Voila un courriel qui va partir demain midi au député de ma circonscription. Qu'en pensez-vous ?
Monsieur le député,
Comme vous le savez sans doute, le projet de loi "Droits d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information" (DADVSI) va être débattu par les parlementaires incessamment sous peu.
Même si vous êtes déja au courant, je vous invite à continuer la lecture de ce message, car il se peut que vous ayez été peu ou surtout mal informé à ce sujet.
Le vote a lieu la nuit du 20 au 21 décembre et il n'y aura pas de deuxième lecture, procédure d'urgence oblige. Sans vous connaître on peut dire que statistiquement vous avez très peu de chances d'être dans l'hémicycle une nuit proche de Noël. Or il est très important que vous vous y exprimiez, je vous conjure donc d'être présent cette nuit-là.
L'heure est grave, et j'espère par les quelques lignes qui suivent vous convaincre de la dangerosité de cette loi.
Ses effets néfastes, directs et surtout indirects, sont très nombreux, beaucoup plus qu'on ne l'imagine, et il faudrait des heures de plaidoirie pour tous les aborder. Aussi ne m'attarderai-je que sur un point : l'obligation d'intégrer, sur tout logiciel ou presque, des mesures techniques de protection du droit d'auteur, afin de mieux lutter contre la piraterie numérique.
Un rapport du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, remis le mois dernier au ministre de la culture, préconise, via la proposition d'un amendement à ajouter au projet de loi, d'assimiler au délit de contrefaçon :
1° Le fait, en connaissance de cause, d'éditer ou de mettre à la disposition du public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition non autorisée au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit littéraire et artistique qui ne comprend pas les mesures pour, en l'état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé.
2° Le fait d'éditer ou de mettre à la disposition du public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel autre que celui visé au 1° ci-dessus, dès lors que, ayant connaissance de ce que ledit logiciel est manifestement utilisé pour la la mise à disposition non autorisée au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit littéraire et artistique, l'éditeur n'a pas pris les mesures pour, en l'état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé .
Tout d'abord, précisons que contrairement à d'autres mesures controversées du projet DADVSI, cette proposition n'est inscrite dans aucune directive européenne, aucun traité international, et qu'il n'y a donc aucune obligation d'en tenir compte. Elle émane uniquement du très critiqué rapport du CSPLA.
Cette proposition, au-delà d'apparentes bonnes intentions, aura des effets de bord gravissimes : disparition du logiciel libre, création de monopoles et renforcement de ceux existants, pertes d'emplois, et menaces directes sur la sécurité nationale.
En clair, il s'agit de contraindre toute personne qui programme un logiciel impliquant de l'échange de données, à inclure dans son logiciel des mécanismes de contrôle des droits d'auteur, sans quoi elle pourrait être poursuivie. En effet, tout logiciel permettant l'échange de données peut être détourné pour permettre l'échange de fichiers : on l'a vu avec les messageries instantanées (MSN), des logiciels de courrier électronique (e-mails), même les navigateurs Internet (messageries type Gmail).
Il est difficile de mesurer au premier abord l'impact de cet amendement. Car les deux paragraphes cités omettent les faits suivants :
- La quasi-totalité des logiciels implique de l'échange de données, et se retrouve concernée. Loin de se limiter aux logiciels de partage de fichiers 'Peer2Peer' premièrement visés, la loi frappera tout logiciel de 'chat', jeu en réseau, serveur Web, navigateur internet ... demain, presque tous les logiciels devront changer. En poussant le raisonnement jusqu'au bout, les protocoles TCP/IP et HTTP, piliers technologiques de l'Internet, deviendraient illégaux puisqu'ils se contentent de transférer des paquets de données sans vérifier si elles sont protégées par un droit. Les majors sont-elles en train de demander que le France coupe l'accès à Internet sur tout son territoire, et reprogramme complètement son architecture pour l'adapter à leurs demandes ?
- Les logiciels libres ne peuvent pas, par nature, intégrer les "mesures techniques de protection" que la loi leur imposerait. Le principe même d'un logiciel libre est de divulguer son code source à tous. Le principe meme d'une mesure de protection est le secret : l'utilisateur ne doit pas savoir comment il fonctionne, ce qui implique de masquer le code. Une mesure de protection qui serait implantée dans un logiciel libre serait donc immédiatement désactivable par n'importe qui recompile le logiciel. En conséquence, jamais l'éditeur ne sera capable de " prendre les mesures pour, en l'état de la technique, préserver ces oeuvres ou objets protégés contre un usage non autorisé." C'est techniquement impossible. Il ne peut pas non plus avoir à coup sûr "connaissance de ce que ledit logiciel est manifestement utilisé pour la la mise à disposition non autorisée" de contenus protégés.
- Le marché des "mesures techniques de protection" est cloisonné par trois acteurs : Microsoft, Apple et Sony. Ils fournissent des licences d'utilisation de leurs systèmes de DRM (Digital Rights Management) à des prix prohibitifs, pénalisant les programmeurs indépendants, et les entreprises fragiles ou naissantes. Tous ces acteurs seront exclus de facto de l'ère numérique qu'on nous promet. Par exemple, les 'webradios', presque toutes gérées par des associations modestes, se verraient par cette loi obligées d'acquérir des licences pour crypter leurs retransmissions. Ne pouvant assumer ces coûts, elles disparaîtront massivement si l'amendement est adopté. Nul doute qu'on ne verra pas Vivendi/Universal verser une larme.
Contraindre tous les programmeurs à acheter des licences de mesures techniques, c'est donc freiner l'innovation, c'est fragiliser encore plus la France dans une industrie du logiciel déja dominé par des géants américains, c'est menacer l'indépendance de l'Europe.
En combinant les deux premiers points que je vous ai cités, vous en déduirez ceci :
Cet amendement, s'il est adopté, entraînera l'interdiction de presque tous les logiciels libres. Le libre sera exclu de facto des segments de marché les plus porteurs du logiciel ; cela revient à le tuer. Ce n'est pas un dommage collatéral non prévu, c'est exactement ce que souhaitent des entreprises comme Microsoft, incapables de freiner dix ans d'ascension ininterrompue des logiciels libres (Linux et Mozilla Firefox pour ne citer qu'eux).
Derrière cette proposition se terre une volonté de tuer la concurrence par un détournement de la loi.
Une telle instrumentalisation de la justice n'est pas acceptable dans une démocratie. Pour les grands éditeurs comme Microsoft, après leur échec sur le terrain des brevets logiciels, c'est une nouvelle tentative larvée de faire disparaître le logiciel libre.
Et alors, me direz-vous ? Le logiciel libre est indispensable et sa survie une priorité de l'Etat. Ce n'est plus à démontrer. Jacques Chirac lui-même l'affirme. Protéger le logiciel libre est vital, pour un très grand nombre de raisons et ce mail est déja assez long. Si vous êtes toujours perplexe, une seule suffira : la sécurité nationale.
Ce n'est pas un hasard si la plupart des gouvernements (français compris), confrontés au choix d'un systeme informatique pour gérer les infrastructures essentielles d'un état, abandonnent progressivement les systemes propriétaires type Microsoft au profit de systèmes ouverts.
Les logiciels libres sont reconnus synonymes de confiance. Ceci peut sembler paradoxal puisque leur code source est révélé à tous. Mais en réalité, il permet à tout un chacun de vérifier que le logiciel qu'il utilise est sûr et bien programmé, qu'il fait bien ce qu'il est censé faire, et pas autre chose. A l'inverse, comment un gouvernement peut-il être sûr que sa suite logicielle Microsoft n'envoie pas des informations confidentielles à une entreprise ou un gouvernement étrangers ? Il ne le peut pas. Microsoft lui promet d'être sage, et il doit le croire sur parole.
La police, les impôts, la gendarmerie utilisent des logiciels libres. L'état français, s'il vote cette loi, se met lui-même hors la loi ! A moins qu'il accepte de confier le contrôle des casiers judiciaires et fichiers d'empreintes digitales à un prestataire opaque et, très certainement, étranger.
Approuver, en connaissance de cause, après avoir lu ce message, l'amendement du CSPLA, revient à prôner ouvertement l'interdiction des logiciels libres. Ce que même ses adversaires les plus directs n'osent pas, ils le prouvent ici même en utilisant des ruses et moyens détournés pour y arriver.
Maintenant que vous êtes informé, je n'ai plus qu'a vous supplier de faire acte de présence le 20 décembre, et de donner votre avis.
Et à vous rappeler que le logiciel libre représente des dizaines de milliers d'emplois en France, au moins autant de bénévoles et des millions de sympathisants. L'attaquer frontalement serait électoralement très risqué.