isogood on l'a connu meilleur... | one two three four
Evidemment, faut la lire en écoutant ACDC/Hells Bells plein pot, sinon c'est minable....
Et puis si c'est minable même avec l'accompagnement, au moins vous n'aurez pas tout à fait perdu votre temps de cerveau disponible puisque vous aurez passé un bon moment de nostalgie, avec un son d'enfer dans les tympans de vos oreilles !
Cela allait sans dire, mais en le disant.... ça me dédouane.....
Spoiler :
Maintenant qu’on se connaît mieux, je peux te le dire, je suis un garçon.
Du moins je l’étais, avant cette cérémonie bucolique qui fit de moi une tueuse androgyne.
Certes oui, les apparences sont trompeuses, mais je ne peux être tenu pour responsable de la métamorphose.
Je sais aussi que je peux faire illusion maintenant, je peux être féconde, mais je reste un garçon.
J’ai accepté le rituel.
C’est arrivé un soir de juin 2012, au stade de Wembley, début de nuit, après l’orage, ma parole, je ne voulais pas devenir ce que je suis devenu, je voulais juste m’éclater par le truchement de la performance.
Mais tout a basculé. Le présent a bouffé l’imparfait. Chaque fois que je raconte le rituel, je ne peux faire que le revivre.
Musique !
Venant accompagner le glas sinistre et solennel, les riffs puissants d’ « Hells bells » jaillissent de la guitare solo et se précipitent à la rencontre de la foule en délire, bientôt suivis par les coups de boutoir de la batterie, une série de crochets fulgurants, un déluge de basses à décoller les plèvres qui percute les premiers rangs de spectateurs au plexus et les fait refluer, comme une vague boueuse, sur la pelouse, vers les gradins. Choc et stupeur. Rien de mieux pour maintenir une foule à distance de la scène qu’un bon orage et une intro solide des cloches de l’enfer. Ceux qui ne reculent pas rentreront chez eux sans tympans. La frénésie s’accroît... Les Corps se cambrent dans une « ola » involontaire, des visages livides se tournent vers les nuages, des coups de pieds se perdent, des parties génitales remontent dans la gorge (ça, c’est carton rouge direct…), des croupes se tendent, des chevelures sont arrachées, des coeurs s’arrêtent de battre, des bouches ouvertes cherchent de l’air, la pomme d’Adam en bandoulière, des femmes protègent leurs enfants, des hommes se frappent la poitrine, on piétine, on gémit, on implore dans la fournaise, les parfums se répandent, relents de poisson pané à l’aïoli, la mayo coule, on va manquer d’encens, mais les riffs roulent encore, s’écrasent contre les piliers de béton, et reviennent dans les reins des fidèles, comme une charge de cavalerie sur des fuyards, des basses encore, énormes, qui remplissent l’espace et font avancer les derniers rangs vers les premiers, qui reculent et s’effondrent, roulent au sol, le souffle court. Puis vient le coup de grâce. La voix. Un hurlement de sanglier à l’agonie. Non. Le hurlement de cinquante sangliers à l’agonie, projeté par cinquante baffles à l’agonie :
I'm a rolling thunder, a pouring rain !
I'm comin' on like a hurricane !
Des grappes humaines bariolées se pressent les unes contre les autres dans la lumière étincelante des projecteurs. L’effroi se lit dans les regards. La panique ne menace même plus, elle triomphe ! Au fronton, trois lettres de néon gigantesques apparaissent : MSS !
On lâche les pigeons, pour calmer les esprits. Un ange passe.
Sa prestation accomplie, le stade chauffé à blanc, la marmite bouillante, le groupe se retire sous les acclamations, les jets de pierres, les cannettes, les crachats, les doigts levés et les imprécations blasphématoires.
On fait le noir. Bonjour les zippo…
Comme à chaque début de cérémonie bucolique, on vote à main levée, puis la démocratie participative recule, prise de coliques, à cause du poisson frit, et au final, le silence s’impose. Un dernier spasme, puis ce silence miraculeux, assourdissant. Quatre vingt mille poitrines au supplice retiennent leur souffle en attendant d’apercevoir l’élu. On ne le voit pas immédiatement. C’est sa voix, amplifiée à l’extrême par l’effet cathédrale, qui retentit la première, emplissant tout l’espace : « ON VOUS A MENTIIIIIII !... » Le hurlement de milliers de poumons libérés fait trembler les structures du stade jusqu’à ses fondations les plus intimes. Un projecteur de poursuite s’allume, et le pinceau de lumière s’élargit peu à peu, illuminant l’élu, au centre de la scène.
Le nouveau messie apparaît, repris sur grand écran, boudiné dans un perfecto de parachutiste trop étroit, lunettes immenses, béret vissé sur la tempe gauche, pistolet au côté, cimeterre dans le dos, ceinture cloutée, rangers « Weston », main sur la hanche d’un mannequin Prada, sourire bonhomme et geste triomphant.
« On vous a menti depuis des siècles ! », reprend-il en s’avançant vers la foule en délire. « La terre ne tourne pas autour du soleil, elle n’est pas ronde, et le ciel n’est pas bleu ! » Les hurlements redoublent. Il faut employer les battes de base-ball électriques et les évaporateurs à eau écarlate pour intimider les hystériques, puis les lances à incendie, dernier recours avant les balles en caoutchouc et les lance-flammes. Des dizaines de quêteurs mongols s’élancent à cheval pour recueillir les dons.
L’illustrissime moine-philosophe médiatisé sort un papier de sa poche et entre en méditation comme s’il avait oublié quelque chose sur la liste des courses, puis lève les bras : « Le plus lourd que l’air ne peut pas voler ! Bush n’a jamais existé ! Rumsfeld est amoureux de Blair ! Ils sont malades dans leur tête ! La réalité n’est qu’une dérive aléatoire de la fiction ! Le mensonge est une invention du grand Satan ! Les choses ne sont pas ce qu’elles sont, elles sont ce que je dis qu’elles sont... N’ayez pas peur… La situation est sous contrôle… La victoire est proche… La victoire est en nous ! Le zéro absolu est accessible ! Regardez moi ! Nos dieux préparent une attaque non conventionnelle ! Les dieux américains vont se rendre à nos dieux ! Dieux bâtards ! Ils ont commencé à se suicider sous les murs de Bagdad ! Ils continuent toujours ! Ils ne sont nulle part ! Leurs estomacs rôtiront en enfer ! Ils sont stupides, et ils sont condamnés ! Franks au Qatar ! La victoire ! Le serpent ! Will surrender !» La foule au bord du gouffre reprend d’une seule voix prodigieuse « American gods ! American gods will surrender ! » Les évanouissements se multiplient, on réclame des volontaires. Des centaines d’avatars d’anges quantiques auréolés jaillissent du vide nocturne pour se lancer dans une sarabande hallucinante au-dessus des gradins. On libère symboliquement des otages, on fait donner les feux d’artifice, en hommage à la frénésie de la DCA… « La nuit n’est pas noire ! Elle est verte ! Je l’ai rêvée ! », paraphrase le grand maître du non-ascétisme en tombant à genoux parmi les étincelles, « Le feu ne brûle pas ! Simulacra ! Les images ne donnent rien à voir. Ce qu’on vous donne à voir n’est qu’un effet d’optique pervers, un gruau de pixels, les mots que je prononce, eux seuls, sont une image de la réalité ! » « A Tikrit ! A Tikrit !» Entonne le public au comble de la transe « Babylone ! Babylone ! » L’écran géant qui célèbre le visage du prophète vertigineux bascule tout à coup sur CNN LIVE, déclenchant la vindicte populaire et les imprécations. « Voyez ! » Hurlent les baffles, « Les pixels mordorés de CNN ont empoisonné vos esprits ! Ils ont contaminé vos yeux ! Je vous offre mes yeux ! Je vous offre ma voix ! » Ayant lavé ses mains au savon de Marseille, qui sponsorise, puis béni la rituelle tarte tatin et recueilli les dons livrés par les quêteurs, le messager des dieux à venir descend au parterre sous les huées puantes et se dirige vers moi.
Pourquoi moi ?
Sous les acclamations, revenant par trois fois, bras tendus, bedaine triomphante, il me cramponne la carotide et me fait monter sur la scène, porté par une version funky de : « Toi, ô tigre de l’Euphrate ! » reprise en chœur par les convertis.
Il m’offre son cimeterre, puis disparaît hélas, au grand désespoir des fidèles, qui se griffent les épaules et frictionnent leurs visages d’eau écarlate purificatrice.
Une trappe s’entrouvre dans le plancher et une petite plateforme s’élève dans la fumée, faisant apparaître un malabar torse nu armé d’un pic à glace et affublé d’un masque de Trotsky.
« C’est toi ou ton frère qui est mort ? » me demande-t-il, comme le réclame le rituel.
Je sais que c’est lui ou moi.
Je ne dispose que de quelques secondes avant que la créature collectiviste ne me transforme en steack haché, ou pire, qu’elle ne se lance dans un plaidoyer de 5 heures à la gloire de l’internationale ouvrière….
J’ai vu comment faisait Brad Pitt dans Troie. Je bondis tel un félin au-dessus de son épaule gauche, et je plante le cimeterre au milieu de son dos, j’oserais dire, pas mieux que Brad, mais presque….
Maintenant, je fais partie du club.
J’ai droit aux pompes.
Backstage, un des grands baraqués pose sa kalachnikov et s’allonge dans la fange boueuse pour me permettre d’atteindre la limousine sans abîmer mes nouvelles Weston. La portière se referme avec un claquement haut de gamme. Un second claquement retentit aussitôt : Celui d’un bouchon de champagne se faisant la valise. « Un petit pétrifiant, mon fils ? Grand ? Moyen ? » propose le maître en ajoutant : « C’est champagne, gin, whisky, martini dry, martini rouge, citron pressé… »
« Mettez m’en deux, des moyens » Démarrage. La boue giclant sur les groupies illuminées.
Assis en face de moi, le sérénissime élu se laisse aller sur la banquette de cuir pleine fleur, dévotement, pour y subir le rituel de mortification infligé par deux créatures aux poitrines d’albâtre et aux lèvres pulpeuses. Pendant que la rousse lascive, grimée en infirmière, entreprend de lui ôter ses vêtements, il accepte la coupe que lui tend perfidement la blondinette, grimée en hôtesse de l’air, en demandant pardon au créateur. Mais les nids de poule, c’est comme les turbulences, la coupe est pleine et se répand en bulles fatales sur le revers du perfecto….
C’est clair, elle est bannie.
Connaissant le sort que le maître réserve aux hôtesses étourdies, la jeune fille préfère ouvrir la porte et sauter en marche.
Je prends sa place et je lui en offre une autre, une coupe, je veux dire. Que nul ne se méprenne quand à la manière dont je souhaite manifester ma reconnaissance au patron.
Je sais que je peux faire illusion maintenant, mais je reste un garçon.
Ayant vidé l’hôtesse et la coupe, l’élu des dieux fait son rôt, renifle un Havane, et puis enfin claque des doigts pour ordonner sa fellation traditionnelle, épreuve ultime et dégradante, mais que le rituel d’après cérémonie impose. Se vautrer ainsi dans le stupre lui cause à chaque fois une souffrance intérieure indicible. Extérieurement, c’est supportable. Rompu à la souffrance, il supporte.
Les paupières mi-closes et le béret bien calé sur sa tempe, Mohammed Saïd al-Sahhaf se remémore la folle époque où il était ministre de l’information de Saddam Hussein. Quel chemin parcouru… Et cette dernière année toute entière passé à parcourir le monde, de stade comble en stade comble, de studio en studio, pour prêcher le salut et rallier les fidèles. Un triomphe planétaire. Un tabac. Il abaisse la vitre teintée qui le sépare de son chauffeur et de ses trois gardes du corps : « Quel est le programme, Rachid ? Demande-t-il
« Demain Rio, votre sérénité. Le Maracana. Cent milles personnes dedans, trois cent mille dehors, raides défoncées, sur grand écran… »
La bès chouia. Il referme la vitre, se coince une boulette de Kat dans la joue gauche, lèche les tétons offerts et jouit bruyamment en agrippant les cheveux de l’infirmière. « T’es bonne, toi, tu sais, t’es bonne… » Récite-t-il, brisé, en savourant la volupté métaphysique issue des scarifications librement consenties. « Non non, maître, moi je suis l’infirmière » rectifie l’ingénue en cherchant un kleenex.
La limousine file plein gaz vers l’aéroport, la route ouverte par les motards de sa majesté, la protection aérienne assurée par la Royal Air Force. Cette fois le point de non-retour est atteint. Il tient le ciel dans une main et la terre dans l’autre. Une nouvelle religion est en train de naître, le Sahhafisme, qui proclame haut et fort : « Ce que nous voyons n’est pas. Ce qui est non plus » La tête dans les étoiles, le nouveau messie savoure en admirant les lèvres pulpeuses de la rouquine, qui s’attardent sur son sexe assoupi, puis il la repousse l’air contrarié en rouspétant :
« Ceci n’est pas une pipe mademoiselle »
Je me force à sourire, malgré les douleurs de la métamorphose, et je lui tends la troisième coupe.
La dernière.
Il me regarde avec un air soupçonneux, limite inquisiteur, comme s’il ne savait pas qui je suis maintenant…
« T'essayerais pas d'abuser de moi pendant que je suis bourré de gaieté, là, par hasard ? » s’esclaffe-t-il dans un cyclone de postillons.
Je me force à sourire.
Une question semble lui venir alors, comme une révélation surréaliste, comme une ultime supplication :
« Cette fille n’est pas une infirmière, je le sais bien, mais finalement, toi, qui es-tu ? »
« Maintenant qu’on se connaît mieux, je peux te le dire, je suis un garçon de l’enfer. C'est moi qui fait sonner les cloches..»
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