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José Bové, le sens dun combat
Fabrice Nicolino
Depuis le 19 juin, José Bové purge dans la maison darrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne (Hérault) une peine de trois mois de prison. Quelques heures seulement après le deuxième tour des législatives, la droite a donné son feu vert pour lincarcération du porte-parole de la Confédération paysanne, coupable, avec neuf de ses camarades, du démontage du restaurant Mac Donalds de Millau, en août 1999. Retour sur son itinéraire.
Sans aucun doute, il y a un mystère Bové. Comme il y a un mystère Bernard Moser. Comme il y a un mystère Nicolas Duntze. Comme il y a un mystère Jean-Emile Sanchez. Ces quatre secrétaires nationaux de la Confédération paysanne - sur 9 - ont une particularité remarquable : ce sont des néo-ruraux. Chacun dentre eux a son itinéraire, mais tous ont, à un moment donné, choisi de devenir paysans. Et à la différence de nombre détablis des années 1970, qui devinrent ouvriers en espérant soulever les usines, ils le sont restés.
Comment la rencontre a-t-elle pu réussir à ce point ? Comment des jeunes gens venus de Mai 68, de luniversité souvent, et pour certains de la gauche la plus mouvementiste ont-ils pu réussir, en vingt-cinq ans, cette « longue marche » sensationnelle (1) ? On ne prétendra nullement lexpliquer ici, mais au moins sinterroger.
Car sil est un mythe solidement arrimé à la tradition de gauche, cest bien que la paysannerie est, par nature - cest le cas de le dire -, réactionnaire. Et il est vrai quen de nombreuses occasions, depuis au moins deux siècles, les paysans ont paru plus souvent quà leur tour du côté de lordre. Tout au long du XIXe siècle, pour ne prendre que cet exemple, les révoltes et révolutions ouvrières - de 1830 à la Commune, en passant par les journées de juin 1848 - se heurtent constamment à lopposition des campagnes, tenues par linfâme alliance du curé et du propriétaire. Dans les années 1930, laventure des Chemises vertes, emmenée par Henry Dorgères, fait même craindre à la France du Front populaire le basculement de la paysannerie dans le camp du fascisme. Pétain enfin, par les redoutables phrases quon sait - « La terre ne ment pas, elle » - achève de convaincre les gauches de laprès-guerre quil faut se méfier de la campagne.
Lébranlement vient lentement : dans les années 1950, quelques fédérations de la FNSEA triomphante, travaillées par le PCF, font dissidence, qui créeront plus tard, en 1959, le Modef. Mais il faut attendre 1968 et ses suites pour voir apparaître au grand jour une véritable gauche paysanne, marquée par la haute figure de Bernard Lambert, le fondateur des Paysans travailleurs. Qui est-il ? Dabord et peut-être avant tout un catholique fervent. On ne dira jamais assez le rôle que joua la Jeunesse agricole catholique (JAC) dans la révolution du syndicalisme paysan.
Est-ce tout à fait un hasard ? José Bové lui-même et son ancienne compagne Alice Monier ont été, à côté dautres influences, très marqués par le christianisme et en tout cas la spiritualité. Lorsque Bové découvre le Larzac, au printemps 1973, il y fait la connaissance de Lambert, qui prépare le premier grand rassemblement national contre le camp militaire. On peut y voir comme un symbole de ce qui va suivre.
La Confédération paysanne, née officiellement en 1987, est sans aucun doute apparue, en partie, dans létonnant creuset politique et social que fut le Larzac. Rappelons en quelques mots le contexte : à lautomne 1970, larmée annonce son intention dagrandir le camp militaire situé sur ce Grand Causse, une sorte de désert habité par une poignée de survivants. Il faudra exproprier, mais personne nimagine que cette terre pauvre, elle aussi puissamment catholique, pourrait se révolter.
Commence pourtant une bagarre de onze années au cours de laquelle des barrières réputées infranchissables tombent une à une. Les paysans du plateau - les Tarlier, les Burguière, les Maillé -, contre toute attente, sassocient à des hordes chevelues venues des villes. Toutes les variétés du gauchisme parisien font le voyage de Millau, des maoïstes aux anarchistes, en passant par les bordighistes ou les conseillistes. La plupart ny font quun tour de piste, mais Bové et quelques autres sinstallent. Et sont accueillis, et sont écoutés, et sont finalement acceptés.
Une autre histoire, aussi passionnante que la première, commence après la victoire de 1981 sur larmée. Un échange de savoirs et de savoir-faire se produit entre deux mondes qui découvrent quils peuvent se parler. On imagine, on invente, on prouve en marchant que lagriculture, quon disait moribonde sur le causse, reste possible. Non seulement de nouvelles fermes sont mises en culture - une chose impensable quelques années auparavant -, mais le combat contre Roquefort, largement victorieux, démontre quen sunissant les petits paysans peuvent encore défendre leurs intérêts. Les 6 300 hectares de terres gelées par larmée, par ailleurs, sont loués, grâce à un bail emphytéotique, à la Société civile des terres du Larzac (SCTL), sorte de pot commun qui permet dy conserver un pouvoir collectif.
Bien avant les grandes mobilisations contre la mondialisation, ceux du Larzac, ceux de la Confédération paysanne ensuite, ont su, dans une saisissante anticipation, inscrire leur action dans le cadre de la planète. Indiens dAmérique du Nord et du Sud, Kanaks, Sahraouis, Polonais de Solidarnosc, paysans japonais ou africains : on chercherait presque qui nest pas passé, au cours des trente dernières années, sur le plateau du Larzac.
Ce laboratoire culturel de longue durée a donné quelques-uns de ses meilleurs fruits à lintérieur de la Confédération paysanne, qui est devenue un acteur majeur du mouvement social. Que serait la critique du productivisme sans elle ? Où en serait la lutte contre les OGM et la malbouffe ? La Confédération paysanne est probablement lorganisation française qui est allée le plus loin dans lapplication du célèbre précepte de René Dubos : « Penser globalement, agir localement ». On retrouve dans cette expérience le meilleur de ce que le mouvement intellectuel peut donner quand il sait parler au peuple. Comme avait su faire en Pologne, avec une extraordinaire fécondité, le KOR de Jacek Kuron - fine fleur de lintelligentsia antistalinienne -, véritable cofondateur de Solidarnosc.>
Les mouvements écologiste et social ont certainement bien des leçons à tirer de cette belle aventure française. Elle démontre sans détour que limprobable est possible. Rêvons un peu, rêvons beaucoup : à quand la même démarche en direction des villes et des cités de banlieue ? À quand un syndicat ouvrier auquel on aurait envie dadhérer ?
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(1) Denis Pingaud, dans la Longue Marche de José Bové (Seuil), donne beaucoup de détails sur litinéraire politique et social du responsable de la Confédération paysanne
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