités dévoilent ce qu’il nous faut bien appeler le Corps propre de la nature, saisi d’un coup dans son « inquiétante étrangeté ». Ce sont des expériences métaphysiques fondamentale, où se révèlent le Même (l’artifice est le propre de l’homme : chez Aristote, l’artifice participe de la technique, de par la possibilité / capacité que l’homme a à « dompter, dominer et façonner les forces de la nature » : il manifeste à la fois la liberté – relative – de l’homme, puisqu’il est fait pour rien, pour aucune production ou reproduction, et la réification de l’esprit humain, seul capable d’un véritable travail – travail spirituel abstrait selon Hegel) et l’Autre (l’artifice est inscrit en lui comme une disposition naturelle : chez Platon, il relève « naturellement » des apparences du sensible et plus particulièrement de la notion de mimesis – imitation – qui se trouve tout au long des Dialogues de la deuxième période de Platon, et chez Aristote, il fait partie de la technê, cette technique qui « ou bien imite la phusis ou bien effectue ce que la nature est dans l’impossibilité d’accomplir ») du sujet. Grâce à cette nature-miroir qui, l’espace d’un instant, efface le clivage pathétique de l’existence humaine et de l’Etre, l’homme devient ce qu’il est. Ainsi, la nature est d’emblée un au-delà du réel. En quelque sorte, c’est un entre-deux magique : à égale distance des hasards de la matière et des artifices de l’activité humaine. Loi divine – véritable « ombre de Dieu », selon Nietzsche – la Nature est, bien plus qu’elle n’existe, puisque exister, c’est être pris avec d’autres choses dans le tissu de l’expérience. Or, la nature transcendant toute interprétation ou les surdéterminant toutes, ce qui revient à ne jamais s’y résoudre, elle provoque et attise le perpétuel défi de la connaissance humaine au monde. Seule une sorte d’autodépassement de l’homme vers une « raison ardente » (à l’instar du philosophe-poète, ou de l’homme de science-artiste, tous spectateurs actifs du cours des choses) lui permet d’entrer en symbiose avec elle, bref de la connaître. On voit bien par là combien la notion de nature est inséparable de la croyance en un homme qui, bien que situé dans le monde, n’est pas du monde. Condition sine qua non qui fait - c’est là tout l’héritage Biblique et de bien d’autres textes sacrés - que la « nature » (celle de l’homme comme celle des « choses ») est ordonnée à la grâce. Grâce sanctifiante, qui anime la création entière, et témoigne de la présence de Dieu (ou de l’Etre) dans l’âme, au-delà du sensible et du rationnel. De là vient cette urgence de la Foi (Descartes, Kant, Rousseau) ou de la Contingence pure (Lucrèce, Nietzsche, Marx) : expressions, voire revendications, toutes aussi exigeantes, d’un manque à être d’une sainte législation de la vie (puisque nier Dieu n’équivaut certes pas à en expulser l’idée). Ainsi, personne ne peut « penser en-dehors du fantasme de la nature… » et poser une question du genre : « Cependant, qu'a t-on gagné à ce changement ? Demeure toujours l'idée du manque, de la perte à combler…» n’a aucun sens ou plutôt témoigne justement d’un manque de sens... La nature est d’emblée un événement (et un avènement) éternitaire.
 
Avec la nature, pour une fois, l’acte de la pensée et son objet se confondent : enfin, je pense quelque chose. Je m’explique de par le monde. L’homme, à l’image de Dieu, étant un mystère, la nature représente d’abord, pour lui, un essai de résolution de la question anthropologique. Elle lui permet de voir un peu plus clair dans son âme ; parce qu’elle est une sorte d’intercesseur métaphorique entre Dieu et ses désirs, bref un lien providentiel où se joue l’âme des êtres et la mesure de leur existence. Grâce à la nature, synthèse constituée par l’homme comme le mode clef d’élucidation du réel, « ce qui est visible ouvre nos regards sur l’invisible ». Et le monde est « un livre immense, écrit de la main de Dieu, où chaque être est un mot plein de sens ». Dans cette perspective proprement ontologique, l’homme incarne le prêtre de la création, chargé de décrypter, déchiffrer l’algèbre du réel. C’est ce que fait Lucrèce avec sa théorie de l’imagination, à la fois perception et pensée : le fantastique et les mythes jouent un rôle dans la connaissance de l’objet. De quels corps réels peuvent bien être issus ces simulacres subtils qui ne frappent pas nos sens, mais atteignent directement l’âme de l’âme ? Il s’agit de simulacres de l’imaginaire, analogues mais non identiques aux simulacres de l’imagination, dont le mode de production est analogue à la genèse des formes vivantes, et plus précisément des formes monstrueuses. La comparaison avec l’alphabet (cf. De Natura rerum, I) permet d’établir une analogie entre la perspective du naturalisme aléatoire (hasard de la formation des espèces, hasard de la formation du centaure) et la structure de la combinatoire lucrétienne : les atomes sont des lettres ; il faut des combinaisons acceptables. Ces combinaisons participent d’un « code », d’un concilium, adopté comme un pacte par les « foedera naturae ». Le fond de ces combinaisons, c’est la contingence, c’est la tuché (hasard, chance) de la spontanéité du mouvement déviant. A cela s’ajoute l’avènement de l’accident, des causes non liées (automaton), des rencontres fortuites. D’où sans cesse chez Lucrèce l’absence de finalité et la critique du providentialisme. En somme, nous atteignons ici à la dignité de l’esprit humain, qui sera plus tard revendiquée par Descartes, lorsqu’il nous rend « comme maîtres et possesseurs de la nature ».
 
A l’attention de neojousous, ardent défenseur de la scientificité, nous pouvons une fois encore nous ouvrir à une généalogie de la raison moderne en montrant l’héritage de Lucrèce dans les modèles indéterministes qui aujourd’hui sont plus que jamais confirmés. Le paradoxe dit d’Einstein, Podolsky et Rosen en est une preuve (voir l’article de B. d’Espagnat, Statut logique du paradoxe et celui d’O. Costa de Beauregard, Le Paradoxe d’Einstein..., dans Einstein 1879-1955, éd. du C.N.R.S., 1980) : véritable « télégraphie instantanée de l’information ». Partant des inégalités de Bell qui permettent de localiser les objets à l’échelle microscopique on constate que ces inégalités sont violées quelle que soit la distance entre les objets qui, aussi éloignés soient-ils, ne sont cependant pas « séparés » donc il y a non-séparabilité. A ce propos, rappelons dans la foulée les dernières positions de la recherche de Bernard d’Espagnat (A la recherche du réel) : « L’expérience vient de confirmer le principe de non-séparabilité ; par non-séparable, il faut entendre que si l’on veut concevoir à cette réalité des parties localisables dans l’espace, alors si telles de ces parties ont interagi selon certains modes définis en un temps où elles étaient proches, elles continuent d’interagir quel que soit leur mutuel éloignement, et cela par le moyen d’influences séparées. » L’imagerie spatiale est toujours trompeuse, seule la mathématique qui sous-tend les descriptions des particules leur confère une valeur. Les règles mises en jeu faisant correspondre les entités mathématiques au monde physique observé ne sont cependant que des principes, et tiennent compte de l’intervention de l’observateur et du principe d’indiscernabilité. La mesure ne reflète pas l’état d’une chose en soi, elle n’est que la connaissance d’une réalité qui subit aussi l’influence d’autres réalités. Avec les découvertes de Prigogine s’effondre aussi la vision mécaniste de la physique classique : la « matière » est douée de spontanéité. On a abusivement généralisé le second principe de Carnot, inapplicable quand il s’agit de « systèmes ouverts ». Il existe des seuils où les fluctuations inévitables d’un état autour d’un point d’équilibre cessent d’être minimes, car les mouvements des éléments ne se compensent plus selon la loi des grands nombres. Bifurcation est le point à partir duquel un nouvel état de la « matière » devient possible. Un concept nouveau intervient, à savoir le concept de virtualité : dans un milieu donné, existent des possibilités non démontrables, du moins ignorée. Comme Aristote, Prigogine pense qu’il y a prédominance du tout sur la partie. Dans les interprétations contemporaines de l’organisation biologique, le dualisme mutation-sélection, en fait, cache notre ignorance du rapport entre le texte génétique et l’organisation vivante. Attribuer à des molécules le pouvoir de contrôler, d’informer, de « réguler », c’est faire passer la position du problème pour sa solution, et cela au moyen d’une métaphore anthropocentrique ou technocentrique. Cette influence du tout sur les parties est éclairée par l’existence des structures dissipatives mises en évidence par Prigogine. Des interactions non linéaires (causales) doivent être pensées aussi bien dans le domaine physique qu’en biologie et en sociologie. Des modes d’évolution particuliers sont encore possibles : effets, encore insoupçonnés, du type « boule de neige » ou « propagation épidémique », « différenciation par amplification de petites différences ». Le paramètre de bifurcation peut être reconnu soit, par exemple, dans la taille ou la densité du système. Alors la question se pose : « comment une croissance purement quantitative peut-elle ouvrir la possibilité de choix qualitativement nouveaux »? La notion aristotélicienne de virtuel, que l’on reconnaît dans la notion de « champ ouvert » telle que Scheurer l’expose dans Révolutions de la science et permanence du réel, ne peut être comprise qu’à partir de l’expérience du langage : et Scheurer en donne le premier exemple emprunté à la linguistique : « La performance caractérise l’actualisation de la compétence par la production d’un certain discours par un locuteur donné ». Performance et compétence étant deux notions explicitées par Chomsky : « la compétence (est) un des multiples facteurs qui agissent de concert pour déterminer la performance » (cf. N. Chomsky, La linguistique cartésienne). On peut ramener, globalement, la différence compétence / performance (chomskyenne) à la différence langue/parole (saussurienne). Ainsi, la notion de champ, invoquée par Scheurer, permet-elle de réintroduire le possible au sein de la physique : ce champ ouvert est de moins en moins déterminé au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’actuel qui le porte. Outre de nouveaux concepts, la microphysique met en évidence l’incapacité des concepts utilisés pour penser le monde sensible à rendre intelligible la « matière ». L’éclatement de la physique en une multiplicité de disciplines a multiplié les méthodes et les objets. Méthodes et objets auxquels les méthodes s’appliquent n’ont jamais dit leur dernier mot : l’anarchisme régnant au sein de l’épistémologie selon la remarque de Feyerabend.
 
Ainsi, ayant la claire vision que, de par lui-même, il n’occupe aucun lieu, et ce malgré les liens subtils qui l’unissent au monde, au corps, à la matière, cet esprit en vient naturellement à considérer ses états de conscience (et les représentations afférentes) comme une vaste mosaïque d’éléments disparates qui tous contribuent à la transcription - évidemment lacunaire - d’un texte originaire. Bref, « Nature » est bien ce paradigme toujours déjà perdu, l’horizon sans rivage de notre quête, spirituelle ou intellectuelle. Mais sommes nous contraint de n’y voir qu’un mirage qui leurre ceux qui n’ont pas encore pris conscience de la déchéance et qui prenne l’ombre pour la proie ? Afin de rebondir sur cette aporie, faisons un petit détour par l’imaginaire de la littérature :
 
Considérons cet extrait de La princesse de Clèves de Mme de Lafayette où le sens révèle son absence et donc dit la déchéance de l’être : « L’on ne peut exprimer la douleur qu’elle sentit de connaître, par ce que venait de lui dire sa mère, l’intérêt qu’elle prenait à M. de Nemours : elle n’avait encore osé se l’avouer à elle-même. Elle vit alors que les sentiments qu’elle avait pour lui étaient de ceux que M. de Clèves lui avait tant demandés ; elle trouva combien il était honteux de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait. » Des textes comme celui-ci, les tragédies de Racine en sont pleines. Mme de Clèves assiste, comme de l’extérieur, à ce qui se passe en elle. Tout se passe comme si le sujet ne coïncidait pas avec sa propre nature et qu’il la reconnaissait après coup. La dissociation de la conscience et de l’être est très poussée dans l’extrait : la princesse reconnaît en elle-même des sentiments dont elle ne savait pas qu’ils pouvaient exister. Loin qu’elle pût surmonter cette nature qu’elle découvre avec étonnement et douleur, c’est cette nature qui travaille à détourner sa conscience et sa volonté. Mais cette nature que Mme de Clèves reconnaît en elle, n’est pas au fond sa propre nature. Elle est en état de possession. Elle ne se possède pas parce qu’elle est possédée par l’image d’un autre. Quand elle se cherche, elle ne se trouve pas, elle trouve l’autre qui l’habite. C’est pour cela qu’elle ne croyait pas pouvoir donner à son mari ce qu’il lui demandait et qu’elle s’aperçoit que cela peut exister quand elle découvre l’image de Mr de Nemours qui l’habite en la vidant de toute autre substance. L’extériorité est donc radicale : il ne s’agit pas seulement d’un antagonisme entre la nature de Mme de Clèves et sa volonté : sa propre nature est celle d’un autre qui l’obsède, elle n’est que par lui. On pourrait lui appliquer la fameuse formule de Sartre : elle est ce qu’elle n’est pas, elle n’est pas ce qu’elle est. Le plus grave est que Mme de Clèves ne peut pas se recueillir en elle-même pour échapper à son obsession. Elle ne le peut pas, non pas parce que la volonté est faible, mais parce qu’il n’existe rien en elle qui soit vraiment elle et auprès de quoi elle puisse se recueillir. C’est ce que Lucien Goldmann appelle le refus intramondain du monde : on ne peut refuser unilatéralement le monde, car si on fuit les divertissements dans quelque cellule de couvent, on ne s’y retrouve pas, on ne retrouve que le vide : notre nature profonde nous échappe de toute façon. Il faut se projeter en quelque chose, une entreprise par exemple, y adhérer totalement pour combler le vide, tout en sachant qu’elle n’est rien, que l’essentiel est ailleurs (Pascal). Le signe de la Grâce, c’est la réussite que procure le détachement le plus complet dans l’adhésion la plus totale. Comme le souligne Pascal : « la vraie nature de l’homme étant perdue, tout devient sa nature ». Descartes, qu’on oppose si souvent à Pascal, aboutit à des conclusions analogues : Le traité des passions montre qu’on n’arrive pas à surmonter une passion en essayant de se recueillir en soi-même mais en donnant son adhésion à un autre objet qui peut nous occuper sans culpabilité et sans danger. Ces analyses de textes et d’auteurs du XVIIe siècle, nous pourrions les faire à quelques nuances près à partir de textes de Baudelaire, par exemple...
 
Ainsi, la nature est bien un mythe. Cette proposition paraît extravagante. Elle peut être balayée d’un simple geste, semble-t-il, en désignant un ruisseau, une forêt, un arbre ou simplement une fleur. Toutes ces choses sont naturelles, elles existaient avant même que l’homme ne fit son apparition sur terre, on ne peut donc douter que la nature existe. Pourtant, quand on désigne de la main la nature à l’extérieur de nous, cela ne suffit pas pour sortir de nos représentations et vérifier que les choses qui nous ont précédés sur la terre sont en elles-mêmes comme elles sont dans nos représentations. Dès que nous échappons à nos propres sensations et à nos projections, nous tombons dans des constructions abstraites qui nous éloignent encore plus de la nature. Si nous oublions tous les mythes sur l’eau, l’air, le feu et la terre, si nous essayons de nous les représenter sans projeter sur eux nos illusions et nos phantasmes, nous finissons par nous trouver devant le tableau des éléments de Mendeleïev où l’or n’est différent du plomb que par le nombre des électrons qui gravitent autour d’un même noyau. La nature s’est envolée, il ne reste plus que des nombres et des structures géométriques désincarnées. Au contraire, la nature paraît une donnée immédiate quand nous désignons un arbre ou une fleur, mais il n’en va pas autrement quand une personne se considère elle-même : la Princesse de Clèves n’aurait pas ressenti tant de douleur et d’étonnement par ce que sa passion pour le duc de Nemours lui révèle, si elle n’avait été convaincue auparavant que sa propre nature est une donnée immédiate, évidente et consubstantielle à sa volonté. Pour une conscience irréfléchie (nous devons quitter l'image du miroir) la nature paraît toujours immédiate, c'est la réflexion sur cet immédiat qui fait reculer la nature et qui révèle le vide de l'immadiat... Michel Henry est au bout du chemin...

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Message édité par l'Antichrist le 21-01-2007 à 10:49:44
n°10434101
Profil sup​primé
Posté le 21-01-2007 à 10:22:53  answer
 

La Messe est dite.

n°10434347
Magicpanda
Pushing the envelope
Posté le 21-01-2007 à 11:20:44  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Quelqu'un serait motivé à faire de la philosophie de la drogue ? Approche phénomènologique pour les habitués par exemple. Ou sociologique.
 
"Bad boys, bad boys whatcha gonna do whatcha gonna do ?
When they come for you ?"


 
 
excellentes études théoriques , statistiques et surtout ethnographiques de l' OFDT.
 
http://www.ofdt.fr/


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" Quel est le but du capital ? Le but du capital c'est produire pour le capital. L'objectif, lui, est illimité. L'objectif du capital c'est produire pour produire." - Deleuze || André Gorz - Vers la société libérée
n°10434357
Magicpanda
Pushing the envelope
Posté le 21-01-2007 à 11:22:20  profilanswer
 

alcyon36 a écrit :

ha...confronter les idées au "reel"...ca faisait longtps;)
perso, pource que j'ai retiré de ma formation de "politiste", l'interet de la socio, c vraiment de mettre en place sa propre enquete, et c'est vrai que les etudes et recherches de terrains m'ont ete plus que formateur.
de là à parler de reel, ou de confrontation au reel...rire


 
on peut discuter la "réalité" de la connaissance en sciences sociale, ( ou en science tout court ).
 
reste qu' il apparait que la proportion de fils d' ouvriers devenant ambassadeur est limité ( on peut toujours venir m' expliquer que c'est virtuel, je rigole )


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" Quel est le but du capital ? Le but du capital c'est produire pour le capital. L'objectif, lui, est illimité. L'objectif du capital c'est produire pour produire." - Deleuze || André Gorz - Vers la société libérée
n°10434829
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 12:44:40  profilanswer
 

>L'AC : de la théorie du virtuel chez Aristote à la princesse de Clèves, en passant par l'épochè, la théorie du corps propre, Einstein et les particules, la mimésis chez Platon, la performance linguistique de Chomsky / Saussure, le détachement pascalien, la conscience sartrienne et les simulacres chez Lucrèce... j'ai surtout l'impression que la Nature est un beau bordel, une "matière incompréhensible", un vrai fourre-tout !  
Et, pour le dire en quelques mots plutôt qu'en un long développement, un fantasme aussi tenace qu'inconsistant... ce qui était bien la thèse de Clément Rosset. :D
 
Penser en-dehors de la nature ?
L'objection qu'on peut lui faire, et vous la faites, c'est qu'à vouloir penser en-dehors de toute idée de nature, on tombe dans l'informe, le chaos, dans l'impossibilité de penser.  
Seulement, penser, c'est penser le réel. Que la pensée ne réussise que rarement, qu'elle soit un évènement toujours incertain, pas une faculté mais une sorte de réussite grâcieuse, est-ce si étonnant ?  
Rosset nous dit, en somme, qu'on ne peut pas penser sans penser ce qui est. Trivial, dira t-on.  
Oui, sauf que penser ce qui est, c'est d'abord nier ce qui n'est pas -et ceci qui n'est pas, prend l'apparence de ce qui est du fait de notre désir.  
Ce que dit Rosset, c'est qu'on ne peut penser ce qui est sans y approuver inconditionnellement : pensée et joie vont de pair. Celui qui pense, pense le malheur tragique de l'existence jusqu'au bout. Or, ce malheur n'est pas supportable sans l'aide de ce que Rosset appelle la Force Majeure ou Joie (et qu'il rapproche de la Grâce pascalienne).  
 
Paradoxe : seul la joie nous permet de connaître tout le malheur du monde et de le contempler sans avoir besoin de l'adoucir ou de le gommer. La joie est approbation à l'éphémère, au contingent, à l'artificiel. Peut-être n'y a t-il que la philosophie qui soit capable d'affronter cette dimension tragique de la vie pour elle-même, sans y chercher de solution. Plus profonde la peine face au malheur d'être né, plus profonde la joie qui dépasse cette peine (et inversement, bien sûr...). L'appréhension du réel en tant que tel et dans sa totalité, suppose donc une puissance mystique (Rosset le reconnaît) qui nous fait approuver à ce que nous devrions refuser purement et simplement : une existence insignifiante, triviale, insubstantielle et promise bientôt au néant.  
Le problème de Rosset est donc moins ontologique ("qu'est-ce que c'est, cela qui est ?" ) que mystique ("l'existence est tragique, mais y approuver est une joie" ).
La pensée commence lorsqu'on cesse de désirer un ordre naturel des choses et qu'on dit l'inanité de ce désir, de cette "illusion fondamentale". Donner du sens à ce qui n'en a pas, c'est bien le travail du prêtre.  
Rappeler que le monde est insignifiant, c'est la cruauté propre à la philosophie.  
 
La grandiloquence
D'où un problème d'écriture : comment plier son style à dire ce qui est, alors que le langage est, le plus souvent, grandiloquent (il en dit plus que ce qui est) ou dénégateur du réel (il exprime notre besoin de consolation, donc il refuse de dire tout ce qui est). Le plus souvent, le langage en dit trop pour cacher qu'il ne veut pas tout dire.  
Comment écrire en se tenant dans l'étroit défilé du réel ? A propos de Deleuze, Rosset note que sa philosophie fait preuve d'un "beau manque d'enthousiasme". Expression qui me semble convenir à merveille pour définir la pensée de l'auteur de L'Anti-Nature : on sait que l'enthousiasme est le fait d'être possédé par un dieu (ainsi le poète, selon Platon, qui dit ce que dit le dieu par sa bouche), c'est donc une expérience du surnaturel.  
Mais comment, au contraire, dire un monde qui est à la fois en-deça de la raison et au-delà de toute interprêtation, bref un monde qui n'est aucunement ordonnée en vue de l'homme ? Comment parler, comment écrire sans exprimer un tel enthousiasme ?
Ou mieux encore : comment penser un enthousiasme tragique et non délirer avec enthousiasme sur une nature cachée au-delà du hasard de l'existence ?...  
 
Bien sûr, encore une fois, parvenir à une telle sobriété dans l'écriture, approuver à ce qui est, c'est bien d'une certaine façon, retrouver la nature.  
Mais ce n'est pas qu'une question de mots. C'est un rapport entre les mots et les désirs qu'ils expriment.  

  • Le mot peut y être ("nature" ) mais pas le désir (celui de dénégation du réel) : c'est le cas chez Lucrèce ou Nietzsche, où la nature, comme vous l'avez montré, est multiplicité sans fin.  
  • A l'inverse, le mot peut ne pas y être, mais le désir y être, sous un autre masque : ainsi des protestations des "freudo-marxistes" contre l'ordre économique capitaliste, qui ne répond pas aux "vrais" besoins de l'homme et lui substitue des désirs "artificiels" et donc écrase les revendications "authentiques".  


Tristesse des discours qui affirment que le réel est manque, car nous aurions toujours déjà perdu la "Nature". La nature ne parle pas, elle ne donne pas de texte caché à déchiffrer : si elle s'adresse à l'homme, comme dans la célèbre prosopopée de Lucrèce, c'est pour rabrouer ses désirs, l'humilier et lui ordonner d'abandonner ses vains espoirs.  
 
Au contraire : Joie de le pensée qui affirme que rien ne manque, car rien n'a jamais été perdu.  
 
Le double, l'idiot et l'humour
La question est finalement celle du double : le double est à la fois lui-même et autre. L'illusion exprime le double : elle substitue au seul réel une image qui le redouble et le déforme, afin de mieux le masquer. L'homme poursuit des doubles, comme le chien de La Fontaine lâche la proie pour l'ombre.  
Au contraire, le réel est singulier, sans double dans le miroir. Comment dire le réel, sinon en se rendant soi-même, par sa pensée et son écriture, singulier, idiot ? L'idiot est seul, l'idiot n'a pas de double. Il ne fait que dire ce qui est, ni plus ni moins. L'idiot poursuit une seule petite idée, singulière et s'y tient. C'est là son humour : dire ce qui est et rien de plus, au contraire de l'ironiste qui parle au nom d'une connaissance supérieure.  
L'approbation au tragique est humouristique. ;)

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Message édité par rahsaan le 21-01-2007 à 14:43:12

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10436059
alcyon36
Posté le 21-01-2007 à 15:49:25  profilanswer
 

voilà la suite et fin de ma petite étude sur la maitrise de la fortune chez Machiavel.
 
Le savoir qui depuis l’Antiquité a pour objet l’action humaine inscrite dans un contexte d’incertitude se nomme la prudence. C’est donc par lui qu’il nous faut aborder le problème d’une maîtrise réfléchie de la fortune. Ainsi, comme pour de nombreux concepts, Machiavel ne se contente pas de reprendre les apports de la tradition,  il les transforme profondément. Pour saisir l’originalité de la transformation que Machiavel fait subir au concept de prudence, il nous faut le replacer dans les grands traits de la tradition dominante, qui est celle D’Aristote et de Saint Thomas d’Aquin. Nous n’avons pas ici la place de reprendre en détail la doctrine aristotélicienne de la phronèsis, nous nous contenterons de présenter  schématiquement la conception de saint Thomas, tout en gardant en mémoire qu’une explicitation précise de la prudence devrait nécessairement passer par l’étude d’Aristote.
Avant tout, la prudence est pour saint Thomas une vertu intellectuelle, devant permettre à l’homme de bien délibérer dans le choix des moyens afin d’atteindre une certaine fin, d’utiliser des connaissances universelles appliquées à des événements contingents et particuliers sous forme de règles de conduite. La prudence est en même temps une vertu morale, car elle doit, en influençant le désir, orienter l’homme vers la réalisation de son essence, vers « le souverain bien naturel » ; vivre selon la raison du point de vu spéculatif et pratique, à la fois connaître Dieu, qui est source de toute réalité et toute connaissance, et mener une vie vertueuse en société. Nous voyons bien, que dans une telle conception, n’est prudent que celui qui vise une fin « éthique ».
Ensuite, la prudence devant guider l’action dans le choix de ses moyens particuliers, se confronte à la contingence des événements particuliers. Est donc prudent celui qui exerce sa prévoyance, celui qui voit loin. Une telle notion de la prudence, nous permet en outre de mettre en exergue ce à quoi elle s’oppose. D’abord, elle s’oppose à la « prudence selon la chair », qui bien que ressemblant à la prudence (il y a choix et délibération), elle ne cherche que la satisfaction d’illusions (richesse, glorification…). La ruse, en ce qu’elle est le choix de moyens trompeurs est interdite en toutes circonstances, même s’il s’agit d’atteindre une fine bonne. Enfin, la prudence s’oppose également à la sollicitude des biens temporels qui devancent son temps. Pour saint Thomas, cet empressement pour obtenir des biens temporels, ne peut qu’aboutir à accorder trop d’importance à ces biens au détriment des biens spirituels. Aussi, saint Thomas peut admettre, qu’en cas de famine imminente l’accumulation de vivres soit légitime, en revanche il est illicite  d’accumuler des vivres en prévoyant qu’on pourrait en avoir besoin dans un avenir aussi lointain que possible.  
 
Ce qui nous intéresse à présent, c’est de bien saisir comment Machiavel opère sa transformation. Déjà, il est clair, sans avoir à y revenir ici, que la conception machiavélienne des rapports entre les individus et de la morale, invalide l’idée que la prudence ne puisse viser, comme chez saint Thomas, que la jouissance dans le « souverain bien naturel » ;
 
« Je commencerai par la prudence, excellente vertu par laquelle les hommes accroissent leur excellence. Ils savent d’autant mieux être excellents ceux qui, sans autre discipline pour eux-mêmes, savent suivre leur bien propre et s’éviter tout dommage ».  
 
La finalité que vise la prudence de Machiavel est purement subjective, il s’agit de mettre en œuvre les moyens efficaces afin d’atteindre ses propres fins, quelles qu’elles soient. Il n’y a plus qu’une délibération et un choix, mais non nécessairement en vu d’accomplir une fin « éthique ». Nous voyons bien se dessiner les traits de la prudence selon la chair. Machiavel va plus loin, non seulement il continue à parler de prudence pour une recherche des biens temporels, mais il affirme la nécessité, du fait de sa conception de la fortune, d’anticiper les événements dans un futur aussi loin que possible…nous sommes à l’inverse de saint Thomas, dans un monde dépourvu de providence. Par exemple, dans ce passage du Prince, où il explique concernant la conquête d’un Etat étranger que :
 
« Ils [les Romains]firent donc en ce cas ce que les princes sages doivent faire, qui ne doivent pas seulement avoir regard aux désordres présents mais à ceux qui adviendront, et mettre toute leur habileté à les éviter ; d’autant qu’en les prévoyant de loin on y peut facilement remédier. Mais si on attend qu’ils s’approchent, la médecine vient trop tard, car la maladie est devenue incurable ».  
 
En dernier lieu,compte tenu du fait que la prudence ne possède pas, pour Machiavel de finalité « éthique », elle ne peut plus exclure de son domaine l’usage de la ruse, que cela soit à titre individuel ou politique, afin de réaliser telle ou telle fin. A travers cette description que nous faisons de la prudence s’impose à nous le problème de la position de Machiavel face à la morale. Une telle question dépasse de loin l’ambition de notre recherche, et mérite à elle seule une étude détaillée. Retenons seulement, au passage, l’autonomie que Machiavel confère à la sphère politique par rapport à la morale.  Ainsi, Machiavel opère un triple renversement à l’égard de la conception thomiste de la prudence. La prudence peut viser toutes fins relatives aux intérêts individuels ou collectifs variables, comprenant les biens temporels. Et le prudent est en droit afin d’atteindre son but d’anticiper les événements particuliers à venir aussi qu’il le peut, et de faire usage de la ruse.
 
Indépendamment des principes éthiques qui justifient l’action comme morale, Aristote et saint Thomas avaient montré la nécessité d’user de certaines règles afin de spécifier un futur contingent. C’est ainsi que, pour savoir si nous pouvons consommer sans danger tel aliment, il nous faut identifier le genre et l’espèce auquel il appartient, et savoir si, en règle générale, les aliments « semblables » sont dangereux. Sur ce point, Machiavel use lui aussi de règles générales, mais son problème étant celui d’une prudence politique, ses règles générales seront tirées de la politique et de l'histoire. Selon cette perspective, de nombreux chapitres des trois livres des Discours et du Prince se présentent comme des énoncés de règles générales, où il montre dans quel cas en user.
 
« Les hommes sages disent avec raison que, pour prévoir l’avenir, il faut consulter la passé, parce que les événements de ce monde présent trouvent toujours dans ce passé leur juste pendant. Accomplis par des hommes qui ont toujours été animés des même passions, ils doivent nécessairement avoir les mêmes résultats ».  
 
  Se fondant sur de telles règles générales (qui il faut le rappeler ne sont pas des « lois ») Machiavel montre que le prudent est capable d’anticiper mieux que les autres ce que réserve l’avenir. En même temps, il est tout à fait possible que le prudent s’égare, un mauvais diagnostic, une mauvaise application de la règle générale au cas particulier… bref, à elle seule, l’application de la règle de prudence ne peut constituer une règle générale pour l’action. Il s’agit donc de la compléter par autre chose. Face à la difficulté de cerner les futurs contingents, Machiavel va mettre en avant deux stratégies ; il ne faut pas se contenter de recourir à des règles de prudence en général. Sur ce point, c’est principalement une lecture du chapitre XXV du Prince qui peut nous permettre de saisir la pensée de Machiavel. Ce chapitre se divise clairement en deux parties distinctes que Machiavel marque lui-même en distinguant deux manières de s’opposer à la fortune : une opposition au pouvoir de la fortune en général et une opposition au pouvoir de la fortune en particulier, c'est-à-dire une confrontation frontale au x éventualités de la fortune et une adaptation rapide à ses occasions.  
 
Comme nous l’avons déjà vu, Machiavel commence ce chapitre en expliquant l’avis commun selon lequel le monde est gouverné par la fortune et par Dieu, les hommes se trouvant ainsi, malgré leur prudence, dans l’incapacité de s’opposer aux événements suscités par la fortune. Ce début de chapitre, nous place dans une situation, où manifestement la règle de prudence ne suffit pas. A ce point du texte, Machiavel infléchit cette conception, et considère comme possible que les hommes puissent gouverner la moitié de leurs actions. C’est ici, qu’intervient la première stratégie. Au lieu de se focaliser sur tel ou tel événement que nous essayons de prévoir, il est préférable de considérer dans leur ensemble tous les événements possibles qui peuvent se tourner contre nous. Ne cherchant plus à en connaître un en particulier, il s’agit à présent de se protéger de tous…ce qu’il faut connaître, dans ce cas, ce n’est pas le ou les événements, mais le moyen de s’en protéger a priori. Tout le passage sur la digue qu’il faut construire pour détourner l’élan du fleuve illustre cette stratégie. Mais une telle stratégie suppose l’existence d’une autre qualité que la prudence, notion fondamentale chez Machiavel, qui se nomme la virtù. Elle est un savant mélange d’audace, de vaillance et de détermination… c’est la qualité de ceux qui savent prendre l’initiative, bousculer l’ordre des choses. Plus les gouvernants renforcent leur pouvoir par leur propre initiative, plus ils se trouvent en mesure de se protéger des éventualités de la fortune ;  ceci concerne à la fois les princes, qui doivent conquérir et conserver le pouvoir, et pour les républiques qui doivent se protéger de leurs voisins et donc envisager de nouvelles conquêtes. Cette règle définit une stratégie politique centrale qu’en ce contexte Machiavel nomme la stratégie des « fondements »…. On la trouve exposée tout à la fois dans le Prince et dans les Discours. Dans le cas du prince, il doit se renforcer au plus vite des qu’il conquiert l’Etat ; il lui faut une force armée propre, du prestige pour la commander, développer des alliances précises…On peut, soutenir que le prince, qui malgré une dérogation importante à ce programme, l’a à peu près rempli convenablement est César Borgia dont Machiavel analyse la conduite au chapitre VII du Prince.
 
« Si donc nous voulons regarder toutes les entreprises et menées de ce Duc, nous verrons les grands fondements qu’il bâtissait pour sa puissance future ».  
 
Machiavel dit aussi que s’il avait réussi en peu de temps à construire de tels fondements :
 
« il y avait chez le Duc tant de virtù et de force, et il connaissait si bien les moyens comme il faut gagner ou perdre les hommes, et les fondements qu’il avait jetés en si peu de temps étaient si solides, que si ces deux armées n’eussent pas été prêtes à lui courir sus, ou s’il eût été guéri, il eût surmonté toutes ces difficultés ».  
 
Or ce qui est juste pour le Prince, l’est également  pour les républiques ; les législateurs dans la situation qui est la leur, doivent les organiser de telle sorte qu’il faille faire face à l’imprévu, notamment militaire. Au chapitre XIX du L. II des Discours, Machiavel résume ces moyens :
 
« ceux qui gouvernent un Etat sauraient se décider derme, soit à l’agrandir, soit à le sauvegarder. Les républiques sauraient ; qu’accroître le nombre de ses citoyens ; se donner des alliés au lieu de sujets ; établir des colonies pour garder les pays conquis ; verser au trésor public tout le butin ; dompter l’ennemi par des incursions et des batailles, et non par des sièges ; maintenir l’Etat riche et le citoyen pauvre ; entretenir avec le plus grand soin la discipline militaire, sont les plus sûrs moyens d’agrandir un Etat et de se former un vaste empire ».  
 
Dans le chapitre 1 du L. II des Discours intitulé «  ce qui, de leur valeur ou de la fortune fut davantage cause de l’empire acquis par les Romains », alors que sur ce point Tite-Live soutient que la république s’est construite en s’appuyant sur la fortune, Machiavel considère que c’est essentiellement à leur organisation politique et militaire que les Romains doivent leur virtù, celle-ci leur permettant, de se préserver, de conquérir un empire et de soumettre la fortune. Cette thèse va dans le sens de la conclusion de l’argumentation de la première partie du chapitre XXV du Prince que nous sommes en train de lire ; la fortune ne montre sa puissance que là où les hommes n’ont que peu de virtù pour y faire face, il s’agit d’utiliser chaque position, chaque avantage comme autant de moyens pour protéger ce que l’on possède déjà et pour conquérir davantage. Ce que nous voulions montrer par une telle digression,  c’est qu’un tel comportement ressemble fort à celui, analysé antérieurement, de n’importe quel individu cherchant à se protéger de la fortune en accroissant son propre pouvoir, la différence reposant principalement dans les moyens « proprement » politiques et militaires précis que Machiavel démonte en détail. Le problème, c’est que non seulement pour mettre en place une telle stratégie il faut commencer par affronter l’imprévisibilité des événements, mais même des gouvernants prudents et virtuosi comme Borgia ne sont pas à l’abris de ce qui ne dépend pas de nous…il ne pouvait pas prévoir la mort de père, le pape Alexandre VI, son principal allié, pas plus que sa propre maladie.
 
C’est sur ce point qu’intervient la stratégie exposée dans la seconde partie du chapitre XXV du Prince, qui ne concerne plus l’opposition à la fortune, mais parce que la fortune « dépasse » les stratégies de renforcement qu’il faut aussi savoir faire face à l’événement imprévu que l’on doit considérer comme une « occasion », c'est-à-dire, une possibilité d’action pour parvenir à ses propre fins, ce qui constitue aussi un aspect de la virtù. Bien entendu, il est possible que la fortune combine les choses en sorte que nous n’ayons rien à faire et que notre propre avantage soit obtenu sans notre participation, ce qui peut s’avérer préjudiciable.
 
« C’est à savoir qu’un Prince qui s’appuie totalement sur la fortune tombe quand elle change ».  
 
En ce qui concerne l’occasion, celle-ci ne se rencontre que si l’action est dotée de vitù, il faut pour que l’action réussisse à l’avantage des hommes, que leur action s’accorde avec les exigences de la situation afin de pouvoir la transformer.
 
« Je pense aussi que celui-là soit heureux qui sait bien s’accommoder de sont temps, et malheureux celui qui ne procède pas en s’accordant avec lui ».  
 
Sans cette concordance, nous avons l’action sans l’occasion ou l’occasion sans l’action, il faut donc moduler l’action en fonction de la situation et de ses exigences. On peut, à présent, résumer cet ensemble de stratégies. La première stratégie de la prudence consiste à appliquer la règle générale de traitement des futurs contingents aux événements particuliers. La seconde, où la prudence est combinée avec la virtù, consiste à appliquer la règle générale du renforcement du pouvoir pour se protéger à l’égard des futurs contingents. Enfin, la troisième qui consiste à ne plus avoir de règle générale à l’égard des futurs contingents puisqu’il faut s’adapter au changement des circonstances. Nous avons déjà vu, les limites qui s’opposent aux deux premières stratégies, il nous faut à présent envisager celles de la troisième.  
La difficulté que Machiavel met en avant, n’est pas l’imprévisibilité des événements ou l’irréductibilité de la fortune qui gouverne l’autre moitié de nos actions, elle concerne notre difficulté à nous adapter à la qualité des temps. Enonçons d’abord la thèse générale de Machiavel :
 
« Car on voit les hommes, dans les choses qui les conduisent au but où chacun vise (qui est les honneurs et la richesse), y procéder par divers moyens : l’un avec prudence, l’autre avec fureur ; l’un par violence, l’autre par art ; celui-ci par patience, celui-là par son contraire ; par toutes lesquelles manières on peut parvenir au but ».  
 
Autrement dit, les agents dont les dispositions à agir sont plutôt violentes peuvent réussir aussi bien que ceux chez qui elles sont circonspectes : il suffit que leur manière d’agir s’accorde avec la situation pour que la rencontre avec l’occasion leur soit favorable, comme le montre l’exemple du pape Jules II. Tout le problème, c’est l’incapacité dans laquelle se trouve les hommes à adapter leur comportement aux situations, et sur ce point, Machiavel est clair ;
 
« Et il ne se trouve personne si sage qu’il se sache accommoder à cela, soit parce qu’il ne peut se détourner de là où le naturel le pousse, soit etiam parce qu’ayant toujours prospéré à cheminer par un moyen, il ne se peut mettre en tête que ce soit bien fait de s’en tirer. »  
 
Ainsi, même s’il est possible que la nature ne nous ait pas exclusivement déterminé à agir de telles ou telles manières et qu’elle nous ait doté de plusieurs dispositions possibles, cela ne nous met pas à l’abri de cette rigidité de notre manière de procéder. Tout le problème découle de ce que leur disposition en vient précisément à constituer une règle rigide d’action, là où justement, il ne faut pas de règle pour pouvoir s’adapter à la variation particulière de chaque situation. Pour le dire avec Nietzsche «  nul vainqueur ne croît au hasard ».
Que les trois stratégies se révèlent toutes les trois insuffisantes pour permettre à un homme de maîtriser la fortune et que même en les combinant, on n’évitera pas les limites de chacune d’entre elles : les deux premières ne sont pas intrinsèquement suffisante pour se protéger de la fortune et la dernière se caractérise par la difficulté de sa mise en œuvre. Le chapitre XXV pourrait se conclure sur ce constat et il présenterait peut-être l’avantage de modérer la confiance que les gouvernants pourraient avoir en eux-mêmes. Or, à notre grand étonnement, il se trouve que le chapitre ne se conclut pas ainsi et que le troisième paragraphe, en forme de conclusion, propose en réalité une règle de conduite particulière, au regard de toutes les autres manières d’agir et en particulier à la circonspection il vaut mieux être impétueux :
 
« Outre cela j’ai opinion qu’il soit meilleur d’être hardi que prudent, à cause que la fortune est femme, et qu’il est nécessaire, pour la tenir soumise, de la battre et heurter. Et l’on voit communément qu’elle se laisse plutôt vaincre de ceux-là, que des autres qui procèdent froidement. Ce pourquoi elle est toujours amie des jeunes gens, comme femme, parce qu’ils ont moins de respect, plus de férocité, et avec plus d’audace lui commandent ».  
 
Comment interpréter le fait que Machiavel, qui vient de soutenir dans la seconde partie de ce chapitre qu’il ne faut appliquer aucune règle et s’adapter aux différentes situations, finit par conclure qu’il faut mettre en œuvre une disposition pour se conduire de manière constante. Cela est d’autant plus «étrange, que le second paragraphe se terminait par l’exemple de Jules II qui s’est toujours conduit de façon impétueuse et qui aurait certainement échoué si d’autres événements s’étaient présentés. Déjà, il ne s’agit que d’une règle relative, il ne dit pas qu’il faut agir de manière impétueuse, mais que, s’il faut choisir, alors mieux vaut… quelle est donc la portée d’un tel choix ? Il existe de nombreuses interprétations de cette question, que Machiavel se réfère à la situation propre de l’époque qui nécessitait tel comportement, que l’impétuosité soit un trait caractéristique de la virtù…  la plupart se heurtent à ce simple problème, pourquoi donc inviter à suivre un certain comportement alors que Machiavel ne cesse de marteler, et pas seulement dans le Prince, que les hommes sont incapables de se dégager de leur nature ou de leur disposition.
 
 
 
La fin de ce chapitre est problématique. Afin de conclure notre étude, nous allons suivre une hypothèse nous venant de Christian Lazzeri, et qu’il exposa dans un cours sur Machiavel. Cette dernière à l’avantage de résoudre les difficultés apparentes, à condition d’élargir la perspective de lecture.
En ce qui concerne le prince, on pourrait en conclure, non pas qu’il pourrait être capable de changer de disposition, mais que si cela était possible, il vaudrait mieux être impétueux pour les raisons que l’on connaît…prendre l’initiative, créer des effets de surprise… Mais, se demandait Lazzeri, à travers cette conclusion, Machiavel ne cherche t il pas à soulever un problème lié à la nature du gouvernement princier. Pour le dire autrement, dans la mesure où le gouvernement princier est le gouvernement d’un seul, c'est-à-dire un gouvernement personnalisé, dans ce type de gouvernement tout dépend des qualités d’un individu ou plutôt de sa plus ou moins grande aptitude à changer de qualité. Or, puisque cette aptitude s’avère très limitée voire inexistante, peut-être faut il en conclure que le gouvernement d’un seul s’avère lui aussi limité dans cette capacité à maîtriser les variations de la fortune. On voit bien ou Lazzeri veut en venir, si son analyse est exacte, et pour cela il faudrait poursuivre une recherche plus précise dans les Discours, on peut comprendre la nature de la solution que Machiavel avance ; c’est une solution politique qui affirme la supériorité de la république sur la principauté. En effet, celles-ci ont pour elles le nombre des individus (donc des dispositions) et les possibilités qu’offre l’éducation politique des citoyens.  
 
« Ce qui assure aux républiques une plus longue vie et une fortune plus constante qu’aux monarchies, c’est de pouvoir par la variété de génie de leurs citoyens, s’accomoder bien plus facilement que celles-ci aux variations des temps. Un homme habitué à une certaine marche ne saurait en changer, comme nous l’avons dit ; dès que viennent des temps qui ne cadrent plus avec sa manière, il est fatal qu’il succombe ».  
 
Il faut  tout de même noter, que les républiques, malgré le gouvernement collectif, finissent tôt ou tard, par ployer face à la puissance de la fortune… ce qui distingue au fond les principautés et les républiques, c’est la plus ou moins grande capacité de vie, donc de durée. Cette conclusion, bien que pouvant sembler au premier abord assez décevante, si elle est remise dans son contexte ne l’est pas tant que ça.  A l’époque de Machiavel ce surcroît de vie et surtout de vie « libre et glorieuse » constitue un bien précieux, si ce n’est le plus précieux que les Etats puissent obtenir dans l’histoire.  
 
 
 

n°10436153
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 16:01:52  profilanswer
 

>alcyon36 : très intéressante, cette étude. Merci. :)
Est-ce que tu aurais les références sur le thème de la prudence chez Saint-Thomas ? ;)


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10436219
alcyon36
Posté le 21-01-2007 à 16:08:50  profilanswer
 

lol...pr Machiavel jsuis beton pr les ref, mais je n'ai pas pu joindre les notes;) en revanche pour saint Thomas, j'ai en grande partie fait une synthese de prises de notes, sans trop chercher les textes de references...c po tres serieux...pris la main ds le sac;)
de plus honte sur moi, je n'ai pas un seul livre de saint Thomas dans ma biblio...

n°10436311
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 16:19:37  profilanswer
 

Non mais ne t'inquiète pas, ce n'est pas grave, je trouverai. :D Je ne cherchais pas à te piéger. ;)


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10436367
alcyon36
Posté le 21-01-2007 à 16:24:25  profilanswer
 

pas de probleme, jai parcouru le forum, je vois bien que ce n'est pas dans tes habitudes en effet;)

n°10436766
l'Antichri​st
Posté le 21-01-2007 à 17:09:50  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

>
 
...Penser en-dehors de la nature ?
L'objection qu'on peut lui faire, et vous la faites, c'est qu'à vouloir penser en-dehors de toute idée de nature, on tombe dans l'informe, le chaos, dans l'impossibilité de penser.  
Seulement, penser, c'est penser le réel. Que la pensée ne réussise que rarement, qu'elle soit un évènement toujours incertain, pas une faculté mais une sorte de réussite grâcieuse, est-ce si étonnant ?  
Rosset nous dit, en somme, qu'on ne peut pas penser sans penser ce qui est. Trivial, dira t-on.  
Oui, sauf que penser ce qui est, c'est d'abord nier ce qui n'est pas -et ceci qui n'est pas, prend l'apparence de ce qui est du fait de notre désir. Ce que dit Rosset, c'est qu'on ne peut penser ce qui est sans y approuver inconditionnellement : pensée et joie vont de pair. Celui qui pense, pense le malheur tragique de l'existence jusqu'au bout. Or, ce malheur n'est pas supportable sans l'aide de ce que Rosset appelle la Force Majeure ou Joie (et qu'il rapproche de la Grâce pascalienne)....
 
La grandiloquence  
D'où un problème d'écriture : comment plier son style à dire ce qui est, alors que le langage est, le plus souvent, grandiloquent (il en dit plus que ce qui est) ou dénégateur du réel (il exprime notre besoin de consolation, donc il refuse de dire tout ce qui est). Le plus souvent, le langage en dit trop pour cacher qu'il ne veut pas tout dire.  
Comment écrire en se tenant dans l'étroit défilé du réel ? A propos de Deleuze, Rosset note que sa philosophie fait preuve d'un "beau manque d'enthousiasme". Expression qui me semble convenir à merveille pour définir la pensée de l'auteur de L'Anti-Nature : on sait que l'enthousiasme est le fait d'être possédé par un dieu (ainsi le poète, selon Platon, qui dit ce que dit le dieu par sa bouche), c'est donc une expérience du surnaturel.  
Mais comment, au contraire, dire un monde qui est à la fois en-deça de la raison et au-delà de toute interprêtation, bref un monde qui n'est aucunement ordonnée en vue de l'homme ? Comment parler, comment écrire sans exprimer un tel enthousiasme ?  
Ou mieux encore : comment penser un enthousiasme tragique et non délirer avec enthousiasme sur une nature cachée au-delà du hasard de l'existence ?...


 
Je ne retiens que ces deux extraits qui concernent directement mon propos... Vous me forcez à devancer un peu la suite de ma démonstration, mais peu importe. Je laisserai simplement de côté, pour le moment, la notion de souffrance dont nous reparlerons à propos de M. Henry...
 
Qu'est-ce que le réel ? Cette question dans votre message reste le point mort, le présupposé jamais questionné ! C'est justement tout l'enjeu de ma discussion : faire apparaître l'uni(dualité) de l'homme. Vous parlez de désir et, en effet, cela est particulièrement vrai des « choses » du désir et de celles de l'art. Dans le domaine des sentiments comme de la création esthétique, le réel ne se distingue pas de l'imaginaire. Au contraire, ils s'accomplissent et se transforment mutuellement. Ainsi, la conscience (de) soi se révèle dans la nature par l'expérience du désir, alors que la création artistique se fait en quelque sorte l'agent de ses représentations sur la scène de l'Etre : « l'imaginaire est ce qui tend à devenir réel », dit le poète. D'où une fascinante ambiguïté, inhérente à chacune des postures de notre conscience, éthique ou esthétique ; elle nous « ravit » et nous « ravage » dans ces quelques secondes d'enthousiasme ou d'« extase matérielle », quand le désir créateur « taille en pièces » la réalité, pour mieux s'insurger contre le mystère de l'Etre. L'uni(duali)té de l'homme se découvre dans l'immédiat au-delà de tout objet. En présence de sa « création », l'artiste éprouve le sentiment étrange d'une sorte de « révélation » ; l'art re-présente et exprime cette réalité indéfinissable qu'est l'homme, être plus « aspiré » qu'inspiré. Son désir dépasse tout objet existant, son appel est sans limites puisqu'il les transmue toutes : la connaissance « poïétique » abolit toute césure entre le moi et l'univers. Elle provoque un bonheur fusionnel – grâce à quoi le « sujet » (étymologiquement, « celui qui est soumis à »), s'affranchit, qui pénètre et s'incorpore tous les secrets de la nature et du monde. L'oeuvre d'art est proprement la mise en valeur de la vérité, essentielle et inaperçue, de l'« étant » ; la mise au jour de son être enfin reconnu et dévoilé : « Magie suggestive contenant à la fois l'objet et le sujet, le monde extérieur à l'artiste et l'artiste lui-même » (Baudelaire). Ainsi va la création, ou le désir de ce qui est. Nous voyons à quel point la conscience, le désir, l'art ou l'amour d'autrui révèlent à l'envi le statut hybride de l'homme dans la nature, autrement dit la dimension proprement « téléologique » de son existence. Aussi la nature – perçue par lui comme « substance infinie » – se trouve-t-elle soumise aux sacro-saints principes de la Raison (« mathésis » du réel) ou aux fantaisies débridées de l'Imagination (« poïêsis » du monde) ; véritable « étymon spirituel », elle seule fait qu'en notre for intérieur l'être et la pensée coïncident. En somme, la reconnaissance de la Nature (comme principe) au sein du cosmos physique correspond à un acte de foi dans une Vérité des êtres et des choses qui excède toujours leur présence au monde. D'où la pérennité, par-delà les systèmes et leurs exclusions idéologiques, de cette exigence tant spéculative que philosophique d'une « ontologie naturaliste » : processus intellectuel de dépassement du donné physique immanent à l'être humain. Grâce à quoi se découvre « en creux » le Sens, double reflet de l'imagination et du langage.
 
la « nature », c'est donc (et de manière presqu'aussi prégnante) ce qu'il faut appeler, non " un beau bordel, une "matière incompréhensible", un vrai fourre-tout !", mais plus proprement un Concept-gigogne. En effet, elle contient « en abyme » la plupart des thèmes – clés de la métaphysique : l'Etre, Dieu, la Conscience, la Substance, l'Existence, l'Espace, le Temps, le Vouloir-vivre, toutes perspectives ontologiques ou axiomatiques qu'elle convoque et intègre pour « rendre conte » du réel. Cette promotion du Suprasensible constitue, comme déjà dit, la source mythologique de toute philosophie. Elle révèle en outre la nature profondément oraculaire de tout projet philosophique, autrement dit : son inconscient, individuel ou collectif. Car la quête obstinée et systématique du Sens est bien l'activité fondamentale du philosophe. Elle marque sans doute la limite du penser : ici, pour advenir et prendre forme, doit s'éclairer d'un ailleurs qui représente le salut proprement métaphysique de notre présence au monde. Parce que « l'homme, comme le dit si bien Pascal, est à lui-même le plus prodigieux objet de la nature, car il ne peut concevoir ce que c'est que corps et encore moins ce que c'est qu'esprit, et moins qu'aucune chose comme un corps peut être uni avec un esprit. C'est là le comble de ses difficultés, et cependant c'est son propre être ».
 
Revenons à Heidegger pour le montrer. Par un retour à la parole d'Héraclite la méditation contemporaine retrouve un sol fécond. Si la technique est pro-duction, mise au jour, mise en lumière et si pro-duction est désoccultation, dévoilement, on pourra alors découvrir que dans la technique contemporaine l'homme reste fidèle à son essence de « berger de l'être ». Autrement dit, la technique n'est pas une activité particulière de l'homme mais sa relation à tout ce qui est. Poiêsis et Arraisonnement restent apparentés : ce sont deux modes du dévoilement ; simplement ce qui se rattache à l'époque planétaire à son origine grecque se dérobe au regard. Elle est posée pour la première fois comme question essentielle, celle qui au lieu de s'interroger sur les avantages et les inconvénients de la technique et sur la possibilité ou non de la prendre en main, la met en question comme technique à la mesure aujourd'hui de son règne mondial. Au plus profond de la technique moderne nous discernons encore une fois l'écho d'une nostalgie, celle qui s'allume comme désir de la phusis ! Il y a ici un « pressentir ». Comme déjà dit, il ne s'agit pas encore d'un savoir, mais plutôt de ce qui recouvre tout ce qui peut se savoir et se cache. C'est justement le cas de l'art !
 
On sait que Heidegger a longuement médité devant un portrait du jardinier Vallier. Le philosophe de l'Etre et le Temps qui pensait à Cézanne à travers Vallier a eu cette formule extraordinaire dans Pensivement pour le désigner : « Lui qui cultivait l'inapparent tout au long du chemin des Lauves. » Poursuivant il écrit encore que « la différence de ce qui vient dans la présence et de la présence elle-même s'unifie en simplicité » et, poussant plus loin, Heidegger voit Cézanne abolir les limites de cette différence pour mener à une commune présence du poème et de la pensée. Dans un de ses carnets Cézanne écrit : « L'artiste éprouve de la joie à pouvoir communiquer aux autres âmes son enthousiasme devant le chef-d'oeuvre de la nature dont il croit posséder le mystère. » Quelle est la source de l'enthousiasme ? Cézanne le désigne par l'expression de « chef-d'oeuvre de la nature ». Il faut donc comprendre que la nature elle-même est chef-d'oeuvre. Est-ce à dire que la nature est oeuvre d'art ? Ce serait là une conception médiévale qui n'est pas exclue dans les propos de Cézanne, puisqu'on trouve chez Gasquet des formulations allant dans ce sens. (Il dit : « ... la nature ou si vous aimez mieux (le) spectacle que le Pater Omnipotens Aeterne Deus étale devant nos yeux. ») Cette conception médiévale et thomiste, comprend la nature comme oeuvre de Dieu dont l'art humain est l'analogue. Mais il importe d'aller plus loin et de comprendre à fond la nature elle-même comme chef-d'oeuvre, c'est-à-dire comme origine de toute oeuvre possible. Le mystère dont parle aussitôt Cézanne, c'est cette origine à laquelle se réfère le travail de l'artiste, mais qu'il n'est jamais capable d'atteindre dans la mesure où tout son effort au contraire consiste à se mettre dans le mouvement de venue de l'origine et non de remonter le courant. Mais qu'est-ce que la nature ? Chez Kant, la nature est l'ensemble des phénomènes physiques. Chez Cézanne, la nature est l'origine de l'ordre physique. Heidegger lui, dit que la nature se confond avec la phusis (telle que la pense Héraclite), c'est-à-dire comme synonyme de cosmos. La nature dont parle ici Cézanne est le monde entendu comme visage du rien. Si l'on entend le chef au sens capital, la nature cézannienne est littéralement le cap dont l'artiste doit être le capitaine. Le capitaine est celui qui tient le cap. Telle est la situation de l'artiste : il a l'oeil pour voir l'invisible. Voyant l'invisible il croit posséder le mystère. Il sait qu'il ne peut jamais que croire posséder le mystère. De ce fait il est toujours par rapport au cap dans une situation difficile à désigner : une certitude sans aucune assurance, bref le risque. L'artiste authentique est toujours celui qui est au-delà de toute technique. Ce qu'il sait faire il sait que ce n'est pas son art. Mais quand il touche, son sentiment est la joie à l'état pur. Essayons de voir ce que Cézanne dit de la nature. Elle est le chef-d'oeuvre. Il n'est pas excessif de comprendre cette expression comme un superlatif. Chef a, ici, le même sens qu'arkhê en grec : unité du commencement et du commandement, de sorte que ce commencement commande toute la suite qui ne tient que par ce commencement qui continue. De plus la nature est aussi profondeur. C'est un propos difficile à saisir. La profondeur, c'est ce qui est en dessous, de telle sorte qu'on n'y arrive jamais. Héraclite ici apporte la lumière. « La nature, dit-il, ce qu'elle a en propre, c'est de se retirer. » Cézanne énonce ce qu'on peut considérer comme une traduction littérale d'Héraclite. La nature est profondeur, le tableau du peintre est en surface. Si la nature est en profondeur, le travail du peintre est de rendre la profondeur. La compréhension la plus obvie de cet état de fait consiste à appliquer les lois de la perspective. Or, c'est précisément ce que Cézanne refuse, car les lois géométriques de la perspective sont des lois abstraites, des procédés de dessinateur. Cézanne parle de contact de la nature. Dans le fait d'être touché par la nature il ne peut s'agir d'abstraction. Au contraire, l'artiste est ému sensiblement. Peindre sur nature, comme dit Cézanne, ne consiste pas à prendre un point de vue sur la nature, la dominer en quelque sorte, mais beaucoup plus dramatiquement cela signifie que la nature est ce que le peintre chevauche un instant avant d'être mis à bas. Là s'explique l'inachèvement des tableaux de Cézanne qui est tout autre chose qu'un inachèvement. La peinture sur nature : elle n'est jamais atteinte. Peindre sur nature, c'est tenter de voir le monde non divisé. « Dans un bon tableau comme je le rêve, dit Cézanne, il y a une unité. Le dessin et la couleur ne sont plus distincts. » Or l'unité en question est une unité ressentie émotivement. C'est la raison pour laquelle Cézanne nomme la nature sur laquelle il peint : le motif. Grâce à la nature le génie renouvelle constamment son émotion. On ne saurait donner un sens trop fort au verbe renouveler. « Chaque jour le soleil est neuf ». Nous autres, au contraire, nous prenons des habitudes. Une fois que nous avons vu quelque chose nous croyons l'avoir vu une fois pour toutes. Ce qui signifie que si nous avons vu une fois, toutes les autres fois nous ne voyons plus qu'à travers le souvenir, autrement dit nous répétons un schéma. En réalité, la véritable reconnaissance a lieu lorsque, dans le langage juridique on dit d'un enfant qui vient de naître qu'il a été reconnu par son père. Dans ce processus de reconnaissance a lieu ce que Heidegger nommait une extase, c'est-à-dire une ouverture au passé et à l'avenir. On peut s'ouvrir ainsi à ce qui n'est pas présent. Ainsi Héraclite, Heidegger, Cézanne nous persuadent qu'il ne faudrait pas que l'énigme de la nature nous renvoie à un autre monde qui en serait l'explication et la lumière, car elle atteste simplement la profusion de ce monde-ci et le destin de cette lumière dans le fini, où elle ne peut se produire qu'en disparaissant et donc en se perdant comme la lumière pour irradier d'autant (jusqu'à l'excès, jusqu'à l'inconnaissable) ce en quoi elle disparaît.


Message édité par l'Antichrist le 21-01-2007 à 17:38:01
n°10436792
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 17:13:51  profilanswer
 

Je reprends ma tentative sur le sujet : "Peut-on vouloir le mal ?"
 
 
Le désir du mal
Je disais : la volonté ne veut jamais que le bien, même quand elle ne fait que le mal.  
Mais si l'on fait le mal quand on voulait le bien, comme cela se produit fréquemment, cela peut-être par ignorance. Je ne connaissais pas bien la situation, donc j'étais dans l'erreur et j'ai agi à l'encontre de ce qu'il aurait fallu faire.  
Plus grave serait le cas où j'apercevrais le mal et où je serais incapable de ne pas le vouloir. Je ne pourrais m'empêcher de faire le mal, quand bien même je saurais que ce que je vais faire est mauvais.  
Je vois le mal que je vais commettre, mais mon désir l'emporte sur ma volonté et je commets le mal. Plus encore, je m'en repens après. Mais sur le moment, je ne peux me retenir de le faire.  
Si j'ai appétit pour cette action que je sais être mal, n'est-ce pas qu'il y a un désir du mal qui peut l'emporter sur l'amour du bien ? Un amour du mal qui, en l'homme, combattrait sans cesse un amour du bien ?...  
 
L'amour du mal ?
Prenons un exemple célèbre : celui du plaisir pris à voler des poires, que Saint-Augustin raconte dans ses Confessions, livre II.
« Il y avait, proche de nos vignes, un poirier, chargé de fruits qui n’étaient alléchants ni par leur apparence, ni par leur saveur. Entre jeunes vauriens, nous allâmes secouer et dépouiller cet arbre, par une nuit profonde – après avoir, selon une malsaine habitude, prolongé nos jeux sur les places –, et nous en retirâmes d’énormes charges de fruits. Ce n’était pas pour nous en régaler, mais plutôt pour les jeter aux porcs : même si nous y avons goûté, l’important pour nous, c’était le plaisir que pouvait procurer un acte interdit. »
 
Ainsi les poires n'attirent en rien les jeunes gens. Non seulement ces poires n'ont pas d'attrait, mais quand bien même elles en auraient eu, elles n'auraient pas rendu le vol désirable. Car ce que désirent les "vauriens", c'est non pas les poires, mais le vol lui-même. Ils n'aiment pas les poires, ils aiment le vol des poires.  
Nous aurions donc un exemple particulièrement frappant de volonté vicieuse, de complaisance dans le vice : un volonté du mal. Un "vouloir-le-mal" tout à fait probant.  
Les vauriens aiment le vol des poires, ils aiment "braver un interdit" comme on dit aujourd'hui. Et le vice est encore plus grand que s'il s'agissait d'un simple vol : ici, le vol n'a d'autre fin que lui-même. Il ne s'explique en rien par le besoin de se nourrir, puisque les coupables jettent les poires aux porcs, comme pour jouir du pur vol et ne pas du tout profiter du produit du vol.  
Il ne s'agit même pas ici d'une concupiscence courante, c'est à dire d'un amour immodéré, abusif, des biens de ce monde, mais d'une forme aggravée, puisqu'il ne s'agit de l'amour d'aucun bien, sinon de la concupiscence elle-même. Amour du vice, amour du mal, qui est opposé à l'amour du bien, c'est à dire à l'amour divin. Amour infini de Dieu pour ses créatures, que ces créatures doivent lui manifester afin de vouloir être à son image.  
 
Alors, que veut-on, quand on veut le mal ?... Aucun objet particulier, mais la jouissance du pêché, la complaisance pour ses appétits abusifs eux-mêmes et non pour l'objet de son appétit, fût-il mauvais.  
Nous avons donc isolé un cas, évident, où l'on peut vouloir le mal. Non pas du mal, mais le mal : le mal pour lui-même. Le mal pour le plaisir de transgresser un interdit.  
Cette volonté du mal trouverait-elle son expression la plus haute dans une sorte d'amour du mal, qui serait l'ennemi d'un amour du bien ?
 
Contre le manichéisme
C'est précisément ce que Saint-Augustin refuse : l'idée qu'il y aurait, en l'homme et dans le monde, deux principes opposés, à savoir le Bien et le Mal. Ce dualisme est celui de la secte des Manichéens, qui affirmaient, à la suite de son fondateur Mani (3e siècle), que le monde résultait de l'affrontement de deux principes opposés, la substance des âmes, la Lumière (Oromase*) et la substance de la matière, les Ténèbres (Ahriman). L'homme est né de ce conflit et il vit au sein de ce conflit. Par son âme, il est porté à s'élever, à participer à la séparation de la Lumière, qui a été attaquée par les Ténèbres. Chaque homme est donc un mélange de ces deux substances.  
[* on trouve pour ce nom des orthographes très diverses : Ormazd, Ormuzd...]
 
Saint-Augustin a commencé par faire partie de cette secte, adhérant à cette division du monde entre Bien et Mal. Mais ses Confessions sont le récit de la reconnaissance de cette erreur, l'erreur de croire que le monde résulte de deux principes opposés. Le projet global de l'oeuvre est de faire un récit de sa vie, dans le but de confesser ses fautes, pour confesser ensuite la gloire de Dieu et montrer comment il a sauvé le pêcheur de ses turpitudes (débauches de sa jeunesse, puis manichéisme...)
 
Comment expliquer le pêché sans recourir à deux principes opposés ? Augustin montre que toute créature est portée par l'amour, qui est d'abord amour de la créature pour son Créateur. "Amor meus, pondus meum", dit Saint-Augustin : mon amour, c'est mon poids. Je suis porté vers ce que j'aime.  
L'amour de Dieu est charité mais, parce que la créature n'est jamais à la hauteur de son Créateur, parce qu'elle vit dans le monde, elle peut en venir à aimer ce monde pour lui-même, et pas pour Celui qui l'a créé. Alors, la créature aime les choses créées et non plus la Création. Dans ce cas, son amour se tourne exclusivement vers les biens de ce monde et les aime pour eux-mêmes. Elle fait preuve de concupiscence en prenant plaisir à ses sens, aux tentations du monde. Ainsi, Augustin montre que la plus grande tentation est celle -non pas du sexe, comme on pourrait se l'imaginer (bien que cette tentation ait existé pour Saint-Augustin, notamment dans le cas des rêves érotiques, où l'on ne peut plus, soudain, réfrener les désirs que l'on refoulait en étant éveillé) - mais de la musique : il écoute les merveilleux choeurs des enfants à l'Eglise. Mais qu'aime t-il dans ces chants ? La louange du Créateur que ces jeunes voix célèbres, ou bien les voix elles-mêmes ?
Se complaire, abuser du monde, c'est aimer les choses pour elles-mêmes et non pas comme simples oeuvres de Dieu. Si j'aime les chants de prières adressés à Dieu, je peux aimer Dieu authentiquement... Mais peut-être secrêtement aimé-je les chants pour eux-mêmes, pour le plaisir que j'en retire, pour la jouissance de la seule musique, comme s'ils n'étaient pas aussi et d'abord des adresses à Dieu.
 
Un seul amour, deux directions
Donc il n'y a bien qu'un seul Amour, mais cet Amour peut se porter soit vers le Créateur, comme il y est authentiquement destiné, mais il peut déchoir et se porter vers les créatures seules. Saint-Augustin ne dit pas qu'il faut aimer Dieu exclusivement et refuser le monde entièrement. Non, il dit que ce qui est mauvais, c'est aimer les créatures en oubliant que par là-même on aime le Créateur. Donc c'est l'amour des choses du monde à l'exclusion de Dieu qui est mauvais. En revanche, il est bon d'aimer le monde pour rendre louange à Dieu de l'avoir créé.  
Ainsi est refuté le manichéisme qui invente deux principes opposés. Dieu est seul créateur, seul principe de l'Amour et les créatures sont seules responsables de leur complaisance. Dans la Cité de Dieu, Augustin montre que le mal vient de la déchéance des bons anges, et non de Dieu lui-même. Les bons anges ont déchu en choisissant d'abandonner le créateur.  
Ainsi, on peut vouloir le mal alors que Dieu n'est qu'amour. Le manichéisme, en disant que le Mal est l'opposé du Bien décharge l'homme de sa responsabilité, comme tout idéologie, en lui proposant un système tout fait d'explication du monde. Au contraire, selon Saint-Augustin, le christianisme rappelle l'homme à sa responsabilité, et donc à sa liberté. L'amour peut porté l'homme soit vers la Créature, soit vers sa déchéance. Un seul amour, un seul poids, mais deux directions opposées.  
 
Certaines créatures sont-elles donc vouées à vouloir le mal ?... Quand j'aurai le temps, je rendrai compte rapidement du dernier opuscule de Kant, De la fin de toutes choses, où est également soulevé le problème du manichéisme et de la prédestination. Ceci dans le but de mieux comprendre ce que signifie "vouloir le mal". :o
 
 


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10436887
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 17:23:25  profilanswer
 

>L'AC : je n'ai rien à redire, bien sûr, sur ce que vous dites très bien, à savoir le lien entre joie, enthousiasme, création et art.  
Mais créer, accepter de créer pour rien. Qui créé vraiment, sans arrière-pensée, crée en vain. Il sait que sa création n'est que le jeu du hasard. Nous pouvons aimer Véronèse, Mozart, Cézanne, Shapespeare et mille autres génies : un jour, ils seront oubliés pour de bon et ils ne restera rien des plus magnifiques chefs-d'oeuvres de l'humanité. La joie, la beauté, éclairent brièvement le hasard et finissent par s'y abîmer à jamais. Qui aime, aime malgré tout.  
La Joie est soustraite au principe de raison suffisante. De même que le fou rire ne se nourrit que de lui-même, la Joie est sans raison. ;)
 
Il me semble que depuis longtemps, vous annoncez que vous allez nous parler de Michel Henry, alors maintenant nous attendons impatiemment ! :D


Message édité par rahsaan le 21-01-2007 à 17:24:31

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n°10436913
l'Antichri​st
Posté le 21-01-2007 à 17:25:58  profilanswer
 

Bon, je vois que vous reprenez la logique de mon analyse du bien et du mal (cf. première page du topic). Soit ! Mais tentons d'aller plus loin. dans ce sujet, il est impératif de préciser l’idée selon laquelle la transcendance n’est pas le cadre qui permet de sortir de l’aporie dans laquelle nous place la fin de votre seconde partie. Dans le cadre de la transcendance, nous sommes forcés de poser un Bien et un Mal dans l’absolu.
 
Or cela pose deux problèmes. Le premier est que cette stratégie contraint à dévaloriser les petits biens mais aussi les petits maux de notre existence de tous les jours. Que vaut un plaisir de notre existence face à la plénitude et au bonheur qu’apporte un prétendu Paradis ? Mais plus précisément, qu’est-ce que le Bien dans l’absolu ? Et donc qu’est-ce que le Mal avec une majuscule ? Nous voyons comment nous pouvons vouloir une action bonne ou  une action mauvaise (pour un bien) mais que peut signifier « le Bien » et « le Mal » dans l’absolu ? On ne peut pas vouloir le Bien et le Mal dans l’absolu.
 
Le second problème est lié à ce point. Comment peut-on accoler le terme de « volonté » et le terme de « mal pour le mal » ? Si on veut, on veut une action mauvaise ou une action bonne. On ne peut pas vouloir le Mal (comme le Bien) parce que ceux-ci sont des fins. Or, la caractéristique d’une fin est qu’elle ne dépend pas entièrement de nous. Si je fais une action bonne, je ne fais pas le Bien. On ne peut donc vouloir que les moyens et non les Fins, que nous espérons mais que nous ne pouvons vouloir stricto sensu.
 
Le sujet propose de faire exploser le concept de volonté dans la mesure où ce sujet colle sans l’interroger véritablement le fait de « vouloir » et « le mal pour le mal ». Or, cela est-il dans les cordes de la volonté ? Comme nous venons de le montrer, elle est liée aux moyens (qui dépendent de nous) en vue de fins (que nous espérons et donc qui ne dépendent pas de nous). Elle est donc pleinement humaine. La volonté entendue comme la marque de l’humanité ne peut se porter sur l’absolu. N’est-ce pas ce que montre Spinoza qui fait voler en éclat le concept de volonté ? Si la volonté est entendue comme une faculté, alors nous pouvons tomber dans le travers cartésien de la conception d’une volonté à l’image de Dieu. A ce moment là, la volonté est envisagée en elle-même comme un absolu, aussi grande en moi qu’en Dieu. Or le problème de Spinoza n’est-il pas de renoncer à cette transcendance ? Penser l’immanence revient donc à ne plus faire de la volonté une faculté dans la mesure où cela transporte toute la transcendance cartésienne. D’où le système spinoziste qui fait exploser le concept de « volonté ». Pas de volonté, que des volitions particulières.
 
Bref, on pourrait aller au bout de la logique du sujet et remettre le sujet en question. Montrer peut-être que sa formulation est maladroite grâce à une analyse bien conduite de ce qu’est la volonté.

Message cité 1 fois
Message édité par l'Antichrist le 21-01-2007 à 17:28:36
n°10437394
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 21-01-2007 à 18:23:51  profilanswer
 


 
Ben non justement, "non".

n°10438047
Ache
immatriculé-conception
Posté le 21-01-2007 à 19:57:53  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

A l’attention de [..], ardent défenseur de la scientificité, nous pouvons une fois encore nous ouvrir à une généalogie de la raison moderne en montrant l’héritage de Lucrèce..


Si 'scientificité' signifie montrer physiquement ce qu'on signifie, et si 'montrer' signifie présenter le processus signifié en rendant le processus reproductible et éclairant, alors on a raison de défendre la scientificité. Si en plus on remplace 'physique' par 'phusis', et si on remplace 'processus' par 'se faisant', et si on remplace 'généalogie de la raison moderne' par 'reconstruction du soi', alors c'est parfait (même si 'on' manque de candidats).


---------------
Parcours étrange
n°10438445
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 20:38:42  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Or le problème de Spinoza n’est-il pas de renoncer à cette transcendance ? Penser l’immanence revient donc à ne plus faire de la volonté une faculté dans la mesure où cela transporte toute la transcendance cartésienne. D’où le système spinoziste qui fait exploser le concept de « volonté ». Pas de volonté, que des volitions particulières.
 
Bref, on pourrait aller au bout de la logique du sujet et remettre le sujet en question. Montrer peut-être que sa formulation est maladroite grâce à une analyse bien conduite de ce qu’est la volonté.


 
 
Hé bien écoutez, c'est parfait, vous me mâchez le travail, car je comptais justement remettre en question le sujet grâce à Spinoza. :D Et donc dire, à ma façon, exactement ce que vous dites. Comme deux avis valent mieux qu'un, je me dis maintenant que j'avais raison d'aller chercher du côté de l'Ethique. ;)
 
En revanche, vous pêchez par orgueil, car je n'avais pas relu votre étude sur le Bien et le Mal pour écrire mon texte. :o

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 21-01-2007 à 20:40:48

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n°10438488
Profil sup​primé
Posté le 21-01-2007 à 20:42:41  answer
 
n°10438520
l'Antichri​st
Posté le 21-01-2007 à 20:46:00  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Hé bien écoutez, c'est parfait, vous me mâchez le travail, car je comptais justement remettre en question le sujet grâce à Spinoza. :D Et donc dire, à ma façon, exactement ce que vous dites. Comme deux avis valent mieux qu'un, je me dis maintenant que j'avais raison d'aller chercher du côté de l'Ethique. ;)
 
En revanche, vous pêchez par orgueil, car je n'avais pas relu votre étude sur le Bien et le Mal pour écrire mon texte. :o


 
Faites pas attention : il est bien votre exercice !

n°10438546
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 20:49:33  profilanswer
 


 
Désolé, je croyais t'avoir répondu, mais j'ai dû effacer... Bref.
Oui je dirais que c'est accessible. :)  
Je lis en ce moment le tome 3, d'ailleurs.  
 
Le tome 1 part d'une contestation du discours sur la répression de la sexualité, pour aborder la contrainte morale qui a développé, depuis le 19e siècle dans la culture occidentale, l'obligation d'analyser et de parler de sa sexualité, pour aboutir au problème du pouvoir sur la vie, le bio-pouvoir. ;)

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 21-01-2007 à 20:53:51

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n°10438560
Profil sup​primé
Posté le 21-01-2007 à 20:52:03  answer
 

rahsaan a écrit :

Désolé, je croyais t'avoir répondu, mais j'ai dû effacer... Bref.
Oui je dirais que c'est accessible. :)  
JE lis en ce moment le tome 3, d'ailleurs.  
 
Le tome 1 part d'une contestation du discours sur la répression de la sexualité, pour aborder la contrainte morale qui a développé, depuis le 19e siècle dans la culture occidentale, l'obligation d'analyser et de parler de sa sexualité, pour aboutir au problème du pouvoir sur la vie, le bio-pouvoir. ;)


 
 
Merci . J'ai lu les premières pages a la fnac , ce fut très intéressant . J'ai juste peur que ca devienne trop complexe pour mon petit esprit  [:kalimeroo]

n°10438563
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 20:52:15  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Faites pas attention : il est bien votre exercice !


 
Exercice qui doit beaucoup au séminaire de JL-Marion sur Saint-Augustin il y a deux ans. Séminaire d'une clarté et d'une précision remarquables, comme souvent chez le titulaire de la chaire de métaphysique de la Sorbonne. :D


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n°10438599
l'Antichri​st
Posté le 21-01-2007 à 20:56:18  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Exercice qui doit beaucoup au séminaire de JL-Marion sur Saint-Augustin il y a deux ans. Séminaire d'une clarté et d'une précision remarquables, comme souvent chez le titulaire de la chaire de métaphysique de la Sorbonne. :D


 
Ah bon, alors je retire ce que j'ai dit ! Non, je déconne !!!

n°10438618
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 21-01-2007 à 20:59:09  profilanswer
 

Ac me fait penser à mon directeur quand il se relache une fois par an pendant trente secondes :heink:

n°10438634
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 21:01:08  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Ah bon, alors je retire ce que j'ai dit ! Non, je déconne !!!


 
Sans ça, je ne me serais sans doute jamais intéressé à Augustin, du reste.  
Je voulais écrire un ptit truc sur les deux dimensions de la vérité chez lui : veritas lucens / veritas redarguens, et voir que la définition classique de la vérité, adequatio rei et intellectus, en dérive mais qu'elle est bien moins intéressante. Par là, on retrouverait les analyses de Heidegger sur le sens originaire de la vérité comme dévoilement. Mais Heidegger ne rend pas compte de la veritas redarguens, sens qui est dominant chez Nietzsche. :o
Tout un programme...


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n°10438646
rahsaan
Posté le 21-01-2007 à 21:02:42  profilanswer
 

daniel_levrai a écrit :

Ac me fait penser à mon directeur quand il se relache une fois par an pendant trente secondes :heink:


 
Suffit d'être là au bon moment.  [:r2 d2]  
 

l'Antichrist a écrit :

Ah bon, alors je retire ce que j'ai dit ! Non, je déconne !!!


 
Quoté pour la postérité.  [:maestro]  


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n°10440993
rahsaan
Posté le 22-01-2007 à 08:04:04  profilanswer
 

Hier, je me mets à parler charité, louange, Saint-Augustin, tout ça... Je me dis : il va pleuvoir.  
 
Et bah voilà ! L'abbé Pierre qui tire sa révérence ! :o
 
Donc à présent, on va en revenir à l'immanence, Spinoza, Nietzsche... :D


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n°10441057
Profil sup​primé
Posté le 22-01-2007 à 08:38:45  answer
 

rahsaan a écrit :

Hier, je me mets à parler charité, louange, Saint-Augustin, tout ça... Je me dis : il va pleuvoir.  
 
Et bah voilà ! L'abbé Pierre qui tire sa révérence ! :o
 
Donc à présent, on va en revenir à l'immanence, Spinoza, Nietzsche... :D


 
Tu pourrais pas parler de Daniel Pearl, histoire de faire dégager BHL ? :o

n°10441063
rahsaan
Posté le 22-01-2007 à 08:41:49  profilanswer
 

Mémétique de BHL : de la reproduction proliférante d'idées pourtant stériles en milieu médiatique. :o


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