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Les mouvements migratoires ont façonné lhistoire de lEurope. Pendant des siècles, des commerçants, des artisans et des intellectuels ont traversé le continent pour exercer leur métier ou recommencer leur vie ailleurs. Les Européens ont émigré par millions, dabord vers les colonies puis vers les Amériques et les Antipodes. LEurope a aussi pendant fort longtemps connu des migrations forcées, depuis lexpulsion des juifs dEspagne jusquaux déplacements de population provoqués par les nombreuses guerres que se sont livrés les Empires russe, austro-hongrois et ottoman.
Limmigration de grande ampleur vers lEurope occidentale est plus récente. Entre 1960 et 1973, le nombre de travailleurs étrangers dans cette partie du continent a doublé, passant de 3 à 6 % de lensemble de la main-duvre. Le Royaume-Uni et la France comptent parmi les pays où lafflux a été le plus important, laccès y étant relativement libre pour les ressortissants de leurs anciennes colonies. En Allemagne également, le nombre détrangers (dont près de la moitié de ressortissants turcs) a augmenté de 4 millions entre 1965 et 1990, mais seul un petit nombre dentre eux ont été naturalisés. Toutefois, limmigration primaire vers lEurope induite par les besoins en main-duvre a quasiment cessé avec la crise pétrolière de 1973. La population de souche étrangère a néanmoins continué daugmenter, lune des raisons et non des moindres étant que la plupart des pays octroient encore des dizaines de milliers de permis de séjour chaque année dans le cadre du regroupement familial (en 1997, près de 80 % des 58 700 étrangers admis en qualité de résidents permanents au Royaume-Uni étaient des épouses et des enfants). De plus, les pays de lUE délivrent chaque année des milliers de permis de travail. En 1997, en Grande-Bretagne, près de la moitié des 54 000 permis de travail accordés lont été à des Américains et des Japonais, principalement pour occuper des emplois hautement qualifiés. Dans dautres pays dEurope, les permis sont généralement délivrés à des saisonniers de lagriculture. Au demeurant, le pourcentage de résidents de souche étrangère dans lUE reste faible : il se situe dans une fourchette allant de 9 % en Allemagne, en Autriche et en Belgique à moins de 2 % en Espagne.
Depuis la fin des années 80, le nombre de demandeurs dasile a considérablement augmenté. En 1984, on comptait 104 000 demandes dasile en Europe occidentale . Ce chiffre est passé à 692 000 en 1992 pour ensuite diminuer pendant presque tout le reste de la décennie. En 1998, les chiffres ont recommencé à augmenter, soit 350 000 demandes, et se situaient aux alentours de 400 000 en 1999 quoique cette année, ils aient de nouveau amorcé une tendance à la baisse. La demande dasile est ainsi devenue lune des principales filières dimmigration vers lUE.
Pourquoi cet essor soudain ? La fin de la Guerre froide a ouvert la boîte de Pandore et de multiples guerres localisées et conflits ethniques ont éclaté un peu partout dans le monde. Dans les guerres de ce type, les combattants qui appartiennent généralement aux troupes régulières et qui sont épaulés par des paramilitaires prennent souvent pour cibles les populations civiles. Il semblerait que bon nombre de requérants dasile soient des personnes fuyant le « nettoyage ethnique », perpétré principalement en Bosnie au début des années 90 et au Kosovo à la fin de la décennie. En outre, avec la chute du communisme, de nombreux ressortissants dEurope de lEst considèrent que leurs aspirations à une vie meilleure ne pourront se réaliser quen Occident. Les mouvements étant plus libres et les transports moins chers, il ne faut pas sétonner que beaucoup aient cherché à émigrer vers lOuest. Le problème tient au fait que des dizaines de milliers de personnes ont tenté, pour cela, de se faire passer pour des demandeurs dasile, ce qui a entraîné dans certains pays, un phénomène de rejet de toute forme dimmigration.
Les demandes dasile en Grande-Bretagne provenaient lan dernier de six pays principaux : Chine, Somalie, Sri Lanka, Yougoslavie, Pologne et Afghanistan. Mais, la plupart des réfugiés du monde narrivent pas jusquen Europe. Ils restent dans les régions proches de leur pays où ils croupissent souvent dans des camps. En 1998, lIran abritait quelque 1,9 million de réfugiés provenant, pour lessentiel, dIrak et dAfghanistan. Quant au Pakistan, il compte 2 millions de réfugiés irakiens et pakistanais.
Mais dans certains pays européens, la question du droit dasile est devenue taboue. Elle se recoupe avec dautres aspects chargés daffectivité tels que lethnicité et lidentité, révélant lexistence dune faille conservatrice dans lédifice démocratique libéral. Il ne faut cependant pas perdre le contexte de vue : sil était peut-être plus facile dimmigrer au Royaume-Uni il y a 100 ans, une fois sur place les immigrants risquaient beaucoup plus dêtre confrontés à la violence et ne bénéficiaient de rien qui ressemble de près ou de loin à la protection juridique et sociale que leur accordent les États-providence aujourdhui. Il nen reste pas moins que les démagogues peuvent exploiter le ressentiment vis-à-vis de « lautre », surtout lorsque le marché de lemploi ne comporte apparemment aucun créneau où pourraient sinsérer les réfugiés. Dans lensemble, cette population ne constitue pas une lourde charge pour le contribuable, mais ce nest sans doute pas le sentiment que lon éprouve dans les zones à forte densité dimmigrés (au Royaume-Uni, ce sont quelques arrondissements de Londres et des villes comme Douvres), où ces étrangers partagent avec les citoyens les plus défavorisés des services comme lécole, lhôpital et le logement social.
LA DIMENSION PANEUROPÉENNE DU PROBLÈME
Sagissant des demandeurs dasile, beaucoup de gens raisonnent en termes nationaux alors que le problème revêt une dimension paneuropéenne. Il est étonnant de constater à quel point les enjeux et les débats se ressemblent, dune extrémité du continent à lautre. Même lIrlande, dont lhistoire contemporaine est celle dune émigration de masse, a vu le nombre de demandes dasile faire un bond spectaculaire, passant de 39 en 1992 à plus de 4 600 en 1998. Dans certains pays, laugmentation a été plus importante que dans dautres. Ainsi, lAllemagne a toujours reçu plus de réfugiés que les autres membres de lUE soit plus de 60 % de tous les demandeurs dasile en Europe occidentale en 1992. À certaines périodes au cours de la décennie écoulée, lAutriche, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse ont accueilli un pourcentage élevé de réfugiés par habitant tandis que dautres grands pays, notamment la France, lItalie et lEspagne, en recevaient relativement moins. Le Royaume-Uni est dans une situation intermédiaire. Il a reçu 17 000 demandes en 1989 et 71 000 à la fin des années 90, soit plus que lAllemagne. Lafflux annuel le plus massif a été enregistré en 1991(73 000 demandes), alors que les Conservateurs étaient au pouvoir.
Bien entendu, le ton du débat est plus ou moins nuancé selon les pays et les cadres daction des pouvoirs publics varient dun pays à lautre. Mais, partout, on sest surtout attaché à freiner les entrées tout en sefforçant de reconnaître les vrais demandeurs dasile dans la foule des migrants purement « économiques ». Au début des années 90, le gouvernement de Bonn a réagi face à lafflux dimmigrants des Balkans et à certaines agressions dont les réfugiés étaient les victimes en durcissant une législation en matière de droit dasile qui était auparavant plutôt libérale. Cest ainsi que la règle du « pays tiers sûr » a été introduite : si une personne est passée par un pays que lAllemagne estime sûr, elle ne peut demander lasile en République fédérale. Et comme lAllemagne considère tous ses voisins comme des pays sûrs, les demandeurs dasile qui narrivent pas par avion ont de fortes chances de se voir déboutés. Après la mise en uvre de ces restrictions en 1993, le nombre de demandes a chuté brutalement, ce qui a incité dautres pays de lUE à appliquer la même politique. Aux Pays-Bas, le nombre de demandeurs dasile a augmenté considérablement après 1996. À linstar de leurs homologues britanniques (comme on le verra par la suite), les autorités néerlandaises ont des difficultés pour traiter les dossiers rapidement. Comme en Grande-Bretagne, les hommes politiques néerlandais parlent de la « déferlante » de « faux » réfugiés quoique la presse de leur pays adopte un ton plus mesuré que les tabloïdes britanniques.
Le gouvernement néerlandais a préparé une nouvelle Loi sur les étrangers qui devrait entrer en vigueur en 2001. Ce texte, qui a fait lobjet de vifs débats, vise à simplifier la procédure de demande dasile et à ramener de 22 à 6 mois le délai moyen de traitement des dossiers. En outre, les demandeurs dasile (pouvant prétendre à séjourner dans le pays) se verront tous accorder un statut à caractère plus temporaire. Au lieu de loctroi du statut de réfugié de plein droit à lissue de la première procédure, chaque cas sera réexaminé au bout de trois ans et cest seulement passé ce délai que laccord ou le refus définitif sera notifié.
Dans certains pays, le droit dasile nest que lun des éléments dun débat plus vaste sur limmigration et lidentité nationale. Le parti de la liberté (mouvement dextrême-droite) de Jörg Haider a exploité le malaise que ressentent les Autrichiens face aux immigrants et aux réfugiés pour parvenir à simmiscer dans le gouvernement fédéral.
En Italie, les grandes questions sont de savoir que faire de la masse dimmigrants illégaux ou clandestini déjà présents dans le pays et comment lutter contre le trafic à grande échelle de migrants, venus notamment par vedettes depuis lAlbanie en traversant la mer. À cela, sajoute la crainte dune participation de la Mafia aux bandes de passeurs. Cest ainsi que Silvio Berlusconi, chef du parti de droite Forza Italia, et Umberto Bossi, chef de la Ligue du Nord, ont gagné les élections régionales davril grâce à un programme électoral prônant sans réserve la lutte contre limmigration et laccueil des demandeurs dasile.
Au demeurant, pour différentes raisons, lItalie na pas reçu beaucoup de demandes dasile. De nombreux réfugiés, en particulier ceux provenant de Somalie et de lex-Yougoslavie, se voient accorder des permis de travail pour des motifs humanitaires, ce qui les dispense de présenter une demande dasile. Régulièrement, des amnisties sont prononcées en faveur des immigrants clandestins, ce qui leur permet de régulariser leur situation au lieu de demander le statut de réfugié. En outre, beaucoup de migrants utilisent lItalie comme point de pénétration en Europe pour se diriger ensuite vers lAllemagne, la Suisse ou le Royaume-Uni où ils entrent clandestinement (souvent cachés à bord de camions) ou demandent asile.
En France et en Espagne, pays qui reçoivent peu de demandeurs dasile comparés aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et à lAllemagne, le droit dasile na pas suscité autant de controverses. En France, le Front national, miné par les luttes intestines, a perdu du terrain. Les pouvoirs publics ont mis un frein à leurs tentatives dexpulsion des immigrants clandestins qui avaient provoqué des grèves de la faim ainsi que des manifestations. Désormais, le principal argument du débat sur limmigration porte sur lintégration des immigrés déjà présents sur le territoire et la régularisation des sans-papiers dont beaucoup résident en France depuis des années.
De toute évidence, lUE ne dispose pas dans limmédiat du pouvoir déradiquer les causes profondes de limmigration. Mais, avec le temps, si elle veut réduire la pression migratoire, il lui faudra offrir davantage daide au développement, dallégements de la dette et déquité dans les termes des échanges, et elle devra mieux sarmer pour prévenir les conflits et maintenir la paix dans les points chauds du globe. Ces objectifs sinscrivent au cur de la politique étrangère et de sécurité commune de lUE. (La prise de position ferme de lUE lors de la crise du Kosovo tient sans doute beaucoup à la crainte dun exode massif de réfugiés kosovars).
COMPARAISON ENTRE LEUROPE ET LES ÉTATS-UNIS
Mais est-il nécessaire que les États européens semploient à faire cesser les migrations pour raisons économiques ? La population de lEurope va forcément diminuer au cours des 50 prochaines années. LItalie perdra 28 % de sa population dici 2050. Si elle veut conserver le même pourcentage dindividus en âge de travailler, il lui faudra commencer à importer plus de 350 000 immigrants par an ou, second terme de lalternative, repousser lâge de la retraite à 75 ans.
Les États-Unis, qui comptent 275 millions dhabitants, nont jamais accueilli les demandeurs dasile en grand nombre, en tous cas moins que lEurope en pourcentage de leur population. Pourtant, leur régime dimmigration est plus libéral. Vers la fin de la décennie 90, ce pays accueillait environ 1 million dimmigrants par an : 730 000 en situation régulière, 200 000 clandestins et environ 100 000 réfugiés. Près de 70 % des immigrants réguliers ont été admis au titre de famille accompagnante.
Lafflux de migrants enregistré dans les années 80 et les années 90 seconde vague migratoire du XXe siècle par ordre dimportance a littéralement changé le visage de lAmérique. En 1970, le pays comptait 5 % de Latino-américains, 1 % dAsiatiques et 12 % de Noirs. Selon une projection récente, dici 2050, les États-Unis compteront 26 % de Latino-américains, 8 % dAsiatiques et 14 % de Noirs.
Limmigration est accueillie de manière beaucoup plus enthousiaste par la droite (les libéraux) que par la gauche (les syndicats). Pourtant, elle a apporté de réels avantages. Les immigrants contribuent à linnovation nous en voulons pour preuve le nombre détrangers qui travaillent dans la Silicon Valley. Ils occupent aussi des emplois dont les travailleurs du pays ne veulent pas, notamment dans le secteur agricole en Californie. Toutefois, dans son nouvel ouvrage intitulé Heavens Door (la Porte du Paradis), léconomiste de Harvard, George Borjas, affirme que les avantages économiques apportés par les immigrants de ces 20 dernières années sont plus discutables. Il fait valoir la baisse du niveau de qualification des nouveaux arrivants par rapport aux immigrants des années 50 et 60, et prétend que les États-Unis ne devraient pas accueillir plus de 500 000 immigrants par an et ne sélectionner que les plus qualifiés. Il admet cependant que ce sont des critères qui lauraient empêché lui, réfugié originaire de Cuba, dimmigrer en Amérique au début des années 60.
Récemment, le Congrès a approuvé un contingent supplémentaire de 200 000 visas à accorder aux travailleurs qualifiés. Les gouvernements européens prennent actuellement des mesures analogues. LAllemagne voudrait attirer 20 000 spécialistes des technologies de linformation dorigine non européenne, notamment des ingénieurs en logiciels provenant dInde (ce qui a conduit les Démocrates-chrétiens à faire campagne autour du mot dordre « Kinder statt Inder » (des enfants, pas des Indiens). Pour sa part, la Grande-Bretagne souhaiterait également recruter des informaticiens dEurope de lEst mais nest que trop disposée à refouler leurs compatriotes moins qualifiés.
Nul ne sait ce quil adviendra des courbes de demande dasile et, de fait, nul ne se sait exactement ce qui se passe à lheure actuelle. Daprès une estimation provenant dune source digne de confiance, le nombre dimmigrés introduits clandestinement par des passeurs dans lUE serait de 400 000 par an. Selon toute probabilité, la multiplication des conflits localisés et lurbanisation galopante de la population de la planète feront que les demandes dasile seront toujours aussi nombreuses. Dans limmédiat, toutefois, il est probable que lEurope reporte son attention sur des modes plus classiques de recrutement pour faire face à la pénurie de main-duvre. Il nest pas question pour elle de revenir à la politique « de la porte ouverte » pratiquée dans les années 60 (et encore moins aux politiques du XIXe siècle), mais léconomie de lUE est appelée à intensifier son recours à limmigration primaire sélective
source:
http://www.observateurocde.org/new [...] ion__.html
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