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Auteur | Sujet : Philo @ HFR |
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Publicité | Posté le 19-06-2008 à 17:31:12 |
pascal75 | Je la connais pas mais celle de Goldsmith est bonne. --------------- |
foutre de | Abordant comme à une terre promise après une année de vicissitudes à la lecture de la Thèse de Lyotard, Discours Figure (klincksieck), le bougre me renvoie immédiatement, dès les première lignes et aussi à cause d'une syntaxe très particulière de sa phrase que j'y retrouve immédiatement dans la syntaxe impondérable du poète, à L'Art poétique de Claudel, auquel Maurice Gandillac avait déjà jugé bon de consacrer un article ("scission et co-naissance" ) Je ne sais pas si ici quelqu'un connaît ce petit opuscule, écrit en Chine et publié à compte d'auteur vers 1904, où Claudel délivre sa célèbre notion de co-naissance, dont le recueil Connaissance de l'Est avait déjà posé l'expérience. Or, tentant de relever la cause de ses relais abstraits aristotéliciens et scolastiques, il lui confère un angle d'abord qui ravira les lecteurs de Deleuze ; je cite :
Il reste toujours très frappant, et j'avoue en avoir été immédiatement séduit, avec cette façon de penser la cause comme méditation humaine de l'homogénéité du donné. Dans son parcours il en passe par une réflexion intéressante sur la nature et les mécanismes du syllogisme et sur la façon dont l'art de nommer qui en procède peut faire force de loi parmi les hommes ; même si pour lui aucune nomination de cette sorte ne saurait faire connaissance
mais surtout :
Voici une piste à partir de ce que j'ai pu souligner au cours de ma lecture. Ce n'est qu'une infime partie de ce dont le texte recèle. J'espère cependant que ceux qui ignorent ce texte pour le moins peu canonique dans le cursus des études de philosophie auront saisi un peu de son acuité et seront peut-être animés du désir de le parcourir. À la façon dont Lyotard le cite dès les premières lignes de son introduction, mais aussi pour la place qu'il a pu tenir dans les propos de Merleau-Ponty, Claudel mérite qu'on lui jette un regard attentif et scrupuleux. La publication de ses lectures de la Bible, mais surtout de son journal, a montré quel penseur d'envergure il avait pu être pour le XXe siècle. J'espère qu'il vous aidera à sortir de la torpeur où semblent vous avoir plongés l'entrée dans l'été et la fête de la musique. bien à vous,
Message cité 1 fois Message édité par foutre de le 25-06-2008 à 07:58:18 --------------- « Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement » |
le vicaire |
Message cité 1 fois Message édité par le vicaire le 26-06-2008 à 10:23:51 |
le vicaire |
foutre de |
Lyotard avance qu'il va travailler sur la "figure" ; c'est-à-dire ce qui relève du purement perceptif, y compris dans le langage (symboles graphiques, gestes...) et sur lequel le langage peut se pencher mais sans vraiment parvenir à le circonscrire dans des significations déterminées : un discours n'épuise jamais un évènement plastique, un évènement sensible, un rythme perceptible. Là où cette introduction est surprenante, c'est qu'elle programme une dérive qui va emmener Lyotard de la phénoménologie de la perception (déjà au-delà de l'ego, vers le On anonyme, que Lyotard a reçu de Merleau-Ponty comme possibilité de dépassement du sujet de la connaissance encore trop métaphysique malgré Kant) à une localisation de l'évènement dans le domaine du désir, dans sa vacance : - Le figural sera donc d'abord envisagé comme relevant du domaine sensible, perceptible, dont le discours est traversé, constitué, mais sera ensuite trouvé à l'occasion de l'énergétique du désir ; tel est son cheminement, qu'il décrit comme ce qui a fait évènement pour lui à écrire ce livre : s'acheminer hors de la phénoménologie dont il était héritier ; le livre est le récit de cette dérive.
à l'occasion je passerai vous dire un mots de la suite de ma lecture (qui est très richement illustrée, depuis les enluminures du Moyen Age jusqu'à Jackson Pollock) Message édité par foutre de le 26-06-2008 à 21:37:42 --------------- « Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement » |
pascal75 | Ah oui, ça m'intéresse --------------- |
le vicaire |
pascal75 | "Au juste", je dirais. --------------- |
Publicité | Posté le 26-06-2008 à 20:24:13 |
foutre de |
--------------- « Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement » |
pascal75 |
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pascal75 | Enfin... du vingtième, parce que de ce siècle, c'est nous --------------- |
le vicaire |
l'Antichrist | Puisque nous sommes en période d'examen du bac, voici une petite réflexion concernant le sujet (tombé cette année en TES à Pondichéry) : La culture permet-elle d'échapper à la barbarie ?
Message cité 1 fois Message édité par l'Antichrist le 28-06-2008 à 07:13:13 |
Mine anti-personnel |
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rahsaan | Ya encore des rattrapages en septembre pour le bac ?
Message cité 1 fois Message édité par rahsaan le 27-06-2008 à 10:32:51 --------------- Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com |
alcyon36 | Voilà une petite étude, qui à la suite du post de Neojousous reprend la question du Nietzsche de Wotling...enfin pour ceux qui le liront en entier jetais sous spliff quand je l'ai composé, donc si c'est du grand n'importe quoi, c'est normal... enjoy
Aussi, quand Nietzsche se réfèrera à la « réalité », il ne s’agira pas de ce monde « véridique de l’être », du stable, de l’identique, mais de ce perpétuel processus qu’est justement la Volonté de puissance, ce monde du devenir, des apparences… Si Nietzsche critique certaines interprétations pour cause de mauvaise philologie, ce qu’il vise particulièrement ce sont celles qui confondent le texte et son interprétation. Or cette confusion caractérise un type particulier d’interprétation, qui suppose d’aborder,
Or ce type d’interprétation, ainsi comprise comme explication, relève de ce que Nietzsche nomme « l’interprétation morale du monde », et repose immanquablement sur le dualisme entre un monde qui serait « vrai », celui du même et de l’identique, et un monde trompeur, qui serait celui des apparences. A la différence de l’interprétation idéaliste et morale, qui suppose l’existence d’un sens « en soi » déjà contenu dans le texte de la « réalité », l’hypothèse d’interprétation qu’est la Volonté de puissance tente au contraire de comprendre la nature profondément interprétative de la « réalité » elle-même ;
Donc nous pouvons dire que selon cette hypothèse, tout ce qui « est » n’est constitué que de rapports de forces, d’un processus perpétuel d’accroissement de la puissance, c'est-à-dire une volonté de maîtrise et d’assimilation (interprétation) d’un certain quantum de puissance par un autre quantum de puissance. Une telle hypothèse suppose que la Volonté de puissance soit comprise comme intrinsèquement affective, comme pathos, afin d’être en mesure de déterminer des équivalences et d’évaluer les degrés de puissance. Aussi, pour Nietzsche, il faut comprendre que ce que nous appelons la culture, que ce soit l’art, la philosophie, la religion, la science…doit être conçue comme l’ensemble des interprétations produites par des corps afin d’assimiler la « réalité ». Ainsi, l’enquête généalogique menée par Nietzsche, doit être double ; il s’agit de rechercher simultanément les origines pulsionnelles de ces interprétations (morales, scientifiques, religieuses…), et d’élucider la valeur des valeurs propres à chaque interprétation ; telle est la tâche du philosophe médecin de la civilisation. Comme le résume très bien P. Wotling,
Il s’agit à présent pour nous de nous demander quel peut être le statut que Nietzsche confère aux « idées modernes » qu’il se plait tant à critiquer ? Pouvons nous en parler comme d’idéologies, et si oui, en quel sens ?
Ce qui se joue dans cette passion de l’égalité entre les hommes, dans cette volonté de réduire les distances entre l’homme et l’homme, c’est bien une guerre larvée contre tout ce qu’il peut exister de noble sur terre. Il s’agit de détruire toutes les hiérarchies, tous les privilèges, dont certains pourraient se prévaloir. A ce titre, Nietzsche n’hésite pas à remettre les choses à leur place, en niant au démocratisme ou au socialisme, toute singularité politique; ils sont tous deux, en dernière instance, des rejetons du christianisme. Même si cette passion de l’égalité n’est pas au goût de Nietzsche, il n’occulte pas la prégnance d’une telle idée ; il est parfaitement conscient que cette guerre contre tous les instincts et évaluations nobles est déjà plus ou moins gagnée ; ce n’est donc pas sur ce terrain qu’il pourra agir.
Ainsi, Nietzsche balaie les prétentions du socialisme ; comment parler de lutte des classes, alors qu’il n’y a plus à proprement parler de classes supérieures en mesure de s’opposer à des classes inférieures, il n’y a plus que l’humanité dans sa plus grande généralité, tournant en rond autour d’elle-même. Ce qui tient lieu de classe supérieure ne se distingue en aucun cas du reste de la société , elle est dans la société et vise donc le même projet de grégarisation, le développement des droits égaux. Nietzsche va même plus loin, ce qui l’interpelle c’est bien notre incapacité moderne-trop-moderne à ressentir ce qu’il appelle la fierté antique . Cette fierté se fonde sur le sentiment de distance séparant le noble, de l’esclave…quelque soit notre position, qui que l’on soit, l’homme qui est face à nous sera toujours perçu comme étant notre semblable(Sur ce point, les conceptions de Nietzsche sont très proche de celles de Tocqueville sur la « passion de l’égalité » ; voir par exemple l’article croisé de P. Manent sur Nietzsche et Tocqueville, « La passion de l’égalité », in Le nouvel observateur, n°48, septembre/octobre 2002, p. 27-29.). S’agit-il d’une idéologie ? En quel sens ? Le concept d’idéologie recouvre différentes significations, parfois même contradictoires. Or, cet état de fait est déjà présent dans les travaux de Marx et Engels portant sur l’idéologie. Ainsi, dans l’Idéologie allemande, ce n’est rien moins que quatre significations distinctes qui sont mises au jour. Le premier usage recouvre une réduction de la conscience, des prises de positions théoriques, à la seule expression d’une position sociale. A l’inverse, le second usage renvoie quant à lui, à « l’autonomisation extrême » de la conscience par rapport à la vie sociale. Les deux dernières significations dépendent en fait, de l’ambiguïté qui gît dans l’expression « d’idéologie dominante » ; une idéologie peut être dite dominante si elle est « partagée » par tous, dominants et dominés, elle constitue alors une sorte de socle commun, mais elle peut également dominer au sens où elle est sortie victorieuse de sa lutte contre les idéologies critiques des dominés . Selon ces différents usages, il nous parait possible de comprendre les idées modernes que Nietzsche critique, bien qu’elles aient un contenu tout à fait différent de ce que Marx et Engels rangeait du côté des idéologies, comme des idéologies au sens des deux derniers usages présentés. En effet, ces idées modernes étaient à l’origine en concurrences avec d’autres interprétations, plus nobles selon Nietzsche, mais ont fini par sortir victorieuses et à s’étendre à l’ensemble de la société. Nous avons donc deux nouvelles questions qui se posent à nous. D’une part, il nous faut chercher à comprendre comment ces interprétations ont fini par s’imposer et prendre le dessus. Ensuite, pour pouvoir maintenir notre hypothèse, il nous faut montrer en quoi la critique que Nietzsche adresse à l’encontre des idées modernes est fondamentalement différente de celle qui est à l’origine de la critique des idéologies selon Marx et Engels. De Marx à Nietzsche ce n’est pas seulement le « contenu » de ce qui est considéré comme une idéologie qui change, mais avant tout le sens et la portée de cette critique. Cette question n’est pas accessoire, car comme nous allons le montrer par la suite, nous verrons que justement ce qui motive la critique de l’idéologie selon Marx et Engels, en ce qu’elle se fonde sur la critique irréligieuse de Feuerbach, empêche de saisir la mort de Dieu comme un événement, et donc tout autant comme une occasion à saisir (nous verrons comment) afin d’œuvrer sur l’avenir de l’humanité.
Ce qui caractérise ces deux types de morale, c’est bien cette asymétrie au sein des processus de cristallisation des valeurs. Dans le cas de la « morale de maîtres », c’est la valeur « bon » qui est spontanément fixée ; de ce fait le « mauvais » n’est plus que secondaire et accessoire. En ce qui concerne la « morale d’esclaves », c’est bien la valeur de « méchant » qui est prioritaire. Comment comprendre cette asymétrie ? Quel sens Nietzsche lui donne-t-il ?
Le sentiment fondamental qui gouverne la fixation des valeurs de ce type premier de morale est appelé par Nietzsche le pathos de la distance. Cette manifestation pulsionnelle se traduit par le plaisir pris à la délimitation, à la mise en place de hiérarchies…par la spontanéité à reconnaître ceux que l’on considère comme nos pairs et d’écarter ceux qui ne peuvent être considérés comme des égaux. Sans que nous ayons besoin d’insister particulièrement sur ce point, on se rend bien compte que cet affect, que ce pathos de la distance est étroitement lié, en ce qu’il se fonde sur la spontanéité, à l’hypothèse de la Volonté de puissance.
Si toute morale est belle et bien une Züchtung, c'est-à-dire qu’elle vise toujours la sélection, par son travail sur les affects, d’un certain type d’homme, il s’agit pour Nietzsche de bien insister sur la distinction du type d’homme qu’elle met en avant. Il fait clairement la différence entre deux types de Züchtung ; « Pour nous faire une idée juste de la morale, il faut mettre à sa place deux notions empruntées à la zoologie : domestication de la brute et élevage sélectif d’une certaine race (Zähmung der Bestie und Züchtung einer bestimmten Art) ». Ces deux cas de processus sélectif s’incarnent aux yeux de Nietzsche, respectivement sous les traits du Christianisme et du système de caste fondé par la « Loi de Manou ». La Zähmung repose sur la crainte et ne vise que l’uniformisation, l’aplatissement et le nivellement des individus ;
Au contraire, ce qui caractérise le « code de Manou » c’est le système tout à fait spécifique de castes, de distances sociales qu’il impose entre les hommes ; « l’ordre des castes, la hiérarchie, ne formule rien que la loi suprême de la vie même ; la séparation des trois types est nécessaire à la conservation de la société, si l’on veut rendre possible des types plus élevés et suprêmes, - l’inégalité des droits est la première condition pour qu’il y ait des droits. » . Mais alors, si le projet politique de Nietzsche revient à mettre en place une organisation hiérarchique et inégalitaire de la société, alors que partout en Europe la « doctrine des droits égaux », qui se fonde sur le ressentiment des faibles, est dominante, comment veut il s’y prendre ? Comment peut-on agir sur le ressentiment ? C’est bien à ce problème de la praxis culturelle que la doctrine de l’éternel retour est censée répondre. Mais pour ce faire, encore faut-il que ce marteau dans les mains du philosophe législateur soit en mesure de trouver l’occasion de devenir efficace. Or, pour Nietzsche, c’est bien l’événement de la mort de Dieu qui doit fournir l’occasion à la doctrine de l’éternel retour d’entrer en action. Il s’agit, comme nous allons à présent le voir, d’être en mesure de saisir cette mort de Dieu comme un événement, ce que Marx et Engels, du fait de ce qui motive leur critique de l’idéologie, ne peuvent pas faire.
Ce qui nous intéresse, c’est bien de comprendre le rapport entre l’idéologie et la question nietzschéenne de la mort de Dieu. Or justement, cette critique de l’aliénation s’inscrit dans la continuité de celle initiée par Feuerbach contre la religion. Comme le rappelle parfaitement bien P. Ricœur dans son parcours sur la genèse du concept d’idéologie ;
Il n’est certainement pas question de réduire la démarche de Marx à une simple reprise de la critique initiée par Feuerbach. Marx va en se réappropriant Feuerbach, vouloir aller beaucoup plus loin que ce dernier. Pour lui, « la critique de l’aliénation religieuse ne se suffit pas à elle-même : c’est, en effet non d’une simple critique intellectuelle, mais de la disparition de conditions sociales inhumaines qu’il attend la suppression de la religion. » . Se libérer de la religion est un premier pas dans l'affranchissement du genre humain. Mais on ne peut s'affranchir de la religion uniquement ; ce ne serait qu'une libération théorique, par la pensée. Libération seulement idéale, en esprit : celle à laquelle, selon Marx, Stirner s'est cantonné, lui qui ne supprime l'aliénation que dans la tête de l'individu, au lieu d'œuvrer à la libération réelle de l’homme. Donc s'affranchir de la religion n'est pas un moyen mais un résultat, et ce résultat ne sera obtenu que par la révolution, qui concerne tous les domaines de la société. Pour autant, et ce malgré les distances qu’il prendra petit à petit vis-à-vis de Feuerbach, ce qui constitue le fond de son modèle de critique, c’est bel et bien le mouvement de Feuerbach. A ce titre, la toute première phrase de L’introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel, même s’il n’est pas encore question à proprement parler d’idéologie à cette époque, est particulièrement significative, « Pour l’Allemagne, la critique de la religion est pour l’essentiel achevée, et la critique de la religion est la condition de toute critique. » . Lorsqu’il renvoie à cette critique de la religion qui a déjà été effectué en Allemagne, il fait évidement référence aux avancées de Feuerbach. Le jeune Marx va même beaucoup plus loin en indiquant explicitement que le modèle de critique de l’aliénation religieuse est le réquisit nécessaire à toute critique. La suite de l’introduction est encore plus précise sur ce point ;
La motivation de la critique repose bien, comme pour Feuerbach, sur le constat que c’est « l’homme qui fait la religion » et non pas l’inverse. Il nous faut, à présent, nous tourner vers la pensée de Feuerbach, afin de dégager plus précisément la nature de ce geste critique.
Telle est l’aliénation religieuse aux yeux de Feuerbach. Dieu est une projection, une image de son essence, que l’homme se tend à lui-même, et à laquelle il se soumet. La métaphore du rêve dont fait usage Feuerbach, lui permet de bien mettre en évidence les différents moments de cette aliénation. En premier lieu, l’homme « expulse » ses propres déterminations pour en faire celles d’un Dieu transcendant, lui prêtant une existence propre et indépendante ;
La conscience est ainsi rendue étrangère à elle-même, l’homme est aliéné, il n’est plus capable de se reconnaître dans cet autre qu’il s’est lui-même donné. Tout le problème d’une telle aliénation, c’est qu’elle n’est possible qu’au prix d’une dépossession de l’homme. Cette image de lui-même qu’il se donnait, cette objectivation de son essence, devient sujet en abaissant du même coup, l’homme au rang d’objet. Au bout du compte, pour Feuerbach, la religion n’est rien d’autre que « l’essence infantile de l’Humanité » . Par la religion l’homme se précipite, pour reprendre le célèbre mot de Kant, dans un état de minorité où il se maintient par sa propre faute. A l’époque durant laquelle Feuerbach prit la plume, il est enfin temps pour l’homme, de grandir, de devenir adulte, de quitter cet état infantile et de se retrouver, de se réapproprier ce dont il s’est lui-même dépossédé. Selon lui, le moment de la « scission », de l’expulsion appelle nécessairement celui de la réconciliation ou de la réappropriation. D’ailleurs, Feuerbach en usant de la métaphore cardiologique, et en décrivant l’activité artérielle, semble bien suggérer que ce double mouvement d’aliénation/réappropriation, recouvre le mouvement même de la vie ;
A travers la lecture critique des Ecritures que constitue l’Essence du Christianisme, Feuerbach nous montre le geste même de cette réappropriation, et ce à partir du schème de la projection et de l’inversion ; il dégage, en effet, le « principe formel » qui rend possible cette réappropriation, de son essence perdue, par l’homme ; « nous pouvons toujours nous contenter de faire de ce qui, dans la religion, est prédicat, un sujet, comme ce qui en elle est sujet un prédicat, c'est-à-dire renverser les oracles de la religion, […] nous obtenons ainsi le vrai. » . Telle est donc l’ambition de Feuerbach, réunir enfin l’homme avec son essence, ce qui en dernière instance, puisque son aliénation se faisait par et en Dieu, ne manque pas de ramener la religion à sa vraie place, à savoir celle d’une anthropologie. Il faudrait même dire, qu’il ne cherche pas à réduire la religion à une anthropologie, mais bien au contraire, à élever l’anthropologie au niveau d’une religion, la vraie religion. Ainsi, lorsqu’il écrit, « Tel est le changement des choses. Ce qui hier encore était religion, ne l’est plus aujourd’hui, et ce qui aujourd’hui a valeur d’athéisme, vaudra demain pour religion. » . Cette religion à venir ne consiste plus dans la croyance en un Dieu transcendant et supérieur à l’homme, mais bien une religion centrée sur l’essence de l’homme ; une fois l’ancien Dieu mis au ban, il s’agit de hisser l’homme à sa place afin d’instaurer une religion de l’Humanité ; homo homini deus est. Pour le dire autrement, il n’est plus question « d’aimer l’homme pour l‘amour de Dieu » , comme c’est le cas dans le christianisme, mais bien de mettre en pièce cette médiation, afin de faire de l’amour de l’homme pour l’homme le bien suprême de l’Humanité. Mais ce qui pour la religion est premier, Dieu, est, comme on l’a démontré, second en soi, du point de vue de la vérité, car il n’est que l’essence de l’homme objective à elle-même, et ce qui pour la religion est second, l’homme, doit donc nécessairement être posé et énoncé comme étant premier. L’amour pour l’homme ne peut pas être dérivé ; il doit être originaire. Alors seulement l’amour peut être une puissance authentique, sacrée, sûre. Si l’essence de l’homme est pour lui l’essence suprême, alors pratiquement la loi suprême et première doit être l’amour de l’homme pour l’homme . Après avoir ainsi très brièvement montré les rapports fondamentaux entre la critique de l’idéologie et la question de l’aliénation religieuse à la manière dont elle est traitée par Feuerbach, il nous faut maintenant, ce qui nous donnera l’occasion de nous introduire au cœur de la problématique nietzschéenne, voir comment et pourquoi ce dernier rejette le bien fondé d’une telle critique.
Nous pourrions même aller plus loin. Nietzsche semble également partager avec Feuerbach, ce moment de la réconciliation ; la mort de Dieu, la mise au ban de tout ce qui pouvait encore exister de transcendant à l’homme, a pour conséquence d’entraîner une inversion. Une fois que l’ancienne idole est tombée, c’est bel et bien à l’homme que revient la possibilité de se hisser à sa place ; de se réapproprier ses déterminations.
Si Nietzsche se cantonne à suivre la critique initiée par Feuerbach, c’est bien l’ensemble de notre démarche qui s’effondre. Il ne s’agit pas d’aller trop vite. En effet, à y regarder de plus près, la dernière phrase de ce fragment posthume semble poser une autre perspective. Nietzsche ne nous dit pas, qu’une fois que Dieu n’est plus là, l’homme peut enfin récupérer ce dont il s’était préalablement dépouillé, mais bien qu’il le doit. Dans le « nous devons » se joue un glissement par rapport à Feuerbach. Il ne s’agit plus d’une réconciliation qui s’inscrirait dans le mouvement même de la vie ; cette réappropriation n’est pas, en elle-même, l’occasion d’une réjouissance. S’il faut à l’homme se réapproprier les attributs qu’il prêtait à son Dieu, cette imputation se présente à l’homme comme un devoir, comme une exigence…une charge.
Ce qu’il y a de particulièrement troublant, c’est bien les premières réactions qui suivent une telle annonce. Les athées, qui entourent le dément, ne peuvent s’empêcher de se moquer de lui, et de son inutile errance ; ils ne comprennent pas ce qu’une telle annonce peut avoir de terrible. Feuerbach peut sans doute être rapproché d’un de ces athées. En effet, à l’instar de ces derniers, en concevant les différents moments de l’aliénation et de la réappropriation, à travers cette métaphore de l’activité cardiaque, il se retrouve dans l’incapacité de saisir ce qui se joue dans un tel évènement. Dieu n’est plus, il suffit à l’homme de reprendre ce qu’il avait perdu ; un petit passe-passe théorique, la volonté d’atteindre la vérité, et voilà le tour est joué. En concevant la réappropriation de ses attributs par l’homme comme étant « dans l’ordre des choses », ou comme allant de soi, Feuerbach, tout comme ces athées subtils, ne peut voir dans la mort de Dieu un problème, mais tout au plus une évidence. D’ailleurs, à la fin de son annonce, le dément s’empresse de préciser les difficultés qui entourent la réception d’un tel évènement.
Dans le schème de Feuerbach, la fin de Dieu n’est pas un événement, il n’y a pas à proprement parler de mort de Dieu. Lorsque Nietzsche, introduit sa première annonce de la mort de Dieu, et ce à travers le personnage du dément, cet évènement est loin d’être synonyme de joie, et de paix. Elle n’entraîne pas de réconciliation de l’homme avec lui-même. Au contraire, les ombres qu’elle étend sur l’Europe constituent, à bien des égards, de terribles présages. « Au lieu de révéler l’essence anthropologique de Dieu (ou l’homme à la place de Dieu), elle révèle bien plutôt une place vide – un néant qui insiste et qui résiste, et que Nietzsche décrira plus tard comme l’époque du nihilisme. » . Ainsi, le dément nous décrit la portée de cet évènement, et les conséquences terribles qu’il ne manquera pas d’entraîner. Nous y retrouvons un homme démuni, seul, n’ayant plus aucun repère ou horizon auquel se référer ; tout n’est plus qu’obscurité.
Telle est l’ambiguïté d’un tel évènement, qui est aussi celle de notre époque ; « Caractère équivoque de notre monde moderne, en effet les mêmes symptômes pourraient signifier et le déclin et la force. » La mort de Dieu signifie à la fois ce qui est hautement souhaitable, et ce qui constitue, en même temps, le plus grand des dangers pour l’homme. La mort de Dieu se présente comme un évènement, ou plutôt comme l’évènement. S’il s’agit de l’affronter comme tel, alors, encore faut-il être à sa hauteur. Si Feuerbach ne peut pas comprendre ce qui se joue de perte, dans la mort de Dieu, c’est en grande partie à cause du fondement qui est à la source de sa critique ; à savoir que c’est bien l’homme qui a créé Dieu, et non pas Dieu qui a créé les hommes. Or pour Nietzsche, un tel principe, s’il sert de fondement à la critique, ne peut, tout au plus, que poursuivre sous une autre forme, et en le radicalisant, ce qu’il était censé critiquer.
Pour Nietzsche, il en va tout autrement. Certes, la religion est une création de l’homme, mais cette fausseté de Dieu n’enlève rien à la fonction de centre de gravité qu’il a occupée pendant plusieurs siècles ; « Le temps vient où il nous faudra payer pour avoir été chrétiens durant deux millénaires : nous perdrons le centre de gravité qui nous permettait de vivre » . La croyance en Dieu, au sens chrétien, fait corps avec nous-mêmes, elle fait partie intégrante du mouvement qui est à l’origine de l’européen moderne. Ce qu’il y a de grave dans cette critique, ce n’est pas tant de ne pas saisir la mort de Dieu comme un évènement, mais surtout de mener, en dernière instance, une radicalisation de ce nihilisme. Dans l’aphorisme §38 du Gai savoir, Nietzsche se fait un plaisir d’administrer une correction cinglante à toute critique de la religion qui se fonderait sur ce principe ;
Message cité 1 fois Message édité par alcyon36 le 27-06-2008 à 14:49:25 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
alcyon36 | Sinon, je viens d'acheter "Deleuze et une philosophie de l'immanence" de T. Shirani, je l'ai juste feuilleté mais il a l'air vraiment pas mal...Ensuite, toujours dans l'actualité deleuzienne,le dernier bouquin A. Sauvegnargues va sortir en juillet.."Deleuze et empirisme transcendantal", connaissant et appreciant les travaux de cette jeune chercheuse, jai tres hate de l'acquerir....
Message édité par alcyon36 le 27-06-2008 à 19:25:21 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
l'Antichrist | Commentaire intéressant du texte de Wotling. Que du (très-trop) bien connu... Message édité par l'Antichrist le 28-06-2008 à 16:49:08 |
alcyon36 | La théorie générale du droit occupe une position bien marginale ; c’est une discipline scientifique difficile, abstraite, formelle et technique. Or, que ce soit au sein des débats publics, ou parmi les chercheurs en sciences politiques, elle n’arrive pas s’imposer. D’ailleurs, même chez les juristes praticiens, elle est souvent ignorée ou laissée sur le côté. Pourtant, quand on sait que les deux tiers des constitutions en vigueur datent de 1974, et vu l’ampleur de la prégnance du droit dans nos sociétés démocratiques contemporaines, il semble que la question de l’art de la politique constitutionnelle s’impose de plus en plus fortement à nous. Sur ce point, la théorie réaliste de l’interprétation, développée par Michel Troper, cristallise particulièrement les passions. En effet, la radicalité de ses thèses ne peuvent laisser indifférent, et surtout il nous impose de porter un regard différent sur les rapports entre droit constitutionnel et sciences politiques. C’est, entre autres, grâce à ses travaux que la théorie générale du droit recommence difficilement à susciter de nouveau l’intérêt des chercheurs français. Avant de présenter et développer la théorie réaliste de l’interprétation, nous allons commencer par étudier la conception de la science sur laquelle elle repose, à savoir le positivisme juridique.
2) La science du droit doit se borner à la connaissance de son objet
Avant de reprendre cette idée afin de la discuter, attardons nous quelques instants sur les exemples que nous propose l’auteur pour étayer sa thèse. Ainsi, lorsqu’il explique que « des juristes, dont certains pouvaient parfaitement, en leur for intérieur, être hostiles aux mesures qu’ils commentaient, ont cru que l’on pouvait parler innocemment, sous couvert d’un discours scientifique, de choses aussi peu innocentes que les lois raciales de Vichy. Piège d’autant plus redoutable que, même en en proposant une interprétation restrictive ou en critiquant leur interprétation extensive, on n’était pas à l’abri de ces effets pervers : parce que cela impliquait de raisonner à l’intérieur des cadres et avec les concepts du racisme légal et parce qu’en dénonçant les excès dans l’application des textes, on sous-entend qu’il y a place pour une application raisonnable de ces textes ». Or justement de tels exemples, et c’est surtout ceux-ci que Lochak met en lumière, ne sont pas pertinents dans sa critique du positivisme et de sa posture « objective et neutre ». Car, la doctrine en question, lorsqu’elle affirme que telle ou telle application de la loi est trop large ou trop restrictive, ne se borne justement pas à décrire le droit antisémite, puisque remettre en cause la portée de l’application d’une norme revient à porter un jugement de valeur dessus. Aussi, le problème est que dans la plupart des exemples qu’il nous donne, s’il existe une incontestable légitimation de la doctrine, ce n’est en aucun cas parce qu’elle aurait une posture positiviste, mais au contraire parce qu’elle ne serait qu’un pseudo-positivisme ; en ce sens la doctrine n’est pas neutre, mais en a l’apparence, et c’est cela qui permet la légitimation.
Ensuite, pour ce qui concerne les rapports entre la théorie réaliste de l’interprétation et celle du syllogisme judiciaire, présentée par F. Hamon, il n’est pas possible d’affirmer que la théorie de Troper aurait la prétention de remplacer l’autre. Comme nous l’avons vu précédemment, la théorie réaliste de l'interprétation s’inscrit dans une certaine conception de la science du droit, le positivisme juridique, qui est censée se borner à décrire ce qui est sans se soucier de ce qui doit être. Or, puisque la théorie du syllogisme judicaire que propose F. Hamon pose que « le rôle du juge consiste à… », « en principe… », alors nous ne sommes pas en présence, selon les critères du positivisme juridique, d’une théorie scientifique. La théorie du syllogisme judiciaire ne nous décris pas ce que fait le juge, mais ce qu’il est censé faire dans telle ou telle situation. Aussi, vouloir dire de la théorie réaliste de l’interprétation qu’elle prétend remplacer la théorie du syllogisme judicaire ne semble pas avoir grand sens. A propos d’une discussion qu’il avait eu sur une des thèses du doyen Vedel, Michel Troper soulignait que ;
Message édité par alcyon36 le 28-06-2008 à 16:41:13 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
alcyon36 | ba merde on a supprimé ma boutade sur l'AC...si on a plus le droit de se taquiner maintenant...enfin bon, ainsi va le monde... --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
pascal75 |
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alcyon36 | lol, non en fait, je pense que c'est à cause de moi...j'ai du l'effacer sans faire gaffe...jai du réecrir mon post sur Troper par dessus...
Message édité par alcyon36 le 28-06-2008 à 20:25:38 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
pascal75 | Ok pour la peine tu me feras un résumé en vingt lignes de "discours figure" de Lyotard ( ) --------------- |
alcyon36 | mal barré, connais pas du tout lyotard...je viens à peine de commencer "Dérives à partir de Marx et Freud", parce que Foutre nous en a parlé pas mal de fois...pr le moment c'est plutot chiant...enfin jai lu que le 1er chap.... --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
pascal75 | Ah oui, mince, c'est foutre qui en avait parlé. Moi je suis en train de relire "au juste". --------------- |
pascal75 | les "dérives..." datent un peu, je confirme. --------------- |
sdm22 | [Message de Rahsaan depuis chez un pote ]
Message édité par sdm22 le 28-06-2008 à 21:32:20 |
alcyon36 | enfin Foutre me l'avait conseillé surtout parce que ca pouvait m'être utile pour mon mémoire...qui n'en finit pas de ne pas commencer....grrr
Message édité par alcyon36 le 28-06-2008 à 21:37:23 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
pascal75 | Il n'y a pas non plus d'expérimentation dans l'écritue dans les dérives, et pourtant elles datent [message de pascal depuis chez pascal ] --------------- |
foutre de | non, non, non, je ne trouve pas que Dérives... date. Evidemment il y a beaucoup de textes qui y sont rassemblés qui sont des textes de circonstances et de circonstances politiques. Mais cet encrage dans les évènements n'invalide pas la pensée qui s'y délivre. Message cité 2 fois Message édité par foutre de le 29-06-2008 à 19:58:56 |
pascal75 |
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pascal75 |
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le vicaire |
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le vicaire | sur le même sujet il existe
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foutre de | bon, je ne suis pas amateur de gros pavé devant mon écran, mais je viens quand même de m'enfiler ce long post sur Nietzsche. J'aurais alors deux questions à poser : 1/ je veux bien qu'on écarte le kantisme deleuzien de l'interprétation de l'ERM sélectif, mais que fais-tu du morceau que tu as écarté de ta citation
N'est-ce pas elle qui justifie deleuze dans sa lecture ? 2/ Je ne trouve pas "affectuante" dans mon dictionnaire Robert. Tu le sources où ce mot ? Quel est le sens qui lui est alors conféré ? Quelle définition en as-tu trouvée ? Quel sens lui donnes-tu ? merci d'avance Message édité par foutre de le 05-07-2008 à 16:30:44 --------------- « Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement » |
alcyon36 | T'es le pire...si maintenant je dois justifier toutes les conneries que je raconte, et qu'on commence à être constructif dans nos remarques..."Suis-je homme à qui l'on demande ses raisons?"...
Message édité par alcyon36 le 04-07-2008 à 20:13:06 --------------- "la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger |
foutre de | Foutre 2
--------------- « Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement » |
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