avishan a écrit :
Je suis effaré par cette affaire et la tournure qu'elle prend. D'habitude je me contente de lire les réactions dans l'ombre (comme pénélope diront certains), mais j'aimerais partager mon opinion qui me semble trop peu présente au milieu des deux extrêmes (truand Fillon contre complot gauchiste). Je sais que j'ai peu de chances d'être lu, mais au moins ça me détendra ^^
Plan juridique:
Mettons les jugements éthiques sur le côté pour le moment et commençons par le plus important, la légalité de l'affaire: juridiquement elle ne tient pas debout.
Le statut d'assistant parlementaire est si flou que l'enveloppe pourrait servir à financer des balayeurs sans que ça soit illégal. A partir du moment où l objet de l'emploi n'est pas défini, il est impossible de démontrer qu'il est fictif: il suffit que Pénélope ait un jour fait quelque chose pour son mari que ça rendrait l'attaque caduque. Les montants me direz-vous? Le parlementaire est considéré comme libre de les dépenser comme il le souhaite pour le bon fonctionnement de son activité: s'il juge que le travail réalisé pour la somme lui convient (à condition que ce travail soit un tant soit peu relié à son activité parlementaire), alors libre à lui.
Tout se joue donc sur une seule et une seule chose: il est nécessaire de prouver que Pénélope a été utile dans une activité parlementaire à François Fillon... Et comment prouver le contraire? François Fillon peut toujours assurer que Pénélope lui prodiguait des conseils, assister à ses réunions, lui faisait remonter les avis des gens, etc. Il n y a pas de traces écrites de son travail? Mais pourquoi y en aurait-il! Il s'agit de sa femme, pas d'une attachée lambda, il la voit, lui parle, pas besoin de notes formelles entre eux deux (je fais volontairement des réponses simples que son avocat pourrait faire).
Concernant le "tournant" du soi disant "aveu": le reportage d'Envoyé Spécial n'a strictement aucune valeur. Premièrement, la phrase clé n'a aucune valeur juridique tant il est facile de la rendre caduque de milles manières différentes: par exemple on peut dire qu'elle parlait du boulot d attaché au sens classique du terme (c'est à dire à l assemblée), elle n'a en effet jamais été assistante à l'assemblée, mais déployée dans la Sarthe d'après sa défense.
Deuxièmement, et peut être plus intéressant, l'interview donne en fait un argument de plus en faveur de la défense des Fillon. France 2 n'a pas diffusé cette partie (seulement celle où elle prend part aux campagnes qui n'est pas recevable comme job d attaché parlementaire), mais si on va sur le site du telegraph on a un peu + de morceaux que ceux diffusés hier (je vous les laisse en version originale):
Citation :
Mentioning the town of Sablé-sur-Sarthe where the couple have a 12th century manor, she said: "I used to do bits and pieces in Sablé" - without specifying what type of work that might entail.
"I do say what I think but I don't think he listens," she said. "I get more passionate about things done in the country, the local side of it. Sometimes I say something and I think it does go on board," she added.
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C'est là le rôle normal d'une femme de politique vous me direz, sa défense dira que c'est celui d'une attachée parlementaire, et que c'est ce rôle de "conseil" qui était important: et ça sera en cohérence avec la défense du couple depuis le départ.
Depuis une semaine, on a l'impression que le couple croule sous les révélations à charge, alors qu'en vérité on est pas loin du contraire...
Pour chaque interview où elle dit "ne pas se mêler des affaires de son mari", "rester dans l'ombre", elle se contredit derrière (parfois au sein de la même interview) en expliquant qu'elle a effectivement un rôle - qui pourrait entrer dans le cadre de celui d'attaché parlementaire - auprès de lui (que dire de l'autre exemple du reportage hier, où ils zooment sur "les gens savent que je ne m'implique pas dans l'action politique de mon mari" mais que juste à la suite il y a d écrit ", bien que j'assiste de temps en temps à des réunions et que j'aime bien observer la vie politique." ). Je ne parle même pas des quelques témoignages de personnes qui disent être sûr qu'elle "travaille" avec lui (Debré et son histoire d exposition par exemple, Lemarchand, F.O.G. à SLT le week end dernier entre autres) car ils ont peu de valeur eux aussi. Mais on a au final une sorte de cohérence qui se construit sur le fait que Pénélope a au moins fait quelque chose de politique pour son mari... Et c'est suffisant pour démontrer juridiquement qu'elle n'avait pas d'emploi "fictif". La grande question est de savoir quand le non lieu sera déclaré (après enquête préliminaire ou plus tard?): c'est probablement la clef pour lui dans cette élection. Juridiquement l'affaire est quand même relativement simple... Et à vrai dire, je pense que la plupart des "experts" (journalistes et surtout juristes) le savent depuis le début de cette affaire. Partant de ce principe, on fait mine d'attaquer une pratique sur le plan légal pour pouvoir mettre en relief/pouvoir médiatiser une pratique jugée d'immorale. C'est sur ce second plan que tout se joue finalement. Ethique:
Tout le problème finalement un problème d'éthique: était-il moral de rémunérer sa femme autant pour une activité si faible? Chacun est libre de penser ce qu'il veut à cette question et je comprends parfaitement ceux que cela choque. J'ai essayé de rester neutre (du mieux que j'ai pu) dans la section précédente. Maintenant, je suis plutôt du coté de Fillon dans cette affaire (en fait je me suis même pris de sympathie pour lui avec le lancement de cette affaire, un peu de folie de ma part probablement, mais j'aime défendre les considérés "indéfendables" ) et j'aimerais exprimer quelques arguments en sa faveur.
- Premièrement, comment juger de la valeur de son travail? Quelle est réellement le but d'un travail d'assistant parlementaire? D'aider son parlementaire. Comment juger de l'aide apportée? Certains diront que seule la quantité de travail compte... Je ne pense pas que ça soit un critère: ils pourront toujours vous rétorquer que Pénélope était tout simplement essentielle, lui apportait un soutien sans faille, d'excellents conseils et retours des habitants de sa circonscription, le tout en le laissant dans un climat de confiance. Et comment dire le contraire au vue de la carrière qu'a eu Fillon par la suite: ministre, premier ministre puis candidat à la présidentielle par la suite. En ce sens il est possible d'argumenter que Pénélope était la meilleure bénéficiaire possible de cet argent.
- On en vient au deuxième point, que je trouve très peu souligné: la question essentielle est "quelle utilisation alternative pour cet argent?". Les gros titres sont que Fillon a détourné 1 000 000 d'euros, donnant l'impression qu'il les a volé aux français. C'est complètement faux. Si on se pose deux secondes pour réfléchir, qu'aurait-il fait avec son enveloppe s'il n'avait pas pu employé Pénélope? Il l'aurait dépensé sur d'autres collaborateurs, pas forcément utile. Les seuls lésés de l'histoire sont les 4-5 attachés parlementaires potentiels que Fillon a choisi de ne pas engager au cours des années: ce sont eux les "grands lésés" de l'histoire... pas la "France". Certains tenteront peut-être de me rétorquer qu'il aurait pu ne pas dépenser son enveloppe... Il est probablement possible de trouver quelques députés qui ne le font pas au cours des années, mais c'est logiquement très rare (et souvent dû à une mauvaise gestion de leur part): on ne peut pas les blâmer d'utiliser l'intégralité des moyens à leur disposition. A vrai dire, Fillon aurait même pu renvoyer le restant de son enveloppe à son parti et en récupérer une augmentation de son indemnité personnelle... S'il avait voulu s'enrichir, pas besoin de passer par Pénélope (et ça aurait fait un scandale beaucoup moins important). A titre personnel même aujourd'hui le fait de rémunérer sa femme, meme pour un travail extremement léger, ne me dérange pas dans le sens où dans tous les cas cet argent était "perdu" pour les français. L'important est de savoir si Fillon a fait son travail correctement, vu l importance qu'il a pris dans la vie politique française, il semblerait que oui: il n a dû pas si mal le gérer au final.
- Finalement, qu'est ce que l'éthique dans cette affaire? On nous dit que 20% des députés emploient également leur famille. Notez de suite (et très peu le disent) que ce chiffre de 20% est le chiffre ACTUEL, APRES la loi sur la transparence: il était vraisemblablement plus élevé auparavant (Pénélope y serait rentré par exemple). Peut-on vraiment condamner un homme d'avoir pratiquer quelque chose de non seulement légal (même à supposer qu'elle travaille "très peu", tant qu'elle travaille un peu, c'est légal comme je l'ai expliqué) mais en plus largement répandu? L'éthique évolue, ce qui est considéré d'insupportable aujourd'hui ne l'était pas auparavant et l'affaire Cahuzac a fait changer les moeurs. Lorsque Fillon est député, la pratique est extrêmement commune et ne lui semble en rien contestable. En tel cas, peut-on lui reprocher de l'avoir fait? Peut-être. Est-ce que ce reproche mérite de prendre une telle ampleur? J'en doute très fortement. D'ailleurs je pense que sa défense est prise au dépourvu en partie car jamais ils n'ont pensé se faire attaquer LEGALEMENT là dessus (et s'ils n'avaient pas été attaqué légalement, l'affaire n aurait jamais pris une telle ampleur donc ils n'ont pas préparé de défense) dans la mesure où tout ce qu'il a fait est légal et parfaitement déclaré. Une remarque d'ailleurs, si Fillon est trouvé "coupable" au final de cette affaire (fort improbable comme je l'ai déjà dit), j'ose espérer que TOUS les députés qui ont un jour exercer cela seront traités de la sorte, et avec des médias qui s'attacheront autant à faire les recherches de procureur à charge contre eux... Où serait la "justice" sinon? On entend souvent le "tous pourris", certains le sont, la plupart j'en doute. Déconnectés peut-être en un sens, mais volontairement pourris, j'en doute: ils trouvaient juste ça normal et probablement à raison vu le système en place. Le système parlementaire est probablement à réformer (moins de parlementaires? + payés? interdiction famille?), des débats passionnants se posent, mais ne rejetons pas sur les parlementaires les défauts du système auquel ils prennent part: ils ne font qu'optimiser leur choix par rapport à l'environnement qui leur est donné (le fait qu'ils soient ceux qui doivent voter de le changer est probablement le défaut majeur inhérent au système).
- Je rappelle juste pour finir que le favori des sondages pour la Présidentielle il y a un an avait été condamné pour emploi fictif... ce qui ne semblait pas poser énormément de problème éthique à l'opinion (à tort ou à raison). Aujourd'hui on parle même de remplacer un candidat soupçonné d'emploi fictif par quelqu'un qui a été effectivement condamné pour.. Un peu de cohérence morale.
Traitement de l'information:
Finalement j'aimerais juste mentionner la manière dont l'information est traitée dans cette affaire, qui donne lieu à un véritable "feuilleton" qui aujourd'hui pose carrément la question du retrait du candidat... En préambule je tiens à dire que je ne suis absolument pas adepte de la théorie du complot politico-médiatique. Cette affaire est je pense un excellent coup politique d'un adversaire à Fillon (mais qui? je ne sais pas et je ne veux pas m'aventurer là dedans), mais je ne pense pas que la sphère médiatique soit "complice". Simplement, les médias agissent normalement, et cherchent à maximiser leurs profits/audience... Et ça fonctionne très bien, mais le feuilleton qui est en train de se créer, la manière dont l'information est présentée joue au détriment de Fillon. Au lieu de discuter avec beaucoup de juristes, et de discuter même de l'importance ou non de la "faute", on discute de stratégie politique optimale pour la suite. Pour faire de l'audience/vente, on présente tout sous forme de feuilleton, trop souvent caricatural: le sentiment d'accumulation (sorti par à-coups du canard enchaîné pour logiquement maximiser leur vente), le teasing (présentation de l'information d'envoyé spécial par les chaines concurrentes avant que l info sorte), la présentation des sommes (en total cumulé, mélange brut/net), mélanger l'affaire publique avec l'affaire privée (sans réel rapport), inviter des inconnus comme Fenech et donner l'impression qu'il est majoritaire (et il le devient peut être de ce fait), etc. C'est le jeu des médias (qui présentent bien souvent les informations de manière trop partielle), le problème c'est qu'en surestimant l'indignation, en essayant de générer des réactions, on tombe dans l'absurde (des deux cotés, de la part des défenseurs qui crient au complot également) et on finit par générer des réactions invraisemblables: il faut combler le vide, et pour le combler on se met à penser à d'éventuels remplacants, les remplacants se mettent à vraiment réfléchir, etc.
Le temps des médias n'est pas le temps de la justice, et il conviendrait peut-être de laisser l'enquête se faire... Tout à chacun à le droit de juger immoral les actions de Fillon à titre personnel, mais il conviendrait quand même de laisser le judiciaire établir clairement quels sont ces potentiels manquements et leur légalité, avant de le décider "coupable" et de lui faire payer une faute.
La semaine politique dernière a été à la fois passionnante en temps que feuilleton mais insupportable sur le fond, le plus triste est que cette affaire rend le débat d'idée encore plus inexistant que d'habitude (même les émissions "correctes" ne parlent que de ça)... Alors qu'a priori on a quand même un spectre politique relativement riche pour une fois avec une bonne partie des opinions couvertes, de l extrême gauche à la droite.
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