hephaestos a écrit :
Au risque de passer pour un chieur (mais j'y tiens, le déterminisme a vraiment mauvaise presse ces derniers temps) : ce que tu définis comme étant le déterminisme serait plutot ce qu'on appelle parfois le fatalisme : tout est écrit. Déterminisme et nécessitarisme sont, essentiellement, la même chose (le terme nécessitarisme étant, d'aprés ce que j'ai compris, plutôt utilisé en philosophie).
|
On utilise les deux termes en philo, mais j'opérait la distinction pour montrer qu'il n'y a pas chez Spinoza de nécessité qui nous "pèse" dessus, comme si nous étions déterminés, programmés, pour accomplir nos actions en vertu de notre essence.
bloubibulga a écrit :
sur 1) : je suis bien d'accord que il y a cette fluctuatio animi, mais elle n'est possible que pour ceux qui n'ont pas encore atteint le troisième genre de connaissance? Or Spinoza dans l'thique et dans une lettre fait clairement comprendre que lui l'a atteinte! or une fois qu'on l'a atteinte, on ne revient plus en arrière, on ne peut plus éprouver cette fluctuation de l'ame!!! c'est un des acquis les plus important quand on passe au troisième genre de connaissance ! enfin être libéré de cette fluctuatio animi!!!! donc c'est bien contradictoire, les deux ne peuvent pas aller ensemble.
|
Le 3e genre de connaissance progresse de l'idée adéquate de certaines attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l'essence éternelle des choses (V,21).
Il ne faut toutefois pas confondre cela purement et simplement avec une illumination, -même si on pourrait y voir un rapprochement. Autrement dit, même quand on atteint le 3e genre, on ne l'atteint jamais entièrement (car la connaissance de Dieu est infinie) et on n'en demeure pas moins incarné, c'est à dire qu'on continue d'être affecté par l'image des choses, donc d'exister dans la durée. Ainsi, on n'en demeure pas moins partiellement soumis à des forces qui dépassent notre puissance, si bien que "l'accès" à ce 3e genre ne fait pas de nous des Dieux, qui, d'un regard d'airain, contemplent la durée en sachant d'avance tout ce qui va s'y produire.
On pourrait même dire que ces fluctuationes animi sont encore une perfection de ma nature, puisqu'elles expriment une capacité de mon être.
bloubibulga a écrit :
Pour 3), à chaqeu fois qu'il tente une démonstration positive, en réalité soit elle est purement nominale, soit elle n'est pas une démonstration, mais seulement une assimilation par forcage entre deux choses qui vont pas forcément ensemble, il les associe sans dire pourquoi.
|
C'est bien l'enjeu des démonstrations : associer deux choses qui semblent disjointes, lointaines, sans rapport et en faire jaillir une 3e qui ne se ramène pas à l'addition des deux choses. C'est, en acte, montrer le pouvoir de la raison qui opère par créations synthétiques.
bloubibulga a écrit :
pour 2) vous lisez ce que je n'ai pas écrit!!! Je n'ai pas dit quee "puisque Spinoza dit que tout est déterminé, il faut surtout ne pas chercher à progresser" j'ai dit : Spinoza lui meme ruine totalement l'idée de progrès et de liberté, il les révoque comme des illusions de la conscience. Il dit lui même que chaque chose est déterminée par sa nature et que tout volonté de faire une chose, de produire un effet qu'elle n'est pas censée produire est illusion! Elle ne peut pas se rendre elle meme indéterminée et choisir de produire un autre effet. Or ceci ne tient pas meme pour lui puisq'il entreprend la démarche d'écrire une éthique!.....
|
Si Spinoza ruinait totalement l'idée de liberté et de progrès, il ne se mettrait pas en peine de montrer que la démocratie est le régime le plus conforme à la Raison et que cette Raison nous propose une idée de l'homme comme être libre, idée qu'il est désirable de poursuivre, car elle permettra aux hommes d'exprimer pleinement leur nature et de ne plus s'opposer les uns aux autres. Si la Raison fait partie de l'essence de l'homme, alors mettre à l'oeuvre cette raison, c'est simplement aider l'homme à exprimer sa nature, à perséverer dans son être.
Une règle veut qu'un auteur ne soit jamais aussi prisonnier de son système que ses lecteurs. Ce sont les commentateurs et les lecteurs qui sont dogmatiques, qui veulent enfermer l'auteur dans un carcan rigide et signaler tout débordement. Mais pour un auteur, un système est aussi bien une contrainte qu'une liberté -alors que ce n'est généralement qu'une contrainte pour le lecteur !
Ceci dit, le problème de la liberté est centrale chez Spinoza.
Est-ce à dire que, en politique, Spinoza se permet de réintroduire subrepticement du libre-arbitre, de l'indéterminisme, en fraude ?
Au fond, Spinoza a t-il cru à son système, à une universelle nécessité naturelle ? Mais il ne serait pas le premier philosophe à se réfugier derrière une armature conceptuelle très rigoureuse pour faire passer des idées subversives, en particulier, dans le cas de Spinoza, la lutte contre la tyrannie de la tristesse et la défense de l'idée de démocratie. Mais les démonstrations convainquent l'entendement, par le 2e genre de connaissance : elles reposent sur des notions communes donc elles nous arrachent au pouvoir de l'imagination, elles en épurent soigneusement les erreurs pour y mettre à la place des idées adéquates.
Mais dans ce cas, si les démonstrations suffisaient, pourquoi écrire aussi des scolies ? Pour s'adresser à ceux qui ne sont pas des têtes mathématiques ou scientifiques, bref à ceux qui ne comprendraient pas ses démonstrations ?
Mais ce serait trop simple. Deleuze a bien montré au contraire qu'à la ligne continue, majestueuses des démonstrations s'opposait les lignes discontinues, violentes, formées par les scolies. Or, la philosophie de Spinoza, c'est les deux à la fois !
J'en reviens à la question, sous l'angle politique : si tout est nécessaire, comment faire pour que ça aille mieux, pour progresser ?
Dans l'état de nature, d'ignorance, de domination des passions et de l'imagination, les hommes s'opposent les uns aux autres : ils se combattent tous car ils aiment ce qu'ils désirent ; ils cherchent à obtenir ce qu'ils désirent mais ils ne peuvent souvent l'obtenir qu'en le prenant à un autre qui, à son tour, concevra de la haine pour celui qui le prive. Et qui est haï conçoit de la haine pour celui qui le hait. Donc les hommes, naturellement, se divisent, se combattent. Alors que (si je puis dire) ils ne demandent qu'à perséverer dans leur être, ils en viennent au contraire à se mutiler, à se combattre, à s'empêcher mutuellement d'augmenter leur puissance.
Or, si les hommes, en vertu du conatus, conviennent de former une société unie, où tous obéiront à la loi plutôt qu'à leurs désirs personnels, alors leur puissance d'agir en sera augmentée ; ils en concevront de la joie et donc, il n'y a pas de raison de refuser de dire que leur liberté sera plus grande et que cela constitue pour les hommes un progrès.
Plus généralement, comment fait donc Spinoza pour nous aider à être joyeux ?
Comme il n'y a rien pour lui au-delà de l'ordre de la Nature, il ne peut pas dire, comme Kant, en se fondant sur l'impératif catégorique : "agis de façon à ce que la maxime de ton action soit conforme à la loi morale".
Bref, Spinoza ne peut pas employer l'impératif, il ne peut pas dire : "faites ceci, c'est obligatoire !".
Il dit plutôt, et c'est parfaitement en accord avec son système : "plus une chose fera ceci et plus elle fera cela... plus une chose augmente son être et plus elle conçoit de joie... plus les hommes obéiront à la seule Raison et plus ils seront libres..."
C'est une question de gradation, de quantité, de proportion, d'équivalence : l'Ethique, écrite par un homme libre et joyeux, nous aide à le devenir.
---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com