Petit rappel historique : La sécu telle qu'on l'entend en France a été crée en 1945 sous la pression des organisations communistes de l'époque, auréolées de leur action contre l'occupation allemande. Cette disposition n'a jamais été soumise à référendum ni même votée par le parlement. Elle est issue des ordonnances du 19 octobre 1945. Il faut noter que les députés ont refusé que leur régime de protection sociale soit intégré au régime général, tout comme la SNCF, les sénateurs, RATP, EDF / GDF, la banque de France, les notaires, les expatriés, ….
Avant cette date, il existait une multitude de mutuelles qui couvraient les assurés, avec cependant un but lucratif. L'assurance en elle-même n'était pas obligatoire.
La couverture vieillesse trouve son origine dans une décision de Philippe Pétain, qui confisqua l'épargne destinée à financer la retraite des travailleurs pour l'affecter au financement des retraites des retraités du moment. C'est le modèle Bismarck de retraite par répartition.
La Sécurité Sociale française est en fait un dispositif législatif qui organise et réglemente la protection sociale en France. Celle ci est ensuite assurée par des prestataires (caisses d'assurance maladie, caisses de retraites, accident du travail, maternité, allocations familiales). Pour simplifier les choses, j'appellerais " Sécu " ces différents organismes pour la suite.
Les organismes de sécurité sociale (CRAM, CPAM, MSA, …) sont des organismes de droit privé, qui fonctionnent par délégation de service public pour le compte de l'Etat. Il en est de même pour les URSAAF (qui sont chargées du recouvrement des cotisations Sécu). La Sécu n'est donc pas un service public, mais une multitude d'organismes privés, et ce depuis sa création il y a plus de 60 ans. Refuser la privatisation de la Sécu n'a donc aucun sens.
Elle est financée par les cotisations sociales payées par les employés sur leur travail. Il faut noter que les cotisations patronales font juridiquement partie intégrante du salaire du l'employé, elles sont donc de fait payées par l'employé, malgré la distinction apparaissant sur la fiche de paye.
Ces cotisations ouvrent droit à des prestations, dont la teneur est définie par la loi (montant de référence et taux de remboursement arbitraire). Depuis 1990, une cotisation supplémentaire a été créée pour financer la dette de la Sécu, la CSG, qui est payée non seulement sur les salaires, mais aussi sur les revenus d'épargne.
Depuis sa mise en place, cette organisation n'a jamais été équilibrée d'un point de vue comptable, encore moins excédentaire (on ne parle pas de bénéfices dans la cadre d'une prestation de service publique). En 2001, le bilan excédentaire présenté était faussé, puisque prenant en compte les cotisations de fin 1999 et début 2001. Celles ci ont donc été comptabilisées deux fois. L'année suivant, le déficit a repris de plus belle.
Ce déficit cumulé a conduit à la création de la CADES en 1996 pour éponger le déficit de 38 Md€. Elle est alimentée par la CRDS, nouvelle cotisation créée pour l'occasion. A l'origine, La CADES et donc la CRDS devaient durer 13 ans (jusqu'en 2008). Mais en 1997, 13 Md€ supplémentaires ont été transférés de la Sécu à la CADES et la date limite a été repoussée à 2014. Enfin, en 2004, 30 Md€ supplémentaires sont transférés à la CADES, et la date limite repoussée jusqu'à l'extinction de la dette sans limite.
Aux yeux de la législation européenne, la protection sociale est considérée comme un service financier en tant qu'assurance. Elle est donc soumise à la libre circulation des biens, personnes et services en vigueur au sein des 27. Avec une restriction cependant concernant les systèmes de protection sociale compris dans un régime légal de Sécurité Sociale.
Cette restriction est importante dans le sens où elle implique une définition du régime légal : c'est un système financé par l'impôt, qui est applicable à tous les citoyens de manière égalitaire. En France, seul les allocations familiales peuvent être considérées comme un régime légal : c'est le seul qui soit totalement distinct de la catégorie socioprofessionnelle du bénéficiaire.
Les régime d'assurance maladie, vieillesse, accident du travail, maternité sont donc des régimes professionnels. D'après la législation européenne, le choix du prestataire de ces prestations sociales devrait être libre pour le salarié. C'est ce qui est écrit dans la loi depuis le 19 avril 2001, après une condamnation de la France par la Cour Européenne de Justice pour non-transposition des directives. A cette date, les codes de la Sécurité Sociale, de l'Assurance et de la Mutualité ont été modifiés pour intégrer les directives européennes.
Il en résulte la création d'un registre européen délivrant des agréments permettant à toutes les entités agrées (entreprises, mutuelles, …) de proposer des produits d'assurance dites non-vie dans l'ensemble de l'Europe, plus la Suisse en raison d'accords bilatéraux. L'obligation d'affiliation a été réaffirmée, mais en retirant cependant la mention obligeant l'adhésion à un organisme de Sécurité Sociale Français, pour permettre l'affiliation a des organismes étrangers.
La loi précise même que les personnes qui ne sont pas à la charge d'un organisme de Sécurité Sociale Français sont exonérés du paiement de la CSG.
Dans les faits, la situation est très différente. Les organismes de Sécurité Sociale et les URSAAF ne reconnaissent pas cette possibilité de choix. Seuls quelques indépendants sont allés jusqu'au bout des procédures judiciaires et ont obtenu leur radiation. Pour les salariés, c'est beaucoup plus compliqué : l'employeur recouvrant (bénévolement) les cotisations sociales de ses salariés pour le compte de l'URSAAF, il faut obtenir son accord pour récupérer ces sommes en lieu et place de l'URSAAF. La fonction même des URSAAF n'incitent pas les employeurs à accéder à la demande de leurs employés (j'en ai fait l'expérience).
Cependant, certains d'entre eux sont maintenant assurés chez un assureur privé pour leur protection sociale.
D'un point de vue purement financier, cette possibilité de choix paraît être intéressante :
Les cotisations sociales de la SS représentent, par rapport au salaire brut, 0,85 % pour la part salariale et 12,8 pour la part patronale, ainsi que 4,947 % pour la CSG déductible (5,1 % de 97 % du salaire brut) et 2,813 % pour la CSG non déductible (2,9 % de 97 % du salaire brut), soit un total de 21,41 % du salaire brut (ou encore, pour un SMIC à 1254,28 € brut, un gain de 268,54 €). Ces cotisations étant proportionnelles au salaire, le gain serait encore plus important pour les salaires supérieurs
Une assurance privée au premier Euro, avec une couverture identique à celle du régime générale (c'est à dire basée sur le tarif de convention et avec un taux de remboursement identique) coûte 75 € par mois (un assurance française pour un homme adhérant à 30 à 35 ans). Le gain pour le salarié est dans ce cas de plus de 190 € nets par mois.
D'autres prestataires proposent des assurances avec des couvertures bien supérieures :
Une assurance hollandaise propose par exemple une couverture aux frais réels pour tous les actes médicaux, sauf le dentaire (prothèses) à 50 % et l'optique à 80 %. Les plafonds annuels sont de mémoire de 7500 € pour la médecine de ville (avec un plafond à l'acte de 80 € pour un généraliste et 100 pour un spécialiste, ce qui couvre sans problèmes les éventuels dépassements d'honoraires), 1,5 M€ pour l'hospitalisation (une journée en soins intensifs coûte 2000€, soit un plafond annuel correspondant à 2 ans de soins intensifs), 30 000 € pour les médicaments, ….). La couverture aux frais réels rend caduque le recours à une mutuelle complémentaire, ce qui engendre encore des économies. Elle permet aussi de choisir une franchise annuelle (somme restant à sa charge), ce qui a pour effet de diminuer encore le coût de cette assurance.
Pour un salarié adhérant à 30 – 35 ans, le coût de cette assurance est de 350 € par mois sans franchise, soit l'équivalent de la Sécu pour un salaire de 1635 € brut, non compté l'économie de la mutuelle (le salaire moyen d'un ouvrier en 2004 était de 1840 € brut d'après l'INSEE).
Il faut noter que ces assurances ont une prime déterminée ne fonction de l'age à l'adhésion : plus on adhère jeune, plus la prime est basse.
L'explication est (selon moi) qu'une partie de ces primes est capitalisée pour financer les besoins liés à l'age : plus on adhère jeune, plus la constitution du capital est répartie dans le temps, plus l'effort à fournir mensuellement est faible. Il en résulte que la prime payée au début de la vie est surévaluée par rapport au risque, mais sous évaluée à un age plus avancé. De plus, les revenus de la capitalisation contribuent aussi à diminuer l'effort à fournir par l'assuré. Sur une durée de 40 ans, le capital réel représente environ 3 fois le montant des cotisations versées.
Ces assurances ne comportent pas de sélection des assurés (c'est une des conditions de l'obtention de l'agrément européen) et les enfants bénéficient de l'assurance de leurs parents jusqu'à un age variable suivant les prestataires (typiquement 18 – 20 ans). La notion d'ayants droit est réduite aux seuls jeunes enfants mais ce qui peut paraître comme rédhibitoire constitue en fait une garantie de la santé financière de son assureur : il n'y a pas une multitude de bénéficiaires pour un seul cotisant. C'est à mon sens un des gros défauts structurels de la Sécurité Sociale Française et une des raisons (c'est loin d'être la seule) de sa situation actuelle.
Une autre des conditions d'obtention de l'agrément est l'obligation de proposer des contrats viagers : l'assureur ne peut pas résilier le contrat de l'assuré pour des raisons autres que le non-paiement de la prime. C'est d'ailleurs le cas de la Sécu : celui qui ne paye pas ses cotisations n'est pas assuré.
Enfin, et c'est un avantage énorme par rapport à la Sécu, l'assureur et l'assuré sont liés par un contrat, qui ne peut pas être modifié sans l'accord des deux parties. La Sécu offre une couverture basée sur une loi, qui peut donc être modifiée unilatéralement sans que l'assuré ne puisse refuser cette modification. C'est le cas des tarifs de convention, des franchises, des déremboursements.
Ces assurances ont été crées à l'origine pour les expatriés. De statut privé et non soutenues par l'Etat, elles sont contraintes aux résultats pour ne pas faire faillite. Leur existence montre que des prestations supérieures et des cotisations plus faibles peuvent être rentables. C'est rendu possible par une véritable gestion du risque, le métier de base de toute assurance, et non pas par un remboursement automatique non contrôlé de tout.
La Sécu une série de problèmes structuraux :
- elle coûte de plus en plus cher (les cotisations augmentent) et est de moins en moins efficace (les remboursement baissent, ils ont déjà parmi les plus faibles d'Europe : 54 % contre par exemple 90 en Angleterre, 71 en Suède, 61 en Italie, ….) : On appauvrit à la fois les contributeurs et les bénéficiaires. Cette démonstration est aussi valable pour les retraites.
C'est une situation qui historiquement est systématique quand un monopole est mis en place :
" Que sera devenue la moralité de l'institution quand sa caisse sera alimentée par l'impôt ? Les abus iront toujours croissants et on en recalculera le redressement d'année en année, comme c'est l'usage jusqu'à ce que vienne le jour d'une explosion. " (Frédéric Bastiat en 1850)
- elle ne contrôle pas ses dépenses : elle rembourse les yeux fermés, et l'administration est globalement plus prompte à taper sur les payeurs que sur les bénéficiaires : les URSAAF sont plus virulents avec les employeurs (les " riches " ) que les contrôleurs avec les bénéficiaires (les " pauvres " ),
- Elle fonctionne sur un système de répartition. La capitalisation, pourtant génératrice de profits est systématiquement rejetée, parce que considérée comme immorale par la mentalité française et les syndicats (ceux là mêmes qui on mis en place la retraite par capitalisation des fonctionnaires avec le PREFON),
- Cette répartition est dangereuse : toutes les cotisations payées par un salarié durant sa vie professionnelle sont perdues pour lui. Si personne ne paie pour lui derrière (pour des raisons matérielles ou morales), il aura tout perdu.
- Cette répartition prive aussi les héritiers d'un capital au décès de leurs parents : je paye 780 € de retraite par mois (2300 € brut de salaire). Au bout de 40 ans, j'aurais payé 374 400 €. Cette somme capitalisée pendant mes 40 années d'activités sera perdue si je décède à 60 ans, puisque redistribuée aussitôt prélevée. Dans un système par répartition, je pourrais la transmettre à mes enfants, augmentée des intérêts, puisqu'elle m'appartiendra.
- Une simulation sur 40 ans de ma situation me donne :
Un capital de 659001,90 € si mes 780 € mensuels sont placés à 2,75 % (le taux du livret A)
Une rente mensuelle de 1510,20 € à ma retraite, sans toucher au capital. Avec un salaire net de 1811,06 €, ça me fait un taux de remplacement de 83,4 %.
Au bout de 42 ans, 1637.36 € et 90,4 %
A un taux de 4 % (minimum possible à long terme), il suffirait de 32 ans pour avoir un taux de remplacement de 100 %
Pour infos, le système français est actuellement à 65 % au bout de 42 ans pour un départ à 60 ans, qui va revenir à 65 dans un futur proche, retraite complémentaire comprise. Le taux va certainement encore baisser et la durée et l'age augmenter.
- Elle est gérée paritairement par les syndicats du patronat et des salariés, aux intérêts contradictoires : les décisions prises sont donc des compromis, ce qui n'est jamais bon,
- Elle assume une quantité d'ayants droits, qui représentent une charge sans contre partie,
- Elle n'est pas adaptée à l'évolution démographique actuelle : le système Bismarck est viable pour 8 cotisants pour un bénéficiaire en 1945, mais ne l'est plus pour 2 cotisants pour 1 bénéficiaire comme maintenant,
- Elle est présentée comme étant réellement solidaire alors que toute assurance est dans son principe solidaire : tous les cotisants bénéficient des prestations au besoin,
- Elle provoque une inégalité des soins : seuls les plus aisés peuvent se permettre d'aller voir les meilleurs spécialistes ou peuvent court-circuiter le médecin traitant. Ils ont les moyens de payer les dépassements d'honoraires ou de se payer une mutuelle complémentaire (d'après la Mutualité Française, seuls 36 millions de français ont une mutuelle, donc 16 millions n'en ont pas). J'ai un membre de ma famille qui a attendu un an avant d'aller consulter un spécialiste pour des raisons financières alors qu'elle suspectait un cancer de la gorge, ce qui s'est révélé exact.
- Elle est déresponsabilisante : à quoi bon se modérer puisque la collectivité prendra en charge mon comportement (y compris mes prises de risque volontaires style tabac, alcool, sports à risque, …),
- Elle pénalise l'offre de soin : pour des questions budgétaires, le nombre de médecins formés est insuffisant. La situation ne fera que s'aggraver. Il aurait fallu prendre les mesures nécessaires il y a 10 ans déjà, le temps de former de nouveaux médecins.
- Elle pénalise les médecins qui voient leurs tarifs plafonnés (les revenus des médecins français sont les plus faibles d'Europe). Cette remarque vaut aussi pour les infirmières.
- Et certainement plus grave : en favorisant les génériques, elle fait perdre une partie des bénéfices aux labos pharmaceutiques, bénéfices qui étaient, en partie, faut être honnête, utilisés pour financer la recherche de nouveaux médicaments. Le budget public de la recherche en Europe étant ce qu'il est, le retard pris est préoccupant.
- Elle pénalise le coût du travail : la France est un des pays d'Europe ou le coût du travail est le plus élevé : les charges payées par l'employeur représentent 84 % du salaire net. Autrement dit, l'employeur paye 1,84 fois ce qu'il donne au salarié.
- Elle est moralement inacceptable : ce sont à nos enfants de payer nos retraites et pire encore, notre assurance maladie d'aujourd'hui. De plus, rien ne garantit que nos enfants seront en mesure de nous financer. Malgré l'opinion répandue, l'Etat ne garantie pas nos retraites.
Depuis 2006, les pays bas ont basculé la charge de l'assurance maladie de la Sécu aux assureurs privés, tout en rendant obligatoire l'assurance. Au bout d'un an et demi, on constate une amélioration de la qualité des soins et une diminution du coût de protection sociale. Cet exemple est intéressant parce qu'il constitue la tentative la plus aboutie de la mise en concurrence des plusieurs organismes de Sécurité Sociale (les assurances privées offrant ce style de prestation peuvent être considérées comme des organismes de Sécurité Sociale).
Aucun système n'est exempt d'inconvénients, mais choisir le meilleur (ou du moins le moins bon) permet d'améliorer les situations. Le système français est obsolète. On s'acharne pourtant à le maintenir, au dépend de la santé financière et de la compétitivité du pays. Ce qui se retourne au final contre les bénéficiaires de ce soi disant meilleur système au monde.
Les USA (Clinton) ont un temps envisagé de mettre en place une Sécu sur le modèle français. Ils ont abandonné, les études ayant montré que ce système n'est pas viable.
La Suisse a proposé par référendum l'adoption d'un système similaire. Il a été rejeté par 71 % des votants.
Qu'on donne le salaire complet à tous les salariés, et que ceux ci se prennent en charge eux-mêmes. Tout le monde y serait gagnant, y compris les plus faibles revenus. Et ça effacerait les inégalités existantes concernant les régimes spéciaux de retraite.
Le problème est que s'il est facile de passer d'un système par capitalisation à un système par répartition (on utilise l'épargne pour financer la mise en place), l'inverse est très dur (comment faire pour tous ceux qui n'auront pas le temps de se constituer un capital suffisant pour avoir une retraite décente) ?
Manu