l'Antichrist | Reprise du message précédent :
neojousous a écrit :
l'Antichrist, merci de m'avoir répondu de manière synthétique. Malheureusement je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par là en introduisant les principes synthétiques de Kant. Vous voulez dire que ce que jappelle premiers principes métaphysiques, et qui ne peuvent pas prendre la forme d'une science, correspondent à la faculté de raison, qui est première chez le sujet ?
Vous pourriez me donnez quelques précisions extrêmement brèves ?
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neojousous a écrit :
Je pense que non, que la science s'auto-régule d'elle-même, en réajustant ses principes premiers, en fonction des fruits qu'elle donne.
Un exemple : la physique classique a toujours considérée que les processus physiques s'écoulaient dans un même temps, absolu, non relatif à quelque grandeur que ce soit. Or les prédictions s'appuyant sur ce principe (et d'autres principes bien sûr) rendaient inexplicables certains phénomènes, les principes de bases ont donc du être réexaminés. On retrouve le même genre de chose avec la mécanique quantique, et la remise en cause de certains principes premiers, comme la localité, le déterminisme de systèmes physiques, etc...
Mais toutes ces considérations sont d'ordre épistémologique, et ont donc à faire avec la philosophie. Il ne s'agit pas de dicter à la science ce qu'elle doit faire, mais de comprendre comment elle fonctionne, et la nature de ce qu'elle nous dit.
EDIT : j'essayais de répondre à ta deuxième question. Pour la première c'est plus délicat. Je ne sais pas si ils sont nécessaires en principe, mais dans les faits, ils existent nécessairement dans la psychologie des chercheurs. On en revient aux paradigmes. Mais ils ne sont pas assurés, puisque l'histoire des sciences nous montre qu'ils varient de manière souvent étonnante.
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daniel_levrai a écrit :
Sur ce problème de la causalité, j'aimerais faire deux remarques :
1) ce que vous appelez "causalité interne", n'est-ce pas ce qu'Aristote essayait de d'établir dans sa physique ? Que le mouvement des corps ne peut être compris sans en retrouver les principes ? En ce sens, la modernité rompt avec Aristote en mettant en avant le principe de causalité externe, ou encore le mécanisme. 2) N'y a-t-il pas chez Kant lorsqu'il présente dans la faculté de l'entendement une relation entre la causalité et le temps ? Dans sa fameuse table des catégories " De la relation : Causalité et dépendance" de l'analytique transcendantale ? Les phénomènes étant présentés dans des relations avec le temps, ils sont permanents, successifs ou simultanés. Principe de substance, de causalité (succession dans le temps, temps qui ne rend pas compte du pourquoi de la succession de deux phénomènes arrive selon un certain ordre) et de réciprocité. C'eût été intéressant de l'indiquer.
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Bon, reprenons. La discussion a glissée de la notion de finalité à celle de principe : comment lier les deux ? Si vous acceptez de me lire jusquau bout, vous vous rendrez compte que la réalité du travail scientifique est un peu plus « complexe » que ce que vous en dites.
Tout dabord, vous avez bien compris que poser la question du principe, cest partir à la recherche dune origine. Cest ce que fait Aristote dans sa Métaphysique : le principe est le point de départ dun mouvement, il est ce qui donne son impulsion et son dynamisme à quelque chose, indépendamment dune référence à une cause absolument première qui le précéderait ontologiquement : Dieu. La science ne retient du « principe » que sa dimension de fondement : il est la proposition nécessaire à toute affirmation future, lénoncé sous-jacent structurant la démarche générale permettant de construire dautres raisonnements, délaborer dautres lois, daboutir à des résultats. Mais lenjeu épistémologique, celui que vous soulevez dans votre discussion, concerne lorigine de cette origine, sa provenance. Origine absolue ou origine qui a elle-même une source ?
Dans ce problème de lorigine épistémologique concernant les conditions de possibilité de lactivité scientifique sur le fond temporel-fictionnel de la sensibilité bien vu par Kant, cest du statut symbolique de la Loi dont il faut partir ! Cest du moins ce que la postmodernité a retenu.
Si le principe est guide daction, il est alors lui-même conditionné au sein de lactivité du sujet. Cest précisément ce que nous pouvons constater dans luvre de Kant, puisque lédifice de la Critique de la raison pure présuppose son propre fondement et, en particulier, le fondement du sujet transcendantal dont elle est le cadre, dans les assertions ultérieures de la Critique de la raison pratique, qui découvrent ce qui est effectivement « premier » au niveau de la sensibilité et de la connaissance, autrement dit le Factum de la loi morale, qui est le point de départ de tout le processus véritablement originaire de la sensibilité humaine intervenant dans la connaissance scientifique ou « déterminante », cest-à-dire précisément le point de départ du sentiment au niveau réflexif de la Raison pratique, et celui des intuitions a priori de lespace et du temps au niveau déterminatif de la Raison théorique.
Ainsi, du point de vue de la sensibilité, deux pressions existentielles concurremment et originairement travaillent effectivement sur nous, la Loi et la pulsion : chacune a été caractérisée respectivement par Kant et par Freud comme étant coercition (Zwang) ; toutes deux sont ignorantes du temps et, dans leur présence effective au cur de lexistence, elles nous renvoient sous légide du temps, toutefois, à notre double origine, morale et épistémologique : la première déterminant la dernière. Quoi et où que lon cherche, de Kant à Lacan, il est impossible détablir un fait transcendantal antérieur à la Loi, véritable ancrage en nous du symbolique et / ou du rationnel : topique archétypale destinée à maîtriser tous les sensibilia virtuels et réels. Aussi, pour nous apparaître dans la conscience en tant que le « pratique inconditionné », la Loi est-elle elle-même déjà en nous la virtualité de la Raison théorique. Cest pourquoi là où le Génie de lart présente ses Idées esthétiques, inadéquates à de purs concepts, ce que Kant appelle la Raison, de son côté, présente ses Idées rationnelles, inadéquates à lintuition : tout à la fois, le Symbolique de la raison pure participe aux Idées esthétiques et aux Idées rationnelles.
Si le problème majeur dune philosophie transcendantale, pour Kant, ou dune phénoménologie transcendantale, pour Husserl, est dexaminer, là les conditions de possibilité ou de validité de la connaissance du sujet transcendantal construisant le monde, ici lorigine épistémologique au sein dune co-subjectivité transcendantale lintuitionnant originairement, alors la solution de ce qui se présente comme le problème central dune philosophie postmoderne, cest-à-dire le problème de la symbolisation, doit pouvoir mettre au jour, dans une démarche régressive, un en-deçà ou un préalable imaginaire et, sinon originant, du moins à lorigine.
Dans sa logique des signes, Husserl avait parfaitement prouvé que la pensée symbolique contient lénigme de lagencement des signes à partir de représentations impropres accompagnant des concepts avec ladjonction de représentations de suppléances. Tandis que les premières peuvent tenir lieu de concepts, les secondes donnent lieu à des concepts supérieurs et sans intuition de contenu, quelle soit immédiate ou définitive. Toute une architectonique de « signes de signes » (expression par laquelle Kant désignait dailleurs le symbole ou « lintuition analogique »), constitue de proche en proche la pensée dans la « logique des signes » telle que Husserl lexpose. Et si, en dernière instance, larchitectonique humaine repose, il est vrai, sur un « art caché », celui de la Raison pure et / ou du Génie, véritable jeu symbolique inspirant le schématisme de lentendement, ce dernier agit daprès sa loi propre à travers une « imagination transcendantale » productrice, et sa connaissance provient donc du concept après quelque action (présupposée) sur la sensibilité. Lunité dans la détermination de la sensibilité est donc assurée par limagination dans la perspective de la connaissance des phénomènes, naissant avec lexpérience. Kant, qui veut comprendre la construction, travaille alors vers lorigine. La réalité singulière qui présente lobjet dans la naissance de la connaissance peut donc être soit le schème, soit le symbole.
Examinons les deux cas. Du fait de « lart caché » de la connaissance, le schème est tributaire du symbole, et le symbolique précède le schématique, car si le symbolique est nécessaire au schématique, le schématique ne lest pas au symbolique. Il faut donc, dans le premier cas de présentation de lobjet, souligner et invoquer quelle détermination peut et doit jouer (jinsiste sur cette opération de « bascule »). Or, il ressort que la détermination a priori du temps, varie selon les schèmes différents, mais toujours dans une opération impliquant lun des schèmes possibles selon les conditions. Quant au symbole, qui constitue le second cas de présentation de lobjet, il faut bien admettre quil est plus fondamental, à la fois plus proche des Idées esthétiques (sans concept) et des Idées rationnelles (sans intuition) : on voit que le rationnel peut, à travers le symbolique, sinscrire dans le Réel pour « présenter » un objet représentant lobjet, et que le symbolique (esthétique parce quil est sans concept déterminé, et rationnel parce quil est sans intuition déterminée) peut être un mode du rationnel comme le rationnel peut être un mode du symbolique : lambiguïté et lambivalence étant ici très prononcées. Il faut évidemment rejeter le préjugé suivant lequel le symbolique est seulement pré-rationnel.
Donc le symbolique est loin dexclure le rationnel puisque, au contraire, il peut sidentifier au rationnel et que, de toute manière, il le précède et le fonde dans la mesure où il lui ouvre la voie nécessaire. Le symbole est clair et net dans son essence, car il ne relève pas du temps : ni du temps comme concept, ni du temps comme intuition a priori, ni enfin du temps comme sentiment. Mais il a une emprise sur le temps quil jalonne et constitue dans la fiction. Le symbole avec lequel Platon présente le temps comme « une sorte dimage mobile de léternité » (cf. Timée, 37 d) est devenu, grâce à Kant, limage mobile de la perfection, les deux modèles fixes et immuables auxquels saligne, dans les deux mobilités platonicienne et kantienne, le temps en tant quimage. Une telle présentation opérée par le symbole dune image (un objet) représentant activement, et nullement passivement, lobjet (éternité ou perfection) est, certes, une présentation indirecte de lIdée, mais la médiation du symbole fait loi, car pour ne pas venir de lexpérience ni de lintuition, elle nen est pas moins nécessaire et fondamentale : telle est dans la Critique de la raison pure (cf. « Des Idées en général ») lIdée de vertu chrétienne qui simpose selon la présentation dun nécessaire fondement devant orienter tous les « progrès » (moraux et épistémologiques), et qui est dabord la présentation du nécessaire fondement du progrès vers la « perfection » : léthique chrétienne déterminant le type même de notre savoir et, par là, de la modernité. Mais, au-delà de la modernité, sans doute porte-t-elle en elle la graine de la postmodernité : sa propre négation.
Il va de soi quune idée rationnelle, par définition privée dune intuition adéquate comme de toute expérience, soit fondamentalement privée du temps imaginaire ou de limage du temps dont se réclame toute expérience se déroulant sur la base des intuitions a priori et sur celle, primordiale, de lintuition a priori du temps. Or, puisque nous ne comprenons, comme lécrit Kant, que ce « qui implique dans lintuition quelque chose qui corresponde à nos mots » (Critique de la raison pure : « remarque sur lamphibologie des concepts de la réflexion »), il faut bien que nous utilisions des symboles (mots ou équivalents de mots, ou plutôt de paroles) au niveau esthétique ou même au niveau des idées rationnelles, cest-à-dire à la fois du point de vue de lintuition et du point de vue des mots eux-mêmes ou de leurs équivalents. Ainsi, avant même dimaginer le curseur mobile qui court sur le temps imaginaire de notre vie, il faut bien que les concepts transcendantaux de la raison, cest-à-dire les Idées, fournissent « au fond et en secret », à lentendement « un canon qui lui permette détendre et daccorder son usage » (cf. « Des Idées transcendantales »). En effet, quant à elle, la Raison pure théorique na guère besoin de penser la série causale ni même la progression mathématique, cest-à-dire ce qui pour nous relève du statut du temps imaginaire que nous ne pouvons penser directement, mais sans lequel nous ne pourrions rien penser du tout : série et progression relevant directement de la fonction de lentendement ajusté à lexpérience sensible et à lexpérience scientifique (experientia et experimentum). Cependant, la Raison pure théorique nen impose pas moins elle-même un temps symbolique, ainsi que firent Kant et Platon avec limage mobile de léternité ou de la perfection, temps symbolique fondamental et originaire qui, en dautres termes, sénonce dans la faculté platonicienne de la dialectique ascendante et dans la liberté kantienne contemporaine de la Loi.
Seulement analogue dun schème de la sensibilité, non adéquate ni identique, lIdée de la Raison, dont lusage est non constitutif mais régulateur, ne peut facilement se formuler. Aussi pour elle nous devons parfois forger de nouveaux mots et organiser des discours nouveaux sur des mots anciens et dans la brèche des discours anciens. Dès quon nomme une Idée, « on dit beaucoup, eu égard à lobjet (comme objet de lentendement) mais on dit très peu eu égard au sujet (cest-à-dire relativement à sa réalité sous des conditions empiriques) » (cf. « Des Idées transcendantales « ). En effet, on peut comprendre que le concept dun maximum ne puisse se donner « in concreto dans une intuition adéquate » (ibid.). Or, cest bien par de tels concepts « maximaux » que toutes les civilisations humaines ont voulu commencer, ainsi que Comte le remarque à propos des grandes questions métaphysiques ou théologiques. Concepts maximaux ou symboles essentiellement sont les intuitions inadéquates de toutes les grandes pensées symboliques des premiers temps. Cest pourquoi, de même que la Critique de la raison pure trouve son fondement, après coup, dans la Critique de la raison pratique, ce qui rend dépendante la science de la morale, de même nous pouvons aussi affirmer maintenant que ces deux Critiques, considérées du point de vue épistémologique, cest-à-dire du point de vue de lorigine épistémologique, donnent à chercher leur fondement dans la Critique du jugement, puisque celle-ci sattarde longuement à dépeindre le jeu libre de la poéticité sans laquelle la symbolicité ne saurait elle-même remplir le rôle dune condition originaire : on peut dire que, dès lors, tous les éléments théoriques nécessaires sont réunis pour lappréhension symbolique de ce que lon peut appeler, quels que soient les lieux et les temps, un « système de pensée » se présentant à nous comme un « système de signes », au niveau anthropologique dune philosophie fondamentale à la recherche dune origine épistémologique.
Ainsi, la raison est essentiellement plastique. Pour les classiques, le problème épistémologique est chaque fois celui didentifier des plans de nécessité : or, ces plans de nécessité varient dAristote à Descartes. A lidentification logique queffectue Aristote entre la nécessité intelligible et la nécessité sensible, succède lidentification réelle du cogito avec le monde intelligible quopère Descartes sans découvrir cette autre nécessité qui permettra de passer de la nécessité réelle à la nécessité logique. Spinoza va poser la nécessité du monde existant et la nécessité du monde intelligible et les identifier. La démarche didentification demeure dans tous les cas. Lontologie disparaît certes dans le rationalisme moderne, mais les principes régulateurs se maintiennent, réduits au minimum, tout comme les objets constitués au nombre desquels désormais on compte aussi bien la relation, les signes eux-mêmes compris comme objets dopération sans aucun souci dontologie. La finalité épistémologique de Descartes était la recherche et la conquête des « explications ultimes », selon lexpression de Popper. La plasticité de la raison implique le maintien dun conventionnalisme didentification, en même temps quelle privilégie une recherche de rationalité du type plutôt « causal », cest-à-dire opérationnel, que du type simplement « identitaire ». Le sens vient de la perspective dun champ opératoire. Aussi, bien plus que de « raison », on parle plus justement aujourdhui de « langage scientifique ».
Donc, ce quil faut éclaircir maintenant, plutôt que la raison, cest la rationalité et partant le rationnel : à la fois ce qui légitime ou ce qui structure la légitimation et le légitimé. Ruinant les dichotomies traditionnelles en philosophie (par exemple : objectif / subjectif, fait / valeur), lépistémologie contemporaine donne une nouvelle vision de la rationalité, assez large pour nêtre ni déterminée par la culture ni conçue une fois pour toutes.
Une saisie structurelle de la rationalité permet une meilleure prise en charge des opérations théoriques et pratiques qui sont, sans conteste, lapanage de la « rationalité » humaine plutôt que de la « raison » qui savère, quant à elle, bien être « dans lhistoire et façonnée par lhistoire ». Car, puisque lobservation ou la considération philosophique prétend éloigner le hasard, simple « nécessité extérieure » selon Hegel, et quelle cherche dans lhistoire, sinon une finalité du monde, comme le veut Hegel, du moins sa rationalité propre, comme nous pouvons le constater, il est clair aussi que « ce qui se passe », « ce qui arrive », l « événement » de lhistoire (le geschichtlich) à sa manière, « réalise » lesprit, quelque idée quon en ait, dans les formes dans lanalyse desquelles se découvre la « rationalité ». La validité même de cette rationalité se présente elle-même avec toutes les marques normatives ou les critères dexigence qui la font ce quelle est. Les problèmes épistémologiques ne précèdent pas la science, Neojousous a tout à fait raison sur ce point ! Pourquoi ces relations et non dautres ? Cette question philosophique vient « après ». Le hasard nest pas la réponse obligée, non plus pour ces représentations plutôt que pour dautres. Quant aux « enchaînements » logiques, ils ne peuvent se désolidariser ni de lexperientia (ou de lErlebnis) ni de lexperimentum (ou de lErfahrung). Que serait ce que nous disons relever de la « raison », sans l « expérience » ? Et, face au fameux critère des « données » de lexpérience, que serait cette raison si elle devait sen passer ? La science ne peut se déduire rationnellement selon un pur processus de raisonnement, comme Descartes a tenté de le faire jusquà un certain point, et comme certains logicistes contemporains auraient voulu le démontrer, sinon leffectuer : on pense bien sûr à la tentative de Carnap dans ses Logical Foundations of Probability.
La « rationalité » est ce qui a permis à Descartes de prendre appui sur la garantie divine et, avant lui, à Aristote dobtenir lidentification logique entre le monde de la nécessité intelligible et le monde de la nécessité sensible. Cest aussi ce qui a permis à Platon de discerner le logos et de lériger au-delà du mythos, mais cest encore ce qui a ordonné le cosmos sur le fond de chaos : telle est luvre du mythe, aussi une uvre de rationalité. La raison mathématique et logicienne ne rend pas compte de la rationalité dans toute son envergure. Là où lirrationnel nest que du virtuellement rationnel, on peut dire quune rationalité nouvelle simpose à nous, ou plutôt que la rationalité est encore plus large que nous ne le concevions : notre révision et notre remodelage du « modèle » de la rationalité est la tâche qui ainsi nous attend au fur et à mesure que la science (dont lunité nest quune hypothèse fictive de recherche) « progresse », cest-à-dire se « réalise » dans lhistoire des hommes. Théorie de lévolution, théorie de la relativité, théorie atomique, axiomatique mathématique ont, chaque fois quelles se sont imposées dans lhistoire des sciences, déformé et reformé notre vision de la rationalité : ce qui montre bien que ce que la raison rejette appartient encore peut-être déjà à la rationalité virtuelle ou plutôt, est dans sa vocation de lordre de la rationalité. Sinon, comment sexpliquerait la plasticité de la raison ? Même en fonction de lhistoriel, cette plasticité explicitée ne rendrait alors plus un compte juste de ce que lon continuerait encore à appeler « raison ». Les limites de la raison ? Ce « pouvoir » se transformant sans cesse doit avoir sa raison propre, légitimant la permanence dune notion efficace fût-elle changeante. La novation modifie sans cesse la raison, mais valide le concept de rationalité. Lirrationnel, cest ce qui nentre pas en ligne de compte dans une interprétation scientifique reconnue, et qui nest donc quun phénomène de limite, mais de limite infranchissable au moment où il est considéré. Quand le modèle dintelligibilité est un modèle mécanique, alors « le principe de Carnot nest pas, par lui-même, rationnel ». Et Meyerson montre que ce principe ne sera reconnu comme rationnel que sil peut être adapté au mécanisme. Or, le mécanisme nest pas un archétype, il relève de lhistoire des sciences.
Critère formel de la raison et critère objectif de lexpérience se croisent et se concentrent dans les problèmes de méthode. Ceux-ci sont dominés par ce quon pense clarifier et distinguer par les deux termes d « expérience » et de « raison ». Mais, en fait, l « expérience » dépend fondamentalement de la « raison » qui la constitue et la définit très précisément. Et la « raison » elle-même ne va pas « de soi », elle dépend fondamentalement elle-même de la structure d'ensemble que nous nommons « rationalité », cadre structurel logico-expérimental dont les tenants et les aboutissants réagissent lun sur lautre. Il se dégage toujours une rationalité quand les systèmes de signes sont suffisamment décrits et définis dans leur articulation la plus fine. Sinon, il serait impossible quune même relation appartienne à la fois à lordre de la « raison » et à lordre de l'« expérience ». Or, cest bien ce qui doit se produire pour quil y ait « connaissance » et même « connaissance scientifique ».
Cest dailleurs pourquoi les philosophes ont apporté leurs théories de la connaissance comme terrain de cette entente entre la « raison » et l « expérience ». Le monisme réduit lun des deux termes de la dualité à lautre ; soit, dans la perspective dun rationalisme intégral, quon affirme dun point de vue réaliste que la structure vraie de lobjet est réalisée dans le monde et que la connaissance est son reflet dans la conscience humaine, ou encore quon affirme dun point de vue idéaliste que les représentations ne sont quajoutées à lobjet de la représentation et que les relations entre les représentations ne sont que des comparaisons et des classifications de représentations. Au lieu du monisme dautres ont proposé le dualisme : deux termes séparés sont posés comme deux altérités absolues, ou deux substances hétérogènes, par ex. : absolument différent de la pensée et la pensée : il faut noter à ce propos que la distinction que fait Descartes entre la pensée et létendue ne recoupe pas la distinction à laquelle nous faisons allusion entre la raison et lexpérience, car pour Descartes la pensée est aussi volonté et létendue nest pas objet dexpérience mais objet dintuition, dune intuition intellectuelle de même nature que le cogito. La séparation ontologique rend, de plus, impossible la justification dune relation entre les termes. Lopération déductive de la raison a pour base lintuition des natures simples : la seule garantie dobjectivité étant la véracité divine. Aussi ny a-t-il pas dirrationnel pour Descartes dans létendue. De toute façon, tout recours à lexpérience et à linduction est inutile puisque lintuition intellectuelle donne la réalité objective à partir de laquelle la seule opération possible est de déduire, la mathématique se révélant être une physique et inversement, ainsi que le montrent les Principes. Les choses ne sont connues que par la médiation de la substance étendue : delles, « il ne reste », écrit Michel Serres, « quun monde vide et lacunaire et, par là, distinct et clair, de points, de plans, de sphères et de tourbillons : il ne reste quun monde support de conditions théoriques intégralement assumées par le sujet pensant ». En fait, le dualisme rejoint le rationalisme intégral, même le monisme. Descartes se meut dans la sphère de la priori : de la structure rationnelle du monde et donc dun a priori de la science. La position inverse devient possible avec Meyerson qui cherche également la structure a priori de la raison, mais en partant, comme Auguste Comte, de la posteriori des sciences dans leur développement historique, doù le titre de son ouvrage capital : Identité et réalité, et dans lequel il avance ce quil dit être le résultat de son enquête historique : dune part, la définition de la rationalité comme identité ou tendance à identifier : dautre part, la définition de lexpérience, ou de la réalité comme essentiellement irrationnelle. En somme, la connaissance devient une tentative presque impossible dans son achèvement, celle de réduire lirréductible, de rationaliser lirrationnel, et qui ne réussit quà la condition de convenir dun compromis dont le sort est dêtre sans cesse remis en question, sinon en échec, par la reconsidération de la réalité sans cesse reconstruite au cours de lexpérience scientifique. Ayant tenté de « parvenir a posteriori à connaître les principes aprioriques qui dirigent notre pensée dans son effort vers la réalité », Emile Meyerson réduit, quant à lui, ces « principes » de la raison, y compris le principe de causalité, à « laffirmation précise de lidentité dans le temps (et, par extension, dans lespace) ». Message édité par l'Antichrist le 24-12-2006 à 13:55:31
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