-  C'est toi ou ton frère qui est mort?
 
C'est par le truchement de cette apostrophe bucolique que Zippo remit l'affaire sur le tapis.
 
- T'essayerais pas d'abuser de moi pendant que je suis bourré de gaieté, là, par hasard ?, lui rétorquai-je.
 
Car enfin, sans remettre en cause les principes de démocratie participative chers à Zippo, une telle entame, ça, c'est carton rouge direct.  

Espèce de salopard, il est excellent ton texte

-Heu, je suis mort là?
Pas de réponse.
Je regarde vers le bas, je suis allongé par terre, le visage serein, le casque attaché, le cuir fermé. Les gens s'agite autour de moi, un type s'avance vers la sangle de mon casque, c'est à ce moment là que je sens que je ne suis pas mort, j'ai comme une brusque poussé d'adrénaline lorsqu'il défait l'attache. Il se contente juste de la défaire et d'ouvrir un peu le blouson pour faciliter ma respiration. J'hésite à plonger dans mon corps, à parcourir mes artères, mes veines, je voudrais me nicher dans mon coeur pour voir le sang pulser, la vie continuer à me remplir.
-ça c'est passé comment?
-connement. Je suis parti de bonne heure ce matin, je suis arrivé au taf, j'ai pris ma tournée. Il y avait un beau soleil, je suis parti très vite, mes potes au cul. On était bien, 120, 130 entre les bagnoles. C'était bien au dessus des limites mais il y avait dans l'air cette espèce d'euphorie du printemps, cette bonne humeur pleine d'arsouille. Et puis, il y a eu cet évitement de folie, la caisse à fait son changement de file, à à peine 50. J'ai planté ma fourche, appuyé comme une brute sur le guidon pour l'éviter et 3 millièmes de secondes plus tard, je tirais sur la bécane pour la replacer. J'ai senti la roue décoller du sol, à la force des bras, à la rage de vivre. J'ai rouvert en grand pour redonner suffisamment de pêche à la moto pour ne pas m'écraser comme une merde et voila, c'était reparti, toujours a fond de cale. J'avais une copieuse avance sur les autres qui avaient franchement eu peur eux. Rouler vite entre les voitures c'est un peu comme jouer à la roulette russe, tu ne sais pas laquelle te tuera mais tu sais qu'elle est là. On en a parlé souvent entre nous, après tout, nous avions de belles 650, on plafonnait dans les 200 km heures et nous avions chacun une "spécialité". Je suis arrivé sur le périf, toujours très vite, j'ai pris la courbe du tunnel de la porte d'Orléans avec un angle correct, le repose pied laissant une belle trace dans le bitume. J'ai continué sur cette lancée, booster par ma "maîtrise" de la moto et je croyais, de la route. Lorsque ce con à déboîté, j'étais toujours à la même vitesse avec deux fois moins de place pour circuler, le temps de me rendre compte, je cognais violement son aile, j'étais projeter par dessus sa bagnole. J'ai bien senti ma jambe droite casser, deux ou trois fois et mes cotes en cognant contre le bord de la caisse. Mon épaule c'est bien disloqué lorsque je suis tombé au sol. Je crois que c'est tout. Bon ma tête a cogné, bien sur, mais après tout j'ai un casque hein...
-Tiens, ils sont tellement occupés avec toi qu'ils ne se rendent pas comptes que je brûle.
-Putain oui, la moto prend feu... Mais au fait, t'es qui toi, ma moto???
-Non et oui. Je suis presque toi en fait, un motard aussi. Tu me connais, enfin, tu m'as vu un jour, ici, sur le périf, mais de l'autre coté. C'était un beau bouchon. Même chose que toi, je roulais au dessus de mes pompes et un mec m'a coupé la route. Je suis mort sur le coup, pas souffert, rien... Tiens, au fait, t'as mal toi?
-Non, je sens rien, enfin, si, je sens un truc bizarre. Mon sang ne passe pas ou il doit. Il y a une fuite quelque part, je me demande ce qu'ils foutent là, tu crois que les pompiers vont arriver? Parce qu'à ce rythme là dans 10 minutes je suis mort... Mais excuse moi, je t'ai coupé, tu disais?
-Ben rien de plus, si, le mec qui m'a tuer c'est suicidé depuis, il traîne par là aussi... Je crois qu'il suit une fille qui a des soucis de conduite... Il y a un risque, il doit la surveiller de prés... Et donc, oui, je fini ma mort. Tu étais dans les embouteillages, et moi j'étais là, assis à coté de moi, seul aussi. Tu es passé, j'ai senti ton dégoût pour les gens qui matais et tu es parti en weeling, propre, net, je me suis senti aspiré par ton moteur, il battait comme un coeur emballé. C'est comme ça qu'on se retrouve là à parler...
-Et il se passe quoi après?
-Difficile à dire, ça dépendra d'eux en bas... S'ils ne voient pas que la moto crame et que ça s'étend à la voiture elle peut exploser. On risque de se retrouver à beaucoup d'un coup...
-C'est les pompiers qu'on entends là?
-Ouaip, c'est eux. Peut être que t'as de la chance.
-Pas sur, ça continue à fuir et y a rien à l'extérieur. Mon coeur bat moins vite, c'est bizarre de ne pas avoir mal... Et puis, les pompiers vont le voir le feu, ça va être chaud pour eux et pour moi...
-Bon, va falloir que j'y aille, je ne sais pas ce que je vais faire. J'ai aimé être dans ton moteur, ça à été...Vif???
-Ok alors, et moi, je fais quoi?
-Toi, tu ne peux pas bouger, tu peux rentrer dans ton corps ou non. Continuer à regarder ou te promener en toi, tu n'auras pas cette possibilité souvent. Soit c'est la dernière, soit ce sera pour la prochaine.
-Ah oui? Ben je vais rester là en fait. J'y retournerai pour la fin. C'était chouette de te parler, à un de ces jours?
-Oui, sûrement, plus la peine de te dire de faire gaffe à toi.
-Non, plus la peine, adieu...
-...
-Hé, au fait, il existe?
-...
Et merde, il est parti. Pourquoi je n’ai pas pensé à lui demander avant? Tiens les pompiers sont là, sûrement trop tard. Joli, ils étouffent le feu de la moto. Incroyable la rapidité à laquelle ça s'éteint. Quand je pense que ces cons la laissaient cramer comme ça.
Ils se penchent sur moi.
10, 9, 8, 7, 6... C'est presque la fin, pas de froid, pas de tunnel... 5, 4... Un type découpe mes fringues. Je suis vert, un blouson à 1000€. Je me marre en silence de cette remarque idiote. Il y a des médecins aussi, j’ai un poumon perforé, peut être les deux. Ils m’intubent, drainent mes poumons. 3, 2… Je suis aspiré soudainement dans mon corps 1, 0… Mon cœur a cessé de battre. Je sens le sang parcourir les derniers centimètres, 0. Je me sens repartir, plus lentement, plus définitivement. 0, il n’y a déjà plus de sons, plus de couleurs. 0, il n’y a plus de formes, plus de sensations. 0, je sens que je commence à me dissoudre, je suis heureux, je rejoins le… Flash, couleurs, sensations… Flash, son, goût de sang, douleur…  1, 2, 3… J’ai mal, j’ai froid, j’ai peur… 4,5,6… La machine repart, je suis… Nuit…