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Le vent d’hiver souffle en avril, elle se sert un thé au jasmin. Demain elle sera au ski. Elle l'attend depuis longtemps ce séjour. Ce soir, détente, demain, Ô joie...
Préparer le dîner, pour commencer. Il va arriver, elle le sait.
Les pommes de terre ne sont pas très fermes, qu'à cela ne tienne, elle n'a rien d'autre sous la main. Elle les épluche consciensieusement, retire les tâches brunâtres qui parsemment le bulbe. Le gigot, un beau morceau qu'elle s'empresse de désosser, est parfait. Un léger film Vermillon recouvre la chaire délicate, les tendres muscles d'un agneau. La télévision allumée, diffuse ce match des six nations. Elle n'aime pas, non, mais elle regarde. Plutôt elle voit, Chabal, le ballon dans la main, cet homme des cavernes, ce sauvage... Elle pense à son gigot, a la fermeté de la viande. Elle tranche finement la mortadelle, ça fera une ravissante entrée.
Et ces rastaquouères qui se taquinent dans la boue... Une douche, vite, il est temps de se presser, il sera là bientôt. Elle tire le rideau de douche, commence à faire couler un mince filet d'eau, s'assoit sur le rebord de la baignoire. Le miroir renvoi l'opaline douceur de la porcelaine. Elle défait sa ceinture, l'arrière-garde de sa pudeur, et commence a lentement faire glisser sa jupe le long de ses cuisses. Elle est là, mi-nue, dans l'entrebaillement de la porte, à moitié exhibée devant les joueurs du XV de France. Elle s'imagine, coupeuse d'oranges pour ces grands gaillards, les invectivant depuis la touche, obligeant ces forcenés à corriger les saligauds d'en-face, ces consanguins rougeots qui nous renvoient l'image des amateurs de tuning que l'on voit à la télé.
"Tu risques de te faire pincer très fort" lui glisse-t'il à l'oreille, tandis qu'il referme lentement la porte sur ses doigts qu'elle tenait dans le chambranle. Elle rougit, sa jupe à ses pieds, elle ne l'a pas entendu arriver, elle baisse la tête quand il éclate d'un rire féroce - "J'ai jamais vu la mer mais il paraît qu'une fois qu'on y est, elle est bonne."
Son mince filet d'eau a fini par remplir sa petite douche, l'éponge obstruant la bonde.
Elle tire ses doigts douloureux de l'entrebaillement de la porte et honteuse, s'enferme. Elle lui demande de déboucher la bouteille, pendant qu'elle se retire avec une serpillière. Il change de chaîne. Un peu de douceur après ces rudesses viriles. Le ronronnement d'une flute à bec entraine les jolies rats d'opéra dans des tourbillons et autres entrechats. Il hume avec force dans son verre. Le vin est bouchonné. Il est agacé maintant. Voilà qu'elle sort de la salle d'eau, balbutiant quelques salamalecs maladroits.
Il verse le vin dans l'évier, les roadies s'activent sur la scène de la Scala. Ils ne se regardent pas. Elle le sait énervé, c'est toujours pareil lorsqu'il part en congé. Sa maladresse ne l'aide pas, elle commet toujours un impair, comme cette année où ils avaient passé les vacances de noël au lac de Paladru. Le vent faisait claironner les bouteilles vides qu'elle avait laissé sur la terrasse comme autant de flutes de pan, la grêle tapait dessus en un tchouk-tchouk nougat amusant, mais si elle trouvait ça charmant, lui en avait fait une maladie. Il préférait les mélodies du périphérique au vacarme de la nature.
Elle était repartie, sanglotant, avec un joli coquard.
-"La prochaine fois, c'est tintin! Les vacances c'est un moment de repos, plus jamais ça."
Elle le sait, elle commençe mal ces vacances.
Il lève les yeux, regarde son petit baluchon et lui arrache doucement - "t'as pas plus petit, on ne va pas faire le voyage à vide".
Une larme perle sur sa joue, elle aimerait se réfugier auprès de Chabal, ne serait-ce qu'une fois. Serait-il doux hors du terrain?