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ENQUÊTE. Le Dr Marc Adida, considéré comme un génie de la psychiatrie, aurait violé et agressé sexuellement plusieurs jeunes patientes vulnérables. Incarcéré, il sera jugé en 2025.
Elle y retourne, ce soir-là. Elle ne sait pas pourquoi. De nouveau les portes automatiques de l'hôpital Sainte-Marguerite, à Marseille. De nouveau, au deuxième étage, le long couloir éclairé au néon, la petite salle d'attente, le bureau ensuite - semblable aux autres, en apparence, mais qu'un verrou permet de fermer de l'intérieur. Il est plus de 18 heures, les secrétaires sont parties.
Plus tôt dans la journée, la jeune fille s'est scarifié les cuisses. « Pas les poignets, comme je le faisais toujours. Je crois que j'espérais qu'il le verrait avant de me violer une nouvelle fois, que ça l'arrêterait. Mais il a recommencé. » Élise* a des yeux presque transparents à force d'être clairs, un bandeau noué au poignet gauche. Elle a 24 ans ; elle en avait 19 lorsqu'elle a consulté le psychiatre Marc Adida pour la première fois.
Le médecin de 51 ans, praticien à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), est accusé de viols et d'agressions sexuelles aggravés sur quatre anciennes patientes ; incarcéré depuis octobre 2020, il sera jugé au printemps 2025. Le dossier, hors norme, raconte dix ans d'abus et de folie couverts par l'institution médicale.
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« Les dysfonctionnements ont été nombreux, c'est une évidence », dit aujourd'hui François Crémieux, directeur général de l'AP-HM depuis 2021. La direction assure avoir découvert l'ampleur de l'affaire lorsque le quotidien La Provence l'a révélée au public, en mai 2024. Elle a annoncé, le 3 septembre dernier, son souhait de se constituer partie civile.
Dr Marc Adida, praticien hospitalier à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Mai 2020. Élise signale les viols sur la plateforme des violences sexuelles et sexistes de la police. Elle a hésité pendant des semaines, certaine que sa plainte serait classée sans suite. Elle ignore que, deux mois plus tôt, une autre patiente du Dr Adida a déposé plainte pour agression sexuelle. Le médecin, rapporte-t-elle, l'a embrassée sur la bouche par surprise, pendant leur second rendez-vous. Elle se dégage, il recule : « Ça ne vous plaît pas ? On aurait pu continuer une thérapie comme ça. »
Une consultation « dramatiquement ubuesque »
Au cours de l'information judiciaire, deux plaintes supplémentaires - pour des viols et des agressions sexuelles qui auraient été commis en 2016 et 2019 - seront jointes. Mais les enquêteurs mettent au jour plusieurs autres relations teintées d'emprise et d'abus. Ils découvrent aussi que le petit monde de la psychiatrie marseillaise s'inquiétait depuis des années du comportement de ce médecin, sans que rien n'ait été mis en oeuvre pour le tenir éloigné des patients.
« Tout aurait pu s'arrêter en février 2010 », soupire François Crémieux. Marc Adida travaille déjà sous contrat à l'hôpital Sainte-Marguerite - mais il n'est pas encore titularisé - lorsqu'une première alerte parvient à la direction de l'établissement ainsi qu'au conseil de l'ordre des médecins. Un courrier très circonstancié, où la mère d'une patiente décrit la consultation « dramatiquement ubuesque » vécue par sa fille de 17 ans. Le signalement est jugé assez inquiétant pour qu'une expertise psychiatrique, la première d'une très longue série, soit demandée. Toutefois, comme la plupart de celles qui suivront, elle le déclare apte à exercer.
Les confrères du praticien s'interrogent déjà sur les liens privilégiés qu'il semble entretenir avec les trois patrons de la psychiatrie marseillaise : les professeurs Jean Naudin, Christophe Lançon et Jean-Michel Azorin. « Alors que ces trois-là se menaient une guerre sans merci, Marc les mettait d'accord, témoigne la Pre Raphaëlle Richieri, ancienne collègue du Dr Adida. Ils le considéraient comme le nouveau génie de la discipline, il était devenu intouchable. Vous prenez un maniaque et vous le faites mousser, il se sent tout-puissant. »« Marc était très investi, toujours disponible, mais on voyait qu'il n'allait pas bien, soupire une ancienne collègue. Le midi, on avait parfois l'impression de déjeuner avec un patient. »
Le médecin marseillais, qui sera diagnostiqué bipolaire, a toujours contesté souffrir de la moindre affection psychiatrique : il ne se reconnaît qu'un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Par ailleurs fasciné par le haut potentiel intellectuel (HPI), il se dit « brillantissime ». De fait, son parcours est impressionnant. Il a repris des études de médecine après un premier cursus d'ingénieur et soutenu une thèse de neuro-sciences.
Quasi inconsciente, shootée aux somnifères
Son ex-épouse, Cécile*, décrit un homme passionné mais très possessif qui, petit à petit, instaure avec elle une relation d'emprise. Où il l'isole de ses proches, la culpabilise, multiplie les gestes violents et les chantages au suicide. Où, aussi, il lui impose des traitements médicamenteux qui, parfois, la mènent jusqu'au black-out. Ce sera également le cas, plus tard, d'une autre de ses compagnes : une jeune interne qui rapportera avoir été harcelée, battue et violée alors qu'elle était quasi inconsciente, shootée aux somnifères.
Témoignage. Cécile, son ex-femme, elle-même psychiatre, dans sa maison à Cassis. Elle décrit une relation d'emprise marquée par la violence. - OLIVIER HERTEL
Marc Adida commence à absorber, en grandes quantités, de la Ritaline, un psychostimulant utilisé d'ordinaire dans le traitement du TDAH et classé parmi les stupéfiants. « Au-delà des doses recommandées, les effets indésirables croissent de manière exponentielle : augmentation des risques cardiovasculaires ou des troubles psychotiques, délires, hallucinations, etc. », commente le Dr François Montastruc, spécialiste en psychopharmacologie clinique et en pharmacovigilance au CHU de Toulouse.
Un soir du printemps 2013, en pleine décompensation maniaque, le psychiatre menace de tuer son épouse et leur fille de 2 ans. Lorsque Cécile parvient à s'échapper de la maison avec l'enfant, il a déjà disposé une chaise au milieu du salon pour y attacher sa femme et sorti les couteaux de cuisine ; les gendarmes seront contraints de le neutraliser de deux tirs de taser. Appelé sur les lieux, le Pr Jean Naudin, chef du service de psychiatrie de Sainte-Marguerite, demande une hospitalisation sous contrainte judiciaire à l'hôpital de Toulon.
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En reprenant le suivi de ses malades, les collègues de Marc Adida découvrent l'étendue du désastre. Un nombre faramineux d'entre eux ont reçu la même prescription : toujours de la Ritaline, associée à un régulateur de l'humeur, un neuroleptique et des antidépresseurs. « Un cocktail explosif, commente Raphaëlle Richieri, avec des posologies maximales, voire deux à trois fois supérieures aux doses recommandées. » Il reprend son travail, cependant. Et, très vite, de nouvelles alertes surviennent.
En juin 2014, il est accusé de prescription abusive de Ritaline par une patiente qui affirme, aujourd'hui, qu'il l'a également agressée sexuellement. Quelques mois plus tard, l'ordre des pharmaciens des Bouches-du-Rhône signale à l'ordre des médecins et au directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) une multitude d'ordonnances de Ritaline émanant du même médecin, prescrites pour lui-même et sa famille.
« Un obscur complot sexuello-scientifique »
C'est cependant Marc Adida que choisit le Pr Azorin pour prendre la tête du centre Cassiopée, en octobre 2014. Cassiopée, c'est l'unité fermée de Sainte-Marguerite, celle où sont internés les malades les plus difficiles. Le 5 décembre 2013, une jeune fille de 20 ans, Camille V., s'y est pendue avec le haut de son pyjama. Une tragédie a priori sans lien avec le Dr Adida, qui n'est pas encore chef de l'unité. Mais la courte vie de la jeune femme est teintée d'un mystère : elle aurait porté plainte pour agression sexuelle contre le psychiatre, qui la suivait en consultation. Si le document reste aujourd'hui introuvable, l'ordonnance de mise en accusation tient la chose pour acquise. « Elle l'avait accusé de viol, c'est sûr », confirme au Point le Pr Azorin.
Lorsque Marc Adida est nommé, ses collègues ignorent tout de cette affaire. Mais ils s'alarment de voir une telle responsabilité confiée à un collègue aussi instable. Sans être entendus. « On m'a dit qu'il serait au contraire parfait dans le rôle, puisque lui-même avait eu l'expérience d'une unité fermée ! » rapporte un professeur de Sainte-Marguerite. « Il délirait sur les reptiliens, les Illuminatis et les anges, témoigne encore une collègue médecin. On pensait à chaque fois que quelqu'un interviendrait. Mais rien. »
Rien non plus après ces journées de décembre 2014 où Marc Adida envoie à la quasi-totalité de l'AP-HM, direction comprise, des e-mails évoquant, selon le résumé qu'en fera un expert psychiatre, « un obscur complot sexuello-scientifique ayant créé un réseau avec échanges de partenaires sexuelles ». Dans un autre courriel, adressé à une vingtaine de confrères, le psychiatre assure détenir la combinaison du prochain EuroMillions : « Faites jouer 2,5 euros à tous ceux que vous aimez et ceux que vous croyez ne pas aimer aussi : 01.05.14.18.19. Étoiles 07 09. » Sûr d'avoir découvert la martingale, il envoie aux uns et aux autres des chèques de 300 000 à 700 000 euros.
Une expertise psychiatrique du Dr Marc Adida demandée par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) conclut, en octobre 2015, qu'il n'est « pas en état d'exercer la médecine ».
Quelques semaines après cet épisode, deux expertises psychiatriques sont diligentées. La première, menée pour le compte de l'ARS, estime que le Dr Adida est apte à exercer. La seconde, demandée par le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), est radicalement différente. L'expert note l'intelligence remarquable du sujet et sa faculté à dissimuler son état. Mais « une impression globale d'étrangeté mécanique et d'automate intelligent et averti se dégage de cette rencontre, écrit-il. La dimension clairement psychopathologique du fonctionnement de son esprit apparaît bien établie ». Conclusion : il n'est « pas en état » d'exercer la médecine.
« Je lui ai demandé d'arrêter »
Ce second rapport est remis au Cnom le 6 octobre 2015, près de six mois après l'examen. Que devient-il ? À qui est-il transmis ? Dans une réponse sibylline à nos demandes de précisions, l'Ordre nous a assuré n'avoir « jamais eu à connaître du comportement disciplinaire de ce praticien ». Quoi qu'il en soit, le Dr Adida poursuit ses consultations. Il aurait agressé Marie*, une autre de ses patientes, trois semaines après l'envoi du document.
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