#tagCR : Mas que nada
Nouveau profil pour une nouvelle vie. Adieu les lignes qui habillent ma page OkCupid depuis six ans. J'ai tout viré, c'est le grand remplacement, avec une photo en noir et blanc. Plutôt que de parler de moi je parle de n'importe quoi. Peut-être moins efficace mais ça me fait plus rire. Je tartine quelques longs paragraphes où j'imagine le futur glauque du dating. Puis je termine sur ça, histoire de poser l'ambiance. Je voudrais pas faire de la publicité mensongère.
Je ferre quelques poissons. Certaines me disent hihi lolol c'était long à lire ton profil j'ai eu du mal. Je les remets à la flotte vite fait, j'ai plus le temps pour ça. Puis j'attrape une brésilienne. Vingt ans, études créatives et tâches de rousseur. Elle parle un français impeccable, même doux. Les mots qu'elle choisit font mouche, ma motivation revient. Quelques messages de plus et c'est emballé, on doit se retrouver quelques jours plus tard.
Le Brésil c'est inconnu au Pokédex, alors à moitié sérieusement je mène l'enquête. Je sors mon bloc-notes et je google how to get in bed with a brazilian girl. L'interculturalité, c'est important. Avide de savoir, je me trouve un peu déçu. Rien de bien folichon. Je retiens deux choses : (1) qu'il faut pas être trop sarcastique et (2) pas mettre trop de temps à l'embrasser. Je sais pas si je dois y croire, mais ça m'amuse de faire semblant. C'est déjà ça.
Je lui donne rendez-vous dans un bar de mon quartier, aux cocktails trop sucrés mais à la playlist bien sentie. Quand ils passent du Otis, ça me fait toujours un truc. Elle m'accueille avec le sourire. Elle est mignonne, alors j'essaie de deviner la rondeur de ses seins à travers son pull. Elle choisit de commencer par me parler taf. Je grimace, je botte en touche. Je lui parle de la musique brésilienne que mon père me faisait écouter quand j'étais petit. Je pense que c'était du niveau Julien Clerc, mais c'est déjà bien de connaître ça. Hein que je lui demande. Elle se fout gentiment de ma gueule. Ok Roberto Carlos, attends que je fasse rentrer Zizou sur le terrain.
On parle bouquins. Je fais exprès de citer des trucs pas très connus, histoire de. Je murmure des Ah dommage, tu sais pas ce que tu rates. Égalisation de la tête. Devant l'étendue de ma culture, elle insiste pour savoir ce que je fais dans la vie. Je la fais mariner, avant de céder. Je lui raconte mon parcours. Le pourquoi du comment. Elle sourit, et me dit que je lui fais penser à son père qui a paraît-il la même histoire. Je comprends pas la suite mais j'entends Oedipe. Reprise de volée à l'entrée de la surface, la France repasse devant.
On parle rencards. Quand je raconte mes anecdotes je me dis qu'il m'en faut des nouvelles, marre de répéter la même chose. Mais en même temps elles trouvent leur public. Les siennes sont plus classiques. Moins tumultueuses. Et comme souvent, ça se finit par l'histoire d'un mec qui comprenait pas qu'on dise non et qui l'attendait en bas de chez elle. En pleurs. Bonjour l'ambiance, je propose de changer de bar. Elle acquiesce. Chacun règle sa part, dans le sourire et la joie du partage. Dehors, je l'embrasse. J'avais la possession depuis une bonne trentaine de minutes, je voulais pas laisser passer l'occas'. Puis bon, je me suis rappelé des conseils lus sur Internet. On déconne pas avec ça. On s'échange quelques baisers qui manquent un peu de fougue, mais en même temps c'est le milieu de la rue.
On s'installe dans le second bar. Je dis bonjour aux gens que je connais, tout était prévu évidemment. Elle me remercie de pas lui avoir, jusqu'à présent, causé de Bolsonaro. C'est-à-dire que bon, j'essaie de pas m'aventurer sur des sujets que je maîtrise pas trop, histoire de garder un semblant de dignité. Si elle m'avait lancé sur le clan des brésiliens au PSG, là j'aurais eu de quoi lui envoyer des étoiles dans les yeux. À la place on part quand même sur de la politique, et là faut jouer stratégique. Déjà, bourré comme je suis, faut pas déraper. Puis bon, parler chiffons politiques pour se congratuler sur la pureté de nos opinions, c'est chiant.
Alors faut trouver des points de contentions et de conflits. Être subversif mais pas trop, comme dirait l'autre. Forcément au bout de quelques minutes ça finit par causer de Le Pen. J'arbore fièrement l'idée selon laquelle elle ne pourra jamais être élue. Pas en France Zinédine. Pas maintenant. Pas après tout ce qu'on a fait. Et forcément, elle me dit que c'est en raisonnant comme ça qu'on se retrouve avec des Bolsonaros au pouvoir. J'suis quand même pas convaincu, alors je le fais savoir. Elle commence à s'énerver, alors le patron juge opportun de nous apporter des bières. Offertes par la maison qu'il nous dit, parce que t'es un chic type qu'il me dit, en lui disant, à elle, qu'elle en a bien de la chance. C'est mignon, même si ça a un peu des relents de collège, quand ton seul atout séduction c'est tes potes qui te passent la brosse.
On se réconcilie. J'imagine qu'aucun de nous deux n'avait envie de tout gâcher. On se fait gentiment raccompagner parce que la fermeture approche. Alors on se dirige chez moi. Enfin, je nous dirige. C'est vrai que c'est pas loin en même temps, quelle belle coïncidence. Arrivés à une rue du Graal, elle me lance un Mais on va où là au fait ?. Comme si elle s'en doutait pas la bougresse. Je lui réponds chez moi sans éprouver le besoin d'en rajouter. Après tout, cinq heures de discussions endiablées et une pelle bien sentie, c'est la meilleure des raisons.
Je me pose sur le canapé. Elle me rejoint. Elle veut mettre de la musique, vas-y bébé monte le son. Sauf qu'elle me met un poème symphonique. J'ai rien contre, c'est très joli, sauf que dans ces cas-là faut écouter attentivement. Ou très bien faire semblant. J'ai des flashbacks du front qui reviennent. Je me rappelle de la fois où une meuf m'avait montré des courts-métrages hongrois pendant deux heures avant que je puisse lui caler un doigt. Mais bon, c'était y'a longtemps. À l'époque j'étais bien trop poli. Bien trop faible.
Et là du coup, trente minutes après, bah on y est encore. En plus comme un con je me suis senti obligé de surenchérir dans le classique. C'est doux alors je m'endors à moitié, affalé. Elle pose la tête sur mon épaule, ça me remet les idées en place. J'attaque avant que l'envie parte ailleurs. Ni une ni deux la voilà sur moi, avec ses mains qui cherchent désespérement mon chibre fatigué, mais volontaire.
On passe dans la chambre et rapidement, je retrouve les joies de la pénétration avec capote. Sur l'échelle de l'intimité, on doit être entre la bise appuyée et la main dans le bas du dos. Mr. Pénis est comme un petit vieux, il aime pas le changement. Je remplis la scène d'artifices, histoire de le contenter. Petites cochonneries à l'oreille, petites claques sur les seins ; mais rien qui l'affole vraiment. Après une belle mais triste bataille je range le fusil, je fais la baïonnette avec les doigts et je rentre dans la tranchée. Victoire tactique mais non stratégique, elle me demande pourquoi j'ai pas joui. Je lui dis que c'est la fatigue, l'alcool et le mois d'octobre.
Elle s'endort dans mes bras. La soif de la gueule de bois me réveille plusieurs fois. Un moment je décide de prendre une douche, quand je ressors elle est habillée et sur le départ. On s'échange un À bientôt faute de mieux et je plonge dans un bol de café. On s'est depuis échangés deux-trois textos qui parlent d'un après. Pourquoi pas.
TL;DR : J'ai ajouté le Brésil au Pokédex et pour fêter ça j'ai écouté de la bossa nova tout le weekend.