Citation :
Alexandre 'unhosted' Stachtchenko @StachAlex Il n'y a rien qui va dans ce torchon. Car oui c'est un torchon, il n'y a pas d'autre mots. Mais pas n'importe quel torchon, un torchon dangereux. I. Commençons par dire que le mandat de la BCE, c'est de gérer la stabilité des prix. Ecrire des idioties sur Bitcoin ne me semble pas participer de ce mandat, donc j'aimerais bien que l'argent public ne finance pas ce genre de choses, d'autant plus quand ça fait belle lurette que le mandat principal n'est même pas atteint. Il est scandaleux que la crédibilité, le temps et l'argent d'une institution publique soit utilisés pour taper sur un actif en particulier. Je rappelle ici que c'est d'ailleurs sur ce point précis que la SEC a perdu son procès aux Etats-Unis, ayant montré qu'ils n'étaient pas "merit neutral", c'est-à-dire indifférents aux mérites et qualités des actifs. Qui plus est, si Bitcoin n'est pas une monnaie comme ils se plaisent à le répéter, POURQUOI EST CE QU'ILS ECRIVENT DESSUS TOUT COURT ?! II. Constatons également que l'article manque cruellement de sources. La quasi-totalité des assertions ne sont pas étayées. Quand elles le sont, c'est pour la grande majorité un renvoi vers des articles d'opinion dans la presse. Il n'y a qu'une seule source académique : Cong et al. (2023) dont l'abstract nous dit "Our sample consists of 29 centralized exchanges, among which the regulated ones feature transaction patterns consistently observed in financial markets and nature.". Bizarrement, le papier de l'ECB retient une toute autre conclusion: "wash trading accounts for 77.5% of the total trading volume on unregulated exchanges". Je poursuis sur les sources pour vous montrer l'immense mauvaise foi, et en particulier sur le cas du supposé blanchiment d'argent et financement du terrorisme par les cryptos. "Bitcoin remains the top choice for money laundering in the digital world, with illicit addresses transferring $23.8 billion in crypto in 2022, marking a 68.0% increase from the previous year." La source indiquée est "Chainanalysis 2024". On passera sur le fait que la boîte s'appelle Chainalysis. La source renvoie vers "2024 Crypto Crime Trends: Illicit Activity Down as Scamming and Stolen Funds Fall, But Ransomware and Darknet Markets See Growth”, 18 January." https://chainalysis.com/blog/2024-c [...] roduction/ Je ne sais même pas si j'ai besoin de continuer... Le titre du rapport est littéralement "L'activité illicite diminue". Mais on continue quand même parce que c'est croustillant. On nous dit que l'activité augmente alors qu'elle diminue. La réponse est assez simple, les auteurs de l'article prennent l'année de référence précédente (2022) par rapport à celle d'encore avant (2021). Pourquoi ? Parce que ça sert leur discours. Entre 2021 et 2022, l'activité illicite a progressé (en valeur, pas nécessairement en proportion). Entre 2022 et 2023, elle baissé. Donc ça ne les intéresse pas et ils remontent à l'année d'avant, malgré le fait qu'il eut été évidemment plus pertinent de prendre le chiffre de cette année plutôt qu'arbitrairement celui de l'année précédente. J'ajoute qu'en termes d'ordre de grandeur, nous dire que Bitcoin est le "top choice" du blanchiment quand ça représente ~$20 mds, c'est faire l'assertion mécaniquement que tous les autres moyens sont inférieurs, et que donc il y a MOINS de 20 mds blanchis chaque année en euros ou en dollars. Rappelons que les Pandora Papers SEULS, c'est $11 000 mds en monnaie parfaitement fiat. Les quelques articles ayant investigué le sujet des activités illicites pointaient du doigt une proportion aux alentours de 1% du PIB de la zone euro en 2010, soit 110 mds (il y a 15 ans donc). Bref, vous le voyez, la mauvaise foi transpire au point de ne sélectionner QUE les années qui les intéressent sur des graphiques qui fournissent pourtant une donnée plus exhaustive. A ce stade, on est à la frontière du mensonge pur et simple, et, en tout cas, on est en plein dans la désinformation consciente. Je dis consciente car ils citent EUX-MÊME l'article Chainalysis de 2024, et ils l'ont donc vu et lu ! Ils n'ignorent pas cette information. III. Au-delà des sources éclatées, de la mauvaise foi ambiante, de la désinformation, et du fait que les auteurs ne sont pas experts et nagent en plein conflit d'intérêt (un des auteurs travaille spécifiquement sur l'euro numérique en plus...), on retrouve évidemment un pile d'assertions fausses, toutes débunkées, ou d'opinions présentées comme des faits : 1) "Today, Bitcoin transactions are still inconvenient, slow, and costly." Par rapport à quoi ? Un virement SEPA qui prend 5 jours ouvrés ? Un transfert international qui coûte en moyen entre 5 et 10% de la transaction ? Parce qu'on rappelle que si c'est avec des cartes de paiement qu'on compare Bitcoin, on compare des pommes et des poires. VISA & Mastercard ne font pas de transactions, ils font des autorisations. Et il faut donc comparer cette couche supérieure au Lightning Network. Je renvoie à l'étude de @kneisseh pour les comparaisons d'efficience, qui sont plutôt favorables à #Bitcoin. 2) "Outside the darknet, the hidden part of the internet used for criminal activities, it is hardly used for payments at all." Faux, complètement faux, documenté, et avoué par les services de polices ou de renseignement. Que ce soit le FBI qui se réjouit que les criminels utilisent les cryptos, ou la gendarmerie ou encore TracFin en France, il est maintenant admis y compris chez les détracteurs que ce n'est pas utilisé majoritairement pour des activités criminelles. Dans le National Money Laudering Risk Assessment 2022 du Département du Trésor américain, on peut lire "the use of virtual assets for money laundering remains far below that of fiat currency and more traditional methods" ou encore "the size and scope of drug proceeds generated on the darknet and laundered via virtual assets remain low in comparison to cash-based retail street sales. Worldwide sales on major darknet markets appear to have remained modest when compared to overall illicit drug sales. For example, during 2017–2020, drug-related darknet market sales amounted to approximately $315 million annually, or about 0.2 percent of the combined estimated illicit annual retail drug sales in the United States and European Union." https://home.treasury.gov/system/fi [...] ssment.pdf J'ajoute que sur 2022, le réseau Bitcoin a traité plus de valeur de transaction que VISA (+ de $10 000 mds), ce qui n'est pas mal pour quelque chose censé avoir échoué. 3) "Bitcoin is still not suitable as an investment." C'est juste l'actif le plus performant depuis 15 ans. 4) "the mining of Bitcoin using the proof of work mechanism continues to pollute the environment on the same scale as entire countries" Les auteurs n'ont pas ouvert les dernières publications académiques : You et al. (Cornell), Ibanez et al. (University College London), Bruno et al. (University of North Carolina), etc. qui pointe TOUTES vers l'opportunité d'utiliser Bitcoin pour verdir les réseaux électriques et réduire les émissions de méthane. Je suppose qu'ils n'ont pas non plus demandé à ceux qui ont déjà essayé, c'est à dire le gestionnaire de réseau Texan, ERCOT, dont l'ex-CEO Brad Jones disait de Bitcoin qu'il était une bénédiction pour la stabilité de son réseau et une incitation à augmenter le mix ENR. Non, les auteurs préfèrent évoquer les fameuses "evidence of its huge negative environmental impact." Lesquelles ? On ne le saura pas, puisque l'assertion, pourtant grave, n'est tout simplement pas sourcée. On s'en doute, les auteurs ont probablement préféré accorder de la crédibilité au fameux Digiconomist, une personne qui n'a pas d'expertise et se trompe par des ordres de grandeur majeurs depuis plus de 5 ans sur tout ce qu'il dit sur ce sujet, qui ment (il déclare dans le papier de Cell Reports qu'il n'a aucun conflit d'intérêt, ce qui évidemment faux puisqu'il travaille dans une banque centrale), et qui de plus n'est même pas chercheur, puisqu'il n'a pas fini son doctorat. Ca semble être un meilleur pedigree que Fengqi You (susmentionné), de la réputée université Cornell, dont les spécialités de recherche sont entre autres l'informatique et la transition énergétique, les deux domaines qui nous intéressent ici, et qui depuis 2010, a été honoré de quinze récompenses reconnaissant la qualité de son travail de recherche. A dire vrai, les auteurs n'en ont probablement strictement rien à faire de l'environnement, mais ça leur donne un angle d'attaque pratique pour taper sur un objet qui leur fait concurrence. IV. J'ajoute enfin que l'article est à lui seul une montagne de contradictions. 1) La valeur de Bitcoin serait de zéro car il ne produit pas "cash flow (unlike real estate) or dividends (stocks), cannot be used productively (commodities), and offers no social benefit (gold jewellery) or subjective appreciation based on outstanding abilities (works of art)." L'euro produit-il des cash flows ? Non L'euro produit-il des dividendes ? Non L'euro peut-il être "utilisé productivement" ? Non L'euro offre-t-il des "social benefits" comme la bijouterie ? Non L'euro est-il sujet à appréciation subjective basée sur des qualitiés extraordinaires ? Non On comprend donc que l'euro vaut zéro ? 2) Bitcoin, comme on l'a vu, est censé être le "top choice" pour le blanchiment & terrorisme. Pourtant plus loin, les auteurs s'insurgent contre le fatalisme réglementaire, et sortent l'argument qui tue pour inciter les législateurs à ne pas rester les bras croisés : "But Bitcoin transactions offer pseudonymity rather than complete anonymity, as each transaction is linked to a unique address on the public blockchain. Therefore, Bitcoin has been a cursed tool for anonymity, facilitating illicit activities and leading to legal action against offenders by the tracing of transactions" Super, donc dans le même article, Bitcoin arrive à être le meilleur moyen de conduire des actions illicites mais aussi un moyen "maudit" qui permet des "legal actions against offenders" car on peut tracer les transactions. Dans. Le. Même. Article. Pour finir, les auteurs s'interrogent sur le fait que Bitcoin ne soit pas encore interdit ("it seems wrong that Bitcoin should not be subject to strong regulatory intervention, up to practically forbidding it" ), et en viennent à suggérer des actions au législateur (on le rappelle, ça n'a rien à faire là, puisque ça ne relève pas du mandat de la stabilité des prix). Quelles sont ces actions ? "The Bitcoin network has a governance structure in which roles are assigned to identified individuals. Authorities could decide that these should be prosecuted in view of the large scale of illegal payments using Bitcoin." D'abord, la gouvernance de Bitcoin n'a pas de rôles assignés à des individus. Il y a des rôles oui, mais les individus qui y participent sont interchangeables. Ils ne sont pas nécessairement identifiés d'ailleurs, cf les solo miners. Dans ces rôles, il y a les core devs, les mineurs, les noeuds, les plateformes d'échange etc. Chacun a son petit pouvoir, mais personne ne contrôle Bitcoin tout seul. Rappelons incidemment par exemple qu'il y a quelques années, lors des Blocksize Wars, les mineurs & plateformes d'échange ont perdu leur bataille contre les noeuds. Alors que veut dire la petite phrase pas du tout innocente des auteurs ? Qu'on va aller chercher les core devs chez eux pour les mettre en taule ? Pour quel motif ? Parce qu'ils ont écrit du code ? Il aurait fallu mettre Einstein en taule pour avoir ouvert la voie aux travaux sur le nucléaire ? Quelqu'un qui vend un couteau de cuisine doit aller en taule parce qu'un acheteur a commis un crime avec ? Tout cela sur la base d'une "large scale of illegal payments" qui est fausse, et qu'ils ont eux-même debunké dans leur propre article. Pardon, mais on va où là ? Je réitère que Bitcoin est un test pour les démocraties, et qu'en Europe, nous ratons toutes les étapes du test. Ce qui se passe est grave. Arrêtons les délires liberticides et dérives autoritaires voire totalitaires maintenant. C'est un combat politique.
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