J'avais fait un petit "manuel" de présentation des études de droit sur base de ce que ma petite expérience d'étudiant en Belgique.
Ça donne le long texte suivant.
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Ce qu'est le droit
Pour présenter ce qu'on apprend en droit, on va faire une petite comparaison entre une réponse bien structurée et mal structurée, pour une même matière, à un examen.
Prenons le Code de la route. C'est du droit. Quand vous passez votre code de la route, vous passez un examen de droit !
Ses règles sont structurées de la même manière que beaucoup d'autres matières juridiques.
On va imaginer des articles du Code de la route.
- Article 1 : Les véhicules observent l'arrêt face à un feu de circulation au rouge.
- Article 2 : Toutefois, le Roi a la faculté de dresser par arrêté royal une liste de services agréés disposant de véhicules d'urgence nécessaires à l'intérêt public. Ces véhicules peuvent franchir le feu au rouge pour autant qu'ils fassent usage de leurs avertisseurs sonores et lumineux et si leur conducteur opère avec prudence et roule à vitesse modérée.
On va aussi imaginer un hypothétique Arrêté Royal du 30 novembre 1980 fait par le Roi (le gouvernement), qui règle les détails de la loi. En l'occurrence, il parle des ambulances dans son article 5, que vous emmènerez à l'examen.
Mettons que cela fasse partie de la matière à étudier : quand est-ce qu'on peut passer un feu au rouge ?
La question d'examen correspondante serait :
"Un véhicule arrivant à un feu au rouge doit-il toujours marquer l'arrêt ? Expliquez et illustrez".
C'est aussi une question typique en droit.
On va voir deux réponses, qui disent exactement la même chose au fond. Mais leur structure va rapporter plus ou moins de points.
Commençons par une "mauvaise" réponse.
"Un véhicule arrivant à un feu au rouge doit-il toujours marquer l'arrêt ? Expliquez et illustrez".
"Les véhicules ne doivent pas s'arrêter quand ils sont agréés, qu'ils font fonctionner leur sirène et leur gyrophare et qu'ils opèrent avec prudence. C'est le cas avec une ambulance par exemple".
Ce n'est pas une réponse mauvaise en soi. Mais il vaut toujours mieux disposer une réserve de points, donc d'essayer de grappiller des points quand c'est possible. Vous n'aurez jamais trop de points pour passer.
Une réponse qui pourrait être meilleure :
"Un véhicule arrivant à un feu au rouge doit-il toujours marquer l'arrêt ? Expliquez et illustrez".
En principe, les véhicules s'arrêtent au feu rouge (art 1 Code route).
Une exception est toutefois prévue à l'article 2 du même code.
En effet, un véhicule peut franchir un feu au rouge pour autant qu'il satisfait aux conditions suivantes :
- le véhicule est un véhicule d'urgence nécessaire à l'intérêt public, d'un service agréé par arrêté royal
- les avertisseurs sonores et lumineux fonctionnent
- le conducteur garde une vitesse modérée et opère avec prudence
Dans ce cas, il peut franchir le feu au rouge.
Ainsi, le véhicule d'un particulier, sans mission ni équipement spécial, est contraint d'observer l'arrêt. Mais une ambulance du SAMU (cité à l'art 5 § 2 Arrêté Royal 30/11/1980) peut, pour autant que sa sirène et son gyrophare sont en fonctionnement, passer le feu de manière prudente.
Pourquoi est-ce meilleur ? Pas forcément parce que c'est plus long. C'est surtout une question de structure. D'abord, on parle du principe. Ensuite vient l'exception. L'exception comporte plusieurs conditions, qui sont citées. Après cela, on parle de l'exemple, en reprenant le principe et puis son exception.
En plus, on cite les dispositions légales (Code de la route et l'arrêté royal). Devant le juge, on fait du droit, on se base sur des vrais textes qui existent. S'ils existent, il faut en parler.
Tout cela est une façon de penser que l'on intègre au fil des études, et c'est peut-être de cela qu'on parle quand on parle de "formatage" en droit.
Les études de droit sont-elles des études « de par coeur » ?
Je ne pense pas. C'est vrai que c'est une réputation qui colle à la peau du droit, et j'en connais qui sont en 4ème année et qui se plaignent du "bourrage de crâne". Mais je n'ai pas vraiment ressenti que c'était du bête par coeur constamment. Ceci dit, il faut distinguer deux choses.
D'abord, oui, il y a du par coeur pour une partie de la matière.
Ensuite, le reste de la matière peut être interprété de différentes manières.
Premièrement, ce que je considère comme du "par coeur". Ce sont des listes de choses, de conditions, de droits, des procédures, de compétences, de propriétés (d'une action en justice par exemple). Ce sont des définitions où chaque mot est important. Ce sont des arrêts de jurisprudence dont il faut retenir les points importants, le nom et la date.
C'est clairement la base de la matière. Ce "par coeur" là n'est ni facile ni agréable à étudier. Les matières où ces éléments sont le plus présent, sont souvent parmi les plus difficiles.
Il faut passer par là.
Ceci dit, j'émets une grande réserve sur le fait que cette image colle spécifiquement aux études de droit.
Quand vous faites des études de physiques, vous n'allez pas redécouvrir la constante de Planck ou une centaine de formules chaque fois que vous devez résoudre un problème. Ces choses-là, c'est de la mémoire pure (même si vous êtes capables de les retrouver, vous n'en avez pas le temps à l'examen pour vos exercices).
Quand vous êtes en biologie, il faut connaître les différents embranchements, genre, espèce, etc., avec des noms compliqués. C'est très pénible. C'est aussi de la mémoire pure, du "par coeur" complet.
Il y a peut-être un peu plus de mémorisation pure en droit, encore que je n'en suis pas certain du tout.
Grosse mise au point : il ne faut pas étudier les lois, en droit. C'est idiot parce qu'elles changent tout le temps. On prend des codes sous le bras, on les fluote, on fait des renvois entre articles, mais on n'étudie jamais par coeur leur contenu. Ce serait trop facile ensuite d'appliquer une règle légale de mémoire, sans se rendre compte qu'elle comporte telle nuance ou qu'elle a été subtilement modifiée, voire carrément supprimée, ou que simplement le numéro d'article n'est pas celui que vous aviez en tête.
Il n'y a pas de raison pour que la mémorisation fasse peur à qui que ce soit. Il n'y a pas des centaines d'éléments à retenir. Il y a souvent une certaine logique, même, qui permet de se représenter une situation juridique et d'en retrouver facilement les éléments importants.
Ce qui me permets d'introduire mon second point.
Deuxièmement, il y a l'autre partie de la matière, celle que je ne pense pas faire partie du "par coeur". Ce sont des mécanismes juridiques (telle personne est responsable de telle autre pour les petites fautes rares, par exemple), des critiques, l'utilisation de telle loi et tel arrêt pour arriver à telle conclusion...
C'est surtout de la compréhension. Une fois le mécanisme compris, une fois qu'on a entendu les points faibles d'une théorie, quand on a été mis au courant que tel arrêt est important pour telle raison, on a tendance (j'ai tendance) à le retenir très vite.
C'est toujours une mémorisation, mais avec une part de réflexion.
Et les questions d'examen porteront alors surtout sur de la réflexion.
Ceci est ma position personnelle, mais je sais que d'autres ne pensent pas la même chose (pour eux, ça reste du bourrage de crâne). C'est dû, à mon avis, à la manière que chacun a de se représenter les choses, à la manière dont on mémorise, et à la manière dont on s'imagine le cours. C'est sans doute en partie une question d'attitude. Et c'est vrai que ça peut être handicapant, si on ne retient pas ce type de chose.
C'est ici qu'on peut probablement trouver le plus proche équivalent en droit de la bosse des maths. Si on est capable d'intégrer facilement des théories juridiques et de les mettre en pratique, et qu'on pense immédiatement à certains arrêts quand un problème est soulevé dans un domaine précis, on a peut-être la "bosse du droit".
Quels avantages d'aller aux cours ?
- quand on a été à tous les cours, il y a forcément des restes qui permettent de moins étudier pour l'examen. Notamment des anecdotes, qui peuvent beaucoup aider si on a cette manière de retenir les choses.
- on assimile plus profondément la matière. Si on l'étudie en 4 jours avant l'examen, on est incapable de s'en souvenir deux ans après. Or, c'est parfois important car on ne revoit pas tout le droit chaque année.
- cela permet de comprendre comment le prof fonctionne et de donner des réponses qui lui sont adaptées. On ne mesure pas assez l'importance de savoir comment répondre à tel ou tel prof. Une fois qu'on a compris ça, on peut viser des cotes très élevées. Vérifié par la pratique.
- on a acquis un certain formatage dans la manière de raisonner. Cela sert non seulement pour l'examen, mais aussi pour les autres cours et pour la vie professionnelle. A l'université on acquiert des connaissances mais, sérieusement, personne n'est bon à la sortie. Il ne faut pas s'imaginer des choses. L'unif n'est pas faite pour faire des gens ultra-compétents à la sortie, en tout cas pas en droit. Si on n'a pas acquis une manière de fonctionner spécifique pendant ces études, on les a gâchées. Aller au cours aide à se forger une mentalité spéciale pour aborder des problèmes complexes. C'est pour ça qu'on paye le droit d'inscription, pas pour apprendre les lois qui se trouvent dans le syllabus, et qui seront de toute manière remplacées à la sortie des études.
- on connaît les autres étudiants. Cela permet d'avoir des amis qui vont aux cours, et on commence alors un cercle vertueux. Et puis c'est bien pour la vie sociale.
Qui peut faire le droit ?
Pratiquement tout le monde, pourvu qu'on s'accroche. Ces études ne sont pas faciles. Pourquoi ?
- les points tombent très difficilement. Il est facile de ne pas donner une réponse parfaite. On perd vite beaucoup de points.
- il faut s'adapter à la manière dont le prof aime que les réponses soient faites.
- il faut avoir un certain vocabulaire de base, pas monstrueux, mais c'est bien de connaître le sens de mots comme "nonobstant", "sans préjudice de", etc. Sinon on peut apprendre en cours de route, mais autant limiter les nouveautés.
- les matières peuvent être rébarbatives. Ce n'est pas toujours passionnant. C'est cependant le cas de tous les domaines, quand ils sont approfondis.
- il faut faire très attention aux détails
- il faut être capable de comprendre le sens d'une phrase compliquée. Attention, il y a des articles qui sont illisibles même pour un doctorant en droit. Mais la plupart du temps ça reste raisonnable.
- il faut quand même avoir une certaine affinité avec ce qui est enseigné, et ce n'est pas donné à tout le monde. Sans motivation pour étudier une liste de propriétés de telles actions, on en a marre et on change de filière. Ce n'est pas un échec, c'est un abandon.
Pourquoi faire le droit ?
Deux catégories : il y a ceux qui font le droit parce qu'ils n'ont pas d'autre idée, et ceux qui ont une vocation (Ces derniers étant minoritaires. Les métiers visés sont souvent avocat pénaliste et juge au tribunal de la jeunesse...). Les deux catégories vont être promenés au cours de leurs études dans une quantité assez grande de domaines différents. Il est possible que les premiers trouvent une matière qui les intéresse, et que les seconds découvrent la réalité des matières/métiers qui les attiraient, en découvrent d'autres, et changent d'avis.
Mais au fond, qu'apportent les études de droit en elles-mêmes ?
Ce sont vraiment des études qui sont intéressantes. Je prêche pour ma paroisse, mais je trouve qu'une partie de ce qu'on y apprend devrait être connu de tout le monde : comment les membres des différentes assemblées sont élus ou nommés, comment un gouvernement est formé, qu'est-ce que le droit international, à qui s'applique-t-il et comment est-il sanctionné, comment payer ses impôts et déduire des frais, comment fonctionne la TVA, comment divorcer, quelles sont les obligations des parents face à leurs enfants, comment la vie privée est protégée au cours d'un entretien d'embauche (cas des femmes enceintes), ce qu'on peut saisir chez une personne qui ne paye pas ses dettes, comment commencer un procès, quelles sont les mesures que la police judiciaire peut mettre en oeuvre face à des bandes organisées ou des terroristes (écoutes, indics, visite de l'habitation en l'absence de son propriétaire) et qui contrôle cela, qu'est-ce qu'un crime, comment devenir juge, que peut faire l'Etat fédéral, pourquoi et comment créer une société, etc.
Au final, on se retrouve avec une formation qui couvre des domaines extrêmement nombreux. On touche aussi à l'économie, à la philosophie, à l'histoire...
Si on est curieux de la façon dont fonctionne le monde, ce sont des études qui ont très peu de concurrents. Evidemment, on s'en rend compte surtout à la fin...
Les débouchés ?
Je pense que quand on est passionné dans un domaine, même si ce domaine comporte peu de débouchés, il faut se lancer dedans. Même si le métier n'existe même pas encore (j'ai des preuves). On n'a qu'une vie, après c'est fini. Et il ne faut pas la gâcher pour faire plaisir au système économique. On passe plus de temps à son travail qu'avec son conjoint, alors autant bien choisir.
Par contre, je mets une grosse condition. Ça ne sert à rien de commencer l'Histoire (par exemple) si on ne se donne pas tous les moyens de réussir au mieux. Si on ne veut être qu'un étudiant moyen. Car on a alors toutes les chances de se retrouver derrière un guichet à la banque ou dans un bureau d'assurances à la place. Si on fait ce qu'on aime, on n'a aucune excuse pour être moyen. Il faut être le meilleur. Et alors on pourra faire sa vie dans le domaine qui nous intéresse, même s'il n'a que peu de débouchés. Des gens vraiment très bons dans leur domaine, il n'y en a jamais beaucoup. Ça correspond aux places disponibles, souvent.
C'est sous cette condition (de tout faire pour être le meilleur) que je peux conseiller très fortement de faire ce qu'on aime.
Si on n'y est pas prêt, alors il vaut mieux choisir des études qui sont porteuses sur le marché de l'emploi.
Le droit est porteur justement sur le marché de l'emploi. Cela ne signifie pas qu'on ne peut pas en être passionné, mais il est aussi porteur. Être passionné de droit est évidemment une situation idéale.
Le droit mène à une grande variété de fonctions.
Maintenant, il faut distinguer deux choses. Il y a les fonctions juridiques et les autres.
On dit que le droit mène à tout, mais si vous avez "juste" un diplôme universitaire en droit, vous ferez beaucoup de choses... en droit. Avocat, huissier, notaire (encore qu'il faut une licence en notariat), magistrat du siège ou debout, fiscaliste en entreprise, conseiller auprès des usagers dans un CPAS, expert en matière d'assurances soin de santé, réviseur d'entreprise, professeur à l'université, chercheur, etc.
Si vous voulez faire autre chose que du droit toute votre vie, il va falloir faire une formation complémentaire (économie, finance, gestion de patrimoine, développement durable, MBA...), ou avoir un peu de chance. Les deux sont tout à fait possible. Et même en restant dans le droit, le choix est vaste.
Quid des langues ?
Pour travailler à Bruxelles, il faut de préférence connaître le flamand. Pourquoi vouloir habiter à Bruxelles ? Parce que c'est là que se trouvent les bons salaires et les emplois. Vous épargnerez pas mal de mois de recherches (et vous aurez une meilleure paye à terme) si vous connaissez le flamand.
L'anglais n'est pas mal non plus, surtout si vous travaillez dans un domaine qui touche à l'économie, la finance, le droit des sociétés, le droit international, ou le droit de la propriété intellectuelle. Ça vous permet aussi de parler au téléphone de votre cabinet avec un Hollandais dont vous ne comprenez pas l'accent, ou avec un ressortissant des Emirats Arabes (authentique, c'est arrivé à un ami qui a été diplômé en juin dernier).
On attend des juristes qu'ils puissent gérer beaucoup de situations. Regardez les plaques des voitures sur l'autoroute, il y a énormément de non-Belges. Et même parmi les Belges, la plupart ne parlent pas français. Il va bien falloir communiquer avec tous ces gens, de gré ou de force.
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Morse is just steampunk binary / Okami :love: