Salon des inventions
Fiches mémo des grands inventeurs.
Aujourd'hui : Laetitia Tique.
Salon littéraire :
Les oeuvres essentielles du pro-fesseur Talbazar
Aujourd'hui : Noeud coulant pour Martin Smith. Extrait numéro 64.
Naturellement, chacun avait sa seringue bien planquée contre le gilet pare-balles, mais le mariole d’en face n’avait pas l’air armé. Il s’agissait d’une chose qu’un flic doit pouvoir sentir en toute circonstance. En face d’eux, c’était bien le beau gosse dans sa liquette criarde, mais avec les grands yeux d’ahuri qu‘il lança sur eux en les voyant venir, il donnait l’air d’être traqué comme la proie misérable d’un chat. Jess Rosse s’engagea d’un pas résolu vers le fond du troquet, tout en badinant avec Gilbert, il lui disait qu’il ne fallait jamais regarder dans les yeux le mec qu’on devait descendre. Quand on était de la police, ça filait toujours un peu plus tard son lot de cauchemars. Étant toujours activement recherchés par les forces de l’ordre hawaïennes, en dépit de la protection de Roy Larymore et du FBI, ils étaient tous d’accord qu’on ne pouvait se permettre de rester trop longtemps dans ce bar. Pour sa part, Angèle jugeait que ce Goldwind devait vraiment se coller les jetons, pour faire maintenant appel à eux, alors qu’il avait si salement faussé compagnie à Jess après son accident.
– Ce type n’a aucune fierté.
– Ho tu sais, fit Gilbert en la poussant gentiment pour qu‘elle avance, la fierté, des fois on la met dans son cul, quand il s‘agit de sauver sa peau.
– Oui, peut-être, mais alors ce n’est plus de la fierté. Elle se cambra un peu vers l‘avant, elle ne voulait pas que Teddy en profite pour lui caresser le dos.
A l’extérieur, le quartier grouillait d’agents du FBI sans uniforme, mais on s’était mis d’accord pour qu’ils se tiennent très éloignés du Swordfish. Histoire de nager plus tranquillement dans les confidences. D’ailleurs, ils étaient peut-être eux-même observés, et pourquoi pas ? par cet enculé de Gros Bill par exemple, si ça se trouve ? Une aubaine, ça, on le descendrait simplement illico à trois mains et dans la rue ; avec ses potes en plus, il traînait jamais seul. Sur la table en vrai bois vernis occupée par Elliot, le journal local étalé relatait en détail l’incendie de la Samsara Foundation, avec en Une des photos des ruines carbonisées, l’article devait en plus faire état de la mort horrible de son directeur et de celle du gardien tué par balle, sans parler de toute la ménagerie. D’après les premières conclusions des enquêteurs, les traces d’hydrocarbures ne laissaient cependant aucun doute sur l’intention criminelle des incendiaires. Un drame pour Honolulu, puisque les laboratoires dirigés par le défunt professeur Brüder Karamasow employaient plus de soixante chercheurs et cinq cent employés, qui se retrouvaient à présent au chômage. En réalité, Angèle, Teddy la Fouine et Jess l’avait déjà lu, ce canard. C’est pour ça qu’il préférèrent se planter tous les trois devant le gugus, sans donner l’impression de vouloir s’asseoir. L’autre ne lâchait pas sa gueule de parano, il parut pourtant légèrement soulagé de ne plus être seul, ses yeux l’exprimèrent avec éloquence. Jess attaqua le premier :
– Elliot Goldwind ?
– Ou on devrait plutôt dire Cheebe Surger, officiellement mort en 2005 ? ironisa Angèle, en décidant de prendre une place au côté du quidam. Il avait l’apparence d’un athlète et d’un jeune premier, mais c’était un très grand vieillard, elle le savait.
– Les deux conviendront, vous l’avez deviné. Il replia le journal pour se donner une contenance, puis il le balança sur la banquette voisine, comme on jette un déchet. Malgré cet aveu, il ne semblait pas parti pour faire le volubile.
– Alors comme ça, grand-papa, fit Gilbert en s’asseyant à son tour près de lui, Van Degaffe t’a injecté son fameux carburant de jouvence ? T’aurais pas choppé la formule en passant, des fois ?
La petite serveuse aguichante arriva vers eux tout sourire, elle se rappelait avoir déjà vu ces gens, il y avait alors en plus un homme et une femme avec eux. Elle aimait bien revoir ses clients. Le Swordfish en voyait pourtant passer beaucoup dans la journée, qui ne revenaient jamais. Goldwind, le beau garçon, il devait habiter dans le coin, parce qu’il venait de temps en temps se coller contre le zinc, il la draguait même un peu et franchement, ce mec n‘était pas mal du tout. Elle repartit, avec dans un coin de sa mémoire un Honolulu Cooler, un Scarlet O’Hara et un Ordinary Collins, elle ne prenait jamais de notes. Quand à lui, Elliot en était à la moitié de son Gimlet, il le termina d‘ailleurs d‘un trait sans attendre les autres.
– Raconte-nous, papy, les infirmières de monsieur Hubert, elle étaient canons, t’en as sauté combien, une fois qu’il t’a rajeuni le braquemart ?
– Tais-toi, s’il te plait Teddy, le coupa Angèle, un peu énervée. C’est à monsieur de parler. Monsieur Goldwin, vous nous avez donné rendez-vous ici, pourriez-vous nous dire pourquoi ?
– Je suis très pessimiste sur mon avenir, je suis persuadé que Gros Bill cherche à me tuer, depuis mon hospitalisation et ma déclaration d’accident. À la suite de cet événement, j’ai subi des examens aussi complets qu’officiels, les analyses qui en découlent peuvent être très compromettantes. Je pense que de ce fait, je suis devenu très gênant pour l’organisation. C’est pourquoi, je réclame votre protection et en échange, je vous raconterai beaucoup de choses qui peuvent vous intéresser.
– Ils vous ont pourtant permis de fuir l’hôpital. Si Gros Bill l’avait voulu, vous seriez probablement déjà mort. Cette ordure tue par plaisir, mais pas sans raison, ou sans l’ordre de son cinglé de mentor, plutôt.
– Non, parce que lorsque Gustavo Piccolini est venu me chercher pour me soustraire à vous, je lui ai échappé tout de suite après. Je me cache sur un bateau depuis, parce que les paroles de ce gars-là ne laissaient planer aucun doute. Gros Bill veut ma peau, mais c’est certain, il finira par l’avoir, si vous ne m’aidez pas.
La jeune fille revint pour les servir chacun leur tour, avant de repartir dans un silence de mort. Jess Rosse laissait traîner son regard sur l’espadon accroché au mur, ce poisson qui donnait son nom au bar faisait un belle taille, son œil artificiel était si expressif qu’on aurait dit l’animal bien vivant. L’agent baissa finalement la tête en lâchant la poiscaille empaillée, pour rester fixer Elliot.
– Qui vous a dit que nous serions chez l’attorney Larymore ?
– Dans la ville, on l’appelle le white lion, l’incorruptible, ce n’était pas difficile de le déduire, la meilleure preuve est que vous m’avez répondu et que vous êtes ici.
– Ben merde alors, fit Gilbert. Si ce crétin le savait, les autres aussi probablement, en ayant tenu le même raisonnement.
– Racontez-nous un peu votre histoire, Surger, si vous le voulez bien, questionna Angèle. Comment avez-vous rencontré le docteur Hubert Van Degaffe ?
– C’est une longue histoire. L’année de mes 83 ans, on m’a diagnostiqué une maladie incurable. Les médecins me donnaient six mois à vivre. Je cherchais un endroit idéal pour en finir, c’est ainsi que je suis tombé sur la publicité des Flocons d’Argent, une maison de retraite luxueuse perdue dans les Alpes. A mon arrivée, le directeur de l’établissement, Strazdinovsky, m’a présenté à un certain Doc Morgan, un maestro du bistouri. Mais celui-ci ne m’a pas seulement proposé un traitement miraculeux pour me soigner, il m’a aussi fait part d’une méthode révolutionnaire permettant de rajeunir, d‘au moins cinquante ans. Moyennant un prix très élevé. Vous vous doutez de l’homme qui la mise au point, n’est-ce pas ? Ce fut une parfaite réussite et c’est comme ça que je suis devenu Elliot Goldwind, le jeune homme que je suis aujourd‘hui. Mais je n’ai jamais rencontré Van Degaffe, jamais.
– Il est devenu quoi, ce Doc Morgan, après la méga-descente de la police aux Flocons d‘argent ?
– Il est ici, avec Van Degaffe, à Honolulu. Mais ce n’est qu’un simple exécutant des méthodes de rajeunissement mises au point par ce dernier. Les protéines ETS ne vous disent rien, évidemment, ni l’axe Aop-Foxo-Pnt ou les enzymes clés, mais c’est en piochant dans ce contexte cellulaire que Degaffe est parvenu à faire des miracles, dans la gestion du vieillissement humain et les désordres métaboliques qu‘il entraîne. Savez-vous qu’en plus d’être rajeuni, je ne ressens que très peu la douleur, que je cicatrise instantanément ? Les protéines qui régulent mon espérance de vie ont été stabilisées et mon système immunitaire est quasiment hors-norme, comme tous ceux que Doc Morgan a déjà traités. Qui peut résister à la fascination de retarder l’inéluctable ? Les résultats de Van Degaffe sur le vieillissement réversible et son combat contre la sénescence sont vraiment spectaculaires ! J’ai peut-être gagné plus de cinquante ans d’espérance de vie et je conserve l‘aspect de mes trente ans, au prix fort, certes, car je n’ai plus un rond. Il me faut cependant encore de temps à autre le sang frais de très jeunes donneurs, à raison d’1,5 L de plasma, sous peine de subir d’atroces douleurs musculaires et des pertes de mémoire, mais ce suivi était garanti formellement dans le contrat et ne me coûte presque rien. Ma dernière transfusion et le contrôle de mes cellules pluripotentes reprogrammées ont étés effectuées par Doc Morgan lui-même. Elles remontent à deux mois et ont eu lieu discrètement au sein des locaux de la Samsara. Je suis à présent tranquille pour à peu-près un an.
– Nous ne pouvons pas rester ici, fit brusquement Jess en lui coupant la chique, vous allez nous suivre, nous retournons tous ensemble chez Larymore.
Aussitôt dit aussitôt fait, puisque tout le monde avait terminé son verre. Grâce à son téléphone sécurisé, Jess informa les gars du Bureau qu’ils décanillaient. Gilbert prit le volant, en affirmant à Angèle que faire l’amour chassait les nuages. Assise à l’avant à ses côtés, elle lui répondit qu’elle venait de voir voler un truc très haut par-dessus le mur de son ivresse et réduisit l’espacement de ses jambes au minimum, alors qu’ils prenaient la direction de l’Harbor Fishery. Ils étaient seuls. Approuvés et rassurés par Jess Rosse, les hommes du FBI avaient décider de les devancer chez l’Attorney, en abandonnant leur surveillance. A l’angle de Cora Street, dans un coin où poussaient de longs palmiers déplumés et minables, les français furent bloqués par un feux rouge. Quand une grosse Porsche s’arrêta sur la gauche à leur hauteur, le passager avant de celle-ci baissa sa vitre, avant de percer de bastos la tête de Cheebe Surger par trois tirs fulgurants. Un mitraillage d’une précision étonnante. Le mort ensanglanté glissa contre l’épaule de Jess Rosse, lequel était indemne, alors que les tueurs mettaient la pleine gomme, pour mieux s’enfuir en crissant des pneus au mépris du code de la route. Sans hésiter une seule seconde, Gilbert appuya à son tour sur la pédale pour les prendre en chasse, au risque de recevoir leur prochaine salve à travers le pare-brise. Les lèvres d’Angèle avait un goût de poussière, elle dégagea comme les autres son pétard pour le tenir en main, en tâchant de rabattre en sourdine le diabolique chant des billes de plomb qu’elle avait dans les oreilles, mais son cœur battait tout de même très fort. Dressée droite sur son siège et la crosse dans son poing, un peu de sa panique mal contenue lui fila tout d’un coup des frissons désagréables dans les entrailles, qui lui criblèrent les seins.
Message édité par talbazar le 14-09-2019 à 14:27:03